1.3.2. Une expérimentation interministérielle pour promouvoir le bilan de compétences

En 1986, la Délégation à la formation professionnelle engage une expérimentation d'abord sur dix sites pendant un an, de "Centres interinstitutionnels de bilans d'expériences personnelles et professionnelles", qui prendront rapidement le nom de « centres interinstitutionnels de bilans de compétences personnelles et professionnelles » (CIBC). La lecture des premiers textes, réglementant l'expérimentation et la poursuite de la mise en œuvre des CIBC, est révélatrice de l'évolution de ces structures.La circulaire du 14 mars 1986 de mise en œuvre de l'expérimentation 514 est immédiatement suivie d'une note technique, en date du 30 juin 1986, reprenant l'essentiel de la circulaire, avec néanmoins quelques aménagements. Enfin la poursuite du dispositif est décidée en 1988 sur la base du rapport d'expérimentation et d'une étude réalisée pour la Délégation à la formation professionnelle par un des centres expérimentaux 515 .

Tout d'abord, les finalités de la mise en œuvre de l'expérimentation, exprimées dans le préambule des premiers textes —"favoriser la naissance de la demande individuelle ou collective de formation " et "garantir aux bénéficiaires de la formation la reconnaissance de ce qu'ils ont acquis" 516 —, situent clairement les pratiques de bilans dans le champ de la formation continue. À aucun moment, le terme d'orientation professionnelle n'est présent dans ces premiers textes, comme mis à l'écart au profit d'une formation encore puissante, qu'il faut favoriser et valider. La circulaire de 1986 détermine les quinze lieux d’expérimentation, principalement des organismes publics. Si la pluralité des structures est fortement recommandée dans le premier texte, trois mois plus tard, les élections législatives ayant transformé le paysage politique en instaurant un gouvernement de cohabitation, une nuance est apportée dans la note technique du 30 juin 1986, dès le premier chapitre traitant de l'organisation : "Le Centre de Bilans est l'expression d'un projet interinstitutionnel dont la délégation régionale à la Formation Professionnelle, l'ANPE, L'AFPA et l'Éducation nationale sont les principales parties prenantes" 517 . L'interinstitutionalité de ces centres est donc définie de manière très claire, exclusivement entre administrations d'État ou organismes de formation sous tutelle de l'État, tels l'AFPA ou les GRETA. Sur les quinze sites expérimentaux, on compte deux associations, sept établissements du ministère du Travail, dont trois centres de formation AFPA, et six établissements de l'Éducation nationale, dont cinq GRETA 518 .

Il est à souligner que, même avec la même chargée de mission à la Délégation à la formation professionnelle, à la fois responsable des dossiers des MIFE et de l'expérimentation des CIBC,, aucun site d'expérimentation n’a pu être attribué à l'une des trois MIFE, malgré un positionnement de l’une 519 . On retrouve sans doute là les scissions historiques entre information et orientation, entre les institutions traditionnelles de l'orientation, issues des ministères du travail et de l'éducation nationale, et les structures émergeant des collectivités territoriales.

Même si, selon la circulaire, "il importe que le centre de bilan ait une assise locale solide et travaille en liaison avec l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle et de l'emploi du bassin d'emploi ou de la zone géographique" 520 , la priorité est donnée au Service public de l'emploi 521 et les collectivités territoriales se trouvent exclues du partenariat, en contradiction avec le mouvement de régionalisation qui, depuis 1983, attribue la gestion des dispositifs de formation professionnelle aux régions. L'État, initiateur et financeur de cette expérimentation, impose donc ses propres structures. On peut noter une différence avec la mise en place de l'expérimentation des MIFE qui, dès le début, se caractérise par une large interinstitutionalité et une assise territoriale très forte. Il est vrai que, à cette période, il était plus fréquent que l'État vienne en appui des initiatives déjà prises et financées par les collectivités territoriales.

