3. Les dynamiques de concentration des activités

L’extension des réseaux routiers et autoroutiers en périphérie est souvent évoquée comme un des éléments moteurs majeurs du développement des pôles, car les firmes ont intérêt à choisir de se regrouper à proximité des principaux noeuds d’infrastructures pour diminuer leurs coûts de transport [White, 1976]. La prise en compte des déplacements pendulaires des employés est également souvent considérée : lorsqu'ils sont suffisamment importants, c’est-à-dire supérieurs aux frais de communications entre entreprises, ils favorisent la formation d’un ou plusieurs pôles, sous l'hypothèse que les employés choisissent d'habiter à proximité de leur lieu de travail.

Les exigences d’échanges d’informations entre entreprises favorisent quant à eux plutôt le centre historique, où les contacts potentiels sont les plus nombreux et les plus diversifiés. M. Ota et M. Fujita [1993] montrent que la validité de ce raisonnement dépend du type d'activité. Les auteurs analysent l'influence de la nature et du niveau des coûts de communication intraentreprises (entre les différentes unités d'une entreprise) et interentreprises, en distinguant pour chaque entreprise un “ front office ” et un “ back office ”. Les “ front offices ” échangent des informations tacites entre eux, alors qu'ils échangent des informations codifiées avec leur “ back office ”, ces derniers ne communiquant par contre pas entre eux. La baisse des coûts de communication (des informations codées) permet une dissociation spatiale entre les “ front offices ”, qui restent au centre, et les “ back offices ”, qui peuvent se localiser en périphérie et bénéficier de coûts d’implantation moins élevés. Le modèle suggère donc que le développement des TIC constitue une force importante de périphérisation, du moins pour les activités les plus banales.

Enfin, la concurrence entre les entreprises peut être soit un facteur soit d'agglomération soit de dispersion. L’introduction d'un tel paramètre dans un modèle de localisation est due à Hotelling (en 1929). Elle conduit, selon l'auteur, à la concentration géographique, au centre du marché, des entreprises qui vendent le même bien (c’est ce que l’on appelle le principe de différenciation minimale) [Basaille-Gahitte, Nicot, 1993]. J.F. Thisse [1992] a cependant montré que cette analyse était incorrecte : les entreprises vendant un bien homogène ont tendance à se séparer dans l’espace géographique, de façon à atténuer l’intensité de la concurrence par les prix, tandis que celles qui vendent des biens distincts vont chercher à se regrouper dans une localisation centrale, de façon à maximiser leurs aires de marché.

Une limite importante de la plupart de ces travaux est qu’ils ne tiennent pas compte des différences qui existent entre les secteurs d’activité et permettent mal d'expliquer que certains, comme les industries ou les services à la population, sont relativement dispersés, tandis que d’autres, tels les services aux entreprises, privilégient plutôt le centre. Cet dernier aspect va d'ailleurs être spécifiquement abordé au chapitre suivant.

Les mutations qui s’opèrent à l’échelle intramétropolitaine font l’objet d’un nombre croissant de travaux. Les questions demeurent encore nombreuses, et concernent notamment les dynamiques à la base de ces évolutions, ainsi que leurs conséquences. L’approche par les logiques de localisation des activités économiques nous semble en ce sens pertinente.

Pour ce faire, nous avons défini la ville comme un ensemble de sous-espaces caractérisés par des attributs spécifiques. Ces derniers sont en partie révélés par les facteurs de localisation des entreprises. Les modèles visant à expliquer les choix d’implantation intraurbaine permettent de faire ressortir un certain nombre de ces facteurs, mais leur influence dépend incontestablement de la nature de l’activité considérée.

C’est pour ces raisons qu’il nous semble judicieux de centrer l’analyse sur un secteur spécifique : celui des services aux entreprises. Leur influence dans le processus de métropolisation a jusque-là été surtout analysé au niveau interurbain. Pourtant, les comportements spatiaux de ces activités au sein d’un espace urbain ont un impact potentiellement important sur les restructurations en cours, ne serait-ce que parce que leur nombre a considérablement augmenté dans les dernières décennies, du fait notamment de l’apparition de nouveaux besoins, donc de nouveaux métiers, liés en particulier au conseil ou encore à l’informatique. Par ailleurs, ces services n’ont pas les mêmes besoins, et donc les mêmes logiques d'implantation intraurbaine, que les autres activités économiques, et ne peuvent être rapprochés ni de l’industrie, ni des services aux ménages, auxquels il ont longtemps été rattachés [May, 1994-a]. Il nous faut donc à présent déterminer comment se déploient dans l’espace urbain à la fois cette dynamique de croissance, ainsi que les logiques spatiales propres à ces activités.