Les structures impliquées dans le traitement des odeurs

Dès la périphérie, on peut distinguer 4 systèmes chimiorécepteurs dans le nez humain : le système olfactif principal, le système trigéminal, le système voméronasal et le système du nerf terminal (voir Schaal, 2000, p. 23). La plupart des recherches ont privilégié la compréhension des deux premiers systèmes, mais il est cependant difficile d’en étudier un spécifiquement, tant leurs interactions sont nombreuses. Certains chercheurs suggèrent cependant l’utilisation de stimulations purement olfactives comme la vanilline, afin de pouvoir « soustraire » le bruit provoqué par la stimulation trigéminale (Doty, Brugger, Jurs, Orndorff, Snyder & Lowry, 1978). Nous considérerons dans cette présentation seulement le système olfactif.

L’olfaction est une modalité spéciale qui fait intervenir dans les premières étapes de traitement le premier nerf crânien, le nerf olfactif. Il existe deux différences majeures entre l’odorat et les autres modalités sensorielles. Premièrement, les substances chimiques qui se fixe sur les récepteurs olfactifs entraînent une série de traitement. Cette information est alors retransmise à une partie du cortex cérébral sans établir un premier relais thalamique. Le noyau thalamique qui traite l’information olfactive reçoit des entrées des aires olfactives corticales. Deuxièmement, les aires olfactives corticales sont phylogénétiquement plus anciennes que les régions corticales primaires qui traitent les autres stimuli. Le cortex olfactif est un allocortex; les autres aires corticales sensorielles sont de l’isocortex.

On trouve des neurones olfactifs primaires sur une portion du revêtement de la cavité nasale qu’on appelle épithélium olfactif (figure 8). Ces neurones olfactifs primaires ont une morphologie bipolaire. La portion périphérique du neurone olfactif primaire est chimiosensitive, et elle se prolonge par un axone non myélinisé qui se projette vers le système nerveux central. Les axones non myélinisés des récepteurs olfactifs se rassemblent en petits rameaux, qui ensemble formeront le nerf olfactif, le premier nerf crânien. Les rameaux du nerf olfactif passent ainsi à travers l’éthmoïde et plus particulièrement la lame criblée et font synapses sur des neurones de second ordre dans le bulbe olfactif. Un traumatisme crânien peut endommager ces rameaux délicats qui traversent l’os, ce qui a pour conséquence d’engendrer une incapacité à percevoir des odeurs, ou anosmie.

Le prochain lien dans la voie olfactive est la projection des neurones de second ordre du bulbe olfactif à travers le tractus olfactif à de nombreuses régions du paléocortex sur la surface ventrale des hémisphères cérébraux. Il y a cinq aires séparées des hémisphères cérébraux qui reçoivent des projections directes du bulbe olfactif : (1) le noyau olfactif antérieur qui module le traitement de l’information du bulbe olfactif, (2) l’amygdale, et (3) le tubercule olfactif, qui ensemble sont impliquées dans le traitement émotionnel, viscéral et endocrine des odeurs, (4) les cortex piriforme et périamygdalien, qui jouent un rôle important dans la perception olfactive, (5) le cortex entorhinal rostral, qui est supposé être impliqué dans les souvenirs olfactifs. Depuis ces aires, des neurones transmettent l’information vers d’autres aires fonctionnelles : le cortex orbito-frontal, le thalamus, l’hypothalamus et l’hippocampe (Martin, 1996).

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Figure 8. Principales voies et aires olfactives chez l’Homme.

Des études en neuropsychologie et neurophysiologie confirment que certaines régions temporales et frontales (Jones-Gotman & Zatorre, 1993 ; Halgren, 1992) sont impliquées dans la perception des odeurs. Cependant, toutes les aires impliquées dans le système olfactif humain n’avaient pas encore été définitivement définies par des critères fonctionnels. De plus, des études en comportement suggéraient que des mécanismes spécialisés de latéralisation existaient pour les processus olfactifs, mais le substrat neuroanatomique restait inconnu (Zatorre & Jones-Gotman, 1990 ; Pendse, 1987). Avec l’arrivée des méthodes d’imagerie comme la méthode PETscan au début des années 1990, certains ont tenté d’étudier les processus olfactifs d’un point de vue fonctionnel.

Les pionniers dans ce domaine ont été Zatorre et ses collaborateurs de l’Université McGill à Montréal. Dans une étude qui date de 1992 (Zatorre, Jones-Gotman, Evans & Meyer, 1992) ils ont étudié les représentations corticales des processus olfactifs humains en examinant les changements de débit sanguin évoqués par des stimulations olfactives à l’aide de la TEP. Onze sujets ont participé à l’étude. L’expérience était répartie en 2 phases. Dans une première phase les sujets avaient pour tâche de flairer avec les deux narines un coton inodore pendant chacun des 8 essais proposés. Ceci constituait une condition contrôle. Dans une seconde phase (condition activation), les sujets sentaient les 8 odorants les uns après les autres. Les odorants utilisés étaient les suivants : shalimar, beurre, patchouli, kirsch, citronnelle, kérosène, sirop d’érable, lavande. Leurs résultats indiquent que malgré la présentation bilatérale des stimuli, et l’activation bilatérale du cortex piriforme, le cortex orbito-frontal s’active de manière significative seulement dans l’hémisphère droit. Cette latéralisation de l’augmentation du débit sanguin suggère une spécialisation fonctionnelle du cortex orbito-frontal droit en olfaction.

Par la suite, les expériences utilisant ces méthodes se sont multipliées. Ainsi, en utilisant l’autre technique classique de neuroimagerie, l’IRMf, Koizuka et collaborateurs (Koizuka, Yano, Nagahara, Mochizuka, Shimada, Kubo & Nogawa, 1994) montrent que la stimulation avec une odeur (alcool β-phenylethylique) induit une activation au niveau du cortex piriforme, du cortex orbito-frontal (droit) et du lobe frontal médian inférieur. Par la suite, Levy et ses collaborateurs (Levy, Henkin, Hunter, Lin, Martins & Schellinger, 1997) montrent que des substances odorantes (amyl acétate, menthone et pyridine) provoquent une activation de différentes zones cérébrales, connues pour être impliquées dans le traitement de l’odeur : cortex frontal, cingulaire, hippocampe, amygdale et cortex piriforme. Ensuite, les données existantes nous renseignent sur les interactions entre olfaction d’une part, et flairage, perception trigéminale et même genre d’autre part. En effet, Yousem et collaborateurs (Yousem, Williams, Howard, Andrew, Simmons, Allin, Geckle, Suskind, Bullmore, Brammer & Doty, 1997) montrent que des stimulations olfactives et trigéminales provoquent l’activation de réseaux neuronaux différents. De plus, certaines données suggèrent l’intervention de structures nerveuses différentes entre flairage et perception olfactive (Sobel, Prabhakaran, Desmond, Glover, Goodes, Sullivan & Gabrieli, 1998). Enfin, Yousem et collaborateurs (Yousem, Maldjian, Siddiqi, Hummel, Alsop, Geckle, Bilker & Doty, 1999), toujours par l’utilisation de l’IRMf, montrent que le genre peut avoir un effet sur les réseaux neuronaux activés par la perception d’une odeur : l’activation est plus élevée dans les régions frontales droites que dans les régions gauches quel que soit le sexe ; cependant, les femmes montrent plus d’activation que les hommes.