Les centres de Bilans, qui doivent s'appuyer "sur des structures existantes, disposant déjà d'une équipe compétente dans le domaine des bilans et des évaluations" 522 , pour un certain nombre, ne tiendront pas compte de cette préconisation, en créant progressivement leurs propres associations-supports. La circulaire du 12 avril 1988, qui dresse un bilan de l'expérimentation, constate que "trop souvent, en effet, les structures supports de centres de bilan ont restreint de fait de façon importante les apports des autres institutions parties prenantes du centre de bilan " 523 . Dans les trois textes réglementaires, avant et après l'expérimentation, la pratique du bilan de compétences personnelles et professionnelles est ainsi définie : "Un bilan doit donner la possibilité à toute personne volontaire de repérer les éléments de sa qualification acquis par le travail, la formation ou l'expérience sociale, de les faire définir, de les prouver, de les faire évaluer" 524 . On reconnaît là l'approche française des pratiques de validations des acquis où l'évaluation par un expert reste prioritaire. La démarche de bilan est accessible aux salariés comme aux demandeurs d'emploi ; un contrat est signé entre le demandeur de bilan, le financeur et le centre. Cinq étapes du bilan sont également déterminées : une première phase "d'accueil et d'information sous la forme d'un entretien exploratoire permettant de préciser la demande " et débouchant sur "un contrat précisant les conditions de participation active de l'intéressé, et les prestations que l'équipe du centre s'engage à lui proposer " 525 ; une deuxième phase "d'exploration personnelle", au cours de laquelle sont révélées les compétences exercées dans le cadre d'expériences professionnelles, sociales ou de savoirs appris par l'expérience ou la formation ; enfin, une troisième phase "d'évaluation et de recherches des preuves des acquis ", dans laquelle l'équipe du centre intervient largement ; une quatrième phase de "maturation ", plus individuelle "permettant d'accepter les constats faits" ; et enfin un dernier temps de "synthèse ", réalisée conjointement par les différents membres de l'équipe, permet "d'élaborer ou de confirmer un projet professionnel ou de préciser les cibles professionnelles réalistes et les cursus d'emploi ou de formation y conduisant " 526

Le bilan est une activité personnelle, qui peut être complétée par des séances collectives pour les évaluations de capacités. Ses résultats, propriété exclusive de l'individu, sont transmis sous forme d'un dossier individuel résumant les compétences repérées et leur niveau et constituent "les premiers éléments du portefeuille de compétences" 527 . Mais, en l'absence de véritable législation sur la validation des acquis 528 ., l'objectif initial du bilan, qui était la reconnaissance et la validation des acquis, ne pouvait qu'être réduit en un diagnostic de compétences, composante d'un portefeuille personnel de compétences, encore peu monnayable pour un accès en formation ou en emploi.

La prestation de bilan, dont la durée moyenne, de quinze à dix-huit heures, est réalisée au moyen d'entretiens approfondis, d'instruments d'évaluation des connaissances, des savoir-faire ou des aptitudes des individus (tests, méthodes d'évaluation des capacités professionnelles, outils d'auto-évaluation), de techniques de recherche d'emploi etc... Elle intègre "l'information sur les possibilités offertes dans le cadre de l'environnement local en matière de validation, de formation et d'emploi" 529 . Enfin, l'équipe technique du centre de bilan doit être elle-même interinstitutionnelle (au moins trois institutions différentes) et interdisciplinaire, composée de formateurs et de psychologues spécialisés dans les domaines du conseil, de l'orientation, de la formation, de l'emploi, même si la tendance sera la prééminence des psychologues dans certains sites 530 .

Un groupe de pilotage local, composé de partenaires locaux institutionnels et sociaux, coordonne l'équipe technique qui doit rendre compte de son activité. Même s'il est demandé aux centres de rechercher des financements complémentaires auprès des entreprises et des collectivités territoriales, le financement des centres de bilans est assuré principalement par une subvention d'État, en fonction du nombre de prestations de bilans réalisés 531 . Le bilan est gratuit pour le consultant lorsque la personne est acheminée par un organisme prescripteur (ANPE, entreprises, organismes paritaires de la formation professionnelle), ou dans le cadre des programmes de formation relevant des pouvoirs publics (conventions de conversion, RMI, crédit formation..).

