Expérience 3. Impact implicite des odeurs agréables et désagréables sur la perception de visages : utilisation de l’amorçage affectif

Objectifs de l’étude

Les deux études précédentes se sont intéressées aux effets des odeurs agréables sur les évaluations affectives de photographies de sujets. Les variables mesurées étaient des réponses comportementales et des signaux EEG visuels moyennés : les potentiels évoqués par des visages. Nous avons observé que ces deux types de variables peuvent être influencées par la présence d’odeurs agréables. Dans la conclusion de la seconde expérience nous avons posé la question de savoir comment les sujets se comporteraient si les odeurs étaient désagréables. Cette troisième étude tentera de répondre à cette question par l’utilisation du paradigme d’amorçage affectif. Celui-ci a permis d’étudier les effets des émotions induites par des odeurs sur les processus cognitifs.

Différentes études (Hermans, De Houwer & Eelen, 1996) montrent que les temps de réponse à l’égard de stimuli ayant une valence affective dépendent du contexte affectif par rapport auquel ils ont été présentés. L’amorçage affectif est en fait une version modifiée de la procédure d’amorçage séquentielle traditionnelle (Neely, 1991). Dans une étude d’amorçage affectif standard, une série de mots cibles est présentée, et doit être évaluée le plus rapidement possible comme étant « positive » ou « négative ». Chaque cible doit être précédée d’un stimulus amorce, qui peut être positif, négatif ou neutre, et qui ne doit pas attirer l’attention des sujets. L’élément le plus important dans ces études d’amorçage est la relation affective entre la valence de l’amorce et la valence de la cible, qui est manipulée sur 3 niveaux. La paire amorce - cible peut être congruente affectivement, incongrue affectivement ou non reliée. Il a été démontré que le temps nécessaire pour répondre au stimulus cible dépend de cette relation affective. Les temps de réponses sont plus courts dans la condition congruente comparée à la condition contrôle, et sont relativement augmentés dans la condition incongrue. Ce type de données ne peut être expliqué que si on suppose que les sujets ont évalué les amorces, quand bien même il leur était recommandé d’ignorer ces stimuli. Il est également important de noter que la preuve d’une évaluation automatique des stimuli dérivée du paradigme d’amorçage affectif, n’est pas restreinte à une classe spécifique de stimuli, mais peut être généralisée à travers différents types de stimuli comme des mots, de simples lignes droites et des images.

La plupart des études publiées sur les effets d’amorçage affectif ont en commun que le matériel utilisé est de nature visuelle. L’existence d’un amorçage inter – modal entre vision et olfaction a été suggéré par Pauli, Bourne, Diekman & Birbaumer (1999). De plus, Olsson (1999) a suggéré l’existence d’un amorçage olfactif. Cependant, les précurseurs dans le domaine de l’utilisation de l’amorçage affectif en olfaction sont Hermans et al. (1998) qui ont utilisé des odeurs comme amorce. Pour tester si l’effet d’amorçage affectif peut être généré par des stimulations non visuelles, ils ont utilisé un paradigme d’amorçage affectif inter – modal, dans lequel des odeurs négatives et positives ont été utilisées comme contexte affectif de l’évaluation de mots. Les amorces étaient deux odeurs sélectionnées parmi 10 selon leur caractère hédonique (agréable et désagréable) par les sujets. Les cibles étaient des mots sélectionnés selon leur contenu affectif (positifs, négatifs et neutres). Les temps de réponses étaient enregistrés à l’aide d’une clé vocale. Il était dit aux sujets que l’expérience avait pour objectif d’étudier l’influence générale des odeurs sur la perception et le traitement des mots. Dans une première phase les sujets sélectionnaient les cibles et les amorces. La seconde phase était réservée à l’amorçage. Les résultats ont confirmé l’existence d’un effet d’amorçage affectif : un mot cible est évalué plus rapidement s’il est précédé d’une odeur ayant la même valence hédonique, comparé à une paire odeur – mot incongru. Cet effet est restreint aux sujets féminins, fait que les auteurs attribuent à des différences générales de genre dans la perception des odeurs.

