Expérience 1. Influence d’odeurs plaisantes sur les jugements affectifs et sociaux portés sur des photographiés de sujets

Objectifs de l’étude.

Certains auteurs ont étudié l’effet des odeurs sur la perception de photographies de visages (Cann & Ross, 1989 ; Freinstein, Castle, Jamiesan & Van Toller, 1997 ; Wriesniewski, McCauley & Rozin, 1999 ; Kirk-Smith & Booth, 1990). Plus particulièrement, Todrank, Byrnes, Wriesniewski et Rozin (1995) ont étudié l’effet des odeurs sur l’évaluation d’individus photographiés en utilisant le paradigme de conditionnement évaluatif. Le principe de leur étude était le suivant. L’expérience comportait 3 phases. Dans un premier temps les sujets devaient évaluer des individus photographiés en répondant à la question suivante : ’si vous rencontrez cet individu maintenant, est-ce que vous pensez que vous l’aimerez ?’ Les sujets avaient à leur disposition une échelle allant de –10 à +10 en passant par zéro. Plus les sujets aimaient l’individu photographié, plus la note était positive. Plus les sujets détestaient l’individu photographié, plus la note était négative. Ensuite, les sujets étaient invités à sentir une série d’odorants et devaient les évaluer hédoniquement en utilisant la même échelle (-10 à +10). Après ces 2 phases, l’expérimentateur sélectionnait les 3 individus photographiés les plus ’neutres’ (note proche de 0). De plus, 3 odeurs (une fortement aimée, une relativement neutre et une fortement détestée) ont été sélectionnées. Pendant la troisième phase l’expérimentateur présentait de manière conjointe des individus photographiés et des odeurs. Durant cette phase, la tâche des sujets était d’évaluer à nouveau les individus photographiés afin de vérifier si celle-ci peut-être biaisée dans le sens de l’évaluation préalable (phase 2) des odorants. La réponse électrodermale était enregistrée en continu durant toute l’expérience. Pour justifier la présence conjointe des individus photographiés et des odeurs, les expérimentateurs annonçaient aux sujets que l’objectif de l’étude était de déterminer si la réponse électrodermale est modulée lorsque deux modalités sensorielles sont stimulées en même temps. Les auteurs ont renforcé volontairement l’association entre les deux stimuli (individu photographié et odeur). En effet, les sujets devaient pendant chaque essai de la troisième phase retenir l’odeur qui était associée à la photographie présentée, car à la fin de l’expérience un test d’appariement entre les odeurs diffusées et les photographies présentées devait être réalisé. Les sujets devaient porter attention à la combinaison ’individu photographié – odeur’. Les résultats de cette expérience montrent que lorsqu’une odeur qu’on, aime – ou qu’on aime pas – est présentée de manière répétée avec la photographie neutre d’un individu du sexe opposé, l’évaluation de la personne photographiée est modulée par la préférence des sujets vis à vis de l’odeur. Les auteurs qualifient cet effet de conditionnement par l’odeur de l’évaluation de photographies de sujets. Van Reekum, Van den Berg & Frijda (1999), ont utilisé le même paradigme, en remplaçant les photographies d’individus par des stimulations visuelles autre que des visages. Leurs résultats indiquent que les odeurs peuvent être à l’origine du même type de conditionnement. Cependant, les résultats indiquent également que des sons peuvent avoir le même effet que les odeurs.

Kirk-Smith, Van Toller et Dodd (1983) ont également étudié l’effet des odeurs sur les jugements portés sur des individus photographiés. En utilisant un paradigme comportant des associations affectives et cognitives, ils ont testé si, à des niveaux faibles de prise de conscience, une odeur peut prendre des valeurs qui dépendent des événements émotionnels auxquelles elle a été associée. L’expérience comportait deux sessions. Dans une première session, deux groupes de sujets réalisaient une tâche cognitive dans un temps limité. Une odeur neutre (Acide TriméthylUndécylénique ou ATU), de faible intensité, était délivrée à la moitié des sujets. Cette condition était dite stressante, et devait selon les auteurs induire un état émotionnel proche de l’anxiété, car chaque fois que les sujets terminaient une tâche, l’expérimentateur leur disait que leur temps de réponse était légèrement en dessous de la moyenne. Les prédictions des auteurs étaient donc qu’une association, non consciente, se formerait entre cette condition stressante et l’odeur d’ATU. Dans une seconde session, plusieurs jours plus tard, les mêmes sujets devaient remplir un questionnaire relatif à leur humeur et ensuite entrer dans une pièce où l’odeur d’ATU était présente. On leur demandait de porter des jugements sur une série de photographies d’individus et de renouveler l’évaluation de leur humeur. Les résultats montrent que les femmes (mais non les hommes) exposées à l’ATU lors de la première session ont augmenté leur niveau d’anxiété d’une part, et que les jugements des photographies étaient également modifiés. A l’opposé, les sujets non exposés à l’odeur lors de la première session ont montré des comportements beaucoup plus calmes, et l’odeur n’a exercé aucune influence sur les évaluations de photographies. Il est à noter qu’aucune femme n’a rapporté qu’elle avait senti l’odeur lors de la seconde session. Les auteurs en concluent que l’odeur peut être l’objet d’un conditionnement non conscient chez l’humain qui serait à l’origine de son effet sur la perception d’individus photographiés. Cette conclusion a cependant été critiquée (Black & Smith, 1994; Kirk-Smith, 1994).