L'expression "bilan de compétences personnelles et professionnelles" a subi quelques aménagements durant l'expérimentation. En effet, dans la première circulaire de 1986, l'expression initiale de "bilans d'expérience personnelle et professionnelle ", en mettant l'accent sur l'expérience plutôt que sur la compétence, traduisait une certaine hésitation du législateur sur le contenu de l'évaluation, oscillant entre deux difficultés : évaluer par un processus d'expertise, d'une part, une expérience toujours unique et personnelle et, d'autre part, des compétences, certes plus universelles mais toujours contextualisées. En effet, si le concept de compétences se définit comme un "ensemble de connaissances, de capacités d'action et de comportements structurés en fonction d'un but et dans un type de situations données" 532 , il est beaucoup plus difficile de le rendre opératoire et d'en dresser un bilan lorsque les personnes sont sans activité, rendues inemployables par un chômage de longue durée ou déstabilisées par une menace de licenciement.

Notes
514.

cf.Circulaire n°36 du 14 mars 1986 du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle relative à la "mise en œuvre de l'expérimentation d'une dizaine de centres de bilans d'expérience personnelle et professionnelle ", in Bulletin de liaison DFP n°86/6.

L'expérimentation porte sur 15 centres répartis dans onze régions : en Alsace, l'Association pour la Réadaptation et la Formation Professionnelle de Mulhouse, qui jouera un rôle de leader dans le groupe expérimental ; en Bourgogne, l'ANPE de Chalons sur Saône ; en Bretagne le GRETA de Rennes ; dans la Région Centre, l'AFPA de Bourges ; en Ile de France, le GRETA de Créteil, le GRETA de Sarcelles, l'AFPA de Stains ; en Limousin, une association Centre de Bilan de Limoges ; en Lorraine, le CAFOC de Nancy ; en Midi-Pyrénées le GRETA de Castres et l'ANPE de Toulouse ; dans le Nord-Pas de Calais, l'ANPE de Dunkerque ; en Poitou-Charentre, l'AFPA de La Rochelle et l'ANPE de Poitiers ; en Rhône-Alpes, le GRETA de Saint-Etienne.

515.

Cf. Circulaire n°1052 du 12 avril 1988 du ministère des Affaires Sociales et de l'Emploi, délégation à la Formation Professionnelle sur la " poursuite de la mise en œuvre des Centres de bilan pour 1988 et leur financement ", in Bulletin de liaison n°88/07 ; et Cf. B. BARTHE et JF. HIRN, Note de synthèse sur le rapport de l'expérimentation des centres de bilan personnel et professionnel, DFP, Mai 1988 15 p. Notons qu'à la différence de l'expérimentation des MIFE, cette étude n'a pas été réalisée par un organisme extérieur d'audit mais par l'association pour la réadaptation et la formation professionnelle, centre de bilan de Mulhouse.

516.

cf. Circulaire n°36 du 14 mars 1986 et Circulaire n°1052 du 12 avril 1988 du ministère des Affaires Sociales et de l'Emploi, délégation à la Formation Professionnelle, signée par le Délégué à la Formation Professionnelle André Ramoff, sur la poursuite de la mise en œuvre des centres de bilan pour 1988 et leur financement , in Bulletin de Liaison n°88/07.

517.

Note technique du 30 juin 1986 du ministère des Affaires sociales et de l'emploi, délégation à la Formation professionnelle, sur " l'expérimentation des Centres de Bilans d'expériences personnelles et professionnelles" , in Bulletin de liaison n°86/18.

518.

