Avec la massification de l'enseignement et l'allongement de la scolarité obligatoire — de 14 ans en 1936 celle-ci passe à 16 ans en 1959 —, le nombre d'interventions des conseillers augmente au sein de l'école. En 25 ans, l'activité des centres d'orientation a triplé, passant de 367 000 consultants en 1946 à plus d'un million en 1972. Face à ce développement rapide, le législateur est sollicité pour développer, à l'échelon national, une profession et un service intégré au ministère, alors qu'au début de son institutionnalisation l'orientation des jeunes bénéficiait d'un statut et de financements municipaux 62 . Les centres facultatifs issus des organisations professionnelles et des municipalités vont disparaître au profit des centres d'Etat, qui vont fonctionner seuls, les commissions locales qui rassemblaient auparavant les représentants des autres ministères ayant disparu.
En 1944, le premier statut de conseiller d'orientation s'esquisse avec la création d'un diplôme d'Etat obligatoire et, en 1956 un nouveau décret parachève le profil du conseiller, qui devient fonctionnaire du ministère de l'Éducation. L'orientation se détache de la branche de l'Enseignement technique pour intégrer toute l'Éducation. En 1960 est mise en place la Direction de la pédagogie des enseignements scolaires et de l'orientation. Les services vont suivre les jeunes tout au long de leur scolarité et l'orientation va se prolonger dans le second degré et à l'université. Cette intégration suscite de nouvelles questions, notamment celle des rapports entre les conseillers et les enseignants, entre les conseillers et les psychologues scolaires, dont le corps est créé en 1944 à la suite des propositions du plan "Langevin-Wallon" 63 , celle des champs d'intervention de chacun, de leur responsabilité et de leur pouvoir dans l'orientation des jeunes. Cependant avec la scolarisation, l'orientation passe en grande partie sous le pouvoir des enseignants, de par leur rôle dominant dans les conseils de classe.
Enfin, en 1973, apparaît le nouveau statut des "conseillers d'information et d'orientation" recrutés par concours national ouvert aux titulaires d'un premier cycle d'enseignement supérieur et au personnel de l'Éducation nationale ayant cinq ans d'ancienneté. Comme le dit Geneviève Latreille :"L'initiative du recrutement et de la formation initiale des conseillers est ainsi passée d'un groupe de pionniers (praticiens et hommes de sciences cherchant ensemble les meilleures méthodes pour accomplir la tâche qu'ils entrevoyaient et définissaient eux-mêmes) à l'administration de l'Éducation nationale (bloqués au passage par les finances) qui moyennant certains avantages (études payées, carrières définies et légèrement revalorisées) fixe elle-même les critères et les objectifs" 64 . À cette époque où le chômage est quasi inexistant, le lien entre orientation et insertion professionnelle peut se distendre, voire s'estomper, d'autant que la collaboration institutionnelle des Services d'orientation et des Centres de placement du travail s'est réduit sensiblement. Dans une vision positive, on pourrait dire que les salariés s'orientent sur le tas, multipliant les expériences professionnelles avant de se stabiliser dans l'entreprise de leur choix. Un point de vue plus pessimiste stipulerait que ceux-ci n'ont finalement pas de choix, étant happés par les besoins récurrents de main d'œuvre des entreprises.
En théorie, Henri Piéron attribue une fonction plus psychosociale à l'orientation professionnelle, "destinée à guider les individus dans le choix d'une profession, de telle manière qu'ils soient capables de l'exercer et qu'ils se trouvent satisfaits, en assurant ainsi, par la répartition de ces choix, la satisfaction des besoins professionnels de la collectivité", et perçoit une dimension plus pédagogique dans l'orientation scolaire, qui consiste à "guider les écoliers dans le choix des branches d'enseignement en fonction de leurs aptitudes et de leurs goûts" 65 ,, celle-ci étant plus portée à prendre en compte l'institution scolaire que l'environnement économique. Dans les deux cas, il s'agit de guider l'individu dans son choix mais, à l'intérieur de l'institution scolaire, la composante professionnelle de l'orientation recule au profit du choix des filières d'enseignement. Les pratiques de sélection et d'affectation subsistent, non plus liées aux impératifs économiques mais aux résultats scolaires.
En parallèle, au cours de cette période, l'orientation professionnelle va se développer auprès du public adulte dans une problématique de sélection et de réorientation répondant à des impératifs socio-économiques. La recommandation internationale du travail de 1949, proposant de mettre à disposition des adultes une véritable orientation professionnelle, semble encore loin d'être appliquée.
Pas moins de cent textes législatifs et réglementaires sur l'orientation au sein du ministère de l'Éducation Nationale ont été publiés de 1944 à 1973 alors que l'on en dénombre à peine trente-cinq de 1913 à 1943 pour les jeunes et les adultes, cf. Francis DANVERS, op cit., pp. 207-225.
Ce plan, du nom de Paul Langevin et de Henri Wallon, tous deux professeurs au Collège de France et chercheurs en psychologie de l'enfance, fut élaboré en 1944 avant la fin de la guerre par le gouvernement provisoire. Dans ce projet de réforme de l'enseignement, l'orientation scolaire était confiée à un nouveau corps de psychologues scolaires, à coté des conseillers d'orientation professionnelle affectés auprès des enfants quittant le milieu scolaire et entrant en apprentissage. Si, en définitive, les psychologues scolaires ne joueront pas encore un rôle déterminant dans l'orientation des élèves, on peut néanmoins voir, dans cette proposition, les prémisses du futur statut de conseiller-psychologue qui ne sera accordé que quelques quarante années plus tard. Henri Piéron, dans un article du numéro 11/12 du BINOP, en date de 1945, distingue alors "l'orientation éducative", entendue comme scolaire, et "l'orientation professionnelle", post-scolaire. Si le terme d'orientation éducative apparaît pour la première fois dans cet article mentionné par André Caroff dans son ouvrage (cf. Op. cit., p.125), nous verrons plus loin qu'il n'a pas la même signification que celle qui lui sera donnée quelque quarante années plus tard.
Geneviève LATREILLE , Les Chemins de l'Orientation Professionnelle, 30 années de luttes et de recherches, Lyon, PUL, 1984, p.131.
Henri PIERON, Vocabulaire de la psychologie, Paris, PUF, 1963, 3ème édition, p. 276.