Différentes organisations des émotions

Une organisation selon des émotions de bases

Selon Kirouac (1994), ‘“ ...la façon la plus classique d’envisager l’élaboration de critères en vue d’identifier les membres restreints de catégories consiste à postuler l’existence d’entités émotionnelles appelées fondamentales, de base ou, encore, primaires. Selon ce point de vue, de telles émotions auraient un statut “ spécial ” qui leur conférerait le rôle de constituants premiers de la vie émotionnelle: aucun membre de ce petit groupe d’émotions ne serait décomposable en entités plus élémentaires et les émotions qui ne sont pas identifiées comme fondamentales seraient des mélanges d’émotions de base ...’”. Ainsi, certains chercheurs comme Ekman et al. (1983) définissent les émotions de base suivantes : colère, peur, tristesse, joie, surprise, dégoût. Leur raisonnement est basé sur le fait que chaque émotion provoque un « pattern » autonome spécifique : la colère provoque la plus grande accélération du rythme cardiaque et les plus grands changements de température, alors que pour le dégoût, on observe le pattern inverse. Ekman et al. définissent un arbre décisionnel, afin de déterminer chacune des émotions à partir du pattern autonome observé. Cet arbre est illustré par la figure 3.

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Figure 3. Arbre décisionnel pour la détermination des émotions (selon Ekman et al., 1983).

Plus récemment, Ekman (1999) propose d’étendre le concept d’émotions de base à d’autres types d’états affectifs. Pour cela, il utilise le concept de « famille d’émotions ». Pour lui chaque émotion n’est pas un simple état affectif, mais une famille d’états reliés entre eux. Les caractéristiques d’une même famille diffèrent par rapport à celles d’une autre famille, ce qui permet de distinguer les familles les unes des autres. En d’autres termes, Ekman considère que chaque famille d’émotions a ses propres motifs et variations : les motifs sont un produit de l’évolution, alors que les variations sont le fruit de l’apprentissage. Ekman propose ainsi une liste d’émotions qui porteraient les composantes définies dans le tableau 3. Cette liste est la suivante : l’amusement, la colère, le mépris, le contentement, le dégoût, l’embarras, l’agitation, la peur, la culpabilité, la fierté du succès, le soulagement, la tristesse / angoisse, la satisfaction, la sensation de plaisir et la honte.

Tableau 3. Caractéristiques qui distinguent les émotions de bases les unes des autres, et d’autres phénomènes affectifs.
Caractéristiques
1 Signaux universels distincts
2 Physiologie distincte
3 Une évaluation automatique
4 Des universaux distincts dans leurs événements antérieurs
5 Un développement distinctif apparent
6 Présent chez les autres primates
7 Apparaît rapidement
8 De durée brève
9 Evénement qui apparaissent spontanément
10 Des pensées et souvenirs distincts
11 Une expérience subjective distincte

Les nouvelles techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale ces dernières années, ont permis aux chercheurs de préciser les circuits neuronaux impliqués spécifiquement dans certaines de ces émotions de base. Plusieurs de ces études utilisent des stimulations visuelles sous forme de visages exprimant une émotion. Ces stimulations font partie d’une série d’images développée par Ekman et Friesen (1978). Les émotions exprimées sont les suivantes: peur, dégoût, colère, tristesse, joie et surprise. En plus des ces expressions, on peut trouver des expressions neutres. En utilisant ces stimulations, il a été démontré que l’amygdale joue un rôle critique dans la perception de l’émotion de peur (Adolphs, Tranel, Damasio, H. & Damasio, A.R., 1994 ; Adolphs, Tranel, Damasio, H. & Damasio, A.R., 1996; Morris, Frith, Perrett, Rowland, Young, Calder & Dolan, 1996 ; Scott, Young, Calder, Hellawell, Aggleton & Johnson, 1997), alors qu’elle est moins impliquée dans les émotions de type joie (Morris et al., 1996). En accord avec ces données, LaBar et collaborateurs (LaBar, Gatenby, Gore, LeDoux & Phelps, 1998) observent une activation de l’amygdale lors d’un conditionnement de peur. De plus, Blair et collaborateurs (Blair, Morris, Frith, Perrett & Dolan, 1999) démontrent l’existence de réponses neuronales distinctes liées à des expressions faciales de tristesse et colère : l’émotion de tristesse est associée avec une augmentation de l’activité de l’amygdale gauche et du lobe temporal droit, alors que l’émotion de colère est associée avec une augmentation de l’activité dans les cortex orbito-frontal et cingulaire antérieur. Enfin, il semblerait que l’insula soit particulièrement impliquée dans la perception du dégoût (Phillips, Young, Senior, Calder, Perrett, Brammer, Bullmore, Andrew, Williams, Gray & David, 1997).

Ces données indiquent donc un rôle particulier de l’amygdale, comme nous l’avons vu plus haut, dans la perception émotionnelle plutôt négative (peur par exemple). En considérant une catégorisation du type hédonique (positif vs. négatif) des émotions, certains chercheurs ont proposé une théorie de l’émotion basée sur la valence. Nous la présentons ci-après.