D’après Black et Smith, les résultats ne permettent pas de conclure à un effet de l’odeur sur l’humeur et sur les jugements. Selon ces auteurs, le plan expérimental utilisé n’est pas adéquat. Il manque une condition ’contrôle’ appropriée dans l’expérience pour déterminer si l’augmentation d’anxiété peut se produire sans stresser les sujets au préalable ou sans exposition à l’odeur lors de la seconde session. Si l’un ou l’autre des cas était vérifié le conditionnement ne serait pas démontré. De plus, d’après ces mêmes auteurs, il n’y a pas de preuves expérimentales que la tâche stressante utilisée induise effectivement l’anxiété.

Les travaux précédemment cités semblent indiquer que l’odeur peut avoir des effets sur les jugements portés sur des photographies d’individus. Cependant, la place de la prise de conscience du stimulus olfactif n’est pas très claire. De plus, l’influence de l’odeur sur les différentes catégories de jugements (affectifs, sociaux, intellectuels) n’est que peu étudiée. Enfin, la relation entre effets des odeurs et sexe de l’observateur / juge n’est pas toujours évidente. Toutes ces interrogations nous ont conduit à réaliser une étude, menée dans le cadre du GDR «Cosmétiques et Parfums», que nous présentons dans le paragraphe suivant.

Le premier objectif de cette étude était de répondre à la question suivante : est-ce que les odeurs et leur dimension hédonique peuvent influencer une perception visuelle comme celle des visages féminins ? Le second objectif était d’étudier les effets du sexe de l’observateur sur les jugements d’individus photographiés, dans des environnements parfumés et non parfumés.

En effet, on sait déjà que les femmes ont des performances supérieures dans le traitement explicite des odeurs (Doty et al., 1985). Pour le traitement implicite, Kirk-Smith et al. (1983) ont montré que seules les femmes développent une réaction émotionnelle conditionnée par une odeur non détectée pendant une tâche provoquant un stress chez les sujets. Une autre étude utilisant le paradigme d’amorçage montre que des mots cibles sont évaluées plus rapidement s’ils sont précédés par une odeur ayant une valence émotionnelle similaire. Cet effet est restreint aux sujets de sexe féminin (Hermans, Bayens & Eelen, 1998). Ainsi, l’amorçage affectif avec des odeurs, et des effets similaires des odeurs sur des tâches particulières (cognitives ou comportementales) devraient avoir une influence différente selon le sexe de l’observateur / juge.

Le troisième objectif était d’explorer les effets de la prise de conscience de la présence de l’odeur durant la session expérimentale. De plus, le niveau de conscience avec lequel les sujets entament l’expérience est probablement déterminant. Certains travaux (Gilbert, Knasko & Sabini, 1997) montrent que si l’on suggère à des sujets qu’il y a une odeur, alors que ceux-ci réalisent une tâche de recherche de cible, même s’il n’y en a pas, les performances sont plus élevées que dans la situation où les sujets n’ont pas connaissance de la diffusion de l’odeur. Ainsi, le fait de savoir que l’odeur fait partie de l’expérience semble être d’une importance non négligeable. Pour tester le rôle de l’instruction donnée par l’expérimentateur, la moitié de nos sujets ont été informés de la diffusion de l’odeur, alors que l’autre moitié ne l’a pas été.

Finalement, le quatrième objectif de notre expérience était de différencier les effets d’association d’une odeur avec un visage selon le type de jugement demandé. La première classe de jugements correspondait à une appréciation qui implique une relation entre l’observateur et l’image observée. Les descripteurs utilisés dans ce cas sont : «attirante», «sexy» et «plaisante». Nous avons nommé ces descripteurs, «descripteurs affectifs». Nous avons choisi ces descripteurs car des études antérieures indiquent par exemple que l’attirance faciale peut être modulée par d’autres variables comme le sourire (Reis, Wilson, Monestere, Bernstein, Clark, Seidl, Franco, Gioioso, Freeman & Radoane, 1990), l’utilisation de produits cosmétiques (Cash, Dawson, Davis, Bowen & Galumbek, 1989) ou l’utilisation de parfums (Kirk-Smith & Booth, 1990). Pour l’autre catégorie de jugements, l’évaluation est moins centrée sur la relation entre l’observateur et le visage observé, et plus sur traits de personnalité sociaux, et «objectifs». Les descripteurs étaient «intelligente», «dominante» et «sociable». Nous faisons l’hypothèse que les jugements reliés aux descripteurs «affectifs» et ceux reliés aux descripteurs «sociaux» pourraient être modulés différemment par l’odeur contextuelle associée avec la présentation du visage.