Dans cette période de forte croissance économique, le paysage de l'orientation professionnelle des adultes est marqué par deux grandes institutions : la Formation professionnelle des adultes (FPA) qui, ébauchée à la fin des années 30, s'est développée après la deuxième guerre mondiale, et l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) qui , créée en 1967 en réponse aux nouveaux besoins économiques des années 70, fait suite aux bureaux de placement.
La Formation Professionnelle des Adultes (FPA)
Dès 1947, les services de sélection professionnelle mis en place dans les années 30 par le Ministère du travail sont réorganisés. L'Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main d'œuvre (ANIFRMO), association "loi 1901" constituée en 1945 pour gérer les centres de formation accélérée d'adultes, se voit confier la gestion de ces centres de sélection professionnelle 66 . Leur mission essentielle est d'assurer le recrutement des candidats à la formation professionnelle des adultes et de procéder aux examens de réorientation et de reclassement de certaines catégories de travailleurs — principalement des fonctionnaires subissant des compressions administratives, les invalides et des personnes dites "diminuées physiques". En 1949, les effectifs de ces centres, qui s'élèvent à 93 personnes sont bien loin du nombre de conseillers d'orientation de l'Éducation Nationale. La formation du personnel et le contrôle technique des centres sont assurés par le Centre d'études et de recherches psychotechniques (CERP) rattaché à l'ANIFRMO. Une nouvelle profession s'organise et, dès 1951, le CERP délivre le titre de psychotechnicien sur la base d'un recrutement au niveau de la licence de psychologie et à la suite d'un stage de spécialisation de deux mois. Les "sélectionneurs", tels qu'ils étaient appelés au début, deviennent des psychotechniciens, titre plus valorisant et, en 1953, un diplôme est créé, validé par l'État.
Le CERP, tout comme l'INETOP pour l'Éducation, forme les professionnels de l'orientation et contribue à la recherche psychotechnique. Dans les années 50, les travaux sont surtout centrés sur la réalisation et l'application de tests et d'examens psychotechniques 67 . La méthode psychotechnique de la FPA est influencée par les expérimentations développées aux Etats Unis dès le début du siècle, ainsi que par le courant français de la psychologie expérimentale. Déjà, dans les années 50, les examens de sélection par les stages FPA sont très nombreux et la procédure donne lieu à des délais d'attente. La pratique de sélection pour l'entrée en stage, basée sur la passation de tests psychotechniques, évolue souvent en réaffectation dans des filières différentes, de par le grand nombre de demandes en rapport avec les places disponibles.
En fait, l'orientation des adultes s'est développée plus largement au sein des services de placement des demandeurs d'emploi qui comportaient une fonction de conseil. Des services spécifiques, de statut associatif, sont également créés, notamment, dès 1954, l'Association pour l'Emploi des Cadres Ingénieurs et Techniciens de l'Agriculture (APECITA), par le Ministère de l'Agriculture, reconnue d'utilité publique en 1971 et, à cette date, l'Association pour l'Emploi des Cadres (APEC) 68 .
