3.3.1. Apprendre à s'orienter : L'orientation éducative "didactique"

En effet, l'accueil du modèle québécois de l'ADVP en France a élargi cette voie éducative au sein même de l'Éducation nationale, par l'introduction dans les collèges de la méthode "Éducation des choix", traduction française de la première, tandis que l'accroissement du chômage a eu pour conséquence de l’intégrer en formation d'adultes.

La méthode « Éducation des choix » (EDC)

C'est à la fin des années 80 qu'une équipe de chercheurs et de conseillers d'orientation, rattachés à l'institut de formation des conseillers d'orientation de Lyon 364 et à l'institut de psychologie de l'Université Lumière-Lyon II lancent le programme d'Éducation des choix, directement inspirée de l'ADVP et adaptée au système français d'enseignement du premier degré. Les principes de base de la méthode sont résumés ainsi : "L'adolescent construit sa compétence à s'orienter et peut assumer son devenir dans la mesure où il apprend à se connaître, à identifier ses besoins fondamentaux, à clarifier ses valeurs et à se fixer des buts qui mobilisent tout son être. Cette compétence à explorer le milieu scolaire et professionnel, à interroger ses représentations et à prendre en compte les facteurs de réalité (..) trace les paramètres en fonction desquels les choix vont s'effectuer. Comme cette compétence se construit au moment de la crise d'identité chez l'adolescent et en même temps que l'avènement de la pensée formelle, l'avantage de faire l'apprentissage du processus de choix en vivant l'expérience de choisir apparaît évident" 365 .

Il s'agit donc d'acquérir des habiletés, des attitudes et des comportements, pour être en capacité de faire des choix et de prendre des décisions, en bref d'apprendre à s'orienter par l'expérimentation d'une démarche personnelle qui se décline en quatre étapes, s'étalant sur les quatre années de collège : exploration de l'environnement ("Expédition École-travail"), cristallisation en organisant les informations recueillies et en sériant le champ de ses investigations ("Destination : mon avenir"), spécification ou précision du projet ("Moi et le travail"), réalisation et anticipation des démarches de mise en œuvre du projet ("Mes projets d'avenir"). En effet, la méthode Éducation des choix est sensée appliquer les trois principes de l'ADVP reposant sur le concept d'expérience : l'élève est invité à vivre, traiter, intégrer ses propres expériences de façon à en dégager un sens pour lui. Pour cela, l'animateur, en général un enseignant formé préalablement à la méthode, se doit d'intervenir dans une nouvelle logique, qui ne consiste pas à transmettre des savoirs mais à inciter l'adolescent à s'impliquer dans sa lecture personnelle.

Mais comment, dans notre système éducatif français basé prioritairement sur la transmission de connaissances et peu versé sur les pratiques de dialogue et d’écoute, l'enseignant, à qui cette mission est confiée, habituellement centré sur les contenus et l'évaluation de leur acquisition, peut-il aussi facilement se transformer en animateur, suscitant l'expression personnelle de l'élève ? L'application en France, de cette méthode issue d'un contexte éducatif anglo-saxon plus libéral ne pouvait échapper aux réserves et aux critiques, que certains n'ont pas manqué de faire. Michel Huteau a pointé la contradiction qui repose sur la proposition d'une aide à l'élaboration de projet, par nature individuelle, à un groupe d'élèves dans une classe et, de plus, semblant résister à une évaluation scientifique, du fait de la grande variété des objectifs et des besoins des sujets. Jean Guichard, en successeur et directeur actuel de l'INETOP, s'appuyant sur une étude récente concernant l'application de la méthode en zones d'éducation prioritaire 366 , met en garde contre les risques de "manipulation" de l'élève par l'enseignant et d'accentuation de la reproduction sociale :"le danger est en effet grand que l'enseignant — qui n'aurait pas effectué au préalable un long et difficile travail de mise à jour des dimensions implicite de son propre système de catégorisations des élèves — procède, dans des exercices où il est question de l'image de soi des élèves, d'une manière telle qu'il les conduise à intérioriser certaines de ses propres manières de voir" 367 . Ce constat, basé sur quelques études réalisées à partir d'un environnement social défavorisé, qui n'incite pas les jeunes aux rêves d'avenir ou qui semble révéler une tendance actuelle, chez eux, à s'orienter dans des filières technologiques plus économiquement rentables, fait entrevoir peut-être aussi en filigrane une critique d'ensemble d'un courant éducatif de l'orientation, encore peu accueilli dans les institutions de l'Éducation nationale, que ce soit son centre de recherche, l'INETOP, ou ses instances ministérielles 368 .