Ainsi, il est démontré que la valence affective du stimulus-amorce influence la vitesse des réponses à l’égard de cibles affectivement congruentes ou incongrues. Ces données sont en faveur de l’hypothèse que les humains sont dotés d’un mécanisme de décision évaluative qui leur permet d’évaluer automatiquement l’information contenue dans les stimulations afférentes (Zajonc, 1980).

En utilisant le paradigme d’amorçage, Murphy et Zajonc (1993) ont fourni des preuves directes de l’hypothèse de primauté de l’affect. Leur expérience est fondée sur le principe suivant : si comme le suggère l’hypothèse de primauté de l’affect, les réactions affectives globales sont plus immédiates et moins sous le contrôle volontaire, il faudrait s’attendre à ce que la charge émotionnelle du stimulus (agréable – désagréable) présentée en dehors de sa prise de conscience, colore nos impressions et nos jugements à un degré bien supérieur à celui relatif aux autres types d’information. Leurs résultats indiquent qu’à des expositions très courtes de l’amorce (des visages plaisants et déplaisants), les évaluations des cibles (idéogrammes chinois neutres) sont modulées. La présentation d’une amorce positive influence les évaluations dans le sens positif, alors que la présentation d’une amorce négative, induit une diminution des notes.

En partant de l’hypothèse que le modèle de primauté de l’affect proposé par Zajonc était généralisable au sens de l’olfaction, nous avons réalisé une expérience dans laquelle des expériences affectives positives et négatives étaient induites par des odeurs respectivement agréables et désagréables. Ces états affectifs pourraient alors en retour influencer les jugements réalisés sur des visages. Le protocole expérimental sera sensiblement le même que celui que nous avons présenté plus haut dans l’étude de Murphy et Zajonc.

Ainsi, cette étude a pour but de démontrer que les odeurs peuvent être utilisées comme des amorces affectives positives et négatives. Ces dernières pourraient moduler les jugements que l’on porte sur des photographies de sujets. Comme nous l’avons vu auparavant, certaines expériences ont étudié les effets des odeurs sur la perception de visages (Cann & Ross, 1989 ; Freinstein et al., 1997 ; Wriesniewski et al., 1999). Certains auteurs ont ainsi démontré l’existence d’une influence des odeurs sur les évaluations portées sur des photographies de sujets (Kirk-Smith & Booth, 1990, 1992 ; Todrank et al., 1995). Le premier objectif de notre étude est d’explorer l’effet d’une amorce olfactive (agréable, désagréable et neutre) sur la perception de visages neutres (sans expression faciale particulière). En partant du modèle de Zajonc, on peut faire l’hypothèse que les odeurs (agréables et désagréables) peuvent activer le système affectif primaire, et donc induire un état affectif particulier (positif ou négatif). Cet état affectif pourrait ainsi colorer nos jugements : en présence d’une amorce agréable, les visages neutres seront évalués à la hausse par rapport à une situation neutre (amorce neutre), en présence d’une amorce désagréable, les visages neutres seront évalués à la baisse par rapport à une situation neutre (amorce neutre) et qu’en présence d’une amorce agréable, les visages neutres seront évalués à la hausse par rapport à une situation désagréable (amorce désagréable).

Les résultats de l’expérience 1 indiquaient que les odeurs pouvaient influencer les évaluations portées sur des photographies de sujets seulement selon des critères affectifs. Aucun effet n’était observé lorsque les sujets devaient réaliser des jugements de type social ou intellectuel. Ainsi, le second objectif est de comparer les effets d’amorçage par l’odeur pour différents types de jugements : « affectifs » (attirant – repoussant), « sociaux » (sociable – soumise) et « intellectuels » (intelligente – stupide).

En ce qui concerne les influences visuelles sur l’évaluation d’autrui, des recherches récentes ont montré que le maquillage peut avoir un effet bénéfique sur des critères tels que l’attirance physique (Cash et al., 1989). Notre hypothèse est que les évaluations seront plus positives pour les visages maquillés par rapport aux visages non maquillés.

Enfin, nous explorerons les effets de l’âge sur les évaluations. Dans ce cas, et selon des résultats obtenus dans d’autres études (Richetin, 1998), l’hypothèse est que les visages les plus âgés devraient obtenir des évaluations plus basses que les visages les plus jeunes.