Perception affective des odeurs

Le problème de la perception affective des odeurs peut être décomposés en plusieurs sous problèmes. Ainsi, différentes questions se posent : (1) est-ce que l’évaluation affective des odeurs est innée ou dépend-elle de l’apprentissage ? ; (2) est-ce qu’il existe une différence entre les modalités de traitement perceptif d’odeurs agréables et celles d’odeurs désagréables ? ; (3) comment se situe le traitement affectif des odeurs par rapport aux traitements de types perceptif, ou cognitif ? (4) comment l’humain catégorise-t-il les affects liés aux odeurs ? Selon un axe agréables vs. désagréables, ou selon des catégories de base ? (5) est-ce que les états affectifs induits par des odeurs peuvent influencer nos comportements cognitifs et sociaux ? Nous ne répondrons pas à toutes ces questions dans ce paragraphe, mais nous tenterons d’amener certains éléments de réponse.

Pour ce qui concerne la première question, il apparaît que les études sur le développement de l’hédonisme en olfaction ne fournissent pas un avis consensuel sur l’alternative inné-acquis (Soussignan, 1997). Au moins deux conceptions s’opposent. La première défend l’idée que toutes les représentations affectives de l’odeur sont le fruit d’un apprentissage (Engen, T. & Engen, E.A., 1997). Parmi les chercheurs qui défendent la seconde conception, on peut citer Steiner (1979) qui postule l’existence d’une évaluation affective des odeurs suivant un mode inné. D’après Schaal (1997), il est possible que le nouveau-né acquière certaines représentations olfactives in-utero, ce qui ne permet pas de répondre positivement à la question d’une pré-disposition innée de la tonalité hédonique en olfaction.

La seconde question a été abordée par des chercheurs provenant de diverses disciplines. Ainsi, Kobal et ses collaborateurs, en utilisant la technique des potentiels évoqués, suggèrent l’existence de réseaux neuronaux distincts pour la perception d’odeurs agréables et pour celle d’odeurs désagréables (Kobal, Hummel & Van Toller, 1992 ; Kobal, 1994). D’autres études en électrophysiologie montrent que les amplitudes des ondes α sont différentes entre ces deux types de stimulations (Kline, Blackhart, Woodward, Williams & Schwartz, 2000a). Ces données suggèrent donc que des régions cérébrales distinctes sont impliquées dans la perception d’odeurs de valence positive et d’odeurs de valence négative. La confirmation est donnée par les études en neuroimagerie. Ainsi, les travaux de Fulbright et collaborateurs (Fulbright, Skudlarski, Lacadie, Warrenburg, Bowers, Gore & Wexler, 1997), Zald et Pardo (1997), Zald, Donndelinger et Pardo (1998) et Birbaumer et collaborateurs (Birbaumer, Grodd, Diedrich, Klose, Erb, Lotze, Schneider, Weiss & Flor, 1998) indiquent des patterns d’activation différents entre conditions agréables et désagréables, avec notamment l’intervention de l’amygdale lors de la perception d’une stimulation aversive. On peut donc supposer que le cerveau de sujets humains adultes utilise des réseaux neuronaux différents pour traiter les affects positifs et négatifs dans la modalité olfactive. Une autre façon d’étudier les réponses hédoniques aux odeurs est l’enregistrement de paramètres faciaux et autonomes. Les données peuvent être résumées de la façon suivante : les odeurs désagréables, par rapport aux agréables, induisent une plus grand amplitude du réflexe de sursaut (Miltner, Matjak, Braun, Diekmann & Brody, 1994 ; Ehrlichman, Brown, Zhu & Warrenburg, 1995 ; Ehrlichman, Brown-Kuhl, Zhu & Warrenburg, 1997), et de plus grande variations de conductance de la peau et de rythme cardiaque (Alaoui-Ismaïli, 1996 ; Alaoui-Ismaïli, Vernet-Maury, Dittmar, Delhomme & Chanel, 1997a ; Alaoui-Ismaïli, Robin, Rada, Dittmar & Vernet-Maury, 1997b ; Braüchli, Rüegg, Etzweiler & Zeier, 1995).

