Information sur la Formation et Orientation Professionnelle

Cette priorité législative et réglementaire, donnée à l’information sur la formation, pose la question de la place de l’orientation professionnelle au début des années 70. En effet, du fait d’une situation économique encore florissante, même si certains indicateurs pouvaient contredire cette affirmation en montrant des signes d’essoufflement, la préconisation de l’Éducation nationale d’accueillir les adultes ne s’est pas accompagnée de moyens spécifiques et les services existants de l’ANPE et de l’AFPA semblaient suffisants pour aider ce public dans ses besoins de reconversion ou d’évolution professionnelle. Est-ce à dire que l’orientation professionnelle des adultes, en final exclusivité du ministère du Travail, ne serait liée qu’à des situations de crise et à des politiques d’emploi mises en œuvre quand celui-ci va mal et se raréfie? C’est ce que semble confirmer le développement des dispositifs à partir des années 80, marquées par une amplification des difficultés économiques.

D’autres arguments viennent attester ce point de vue d’une dominante de l’information en période de croissance économique. La loi sur la Formation professionnelle continue (FPC), issue d’un consensus entre partenaires sociaux et d’un courant de pensée libéral et humaniste, se voulant une seconde chance à côté de l’École, a donné naissance à un nouveau droit, celui de se former tout au long de la vie, qu’il fallait faire connaître à l’ensemble de la population. Il fallait donc préparer les mentalités à cette nouvelle réalité d’une formation continue prolongeant la formation initiale. De plus, le législateur, préconisait un pluralisme des dispensateurs de formation et d’information obligeant les services publics et les organismes privés à travailler ensemble. S’adressant prioritairement aux salariés, il avait plutôt envisagé des structures d’information sur la formation, intégrées dans une action sociale globale qui permettait d’accéder plus rapidement à la connaissance des droits de chacun.

Le dispositif d’Information sur la formation, issu de la loi de 1971, qui dépendait d’un Secrétariat d’État rattaché au Premier ministre, comportait une dimension interministérielle plus riche d’initiatives que s’il avait été géré par le seul ministère du Travail 171 . Rappelons qu’à cette époque ce dernier avait une action plus restreinte, principalement de régulation des conflits sociaux, comme en témoignent les célèbres accords de Grenelle.

La crise culturelle de Mai 68 est venue ensuite bouleverser le consensus social, en introduisant une plus grande prise en compte des besoins de l’individu dans la collectivité. Elle a eu pour conséquences, entre autres, de faire émerger l’idée de décentralisation, dans laquelle les élus deviendraient des partenaires privilégiés du lien individu/société et de la résolution, à l’échelon local, des problèmes socio-économiques. Les nouveaux dispositifs d’information, issus de ce nouveau contexte, constituaient donc des réponses plus opérationnelles.

Enfin, au début des années 70, après plus de 50 ans d’existence au sein de l’Éducation et plus de 30 ans au ministère du Travail, l’Orientation professionnelle restait perçue comme une pratique s’adressant à des jeunes ou, à la rigueur, à un petit nombre d’adultes en difficulté, handicapés ou chômeurs irréductibles. En effet, le chômage n’était pas alarmant, même si certains indices montraient un essoufflement de l’économie, et personne ne pensait à l’orientation professionnelle des salariés ; le plus souvent, ceux-ci se réorientaient en changeant directement d’emploi. À partir de 1971, le paysage français de l’orientation professionnelle des adultes s’est enrichi de structures d’information venues se placer aux côtés des deux grandes institutions historiques de l’orientation professionnelle, les CIO et l’ANPE. En même temps qu’a émergé la notion de public de la formation (salariés, demandeurs d’emploi, femmes, jeunes...) s’est amorcée une catégorisation du public de l’information et de l’orientation : les scolaires, les demandeurs d’emploi, les cadres, sans compter les femmes, les travailleurs étrangers, les publics handicapés etc. Dans la mouvance de la loi sur la formation professionnelle continue, des structures d’assise territoriale ont émergé, ayant vocation d’accueillir l’ensemble de ces publics et d’apporter une réponse personnalisée en termes d’information et d’orientation. La cohabitation de tous ces organismes ne s’est pas réalisée sans problèmes : les nouvelles structures n’ont pas été immédiatement reconnues par les « anciennes » qui, fortes de leur monopole historique, les considéraient comme des lieux de « première information », devant acheminer le public vers les spécialistes, ou éventuellement comme des « distributeurs de stages» répondant à une demande simple et explicite des personnes.

Alors que les CIO et l’ANPE ont enrichi leurs dispositifs d’orientation par une prise en compte des aspects documentaires et de communication, les structures d’information nouvellement créées sur une base documentaire et davantage liées au milieu de la formation des adultes ont développé des pratiques plus psychopédagogiques et individuelles d’orientation, ceci dans le même but de répondre à une demande sociale de plus en plus massive.

Mais, au travers de l’information sur la formation, la loi de 1971 est venue ajouter subrepticement une dimension nouvelle à l’orientation professionnelle, une dimension éducative. Si, à cette époque, ce concept était défini, dans une scientificité réductrice, comme une transmission de données d’un émetteur à un récepteur, dans un article récent au titre évocateur, Alain Rufino a montré le rôle de l’information dans l’apparition des approches éducatives en orientation 172 . Reconnaissant l’ambiguïté issue de la polysémie du terme même d’information, oscillant entre l’activité de diffusion de données, le contenu des messages et les processus de transmission, cet universitaire, spécialiste en psychologie et en communication, a mis en exergue le processus cognitif : « le document, comme le message qu’il porte, n’est qu’un projet d’information, c’est le lecteur qui détermine, par une démarche personnelle active, et dans un contexte d’utilité donné, la “signification utile ici et maintenant“ du texte exploité .. On peut dire plus simplement que l’information est ce que le destinataire a compris, construit et mémorisé de ce qui lui était proposé, la représentation qu’il a élaborée sur un sujet donné, et qui lui permettra de l’évoquer en cas de besoin » 173 . À partir de cette définition, l’information se révèle dans une dimension plus complexe, nécessitant une médiation éducative, comme nous le verrons plus loin.

Notes
171.

La disparition, en1988, de cette dimension interministérielle, a sans doute renforcé le cloisonnement entre les ministères, et entre les cultures respectives, celle du Travail plus axée sur la loi, la norme et le contrôle, et celle de la Formation, plus orientée vers l’innovation. De plus, la fusion, quelques années plus tard , entre les délégations de l’emploi et de la formation, instances exécutives du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, s’est réalisée au profit de la première.

172.

Alain RUFINO, "Pédagogie de l'information en orientation, contribution de l'information aux approches éducatives en orientation", in L'orientation éducative, chantier du présent, Cahiers Binet-Simon, Erès, n° 656/657, 1998, pp.83-100.

173.

Alain RUFINO, Art. cit., pp. 88-89.