Si le récit biographique peut être considéré comme un matériau de fondation du projet, l'information professionnelle est un matériau également constitutif du projet qui intervient plus avant dans sa construction. Afin de souligner la dimension d'échange vécu dans la relation interpersonnelle de l'entretien, nous distinguerons deux registres : l'information reçue par le conseiller et celle qui est donnée à la personne consultante.
L'information reçue par le conseiller
Le récit de vie, selon les termes de Josette Pasquier, est "l'expression de l'expérience", et notamment "rend compte de l'histoire du travail et des conditions de travail" 627 . En effet, c'est aussi à travers les descriptions de multiples situations de travail que le conseiller peut se donner une représentation d'un métier, d'une profession, d'un type d'emploi. Non seulement il s'enrichit de l'expérience globale d'une personne qui parle sa vie, mais il acquiert et accumule une connaissance des différents milieux professionnels et lieux de travail de sa région. Comme le souligne Vincent de Gaulejac : "Un ouvrier qui raconte son histoire donne à la fois une série d'informations objectives sur les conditions de vie, les valeurs, les habitudes de son groupe et de sa classe et sur son rapport singulier à ces conditions, ses valeurs et ces habitudes. Certes, les caractéristiques proprement sociologiques du récit n'apparaissent pas d'emblée. Elles ne deviennent en quelque sorte "objectives" qu'à partir du moment où on les recoupe avec d'autres discours ou avec d'autres types de données" 628 .
En accompagnant une personne dans son récit de vie, le conseiller reçoit lui-même de l'information, qui nourrira ses propres représentations sur les filières professionnelles et viendra enrichir sa propre connaissance de l'environnement local de l'emploi. Nous ne nions pas le caractère subjectif de cette connaissance partagée, qui passe par le canal de deux perceptions et représentations. Mais, par les recoupements facilités sur un territoire délimité géographiquement, ces éléments peuvent atteindre une certaine forme d'objectivité.
Nous voyons ici une réponse, certes incomplète, à la difficile question de l'appréhension de la multiplicité de métiers et de professions par le conseiller, qui peut actualiser sa propre connaissance non seulement par la documentation, les médias, les contacts avec les professionnels mais aussi par des informations vivantes et contextualisées délivrées lors de sa rencontre avec les personnes consultantes.
L'information professionnelle donnée
L'information professionnelle donnée à la personne aide le projet à prendre corps et en est la première étape de concrétisation. Plus cette information est exhaustive, plus l'étayage sera solide. Il lui restera ensuite à sonder sa propre motivation et son désir, avant de prendre une décision. L'information professionnelle contient un certain nombre d'éléments formels et informels sur l'offre de formation, la connaissance du tissu économique local, de l'actualité socio-économique locale, du droit du travail et de la formation, des filières de formation, des métiers, des référentiels d'examens etc.
Nous voudrions insister sur la qualité documentaire nécessaire à la guidance professionnelle, non seulement dans le souci d'une exhaustivité et d'une efficacité de la réponse mais également dans un but de respect de la personne qui vient demander conseil. Nous avons vu précédemment combien le dispositif de formation d'adultes est vivant, mais complexe ; l'information professionnelle exige donc un traitement adapté et personnalisé. De même que l'écoute est centrée sur la personne, l'information professionnelle sera aussi centrée sur la personne.
En donnant des informations fiables, exhaustives et actualisées, le conseiller facilite le travail de représentation nécessaire à l'élaboration du projet. Cette professionnelle est traitée par la MIFE, qui développe un centre documentaire au service du public, c’est-à-dire susceptible de répondre à des milliers de cas particuliers. Ce travail de traitement de l'information se réalise au moyen de documents spécialisés et répertoriés à l'échelon national 629 et, localement, grâce aux contacts réguliers avec les organismes de formation, les services de l'administration et les différents acteurs locaux de la formation et de l'emploi. Les informations contenues dans les bases de données locales ou nationales d'offre de formation et de filières professionnelles sont particulièrement utiles aux personnes qui peuvent en emporter les descriptifs imprimés. Les médias enrichissent la connaissance du tissu socio-économique local ainsi que les propres réseaux de relations des conseillers qui, intégrés dans la vie sociale du territoire, peuvent être eux-mêmes diffuseurs d'une information transversale et complémentaire 630 .
S'aidant d'une documentation vivante et toujours renouvelée, tendant à répondre à chaque cas particulier, le conseiller effectue un travail de synthèse permettant l'assimilation des informations par la personne. L'information professionnelle, tel un corpus didactique, est explicitée dans le souci d'une compréhension optimale — rappelons que le langage de la formation est particulièrement hermétique au non-spécialiste, utilisant un grand nombre de sigles, d'expressions que l'on pourrait assimiler à du jargon. Cette complexité oblige le conseiller à "digérer" les contenus et à les exprimer dans un langage plus accessible 631 .
