1.3.3. Un réseau national de centres de bilan

En 1988, sur la base d'un rapport favorable, l'expérimentation des CIBC est donc pérennisée : l'apport de l'interinstitutionnalité, même si sa mise en place n'a pas toujours été facile et diversifiée à l'échelon local, a été unanimement reconnu pour la pertinence de la démarche-bilan 533 . À partir de1989, le réseau des CIBC se développe sur tout le territoire, à raison d'un centre et plus par département 534 , toutefois, sans liens institutionnels avec celui des Maisons de l'information sur la formation.

La circulaire du 14 juin 1989, signée conjointement par Jean-Pierre Soisson, alors ministre du Travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et par André Laignel, secrétaire d'État chargé de la Formation professionnelle, relative au "développement et au financement des centres interinstitutionnels de bilan de compétences personnelles et professionnelles", est suivie, en annexe, d'un cahier des charges établissant les règles de déontologie. Ces derniers textes n'apportent pas de changements fondamentaux quant aux missions des CIBC, qui doivent à la fois "assurer des prestations d'évaluation, de reconnaissance des acquis, de bilan de compétences" 535 . La dimension "strictement personnelle et volontaire" de la démarche de bilan est réaffirmée. Cependant, dans la circulaire, on peut noter quelques évolutions significatives quant aux finalités, avec notamment la réapparition du concept d'orientation. En effet, dans le préambule, la pratique des bilans de compétence s'inscrit, en plus du cadre général de la politique de reconnaissance et de validation des acquis, dans celui "des programmes que l'Etat finance en matière d'emploi ou de formation professionnelle (qui) comportent des opérations d'évaluations et de bilans" 536 . Cette pratique est située plus globalement, soit comme composante d'une action de formation (en début ou en fin), soit comme "contribution à une démarche d'orientation ou de recherche d'emploi". Le bilan de compétences se trouve ainsi resitué dans une perspective plus large de formation, d'orientation et de recherche d'emploi. De plus, à côté de celles des CIBC, sont reconnues d'autres pratiques de bilans, sous l'appellation de "prestations d'évaluation", voire d'"aide au bilan et à l'orientation ", comme celles de "l'APEC, l'ANPE, ou les CIO et d'autres formes de bilans " à destination des salariés ou non salariés 537 . Les objectifs et les missions se sont enrichis en fonction de l'expérience acquise, du positionnement institutionnel et de la situation socio-économique. D'une part, l'idée d'un pôle central est mise en exergue par la création, dans chaque département, "d'une équipe pluridisciplinaire de spécialistes de l'évaluation, de l'orientation et de reconnaissance des acquis issus de différentes institutions, pour assurer en commun des bilans de compétences personnelles et professionnelles pour tout public dans le respect du cahier des charges spécifique aux CIBC ". Il est préconisé que le CIBC constitue "un lieu ressources pour les autres spécialistes et professionnels assurant des prestations d'évaluation et/ou de bilans dans les différents organismes de bilan du département ..." D'autre part, le CIBC a pour autre mission "d'adapter, tester, créer des outils d'évaluation et de bilan communs, au regard des règles déontologiques du cahier des charges des CIBC en collaboration avec les autres institutions responsables de la fonction évaluation/bilan".

Enfin, la mission de suivi individuel est réaffirmée dans la démarche de bilan, avec l'obligation d'assurer "une fonction de guidance (aide au cheminement) après le bilan et un relais efficace avec les institutions partenaires", toutefois sans que les modalités organisationnelles et financières ne soient précisées.

Concernant la structure juridique des centres de bilan, le texte privilégie la forme associative, afin "d'assurer l'autonomie et la neutralité par rapport aux directions des ressources humaines des entreprises et aux organismes de formation publics et privés" 538 et donne un délai d'un an pour mettre l'ensemble des centres en conformité.La circulaire précise que "chaque fois que cela sera possible, la participation des collectivités territoriales sera également sollicitée".

Le cahier des charges, qui reprend les missions et leurs conditions d'exercice, mérite également une analyse. Dans le préambule, l'autonomie, l'interinstitutionnalité et la pluridisciplinarité du centre sont réaffirmées, ainsi que sa mission d'appui aux autres institutions de bilan et de conseil professionnel. Ses obligations vis-à-vis des demandeurs de bilan sont définies selon six axes : "accueillir et informer tout public demandeur de bilan, négocier et organiser la restitution des résultats du bilan aux financeurs, organiser et assurer le bilan, assurer la synthèse du bilan et constituer les éléments du portefeuille de compétences, offrir une prestation d'aide au cheminement (guidance) pendant et après le bilan, enfin préparer la reconnaissance et/ou la validation des acquis repérés et évalués au cours du bilan" 539 . L'émergence de la fonction de guidance, encore peu explicitée et confondue avec le suivi administratif, consistant à "adresser à chaque bénéficiaire de bilan au bout de six mois un questionnaire sur les suites à donne au bilan", traduit cependant une prise de conscience de l'impossibilité de limiter le processus d'élaboration de projet professionnel et d'orientation à la phase de bilan. Le cahier des charges précise que "tout bénéficiaire d'un bilan doit trouver ultérieurement auprès de l'équipe du centre comme auprès des organismes compétents des informations et des conseils pour utiliser au mieux les résultats de ce bilan dans des démarches ultérieures de recherche d'emploi, de mobilité, d'accès à la formation" 540 . Les moyens de fournir ces informations et ces conseils ne sont cependant pas précisés au centre de bilan qui n'a pas vocation, dans les textes, à organiser un centre de ressources documentaires. On peut ainsi souligner la contradiction d'une pratique de bilan financée à l'acte (selon un tarif horaire), qui nécessite un suivi dans le temps, ou mieux, une guidance, mais dont les conditions d'exercice ne sont pas établies.