Jean Guichard reconnaît toutefois que l'orientation éducative en milieu scolaire bute sur la confusion entre les rôles éducatifs et psychologiques que l'enseignant assume de plus en plus seul, dans une position souvent difficilement tenable, étant devenu le principal décideur de l'avenir scolaire de l'élève 369 .. En revanche, il ne met pas en doute l'intérêt des approches éducatives en orientation, qui lui semblent tout à fait adaptées à l'évolution de notre société. À la différence de ses prédécesseurs, il semble se situer dans une approche plus globale, dont l'objectif n'est certes pas encore "l'élaboration de programmes globaux d'aide à l'orientation", mais vise à "faire évoluer les représentations professionnelles et la stratégie décisionnelle des élèves à partir d'actions ponctuelles et ciblées" 370 . Cependant, selon lui, la fonction de conseiller-psychologue au sein de l'école est devenue paradoxale et caduque puisqu'elle relève d'un "statut sans pouvoir qui se traduit par un pouvoir sans statut" 371 . Et c’est par la belle expression de "maïeuticien des intentions d'avenir" 372 , qu’il définit la fonction à venir de ces praticiens de l'accompagnement, dont il préconise un développement significatif, mais semble-t-il en dehors de l'institution scolaire, dans le sens "d'une éducation — continuée tout au long de la vie — aux carrières" 373 .

L'orientation professionnelle intégrée en formation

Dans leurs rapports, Évelyne Sullerot comme Jean Paul Murcier préconisaient déjà des stages d'orientation professionnelle. Ce dernier reconnaissait toute la valeur pédagogique d'une activité de groupe, rappelant que ce type de "réflexion collective" était déjà pratiqué par des organismes de formation ou de placement : "il pourra être utile au travailleur de prolonger l'entretien individuel par des journées ou par un stage de courte durée (30 à 40 heures) lui permettant de discuter et de confronter avec d'autres sa propre situation et ses propres projets" 374 . En effet, dès l'intensification du chômage, à partir de 1975, et dans la mouvance du nouveau droit à la formation, des stages à contenu d'orientation professionnelle sont mis en œuvre par des organismes travaillant dans le cadre de conventions avec des ministères comme ceux de l'agriculture ou du travail, ou avec l'ANPE.

L'association Retravailler, fondée par Évelyne Sullerot en 1973, est à l'initiative d'une pédagogie innovante d'orientation, toujours d’actualité, en vue de préparer des femmes à la reprise d'un emploi. Dès les années 80, l'APEC, avec sa session "Déclic" mettait à disposition de son public de cadres un outil de formation très opérationnel pour la reconversion professionnelle et l'aide à la recherche d'emploi 375 . Depuis près de vingt ans, le public jeune continue de bénéficier de ce type de dispositif d'orientation, sous des appellations diverses, en fonction des différents plans pour l'emploi (programmes « Paque », « Trace », Modules collectifs de première orientation, Mobilisation et action pour l'emploi etc.) 376 . Pour les demandeurs d’emploi, les Sessions d'Orientation Approfondie (SOA) mises en dès 1983 au sein de l'ANPE à la suite d'un travail de collaboration avec différents partenaires 377 , avaient pour objectif l'aide à l'élaboration d'un projet professionnel dans une dynamique. Aujourd’hui, elles semblent cependant avoir été supplantées par les pratiques d’accompagnement plus individualisé, initiées par le programme "Nouveau départ" du Plan national d'action pour l'emploi, issu des directives européennes 378 .

Enfin, depuis 1991, dans le cadre du nouveau droit au bilan et du congé de bilan, des sessions de bilan d'une vingtaine d'heures sont mises à disposition du public jeune, demandeur d'emploi et salarié, permettant l'élaboration de projet professionnel en partie en groupe.

