Introduction générale

Les philosophes ont proposé différentes visions de l’émotion, comme témoin d’un ancrage de la pensée dans le corps. Pour les physiologistes de la fin du XIXème siècle (James, 1884) et au début du XXème (Cannon, 1927), l’interrogation portait sur l’origine de l’émotion. Il s’agissait de savoir si la source de l’émotion est centrale ou périphérique. Pour James, il s’agissait de savoir si ce qui est à l’origine de l’émotion sont des modifications organiques périphériques. Les psychologues cognitivistes ont reformulé cette question de l’origine : la question était de savoir s’il est nécessaire de postuler un traitement cognitif préalable au déclenchement de l’émotion. Zajonc (1980, 1984) et d’autres auteurs, (Kunt-Wilson & Zajonc, 1980 ; Murphy & Zajonc, 1993) postulaient une relative indépendance du système affectif et au système cognitif, s’opposant sur ce point à Lazarus (1982, 1984) qui pensait qu’une évaluation cognitive préalable était nécessaire au déclenchement de l’émotion. Le débat reste d’actualité.

Une autre façon de concevoir les recherches sur les émotions est de tenter de savoir ce qui fait qu’une stimulation est plaisante plutôt que déplaisante, par exemple. Les recherches sur la perception des émotions considèrent assez souvent qu’il existe un axe hédonique continu, comprenant à ses extrémités l’agréable d’un côté et le désagréable de l’autre (Russel & Caroll, 1999). En considérant les modalités visuelles et auditives, les théoriciens qui travaillent sur l’émotion n’ont pas trouvé à ce jour de consensus sur ce point. D’une façon générale, il existe deux théories. La première considère une dimension émotionnelle simple caractérisée par des comportements d’approche et de retrait (Cacioppo & Gardner, 1999 ; Davidson, 2000a ; Lang, Bradley, Cuthbert, 1998a). Les émotions, dans ce cas, sont catégorisées comme étant positives ou négatives, et sont fondamentalement organisées par la motivation. C’est la théorie biphasique de l’émotion. L’autre théorie postule un nombre limité d’émotions de base discrètes (tristesse, peur, joie, surprise, colère dégoût) caractérisées par des expressions faciales et des événements physiologiques associés distincts (Ekman, Levenson & Friesen 1983). Cette absence de consensus se retrouve également dans la modalité olfactive : certains chercheurs postulent une organisation de l’émotion d’origine olfactive en terme de systèmes d’approche et de retrait (Rolls, 1999), alors que d’autres considèrent que les émotions provoquées par des odeurs peuvent être distinguées selon des affects de base comme la tristesse, la peur, la joie, la surprise, la colère ou le dégoût (Vernet-Maury & Robin, 1999).

Un autre développement significatif des recherches sur l’émotion est l’étude de leurs effets sur la cognition. Les travaux d’Isen (voir Isen, 1999 pour une revue), indiquent que l’émotion, et en particulier les affects positifs, peuvent influencer certains comportements cognitifs et sociaux.

Cette question des effets d’états affectifs positifs et négatifs sur les comportements cognitifs et sociaux, s’étend à l’olfaction. En effet, on dit des odeurs qu’elles influencent l’humeur (Chen & Haviland-Jones, 1999), qu’elles induient des états affectifs positifs et négatifs (Erhlichman & Halpern, 1988) et qu’elles provoquent des états excitants ou relaxants (Torii, Fukuda, Kanemoto, Miyanchi, Hamauza & Kawazaki, 1988). Elles pourraient même nous aider à nous rappeler certains souvenirs lointains, comme l’évoque Marcel Proust dans « Du côté de chez Swann » (1954). On pense que la transition entre la perception d’une odeur et ces effets est réalisée par le système émotionnel, qui peut être dans un état négatif ou positif. Ainsi, pour Tassinary (1985), quelle que soit l’analyse réalisée, quand on introduit l’odeur dans une expérience, une composante affective émerge forcément. Allant dans le même sens, Ehrlichman et Bastone (1992), écrivent : « ...l’expérience des odeurs est inextricablement reliée à la tonalité hédonique. L’aspect le plus saillant des odeurs est leur caractère plaisant ou déplaisant. » (p. 412).

L’objectif de cette thèse est d’étudier le traitement affectif des odeurs sous deux aspects. Le premier concerne l’effet des affects positifs et négatifs induits par des odeurs (agréables et désagréables) sur certains comportements cognitifs et sociaux. Le second se centrera plus sur la question de l’organisation et du fonctionnement de ces affects, chez l’Homme adulte. Cette introduction sera composée de deux parties. Nous traiterons d’abord de la perception des émotions dans sa globalité, sans prendre en compte ses interactions avec l’olfaction. La seconde partie tentera de présenter la modalité olfactive sous l’angle de l’affectivité.