L'Agence Nationale Pour l'Emploi
À partir des années 60, une nouvelle institution entre dans le paysage de l'orientation des adultes, l'Agence Nationale pour l'Emploi (ANPE), établissement public national placé sous la tutelle du Ministère du travail, créé par ordonnance le 13 juillet 1967, en vue d'intervenir sur le marché de l'emploi. Les conclusions du IVe plan (1962-65) préconisaient déjà la création d'un dispositif de conseil professionnel afin "d'éclairer les travailleurs sur les possibilités de changement d'emplois, de perfectionnement et de promotion". En 1962, un premier dispositif d'aide à la recherche d'emploi fut mis en place à Lyon, Lille et Nancy sous la forme d'Echelon régional de l'emploi (ERE) relayé par l'ANPE. La mission principale de l'ANPE est de réaliser des placements en rapprochant les demandeurs d'emploi de toutes catégories et branches, des employeurs à la recherche de main d'œuvre. C'est en complément de cette mission de placement que l'ANPE a développé une activité de conseil professionnel. À cette époque, celui-ci portait principalement sur le contenu socio-professionnel des métiers et sur leurs modalités d'accès direct. Cet objectif s'est d’ailleurs formalisé dans l'élaboration d’un document descriptif, appelé Répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME), réalisé par l'ANPE 69 . Par la suite, cette pratique fut envisagée en vue de l'orientation ou de l’affectation vers la formation professionnelle. En 1969, elle se définit comme "l'aide apportée à un individu en vue de résoudre les problèmes relatifs au choix d'une profession ou à l'avancement professionnel compte tenu des caractéristiques de l'intéressé et de leur relation avec les possibilités du marché de l'emploi" 70 . C’est principalement un entretien, au cours duquel la situation professionnelle et personnelle est examinée ainsi que les souhaits de la personne. L'affectation privilégiée par les conseillers professionnels de l’ANPE en matière de formation est longtemps restée l'AFPA, dans la mesure où la première était officiellement chargée du recrutement des demandeurs d'emplois pour la seconde. En 1969, l'ANPE totalise une centaine de conseillers professionnels recrutés sur la base d'une licence de psychologie ou d'une bonne connaissance des milieux du travail, et qui avaient suivi une formation interne de quelques semaines. La collaboration institutionnelle entre conseillers d'orientation du ministère de l'Éducation et conseillers professionnels du ministère du Travail, préconisée par les travaux du Ve plan (1966-1970) ne verra cependant pas le jour.
Tel est le paysage institutionnel français de l'orientation professionnelle avant que n'éclate le mouvement de contestation sociale de 1968, qui provoquera une redistribution des cartes sur les plans législatifs, social et culturel. Ces dispositifs institutionnels se sont constitués dans un environnement idéologique et culturel qu'il nous paraît opportun de mentionner pour expliciter la dimension "diagnostique" 71 des pratiques d'orientation de cette époque. Si la guerre 39-45 représente une coupure pour la société française, nous constatons une certaine continuité de pensée des acteurs et des chercheurs de l'orientation professionnelle de 1920 à 1970. D'ailleurs, ne retrouvons-nous pas, pour la plupart, les mêmes hommes avant et après la guerre, à la tête du mouvement de l'orientation professionnelle en France ? Pour exemple, la carrière d'Henri Piéronest remarquable par sa stabilité et sa longévité puisqu’il exerça la fonction de directeur de l'INOP-INETOP pendant près de trente cinq ans, de sa création en 1928 à 1962 72 .
L'ANIFRMO devient en 1966 l'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA), à laquelle continuent d'être rattachés les services psychotechniques. On compte actuellement 164 centres FPA et un service psychotechnique par département. La Formation Professionnelle Accélérée qui a été mise en place afin de faire face aux efforts de reconstruction dans le pays est devenue la Formation Professionnelle des Adultes.
Utilisé pour la première fois aux États-Unis dès 1890, le test en psychologie désigne "toute épreuve destinée à mesurer ou apprécier une caractéristique psychologique ou l'ensemble de la personnalité de l'individu". Cf. Yves PÉLICIER (sous la direction de), Univers de la psychologie, Champ, histoire et méthodes de la psychologie, Paris, Éditions Lidis, tome 1, 1978, pp. 421-453.
L'APEC (Association pour l'Emploi des Cadres) sera mise en place en 1971 à la suite d'un accord entre le CNPF et les organisations syndicales représentatives des cadres. A la différence de l'ANPE, il s'agit d'une association de type loi 1901, plus indépendante des pouvoirs publics de par son statut.
Ce document a bénéficié de plusieurs rééditions tenant compte des évolutions des métiers et filières professionnelles. La dernière publication date de 1999.
André CAROFF, op.cit., p.206.
Ce terme, comme celui d'orientation éducative ont été introduits en 1981 par Jean Claude PORLIER (Cf. "Les théories du choix professionnel", in Bulletin de l'ACOF, 1981, n°285. ) et notamment repris par Sylvie BOURSIER dans son ouvrage L'orientation éducative des adultes (Paris, Entente, 1989, p.65).
Henri Piéron (1881-1964), qui fut l'élève de Pierre Janet, le précurseur de la méthode clinique expérimentale, avait dirigé au préalable le laboratoire de psychologie de la Sorbonne.