Mais un dernier rapport mérite d’être mentionné, même si son objet touche davantage le public des jeunes que celui des adultes. C’est à partir de 1975 que l’emploi des jeunes s’est considérablement dégradé. N’ayant pas d’expérience ni de formation professionnelle suffisante, ils sont les premières victimes de la crise économique. Malgré les nombreux plans d’insertion professionnelle et sociale, lancés par les différents gouvernements qui se sont succédé de 1975 à 1982, le spectre de la marginalisation sociale des jeunes ressurgit dans la société française, qui supporte difficilement de les voir interdits de travail. En 1981, le premier ministre confie à Bertrand Schwartz, expert de notoriété nationale et internationale de la formation et de l’emploi, une mission d’étude en vue d’améliorer leur insertion. Cette réflexion est rassemblée dans un rapport conséquent, intitulé L’insertion sociale et professionnelle des jeunes, qui suggère un grand nombre de propositions opérationnelles pour lutter contre le chômage de cette population particulièrement touchée, insistant notamment sur la nécessité de garantir la qualification professionnelle en développant l’alternance et sur la création d’activités d’intérêt collectif 246 .
Près de vingt ans après sa publication, ce texte a gardé le caractère novateur et fondateur d’une politique d’envergure en direction des jeunes, qui n’en a pas encore épuisé toutes les propositions. Face au constat qu’ « il n’y a pas de lieu ni de personne qui puisse écouter les jeunes tout à la fois sur les problèmes aussi importants que la santé, la sexualité, la drogue, le logement, la culture le travail, etc. » 247 , il propose de créer des « missions locales », structures imaginées comme temporaires, constituées d’équipes pluridisciplinaires et interinstitutionnelles, ayant un mode d’intervention globale et un rôle de « guichet unique ». Bertrand Schwartz insiste sur la dimension globale de l’accueil des jeunes en difficulté d’insertion, qui doit s’appuyer sur une écoute et une prise en compte unifiée des problèmes sociaux, familiaux, médicaux et professionnels : « Il convient donc de créer des lieux susceptibles de concerner tous les aspects de la vie sociale et individuelle des jeunes. Cela doit permettre de traiter les différents aspects d’un même problème et, pour sa solution, de réaliser toutes les interconnexions souhaitables » 248 .
S’appuyant sur des réalisations déjà expérimentées 249 , l’auteur préconise, à l’instar de Jean-Paul Murcier un rapprochement des institutions, de façon à réaliser un accueil de qualité, permettant de bâtir un projet de vie sociale et professionnelle. Persuadé que ces missions contribueraient à accélérer le processus de décentralisation en cours, il privilégiait une dimension territoriale, à l’échelon du bassin d’emploi, sans se prononcer toutefois sur le statut de ces structures, nécessairement en lien avec l’ANPE, mais sans empiéter toutefois sur ses prérogatives, avec les organismes de formation, les entreprises et les collectivités territoriales. S’il insiste sur l’information, qui doit être accessible aux jeunes défavorisés, il mentionne peu le terme d’orientation professionnelle, réservant le conseil professionnel à l’ANPE.
À la différence du rapport Murcier, basé sur une analyse fouillée des pratiques respectives de chaque institution, le rapport Schwartz a peut-être souffert d’une vision centrée sur le public des jeunes défavorisés et d’un manque de précision quant au statut de ces missions locales, qui a donné lieu à une appréciation diversifiée de l’interinstitutionnalité par les différents partenaires et à une mise en œuvre quelque peu décalée 250 .
Même si ce rapport s’adresse exclusivement au public jeune, qui ne relève pas tout à fait de notre problématique, il a le mérite d’apporter une dimension territoriale à l’orientation professionnelle qui, pour être opérationnelle et efficiente, doit « s’adapter aux situations locales particulières ». Enfin, dansla mouvance de la loi de 1971, l’action d’insertion des jeunes est inscrite dans le cadre « d’une politique élargie de l’éducation permanente ».
Toutes ces réflexions, dont la diffusion s’est opérée sur une courte période, de deux ou trois ans seulement, sont caractéristiques du profond bouleversement sociétal qui a obligé à repenser le rapport de l’homme et de son environnement de travail. Elles ont aussi renouvelé les finalités de l’orientation en lui adjoignant les dimensions d’éducation et de territorialité et ont contribué à lui donner un souffle nouveau, en phase avec la société post-industrielle naissante. L’orientation professionnelle n’est désormais plus réservée à l’âge de la jeunesse et, en s’adressant aux adultes, elle s’est enrichie de nouvelles pratiques, issues de la formation continue et étayées par des théories psychologiques venues d’outre-Atlantique. Ce rappel historique nous a montré que, dans les années 70, l’orientation professionnelle et la formation professionnelle ont constitué, une fois de plus, un couple indissociable, engendrant un nouveau dispositif, l’information sur la formation. On a pu voir aussi l’influence « éducative » naissante du dispositif de formation des adultes sur les pratiques d’orientation. Cependant, apparues en période de forte croissance économique, la formation professionnelle continue et l’information sur la formation, à peine expérimentées, se sont développées dans un climat de crise économique sans précédent, qui n’a fait que s’approfondir jusqu’à nos jours, bouleversant toutes les théories, les valeurs et les conceptions du travail. Le retournement des années 70 a non seulement fait apparaître dans le monde éducatif de multiples partenaires mais infléchi les pratiques d’orientation en fonction d’un nouveau public venu en masse, les adultes, lui entrouvrant la porte de sa dimension éducative.
