Une organisation des émotions selon leur caractère inné ou acquis

Darwin (1890), dans son ouvrage « L’expression des émotions chez l’Homme et les animaux », tente de décrire les principaux actes expressifs chez l’Homme et les animaux. Il explique l’origine ou le développement de ces actes à l’aide de principes reliés à l’évolution et l’hérédité. En effet, d’après lui, les principaux actes de l’expression, chez l’Homme et les animaux, sont innés ou héréditaires, c’est à dire qu’ils ne sont pas un produit de l’individu. Le rôle de l’éducation est très restreint. Ainsi, d’après cette théorie, un grand nombre de nos expressions les plus importantes n’ont pas eu besoin d’être apprises.

Parmi les nombreuses théories contemporaines sur l’émotion, qui traitent de leur caractère inné ou acquis, on retiendra celle de Damasio. Ce dernier, en réalisant des observations sur des états pathologiques, met en évidence le fait qu’il existe des régions dans le cerveau humain (le cortex préfrontal ventro-médian et dorso-latéral, l’amygdale et un ensemble d’aires corticales somato-sensorielles) dont la lésion perturbe, de façon constante et claire, les processus de raisonnement (Bechara, Damasio, A.R., Damasio, H. & Anderson, 1994) et de prise de décision (Damasio, H., Grabowski, Frank, Galaburda & Damasio, A.R., 1994 ; Bechara, Damasio H., Tranel & Damasio, A.R., 1997), ainsi que ceux de l’expression et de la perception des émotion (Damasio, 1997), surtout dans le domaine personnel et social (Adolphs, Tranel & Damasio, 1998 ; Adolphs, 1999).

Selon Damasio (1994), les émotions ne constituent pas des entités impalpables. En réalité, elles ont une existence concrète, et on peut les rapporter à des systèmes spécifiques dans le corps et le cerveau, comme on le fait pour la vision. Rappelons que James (1884) ramène l’émotion à un processus se rapportant au corps, et qu’il n’accorde pas beaucoup de poids au processus mental d’évaluation de la situation provoquant l’émotion. En fait, la conception de James peut s’appliquer à des émotions que l’on ressent très tôt dans la vie, que Damasio nomme émotions primaires, mais elle ne s’applique pas aux émotions que l’on perçoit plus tardivement, que Damasio nomme émotions secondaires. La figure 4 illustre les régions cérébrales impliquées dans chacune des ces émotions.

Les émotions primaires (innées, préprogrammées, Jamésiennes) sont ressenties très tôt dans la vie. Elles dépendent de circuits neuronaux appartenant au système limbique, au sein duquel l’amygdale et le cortex cingulaire antérieur jouent le rôle le plus important. Il est à noter que selon Damasio, nous somme programmés pour répondre par une réaction émotionnelle à la perception de certains traits, caractéristiques des stimuli survenant dans le monde extérieur, ou dans notre corps. Il s’agit, par exemple, de certaines tailles (grand animaux), certains mouvements (reptiles), d’une vaste envergure (aigles en vol), de certains sons (grondements), de certains phénomènes prenant place au niveau du corps (comme la douleur ressentie lors d’une crise cardiaque). Ces traits, isolément ou en conjonction avec d’autres, sont peut-être détectés et traités par une structure faisant partie du système limbique, comme, par exemple, l’amygdale. Cependant, les émotions primaires ne rendent pas compte de la gamme complète des réactions émotionnelles. D’après Damasio, au cours du développement individuel viennent ensuite des émotions secondaires, qui se manifestent à partir du moment où l’on commence à percevoir des émotions et à établir des rapports systématiques entre, d’une part, certains types de phénomènes et de situations et, d’autre part, les émotions primaires. Les structures du système limbique ne sont pas suffisantes pour sous-tendre les processus liés aux émotions secondaires. Le réseau doit être élargi et il requiert l’intervention des cortex préfrontaux et somatosensoriels.

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Figure 4. Régions cérébrales impliquées dans la perception d’émotions primaires et secondaires.