La troisième question est également abordée par des chercheurs de domaines variés. On a souvent considéré que les évaluations affectives en olfaction étaient automatiques et spontanées (voir Rouby et Bensafi, 2001, pour une revue). Ainsi, des comparaisons ont été entreprises avec des évaluations perceptives, comme celle de l’intensité (Moskowitz, Dravnieks & Gerbers, 1974; Doty, Ford, Preti & Huggins, 1975; Moskowitz, Dravnieks & Klarman, 1976; Doty, 1997), ou plus cognitives, comme celle de la familiarité ou de l’identification (Herz, McCall & Cahill, 1999). Pour certains, l’évaluation de l’intensité et de celle de l’hédonicité sont basées sur le même principe : ces dimensions sont identiques (Henion, 1971). Pour d’autres, elles sont différentes (Doty, 1975). Des données récentes provenant de la neuroimagerie suggèrent que les évaluations perceptives, affectives et cognitives des odeurs impliqueraient des réseaux neuronaux différents (Royet, Hudry, Zald, Godinot, Grégoire, Lavenne, Costes & Holley, 2000a). Alors que le cortex orbito-frontal semble être activé lors de toutes ces évaluations (Savic, Gulyas, Larsson & Roland, 2000 ; Zatorre, Jones-Gotman & Rouby, 2000 ; Royet, Koenig, Gregoire, Cinotti, Lavenne, Le Bars, Costes, Vigouroux, Farget, Sicard, Holley, Maugière, Comar & Froment, 1999), les régions temporales (Royet, Zald, Versace, Costes, Lavenne & Gervais, 2000b) et l’hypothalamus seraient impliqués de façon plus importante lors d’évaluations de type affectif (Zatorre et al., 2000).

La quatrième question a été posée pour la modalité visuelle au début de cette introduction. Nous avons vu que deux grandes théories s’opposaient. Pour certains, l’être humain pourrait catégoriser les émotions selon un petit nombre de catégories de base (Ekman et al., 1983). Pour d’autres, la perception émotionnelle peut être réduite à deux types d’affects : positifs et négatifs, ce qui rendrait compte des comportements d’approche et de retrait (Lang et al., 1998a). La modalité olfactive n’est pas épargnée par ce débat puisque certains chercheurs ont pris le parti d’une organisation de l’émotion en terme de systèmes d’approche et de retrait (Rolls, 1999), alors que d’autres considèrent que les émotions provoquées par des odeurs peuvent être distinguées selon des émotions de base comme la tristesse, la peur, la joie, la surprise, la colère ou le dégoût (Vernet-Maury & Robin, 1999). Ainsi, il n’y a pas de consensus clairement défini entre chercheurs. Nous tenterons d’éclaircir ce point à l’aide d’expériences que nous présentons dans les chapitres qui suivent (Chapitres 2 et 3).

Enfin, la cinquième et dernière question que nous posons a été étudiée par de nombreux chercheurs, en utilisant des méthodes diverses : comportementales, électrophysiologiques et neuroanatomiques. Ces recherches seront exposées Chapitre 1. D’une façon générale, elles suggèrent que l’odeur peut influencer l’humeur de sujets humains (Lehrner, Eckersberger, Walla, Pötsch & Deecke, 2000), l’attention (Warm, Dember & Parasuraman, 1991) et la mémoire (Pointer & Bond, 1998). Des données en électrophysiologie (Lorig, Huffman, DeMartino & DeMarco, 1991) et neuroimagerie fonctionnelle (Sobel, Prabhakaran, Hartley, Desmond, Glover, Sullivan & Gabrieli, 1999) fournissent des preuves supplémentaires de tels effets. Cependant, ces effets ne sont pas toujours observés, et il arrive parfois que les odeurs n’influencent pas l’humeur (Knasko, 1993) ni certains comportements cognitifs (Castle & Van Toller, 1996). Certains auteurs font l’hypothèse que ces effets des odeurs sur la cognition, lorsqu’ils sont observés, se font par l’intermédiaire d’induction d’états affectifs positifs (par les odeurs agréables), ou négatifs (par les odeurs désagréables) (Ehrlichman & Halpern, 1988). Nous présentons par la suite, la problématique relative aux travaux de cette présentation.