Une question se pose quant au choix des GRETA plutôt que des CIO, dans la mise en place des structures centres de bilan par l'Éducation nationale. Il semblerait qu'au sein même du ministère, entre direction de l'orientation et direction de la formation continue, la confrontation ait abouti à l'avantage de la seconde, à partir du moment où ces centres relevaient des dispositifs de formation professionnelle continue et où un recentrement était opéré sur l'orientation professionnelle des publics scolaires dans les CIO. Mais les GRETA, n'ayant pas d'entité juridique, étaient eux-mêmes directement gérés par les établissements scolaires, ce qui renforce la contradiction d'un dispositif de bilan-orientation des adultes et des jeunes issus du système scolaire, piloté en fait par des établissements scolaires.

519.

Dans la circulaire du 14 mars 1986 de lancement de l'expérimentation (une des dernières que le Ministre, Michel Delebarre a signé avant de quitter le gouvernement), les MIFE étaient mentionnées comme sites possibles d'expérimentation, aux cotés de l'ANPE, des Missions locales, de l'AFPA, des GRETA etc. Et la MIFE de Cergy avait effectivement constitué un dossier de candidature, qui ne put malheureusement aboutir, du fait, semble-t-il, d'un blocage de l'ANPE locale. Josette Pasquier, chargée de suivre les deux expérimentatiosn, elle-même d’origine de l’éducation nationale (ONISEP), n’avait peut-être pas perçu à sa dimension l’avancée qu’avaient réalisé les MIFE dans l’accompagnement des adultes, pour appuyer à l’échelon national un site d’expérimentation MIFE ; et les MIFE elles-mêmes n’avaient peut-être pas évalué à sa dimension l’enjeu de l’expérimentation d’un centre de bilan.

520.

Note technique du 30 juin 1986, p.2.

521.

Le Service Public de l'Emploi (SPE) regroupe à l'échelon départemental la Direction du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP), l'ANPE et l'AFPA. S'y adjoindront les structures d'accueil Jeunes (misions locales, PAIO) en fonction des priorités nationales, ainsi que l'Education Nationale.

522.

Note technique du 30 juin 1986, p. 1.

523.

Circulaire n° 1052 du 12 avril 1988 citée.

524.

On peut constater quelques variantes dans les trois textes : le terme "compétences" apparu dans la note technique de juin 1986, disparaît en 1988 (il sera néanmoins repris plus tard) ; les acquis de la vie personnelle et sociale sont ajoutés dès la note technique ainsi que la nécessité de les "prouver" ; on peut remarquer, dans les différents textes, une hésitation quant à "définir" ou "faire définir" ces acquis pour le consultant.

525.

cf. Note technique du 30 Juin 1986.

526.

cf. Note technique du 30 juin 1986 citée.

527.

cf. Circulaire du 12 avril 1988 citée.

528.

Si quelques principes et modalités d'organisation de la validation des acquis ont pu être définis dans un certain nombre de circulaires ministérielles ou interministérielles depuis 1985 (cf. circulaires interministérielles du 29 mai 1989 et du 28 août 1989, circulaire du 25 janvier 1990 du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, note de service du 12 juillet 1989 du ministère de l'Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, circulaire n°2003 du 21 février 1990 du ministère de l'Agriculture et de la forêt, et circulaire du 10 août 1990 du secrétariat à la Jeunesse et des sports), sans véritable loi rassemblant l'ensemble des initiatives ministérielles et en provenance des partenaires socioprofessionnels, le processus de validation des acquis ne pouvait trouver un ancrage institutionnel suffisant. Le projet de réforme de la VAP, annoncé en janvier 2000 à la 6ème Université d'Hiver de la formation professionnelle par Nicole Péry, Secrétaire d'État à la formation professionnelle, devrait en instaurer un véritable accès.

529.

cf. Circulaire du 12 avril 1988 citée.

530.

Danielle COLARDYN, Bilans de compétences personnelles et professionnelles , Op. cit. , p. 237.

531.

Un coût moyen horaire a été déterminé, de l'ordre de 110 francs en 1992.

532.

Patrick GILBERT et Michel PARLIER, "La compétence : du mot "valise" au concept opératoire", in Actualité de la Formation Permanente , n° 116, janvier-février 1992, pp. 14-18.