Enfin, l'exhaustivité de l'information professionnelle place la personne face à sa propre motivation, dans son processus de décision et dans son choix 632 . Elle a donc une double valeur éducative, d'une part en enrichissant, pour la personne consultante, sa connaissance de l'environnement professionnel et, d'autre part, en constituant un élément d'aide au choix.
La prestation d'orientation MIFE est composée d'un double corpus : le récit biographique avec, selon l'expression de Bonvalot et Courtois, "l'autobiographie-bilan" et "l'autobiographie-projet", qui marque bien l'interaction entre "l'autobiographie qui alimente le projet et le projet qui s'ancre dans la personnalité du sujet par l'autobiographie" 633 , ainsi que l'information professionnelle assimilée par la personne grâce à la médiation du conseil. Nous avons vu que le but du récit biographique est de faire émerger le projet à partir du bilan, l'information professionnelle ayant un rôle d'étayage du projet professionnel. Ces composantes doivent être intégrées par la personne, tel un corpus de connaissances dans une situation d'apprentissage. S'il n'y a pas cette assimilation, la prestation d'orientation sera réduite à une simple diffusion d'informations, dont les effets seront incertains sur la mise en mouvement de la personne.
La démarche du récit biographique, qui pose la personne-consultante comme sujet et acteur, restaure celle-ci dans son identité. En prenant en compte les trois dimensions temporelles de sa vie, elle peut se situer ainsi culturellement, socialement et psychologiquement. En effet, la plupart du temps, quand il vient à la MIFE, l'adulte traverse une crise, professionnelle, personnelle et a perdu en partie ce qui est sens pour sa vie. Comme le dit Michel Serre, "le mot crise veut dire décision en grec. Il désigne le point d'appui de la balance, le lieu où ça penche — la crise est un signe de transition" 634 . L'entretien d'orientation représenterait un espace transitionnel, de préparation au changement. En récapitulant son histoire de cette manière synthétique, la personne peut prendre conscience des moments clés, des tournants qu'elle a déjà franchis, et retrouver une certaine unité de son identité ainsi qu'un sens à sa démarche. Cette pratique d'entretiens centrés sur la personne est susceptible de faire émerger les possibilités de changement et de progression, en même temps que les points d'ancrage d'un apprentissage à venir, les essais de dépassement en même temps que le désir d'accomplissement. Dans le récit biographique, le conseiller ne joue pas seulement le rôle d'animateur régissant le cadre du récit, orchestrant les informations données. De même que la personne, en parlant de soi, vit un processus de changement, de même, dans l'échange, se situe-t-il dans une dynamique éducative, à la fois de construction de savoir et d'accompagnement.
Josette PASQUIER, "Histoire de vie: les utilisations de la démarche autobiographique en formation", intervention au colloque de Tours de juin 1986, in Etudes et Expérimentations, Délégation à la Formation Professionnelle, n°22, nov-déc 1986, pp. 25-30.
Vincent de GAUGELAC, "Approche socio-psychologique des histoires de vie", in Education Permanente , n° 72-73, 1984, p. 37. Dans le temps imparti à la prestation d'orientation, seuls quelques éléments de l'histoire professionnelle sont échangés, mais souvent significatifs car triés, ils ont valeur de connaissance.
Une liste en a été établie dans l'ouvrage des MIFE, et réactualisée dans le cahier des charges des EMOP.
Cf. Pour une méthodologie de l'information sur la formation, Op cit., pp. 35-37 ; Cahier des charges en annexe de la convention relative aux Entretiens et modules d'orientation personnalisée, signée entre le Conseil régional Rhône-Alpes et le réseau rhônalpin des MIFE.
En effet, une personne insérée et acteur dans un environnement social déterminé représente une source de savoir importante. Cette dimension de proximité n'est pas suffisamment prise en compte par l'État, qui privilégie la mobilité de ses agents. Or, dans le domaine de l'insertion et de l'emploi, le manque de connaissances et d'enracinement dans la culture locale peut entraver l'action de médiation sociale et professionnelle.
Le fait que la plupart des conseillers n'ait pas de formation juridique au départ est intéressant parce qu'ils doivent se former eux-mêmes au droit de la formation et du travail, et peuvent ainsi comprendre de "l'intérieur" les difficultés des personnes en recherche professionnelle, confrontées à ce langage quelque peu abscons.
Le caractère exhaustif de l'information est très vite perceptible par les personnes consultantes et le moindre défaut est sujet d'insatisfaction. Un certain nombre de services d'orientation, n'ayant pas suffisamment développé leurs sources documentaires en termes de dispositifs et de stages de formation d'adultes, se sont mis en situation de recevoir un grand nombre de critiques de la part du public, insatisfait des informations reçues. Nous verrons dans le dépouillement de nos entretiens d'enquête que la MIFE, pour deux cas, n'a pas échappé à la critique.
Guy BONVALOT et Bernadette COURTOIS, Art. cit., p. 152.
Michel SERRES, "Nous bombardons le paradis" in Télérama , n°2146, 27/02/91, p.14.