Cette loi, appelée selon les sensibilités, « loi Fontanet » ou « loi Delors » ou encore « loi Chaban-Delmas », est marquée par la personnalité de ces trois hommes, qui ont dominé la scène politique de l’époque 132 .
C’est ainsi que le texte définit la Formation Professionnelle Continue, dans le cadre de l’Education Permanente : « La formation professionnelle permanente constitue une obligation nationale. Elle comporte une formation initiale et des formations ultérieures aux adultes et aux jeunes déjà engagés dans la vie active ou qui s’y engagent. Ces formations ultérieures constituent la formation professionnelle continue. La formation professionnelle continue fait partie de l’éducation permanente. Elle a pour objet de permettre l’adaptation des travailleurs aux changements des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social. L’Etat, les collectivités locales, les établissements d’Enseignement publics et privés, les associations, les organisations professionnelles, syndicales et familiales ainsi que les entreprises concourent à l’assurer » . 133 .
La diversité des expressions — « formation professionnelle permanente », « formation professionnelle continue », « éducation permanente », « promotion sociale » — non seulement permet de dégager les contenus et les finalités de ce nouveau dispositif de formation des adultes, mais traduit aussi la difficulté de rassembler, dans une définition claire et valable pour tous, les différents stades d’un concept d’éducation permanente, en cours d’élaboration, qui engloberait le tout. Comme le disent Pierre Besnard et Bernard Liétard, « l’ambiguïté vient du fait que les mêmes termes recouvrent chez des auteurs différents des réalités éducatives très diverses et masquent en fait des conceptions voire des idéologies opposées 134 .
Dans une problématique pédagogique, Guy Avanzini scinde les deux notions, en définissant la formation comme « l’activité menée en vue de conférer au sujet une compétence d’une part précise et limitée et d’autre part prédéterminée c’est-à-dire dont l’usage est prévu avant la formation et amène à la suivre », alors que l’éducation, « au contraire, s’exerce dans plusieurs directions, représentées par exemple par plusieurs disciplines, pour accroître la polyvalence de la personne, donc élargir ses possibilités de choix, professionnel ou autre et, d’autre part, sans qu’aucun usage précis ne soit prévu avant de le recevoir » 135 . Si, dans le texte de loi, la formation professionnelle continue fait partie de l’éducation permanente, dans la réalité de son application sa dimension additive d’apport de compétences, voire d’adaptation au poste de travail, a bénéficié d’un développement privilégié, au détriment d’une action éducative plus en profondeur, cela pour répondre aux impératifs économiques et technologiques. S’appuyant sur les réflexions de Jacques Delors, Jean-Pierre Le Goff attribue à la formation continue des adultes trois finalités : économique, sociale et culturelle 136 .
Les finalités économiques apparaissent clairement dans le texte de loi : il s’agit de permettre aux individus de faire face aux changements et mutations technologiques. La fonction d’adaptation économique attribuée à la formation des adultes restera présente jusqu’à nos jours. Ce texte, rédigé encore à une époque de croissance économique, même si des évolutions se profilaient déjà dans l’organisation industrielle, a trouvé une actualité cruciale quelques années plus tard avec la crise économique issue du choc pétrolier de 1973.
Les finalités sociales se regroupent autour de deux idées. D’une part, l’égalité des chances, notamment la seconde chance, est clairement affirmée : »il s’agit, et ceci est assez simple, en redonnant une deuxième ou une troisième chance à des individus tout au long de leur carrière, d’essayer de prolonger l’effort qui est déjà fait dans le système d’éducation premier » 137 . D’autre part est avancée l’idée de promotion professionnelle et sociale avec, pour corollaire, la transformation des conditions de travail, « dans la mesure où elle peut permettre d’élever le niveau de compétence et de qualification, d’évoluer dans la carrière professionnelle et donc de redonner un intérêt au travail à des hommes jusque-là relégués à des tâches répétitives et pénibles» 138 .
Les finalités culturelles, liées à la lutte contre les inégalités sociales afin d’accéder aux différents niveaux de la culture, sont clairement exprimées dans le texte de loi, autour de la notion de changement auquel tout travailleur devra désormais s’adapter : « Pour être capable de faire face aux changements, il faut non seulement avoir une certaine autonomie, mais il faut également intégrer dans sa culture les éléments de connaissance qui permettront de faire face à ce changement. Ressenti évidemment dans la vie professionnelle, cela a été dit, mais également dans la vie privée en raison des bouleversements philosophiques et métaphysiques, qui secouent le monde d’aujourd’hui : crise des Eglises, changements des conceptions et des pratiques familiales » 139 . C’est à cette dimension qu’est rattaché le concept d’éducation permanente, affirmé dans le texte législatif, prévoyant une nécessaire adaptation culturelle aux futures mutations de la société.
