1.2.3. Vers une maturité de la pratique d'orientation des MIFE :
La guidance professionnelle personnalisée

Dès leur premier ouvrage, les fondateurs des MIFE ont mis en exergue l'importance d'un accompagnement et d'un suivi personnalisé, en utilisant, déjà en 1987, le terme de "guidance professionnelle" 497 , en référence aux pratiques d’orientation nord-américaines. Ils approfondiront encore leur pédagogie ou anthropogogie de l'orientation, qu'ils exprimeront en 1998, sous l'appellation de "Guidance professionnelle personnalisée", définie comme "une approche globale centrée sur la personne, tenant compte de son histoire, de son environnement, de son identité (...) la mise en œuvre d'outils éprouvés et personnalisés, basés sur des procédures d'histoire de vie et de dynamisation des personnes (...) la dynamique essentielle d'un projet professionnel" 498 . Cette pratique, ancrée dans la théorie rogérienne de l'approche centrée sur la personne, est également définie selon le concept "d'auto-orientation éducative" 499 , intégrant les théories nord-américaines, enrichies d'une dimension d'autonomie, plus spécifique du public adulte auquel elle s'adresse, supposant ainsi la liberté reconnue à la personne de conduire sa vie. Cependant, dans les textes des MIFE, ce terme "auto", est très souvent suivi de celui d'"assisté" 500 , impliquant ainsi la nécessité d'un accompagnement de la personne dans son parcours professionnel.

La guidance professionnelle personnalisée, telle qu’elle est présentée dans les dernières publications des MIFE, s'appuie sur deux courants éducatifs, d'une part l'histoire de vie prenant en compte les acquis expérientiels de l'adulte, plus particulièrement l'autobiographie raisonnée fondée par le professeur Henri Desroche et, d'autre part, les pédagogies de la médiation, introduites en France par le professeur israélien Reuven Feuerstein 501 . C'est dans le deuxième rapport sur les MIFE, publié en 1997, que sont exprimés ces fondements. La pédagogie desrochienne de l'histoire de vie est notamment définie comme "une auto-évaluation assistée, qui contribue au repérage d'acquis et de compétences, constituant un matériau pour l'élaboration d'un nouveau projet professionnel", et la relation du conseiller et de la personne consultante se situe dans une perspective de "médiation éducative où le conseiller facilite l'appropriation par la personne d'éléments de connaissance sur elle-même et sur l'environnement de la formation et de l'emploi" 502 .

Comme nous l'avons déjà évoqué, cette conception éducative de l'orientation, à laquelle les pratiques des MIFE se réfèrent, s'appuie sur un constat socio-économique et sur le postulat de l'éducabilité de la personne. D'une part, les bouleversements socio-économiques qui caractérisent notre société, oblige les personnes à s'orienter d'une manière continue, ainsi que le souligne Robert Solazzi, promoteur de l'orientation éducative au sein de l'éducation nationale : "S'orienter dans un monde indéterminé, c'est accepter le caractère paradoxal de la vie... c'est faire des choix tout en sachant leur caractère provisoire et fragile, c'est s'engager dans un processus avec des projets précis et une stratégie de réalisation, tout en sachant qu'il faudra les réviser, peut-être les abandonner, c'est sans doute, comme Christophe Colomb, s'embarquer pour les Indes... et découvrir l'Amérique" 503 . D'autre part, on peut entrevoir une première percée de la dimension éducative d'orientation, avec la diffusion en France dès la fin des années soixante, des travaux de Carl Rogers sur le développement de la personne qui ont eu pour effet de réaffirmer le postulat d'auto-développement, repris par la suite par celui de l'éducabilité de l'adulte. Dans cette mouvance, l'orientation ou « vocational guidance », définie selon Donald Super, comme un processus "développemental" 504 . dans lequel, à la différence des conceptions antérieures, le choix professionnel est profondément lié à l'identité de la personne. La conception éducative de l'orientation s'appuie aussi sur la théorie de la motivation, développée par Joseph Nuttin, pour qui la motivation humaine est un processus relationnel d'auto-développement composé de fonctions dynamiques et cognitives :"L'être humain est motivé à intervenir de façon intentionnelle et active dans le cours des évènements et surtout dans le développement de sa propre personnalité. Le choix qui, progressivement, l'oriente vers une profession est, dans notre culture, un élément essentiel dans ce développement" 505 . Si la pratique d'orientation de la MIFE s'inscrit dans ce courant qui donne la priorité à la personne et à sa démarche identitaire, la conception de l'orientation éducative passe aussi par le postulat que l'entretien d'orientation est lui-même un acte éducatif, selon le modèle théorique de Guy Avanzini 506 . Ces finalités d’éducabilité et d’auto-développement de l’adulte, portées par les animateurs des MIFE, répondent aux critères de cette conception éducative de l'acte d'orientation. Elles apparaissent explicitement dans leurs écrits dès 1987 et dans les différents articles qu’ils ont publiés 507 .