Toutes ces expériences résultent du principe consistant à aider les personnes à "s'orienter", autour de phases de bilan personnel, d'exploration de l'environnement, et d'appui à l'élaboration et à la mise en œuvre d'un projet. Il s'agit bien d'apprendre à s'orienter sur la base d'une lecture de son expérience personnelle et d'une réflexion sur son avenir professionnel, en lien avec l'environnement socio-économique. De la même manière qu'à l'école, cette application de l'orientation éducative auprès des adultes n'est pas sans révéler quelques faiblesses, notamment quand la phase de bilan consiste à peser les aspects positifs et négatifs de leur expérience personnelle et professionnelle et à les mettre en relation avec des métiers. Jean Guichard souligne que malgré les profondes mutations socio-économiques survenues dans notre société depuis trente ans, le modèle classique de l'appariement intérêts/aptitudes/métiers reste la base de l'ensemble des outils et méthodes d'orientation : "le consultant produit une description de soi (en répondant à des questionnaires qui portent sur les intérêts, sur les valeurs, sur les types d'environnement professionnel ou qui conduisent à évaluer — ou à auto-évaluer — ses aptitudes et/ou ses connaissances, etc..). On lui propose ensuite une mise en correspondance des dimensions ainsi construites avec les classes de métiers" 379 . Cette réflexion suggère l’urgence de trouver des méthodes plus adaptées. Mais s'agit-il d'abandonner les pratiques antérieures pour appartenir au courant de l'orientation éducative ? Au-delà des questions de méthode, ce constat pose en fait celle des finalités de ce nouveau courant qui vise, non plus à diagnostiquer le passé et à pronostiquer l'avenir de la personne, mais à "mettre en perspective - c'est-à-dire à “mettre en mots“, à “mettre en ses mots“— l'ensemble de ces autres éléments qui concourent à la formation de ses attentes et de ses intentions relatives à son avenir. Il s'agit de permettre au sujet d'analyser sa situation et ses représentations... Le sujet qui est ainsi au centre de la démarche est une personne qui s'interroge sur son rapport à soi" 380 .

Rester dans une problématique didactique d’apprentissage du choix, risque de réduire la portée de ce courant éducatif, dont on ne peut éviter d’aborder les finalités.

Notes
364.

Cet institut de formation des conseillers d'orientation fut dirigé par Geneviève Latreille et ensuite par Robert Solazzi, qui en sera le dernier directeur, avant sa fermeture en 1989, dans le cadre des restructurations du ministère de l'Éducation. Ce centre, précurseur par ses recherches dans le champ de l'orientation éducative, est à l'origine de la diffusion en France des travaux québécois sur l'ADVP et de la création de l'association Trouver-Créer, support de la formation des conseillers aux pratiques d'orientation éducative (ADVP et Éducation des choix) et à l'initiative d'une réactualisation de la méthode EDC en 1994. On peut regretter toutefois que le courant éducatif qu'il a animé, soutenu par la passion de son dernier directeur, n'ait pas eu les faveurs du centre national, l'INETOP, plus orienté aujourd’hui vers la psychologie cognitive, et dont les responsables ne partageaient sans doute pas les mêmes conceptions, philosophiques, idéologiques etc. Il semblerait que les quelques incursions faites dans le territoire de l'orientation éducative par son avant dernier directeur, Michel Huteau, n'aient pas été suivies d'effet. En Rhône-Alpes, cette méthode a été largement diffusée dans l'ensemble des collèges du premier degré, grâce à l'appui du Conseil régional Rhône-Alpes, qui en a fait un instrument de sa politique éducative, dans le cadre du projet OPRA. Cf. Projet Orientation Professionnelle Rhône-Alpes, OPRA, Lyon, Conseil Économique et Social Rhône-Alpes, 1990.

365.

La collection Éducation des choix,Issy-les-Moulineaux, EAP, 1988, p. 3.

366.

Selon les auteurs de la recherche cité par Jean GUICHARD, "l'EDC apparaît favoriser les projets de type CAP/BEP chez les jeunes de milieu socio-économique plus défavorisé". Cf. Jean GUICHARD, "Conceptions de la qualification professionnelle, organisation scolaire et pratiques en orientation", in L'orientation éducative, chantier du présent, Cahiers Binet-Simon, Toulouse, Érès, n° 656/657, 1998 - n°3/4, pp. 117-139.

367.

Jean GUICHARD, Art. cit., pp. 132-133.

368.

Rappelons que la méthode Éducation des choix est encore diffusée de manière homéopathique dans les collèges en France, bénéficiant principalement de l'appui financier de quelques conseils régionaux (dont Rhône-Alpes, Ile de France et Poitou-Charente) dans le cadre d'actions éducatives spécifiques.

369.