De même, il est conseillé aux organismes déjà existants, chargés de l'accueil du public, de coopérer à la mission d'accueil et d'information du CIBC. La question de l'insertion des CIBC dans le paysage de l'orientation se trouve posée ici, accentuée par le choix d'avoir privilégié la création d'une structure supplémentaire, chargée de mettre en œuvre une des phases du parcours d'orientation, le bilan. L'approche interinstitutionnelle peut paraître satisfaisante pour les institutions qui partagent ainsi une mission, sans préséance de l'une ou de l'autre, mais pour le public, éloigné de ces subtils calculs d'équilibre, cela s'est traduit par un organisme de plus à consulter pour trouver une aide dans l'élaboration de son projet. L'effet de structure, inexorable, a joué son rôle de défense et de mise en avant, permettant d'occuper une place dans un paysage déjà bien éclaté.

Au plan pédagogique, les outils d'évaluation déjà présentés dans les textes antérieurs se sont ouverts aux "techniques de l'histoire de vie", qui relèvent d'une problématique plus éducative. Le rapport d'expérimentation montre d'ailleurs qu'il n'y a pas eu de création d'outils spécifiques mais une utilisation plus coordonnée de l'existant. Enfin, dans le cahier des charges, aux autres missions déjà évoquées sont venues s'ajouter celles de "servir de témoins d'une déontologie ", de "mettre son expérience au service des autres spécialistes " et "d'assurer des opérations de bilans complexes ", donnant aux CIBC une prérogative en les plaçant dans un rôle référent pour les autres institutions. Ces préconisations ne semblent pas avoir eu d'effet dans la pratique, au vue du bilan réalisé en 1994 par la Direction de l'animation et de la recherche, des études et des statistiques (DARES), du ministère du Travail et des affaires sociales 541 , soulignant que "la pratique du bilan de compétences a été conjointement développée par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux" 542 , les CIBC réalisant une part de 47% du nombre total des bilans réalisés, auprès d'un public de demandeurs d'emploi pour 75%. Selon l'enquête de la DARES, si les CIBC sont centrés sur l'activité de bilan, il n'en est pas de même pour les autres prestataires privés, menant parallèlement des activités de formation, pour plus de 65% d'entre eux, de conseil pour 43% ou de recrutement pour 31,5%. Enfin, concernant les salariés, une étude de la DARES révèle que les bilans de compétences réalisés dans ce cadre légal ne constituent "qu'une infime partie des pratiques d'orientation", celles-ci se diversifiant selon deux critères : la maîtrise par l'entreprise et l'ouverture vers la recherche d'emploi 543 .

Ces textes réglementaires, qui ont généré un nouveau type d’institution et des pratiques formalisées de bilan de compétences personnelles et professionnelles, ont préfiguré et inspiré les textes législatifs et contractuels qui enrichiront le droit à la formation, en mettant en œuvre un nouveau droit individuel à l'orientation professionnelle.

Notes
533.

Délégation à la Formation Professionnelle, Note de synthèse sur le rapport de l'expérimentation des centres de bilan personnel et professionnel, mai 1988, 15 p.

534.

En 1996, On comptait 110 CIBC en selon l’étude de la DARES sur les organismes de bilans de compétences(cf. Ministère de l’emploi et de la solidarité, DARES, Premières Informations , n°515, 21 mars 1996, p. 3).

535.

cf. Circulaire n° 1944 du 14 juin 1989, in Ministère du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, Reconnaissance et validation des acquis, textes généraux, Paris, Délégation à la formation professionnelle et Centre INFFO, 1992, .p. 5.

536.

cf. Circulaire n° 1944 du 14 juin 1989, in Op. cit. , .p. 5.

537.

Ibid, Dans l'ensemble des textes concernant les centres de bilan de compétences, à aucun moment ne sont mentionnées les Maisons de l'Information sur la Formation et l'Emploi. Peut-on seulement expliquer ce silence par les aléas de la décentralisation, par le fait que les MIFE, pourtant reconnues dans leur mission d'aide à l'orientation par les mêmes décideurs à l'échelon national, n'ont pas bénéficié d'un développement systématique dans chaque département et sont restées dépendantes de l'initiative territoriale, même relayée par l'État ? Peut-on même avancer que l'expérimentation des CIBC, exclusivement conduite par les services exécutifs de l'État, pouvait constituer une affirmation de ce dernier face à une décentralisation, pourtant décidée par lui, qui, en donnant davantage de pouvoir aux collectivités territoriales, venait atténuer la puissance d'un État historiquement centralisateur ?

538.

Circulaire n° 1944 du 14 juin 1989, in Op. cit., p. 5. Le conseil d'administration comprend obligatoirement le Délégué Régional à la Formation Professionnelle, le Directeur Départemental du Travail et de l'Emploi, l'ANPE et les principaux commanditaires et/ou financeurs publics de bilans.

539.

" Cahier des charges des CIBC ", in Op. cit. , pp. 7-8

540.

cf. "Cahier des charges des CIBC ", in Op. cit. , p. 5 On peut regretter que, dans le texte, les "organismes compétents" ne soient pas mentionnés.

541.

DARES, "Les organismes prestataires de bilans de compétences", in Premières informations, Ministère du Travail et des affaires sociales, n° 515, 21 Mars 1996, 4 p.

542.

Idem, p. 1.

543.

Idem, p. 4.