Jean-Pierre Le Goff souligne l’idéal personnaliste et éducatif, porté par ces fondateurs, pour qui la formation permanente doit « permettre enfin à chacun d’autogérer sa vie, en l’aidant à prendre conscience des pièges du conditionnement social, de la réussite strictement matérielle, de l’opulence fictive. Et donner ainsi à chacun les moyens de sa liberté, de son autonomie, de la maîtrise de son existence, en lui permettant de s’épanouir dans sa vie privée et dans sa vie collective » 140 . La formation est aussi un moyen d’épanouissement personnel, conduisant à l’autonomie et à la liberté individuelle. L’aspect novateur de ce texte tient aussi à l’affirmation forte de la nécessité d’une formation « continue », intégrée dans une éducation « permanente », qui témoigne de la préoccupation du législateur d’une action adaptée à un monde social et économique dont on pressentait les bouleversements. Même si cela n’a pas été perçu immédiatement, cette dimension temporelle introduit indirectement le postulat d’éducabilité des adultes, qui suscitera un grand intérêt dans la recherche en éducation quelques années plus tard 141 . En effet si ceux-ci sont incités, voire condamnés, une fois sortis de l’école, à ne plus s’arrêter de se former, c’est que cette capacité leur est attribuée tout au long de leur vie. Nous voyons, de par ses finalités, combien ce texte de loi est sous-tendu par un prophétisme éducatif puissant, conçu, selon certains, dans l’ »illusion lyrique des années » 142 . C’est à travers ses principales dispositions, que nous rapporterons quelques effets non négligeables sur l’orientation professionnelle.
Joseph Fontanet, alors ministre du Travail (1969-1972) et Jacques Delors, secrétaire général à la formation professionnelle et à la promotion sociale (1969-1973), partageaient avec Jacques Chaban-Delmas l'ambition d'un programme pour une "Nouvelle Société", dont un des buts était de "réconcilier le monde du travail avec le reste de la société française, dans la dignité, dans le progrès économique et dans le partage des responsabilités et des fruits du travail". Cf. Charles CABAUD, Joseph Fontanet, Paris, Ed. France-Empire, 1990, p.140. Il serait intéressant de conduire une étude sur la véritable paternité de ce texte fondateur des politiques d'emploi et de formation.
Cf. Art L 900-1 Code du Travail, Paris, éd. DALLOZ, 1989.
Pierre BESNARD et Bernard LIETARD, La formation continue, Paris, PUF, Que sais-je?, 2ème édition, 1982, p. 8. Rappelons également que, à la faveur de la diffusion des différents rapports internationaux qui ont inspiré vraisemblablement le législateur, les traductions de l’anglais au français des termes de formation (learning, training) et d’éducation (education), ont donné lieu à des interprétations différentes, les traducteurs français préférant le terme de formation, jugé plus approprié aux adultes, au terme d’éducation, davantage réservé aux enfants ou aux personnes en difficulté.
Guy AVANZINI, Introduction aux sciences de l'éducation , Toulouse, Privat, 2e édition, 1987, p.136.
Jean Pierre Le GOFF, Revaloriser la culture générale dans la formation continue, Conférence à l'Assemblée Générale de l'IFOCAP, 30/11/1989.
Jacques DELORS, "Reconsidérer l'ensemble du système", in l'Education , n°173, mai 1973. Cf. aussi Jacques DELORS, "Au-delà des illusions, in Esprit", n° 439, octobre 1974, pp.547-561.
Jean-Pierre LE GOFF, Ibid.
Jacques DELORS, Art.cit.
Jacques DELORS et D. JEANPERRIN, Une déception diffuse , Droit Social, n°2, février 1979.
Les années 80 sont marquées par un grand développement des approches cognitives en éducation, et tout particulièrement des théories de la médiation. Guy Avanzini fut un précurseur de la réflexion sur ce concept d'éducabilité. Cf. AVANZINI G., Immobilisme et novation dans l’éducation scolaire, Toulouse, Privat, 1975, 318 p. ; “De la formation et de l’éducation des adultes”, in Bulletin Société Alfred Binet et Théodore Simon, n° 599, 1984, p. 160 à 176.
Jean-Pierre SOISSON, cité par André RAMOFF, "Par la négociation et par la loi", in Projet, n° 218, Juillet/Août 1989, pp. 21-30.