On peut s’interroger sur la tendance actuelle à placer sous la responsabilité du corps enseignant ce courant de l'orientation éducative à l'école, promu par une équipe de chercheurs-praticiens de l'orientation scolaire, et sur le fait que les conseillers-psychologues, plus à même de mettre en pratique ce courant, aient de moins en moins de poids dans les décisions des conseils de classe.

370.

Jean Luc MURE, "L'éducation à l'orientation au collège et au lycée : des directives ministérielles à l'apprentissage par l'expérience", in L'orientation éducative, chantier du présent, Cahiers Binet-Simon, Toulouse, Érès, n° 656/657, 1998 - n°3/4, p. 65.

371.

Ibid.

372.

Jean GUICHARD, Art. cit. , p. 134.

373.

Jean GUICHARD, Art. cit. , p. 133.

374.

Jean Paul MURCIER, Op. cit., p.9.

375.

D'une durée de six jours, ces sessions en direction des cadres en activité ou en recherche d'emploi ont pour objectif l'aide à l'élaboration de projet professionnel, en vue de favoriser une gestion anticipatrice des ressources humaines et de donner aux cadres les moyens de s'adapter aux évolutions de leur métier.

376.

Ces dispositifs sont organisés sous la forme de demi-journées ou journées de positionnement professionnel et de construction de projet professionnel.

377.

En effet, l'ANPE s'est dotée de méthodologies de recherches d'emploi et d'orientation en groupe, créées par des consultants d'entreprises : Daniel Porot qui fut un précurseur des stages de positionnement professionnel dès les années 70 (Cf. Daniel POROT, Comment trouver une situation ? ou une méthode pour ne plus être un demandeur d'emploi, mais un offreur de services, Paris, Éditions d'organisation, 1986) et Marcel Husson, membre de Développement et Emploi, également pionnier de l'orientation des adultes en entreprise (Cf. Marcel HUSSON, L’orientation professionnelle continue, concepts et méthodes pour une gestion préventive de l’emploi en entreprise, Paris, FNEGE, 1985, 239 p.) La SOA est un stage de cinquante heures, s'adressant aux demandeurs d'emploi ayant besoin d'une aide spécifique pour construire, préciser ou faire évoluer leur projet professionnel. La session répond à un cahier des charges précis articulé autour de trois phases : le bilan professionnel et personnel d'une durée de quinze à vingt heures, l'élaboration du projet comprenant la connaissance de l'information sur le marché du travail et les métiers et l'aide au choix (quinze heures), la mise en œuvre, composée d'enquêtes, de simulation d'entretien, d'appui à la rédaction de Curriculum Vitæ, et de suivi (quinze heures).

378.

Ce plan met en œuvre les lignes directives adoptées par les pays de la Communauté européenne lors du Conseil européen sur l'emploi de Luxembourg en novembre 1997. La France a décidé de donner priorité au traitement du chômage de longue durée par un train de mesures et dispositifs individualisés, dont le programme "nouveau départ", qui s'articule autour de trois axes : la "prévention", qui consiste à développer l'offre de service à tous les demandeurs d'emploi ; le "traitement du chômage", qui propose systématiquement à tous les jeunes au cours du sixième mois de chômage et aux adultes au cours du douzième mois de bénéficier d'un accompagnement personnalisé ; enfin l'axe "lutte contre l'exclusion", qui offre un accompagnement spécifique aux personnes très éloignées de l'emploi. Ce programme s'appuie sur la politique de globalisation conduite par le Service public pour l'emploi (ANPE, Direction départementale du travail, AFPA), qui consiste à développer une cohérence des services, notamment par la globalisation des enveloppes budgétaires. Cf. Ministère de l'emploi et de la solidarité, Circulaire DGEFP relative à la Mise en œuvre de la globalisation 1999 dans le cadre du Plan national d'action pour l'emploi et des programmes de prévention et de lutte contre les exclusions, n°98-38, 20 Novembre 1998 (BOTR 99/1, 20 Janvier 1999), in Liaisons sociales, n° 12867, 11 Mars 1999. Ce dispositif, décidé à l'échelon européen, constitue une prise en compte nouvelle des demandeurs d'emploi à l'ANPE, par un renforcement de l'accompagnement personnalisé dans une logique plus individuelle de parcours. Il constitue un progrès significatif des pratiques d'accompagnement vers l'emploi, en les rendant plus personnalisées.

379.

Jean GUICHARD, Art. cit., p.126.

380.

Jean GUICHARD, Art. cit., p.135.