Aujourd’hui, le dispositif de formation professionnelle continue est à la veille d’une réforme profonde, et le terme de « refondation » est même avancé 251 , pour signifier l’ampleur des enjeux de son adaptation aux exigences économiques, sociales et culturelles, de la société française, dans le contexte actuel de développement de l’Europe et de mondialisation.
Bertrand SCHWARTZ, L'insertion professionnelle et sociale des jeune , rapport au premier ministre, Documentation Française, Paris, 1981.
Idem, p.131. On peut s'étonner toutefois qu'aucune référence n'ait été faite du réseau des Centres de Documentation et d'Information pour la Jeunesse (CIDJ) du ministère de la Jeunesse et des Sports, implanté dans les années 70, dans l'ensemble des grandes villes avec l'appui des collectivités locales. Dans la lettre de commande du Premier Ministre, seuls les ministères du Travail et de l'Education étaient explicitement mentionnés comme pouvant apporter leur concours à la mission d'étude. On retrouve ici le cloisonnement voire les clivages entre institutions publiques, peu enclines à travailler ensemble.
Ibid.
On peut citer notamment l'expérience du VOPAJ à Valence qui, dès 1979, réunissait différentes institutions pour accueillir des jeunes (Chambres consulaires, associations, CIO..)
S'appuyant sur les conclusions du rapport Schwartz, un dispositif institutionnel spécifique pour les jeunes est mis en place en 1982, sous l'autorité des élus locaux, comportant des missions d'accueil, d'information et de documentation, des actions d'orientation approfondie et des actions de formation alternée. Les Missions locales jeunes ont pour objectif de mettre à disposition des jeunes une information globale qui puisse répondre à l'ensemble des questions qu'ils peuvent se poser à l'entrée dans la vie active : logement, santé, vie professionnelle. Bertrand Schwartz avait espéré pouvoir décloisonner les institutions en les réunissant dans un lieu autour d'un même objectif, l'insertion des jeunes. C'est ainsi qu'au sein des MLJ, associations pilotées par les collectivités locales, se côtoyaient représentants de l'Éducation nationale, ANPE, Action Sociale... Dans la pratique, les Missions locales n'ont pu échappé à l'inertie des différentes institutions, plus préoccupées de défendre leurs propres intérêts que d'organiser un véritable accueil des jeunes. Progressivement les mises à dispositions de ces institutions se sont réduites et ces structures ont recruté leurs propres salariés sous la responsabilité des élus et sous le contrôle de l'État. Lieux d'accueil, d'information et d'orientation, les Missions Locales se sont surtout axées sur l'insertion sociale et professionnelle en utilisant les dispositifs de formation existants, au début sans véritables liens avec les entreprises, du fait des choix de profils professionnels d'animateurs ou d'éducateurs pour les responsables. Si le décloisonnement des institutions ne s'est pas véritablement opéré, une relative ouverture a pu cependant se réaliser par une prise en compte globale de l'insertion des jeunes, notamment dans les aspects de santé, de logement etc.
Les Missions locales comme les Permanences d'accueil d'information et d'orientation (PAIO), structures plus légères instaurées dans un premier temps pour les 16-18 ans en lien avec l'Education Nationale, sont représentatives de la volonté de répondre spécifiquement à un public en plus grande difficulté d’insertion. En matière d’aide à l’emploi, leur développement actuel les rapproche davantage d’un type d’ « ANPE Jeunes ».
« Refonder la formation professionnelle ? », tel était le titre du séminaire organisé en novembre 2000 par l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) dans la région lyonnaise, et qui a réuni les acteurs (partenaires sociaux et représentants du ministère), dans la perspective de la réforme. Un certain nombre de rapports ont fait suite au rapport « Péry » de Mars 1999, du nom de la secrétaire d’État à la formation professionnelle qui a présenté un texte-diagnostic du dispositif, préalable à la future loi de modernisation sociale, dont une première étape contenant des dispositions relatives à la validation des acquis et à l’apprentissage, sera examinée en Janvier 2001. Ces rapports ont été présentés dans un article récent de Fabienne Lecocq, sous le titre « Les étapes de la réforme », dans la revue Actualité de la formation, Centre INFFO, n°168, septembre-octobre 2000, pp.29-32), entre autres :
- Le rapport de Gérard Lindeperg, député de la Loire, intitulé Acteurs de la formation professionnelle : pour une nouvelle donne (publié en octobre 1999), regroupe trois volets de propositions : la clarification des compétences des acteurs, la rénovation des instances de concertation, la mise en place d’un service de proximité d’information et de gestion.
- Le rapport d’André Gauron, conseiller à la cour des comptes, intitulé Formation tout au long de la vie, (publié en mars 2000) propose le redéploiement de la formation pour les moins qualifiés, par une « obligation de former » qui remplacerait l’« obligation de dépenser » mise en œuvre par la loi de 1971.
- Le rapport de Jean Michel Belorgey, conseiller d’État, intitulé Minima sociaux, revenus d’activité, précarité ( publié en avril 2000), préconise un véritable droit individuel à la formation, mutualisé, ainsi qu’une obligation de formation, partie du contrat de travail pour les salariés, et pour les jeunes, se traduisant par un « droit individuel de tirage social »
- Le rapport de l’IGAS (novembre 2000), préconise notamment de « porter une plus grande attention aux parcours individuels des demandeurs d’emploi ».