L’intérêt de ces travaux réside aussi dans la réflexion que certains engagent sur la nécessité d’introduire des différenciations au sein même du secteur des services aux entreprises, et d’en tirer des conséquences sur le plan spatial. Le caractère hétérogène des prestations assurées n’est fort logiquement pas sans conséquence sur les comportements de localisation, non seulement au niveau interurbain [Illeris, Sjoholt, 1998], mais aussi intraurbain [Gad, 1985], ce qui valide l’une de nos hypothèses précédentes.
De façon générale, il ressort que les services de haut niveau sont largement plus concentrés que ceux qui sont plus banals, et qu’ils sont de surcroît plutôt localisés au centre. A. Bailly et L.M. Boulianne [1993], dans une étude sur deux villes moyennes françaises (Dijon et Grenoble), constatent ainsi une certaine division sociale et spatiale dans les services, qui se traduit par une dissociation forte des fonctions, le tertiaire de haut niveau demeurant central. Dans la zone métropolitaine de Madrid, certains services, comme le conseil et la publicité, sont localisés à près de quatre-vingt dix pour cent dans la commune-centre [Cuadrado-Roura, Del Rio Gomez, 1992]. Les auteurs indiquent que les conclusions sont similaires à Barcelone, ce que confirment E. Baro et A. Soy [1993], qui constatent la très forte centralité des secteurs de la publicité, de l’informatique ou encore du conseil en gestion-management. F. Gaschet [1999] conclut également que les activités juridiques sont encore très centrales dans la métropole bordelaise, contrairement aux études techniques et aux services divers à la production. L’analyse de B. O’hUallachain et N. Reid [1992], portant sur les soixante-quatorze plus grandes métropoles des Etats-Unis, souligne de même que les activités juridiques, la publicité, la comptabilité et le conseil figurent parmi les secteurs les plus centraux, contrairement à l’ingénierie ou encore à la programmation de logiciels. Ce dernier exemple prouve surtout que les services qui se périphérisent ne relèvent pas uniquement de prestations banales. Les logiques spatiales semblent en fait largement plus complexes.
La différenciation des services aux entreprises dans ces travaux nous semble cependant globalement insatisfaisante. Dans la plupart des cas, la distinction est fondée sur des regroupements d’activités certes proches, mais qui s’avèrent relativement grossiers : ainsi la catégorie “ informatique ” rassemble en général des prestations aussi diverses que la réalisation de logiciels, le conseil en informatique, ou encore la vente de matériel. Surtout, ces découpages sont exogènes à l’analyse spatiale, alors qu’ils devraient résulter à notre avis de considérations précises sur les caractéristiques des localisations, en particulier en termes de niveau de centralité. Une typologie visant à expliquer les stratégies de localisation des services aux entreprises en intraurbain doit tenir compte à la fois d’éléments relatifs certes à la nature des activités regroupées, mais également de critères spatiaux, ainsi que nous le mettrons en oeuvre en deuxième partie de ce travail.
Par ailleurs, certaines recherches s’interrogent sur l’existence de différences entre les établissements de services aux entreprises centraux et périphériques, en particulier, et c’est l'une de nos interrogations précédentes, en termes d’aires de marché. Ils concluent que les activités du centre sont globalement plus exportatrices 40 que celles de la périphérie [Gad, 1985]. W.J. Coffey et al. [1996-a] testent même très précisément deux modèles de régressions probabilistes, qui croisent les caractéristiques des établissements avec leur localisation effective, cette dernière étant repérée soit sous la forme dichotomique centre-ville/reste de la région métropolitaine, soit sous la forme polytomique centre/reste de la ville/proche banlieue/banlieue éloignée. Le modèle dichotomique montre que les activités 41 localisées au centre-ville sont caractérisées par des revenus bruts plus élevés, ainsi que par un pourcentage plus conséquent de ce revenu destiné aux clients situés au centre mais également hors de la région métropolitaine. Les établissements implantés hors du centre ont donc une clientèle plus locale et surtout plus périphérique, ce qui semble confirmer l’influence de l’extension des aires de marché hors du CBD sur le processus de périphérisation. Cette influence est de surcroît validée par le modèle polytomique, qui met en évidence la “ propension progressivement plus élevée pour les établissements à tirer des revenus des ventes aux banlieues, quand on se déplace du centre-ville vers la périphérie de la région métropolitaine ” [Coffey, 1998, 235]. P.W. Daniels et S. Churchward [1998] notent également que les établissements 42 du centre-ville sont présents sur un plus grand nombre de marchés, et que cela tient en partie au fait qu’il sont de plus grande dimension, ou qu’ils y sont établis depuis plus longtemps. L.M. Boulianne [1995] introduit quant à lui une distinction en fonction de la taille des clients : il précise ainsi que les services aux grandes entreprises ont plutôt tendance à s’implanter au centre, afin d’être à proximité des sièges sociaux, tandis que les autres peuvent se disperser en périphérie urbaine pour satisfaire la demande croissante des PME.
Les analyses en termes de différences de taille, d’ancienneté ou encore de statut (mono ou multiétablissement) entre le centre principal et la périphérie sont nettement moins concluantes. Ainsi G. Gad [1985] montre, dans le cas de Toronto, que l’opposition petits établissements au centre/grands établissements en périphérie n’est pas vraie dans le cas des services aux entreprises, non plus que la nationalité (canadienne/non canadienne) de l’entreprise. En revanche, P.W. Daniels et S. Churchward [1998] constatent à Birmingham que les établissements sont plutôt de plus grande taille au centre qu'en périphérie, mais leur étude porte sur l’ensemble des services et non les seuls services aux entreprises.
Hors de leur métropole d’implantation.
Il s’agit d’établissements du secteur tertiaire moteur, c’est-à-dire comprenant à la fois les services aux entreprises et les services financiers, bancaires, d’assurance et d’affaires immobilières.
Ces résultats concernent l’ensemble du secteur des services.