Si le choix professionnel est indissociable de l'activité humaine organisée en travail, les historiens dans leur ensemble sont unanimes pour situer l'apparition des dispositifs d'orientation professionnelle au début de l'ère industrielle 30 , accompagnant ainsi les bouleversements du monde du travail provoqués par l'éclatement des modèles, notamment rural et artisanal.
Roger Gal relie la naissance de l'orientation professionnelle aux évolutions dues à la révolution industrielle de la deuxième moitié du 19ème siècle : « On s'est passé d'orientation tant que le monde et la vie ont connu une certaine stabilité, où le destin de l'homme était déterminé si l'on peut dire du dehors, par sa naissance, son origine familiale, sociale. Il naissait fils d'artisan, de paysan, de commerçant, de noble, et de ce simple fait son destin était tout tracé ; il n'avait plus qu'à suivre la volonté sociale comme une sorte de prédestination incontestable » 31 .
Pour Geneviève Latreille, qui a marqué la recherche universitaire par ses théories sur l'orientation professionnelle, cette naissance est induite par les nécessités économiques, avec "la prise de conscience des besoins de main d'œuvre qualifiée dans une économie en voie d'industrialisation rapide", et par les guerres qui "ont incontestablement joué un rôle dans l'essor des procédures psychométriques et psychotechniques d'orientation et de sélection de main d’œuvre" 32 , en provoquant de grands besoins de personnel, en temps de guerre, et de lourdes pertes d'hommes actifs, après les combats.
Enfin, André Caroff, inspecteur général de l'Éducation nationale, met en évidence trois seuils d'émergence de l'orientation professionnelle en France un seuil qui met en exergue les problèmes de l'homme au travail (qualification, sélection, hiérarchie des tâches, etc.), qui a débuté avec le développement du machinisme et a trouvé son aboutissement avec le taylorisme 33 et son organisation scientifique du travail ; un seuil social, engendré par les bouleversements industriels, qui se traduit par l'exode rural, la concentration urbaine, un effort d'amélioration des conditions de vie et un début de justice sociale ; enfin, un seuil culturel lié à la baisse de l'analphabétisme du fait de l'obligation scolaire réalisée par la loi de Jules Ferry de 1882 34 .
C'est en feuilletant les pages de l'histoire de l'orientation en France que nous pouvons intégrer et comprendre la richesse, voire la complexité de notre système. Certes, la diversité des initiatives prises depuis plus de soixante-dix ans n'est pas sans attrait, au risque pour le public de se perdre dans le dédale des institutions et des sigles barbares. Lors des premières Universités d'hiver de la formation professionnelle en 1989, André Ramoff, délégué à la formation professionnelle, présentait non sans humour le paysage institutionnel français de l'information et de l'orientation, tel "un bestiaire dans lequel aucun Buffon n'a osé entrer pour essayer de classer des variétés des plus curieuses" 35 . Il semble que les pouvoirs publics aient, récemment seulement, pris en compte cette difficulté de lisibilité par des mesures de mise en synergie des acteurs 36 .
Guy Sinoir signale la parution du premier "Guide pour le choix d'un État", à la fin de la première moitié du XIXème siècle, premier essai d'analyse des professions et des aptitudes nécessaires à leur apprentissage.
Cf. Guy SINOIR, L'orientation professionnelle, Paris, PUF, Que sais-je ?, 6ème édition, 1968, p. 9.
Roger GAL, L'orientation Scolaire, Paris, PUF, 1946, p.10.
Geneviève LATREILLE, "Orientation Scolaire et Professionnelle et conjoncture socio-économique" in Economie et Humanisme , n°250, nov-déc 1979, pp. 53-60.
Frederick Taylor, ingénieur américain (1856-1915) est le fondateur de l'Organisation Scientifique du Travail (OST), donnant son nom à un système qui a dominé la production industrielle pendant près d'un siècle. A partir d'un système de chronométrage du travail, dont il fit au départ un instrument éducatif pour l'exécutant, il dégagea les trois grands principes de l'OST : l'importance de la préparation du travail distinguant la conception et l'exécution, la recherche systématique des économies de gestes et de mouvements, et l'utilisation maximale de la machine. Le taylorisme trouvera sa forme achevée avec le fordisme (du nom de son inventeur, Henry Ford, pionnier de l'industrie automobile américaine), théorie d'organisation industrielle, visant à accroître la productivité, notamment par la standardisation des produits.
André CAROFF, L’organisation de l’orientation des jeunes en France, Issy les Moulineaux, EAP, 1987, pp. 27-29.
André RAMOFF, "Discours d'ouverture du Délégué à la Formation Professionnelle", in Actes de la 1ère Université d'Hiver de la Formation Professionnelle, les Karellis, 12, 13 et 14 avril 1989, Centre INFFO, 1990. Le délégué a cité, sans être exhaustif, une dizaine de structures d'information et d'orientation, institutions publiques ou associatives, issues de l'État ou des collectivités territoriales (cf glossaire des sigles en annexe). La question de la grande diversité du paysage institutionnel français reste aujourd'hui d'actualité, avec cependant une évolution vers une recherche de cohérence tenant compte de la spécificité de chaque structure.
Cf. les dispositions prises dans le cadre du contrat de plan État-Région 2000/2004, avec en Rhône-Alpes la mise en place du Pôle Rhône-Alpes de l’Orientation (PRAO), projet de tête de réseau régionale.