Ces théories du développement et de l'éducabilité de la personne constituent le "terreau", dans lequel les pratiques d'orientation, mises en œuvre par les MIFE autour de l'histoire de vie et de la médiation éducative, se sont nourries et développées.

Notes
497.

Ministère des Affaires Sociales et de l'Emploi, Pour une méthodologie de l'information sur la formation, la pratique des MIF , Op. cit. p.92. : “Ce terme de guidance utilisé surtout dans les pays anglo-saxons, qui ont mené depuis quelques années une réflexion sur le suivi et l’accompagnement des adultes en matière d’orientation, pourrait être assez approprié pour exprimer les pratiques mises en œuvre par les MIF” .

498.

Cf. Faites savoir vos savoir-faire , plaquette d'information, Intermife rhône-Alpes, Janvier 1999, p.2 .

499.

Ibid.

500.

Les MIFE utilisent le terme de "auto-documentation assistée", dans le sens que la personne qui vient consulter librement le centre de ressources documentaires, peut bénéficier à tout moment de l'assistance d'un chargé d'information.

501.

Cf. Gaston PARAVY, Les Maisons de l'Information sur la Formation, État des lieux, analyse et propositions, Rapport au Ministre du Travail et des affaires sociales, Intermife, Chambéry, Février 1997, 83 p. Cf. Document Intermife : Faites savoir vos savoir-faire , Intermife rhône-Alpes, Janvier 1999, 4 p.

502.

Gaston PARAVY, Les Maisons de l'Information sur la Formation, État des lieux, analyse et propositions, Op. cit. , pp.34-36.

503.

Robert SOLAZZI, "Pistes nouvelles pour l'orientation", Intervention à la 1ère Université d'Hiver de la Formation Professionnelle, Les Karellis, Avril 1989.

504.

Donald SUPER, "A theory of vocational Development. American psychologist", Extrait in Luc BEGIN, "Genèse des shèmes de conceptualisation, organisation du moi et éducation à la carrière" in Pour une approche éducative en orientation, Montréal, Gaëtan MORIN, 1984, pp. 131-136.

505.

Joseph NUTTIN, "Fonctionnement et développement de la motivation humaine" in Pour une approche éducative en orientation, Op cit, pp. 40-56.

506.

Guy AVANZINI "De la formation et de l'éducation des adultes" in Bulletin Société Alfred Binet et Théodore Simon, Lyon, n°599, 1984, pp.171-172.

507.

Agnès BERJON, Rencontre éducative et entretien d'orientation, mémoire DHEPS, Université Lyon 2, ISPEF, 1991. Cf. aussi, en bibliographie, l’ensemble des articles publiés dans la revue semestrielle Guidance Savoie, depuis 1983, ainsi que quelques articles publiés dans la revue AFP du Centre INFFO, sous la signature de Pierre-Henry Dupille, directeur de la MIFE de Cergy, et de Gaston Paravy directeur de la MIFE de Savoie. Une étude plus approfondie de ces quelque cinquante textes serait intéressante à réaliser, afin de percevoir l’évolution de la théorisation.