En préalable, il nous paraît nécessaire de rappeler une nouvelle fois le caractère libre et volontaire de la démarche d'orientation MIFE. La personne vient volontairement et peut donc engager librement sa responsabilité 638 . Dans une première définition de cette pratique, trois temps ont été dégagés dans le processus d'entretien d'orientation, le premier accueil, l'entretien et le suivi. L'EMOP se décline en fonction des besoins des consultants, selon trois phases — l'entretien approfondi, les modules d'orientation et le suivi —, elles-mêmes précédées d'une étape décisive, le premier accueil.
Le premier accueil : un préalable déterminant
Toutes les personnes venant à la MIFE sont accueillies dans une salle aménagée, appelée "premier accueil", par une chargée d'information, qui discerne l'opportunité d'une réponse directe ou d'un rendez-vous en vue d'un entretien approfondi. Si la demande est perçue clairement comme un simple besoin d'information, l'information est donnée immédiatement ou sera légèrement différée en cas de recherche documentaire. Si elle paraît floue, il est proposé à la personne un rendez-vous pour un entretien approfondi : "la prise de rendez-vous manifeste une volonté explicite d'être conseillé, c'est une première confirmation de la motivation et elle représente une avancée de la part du demandeur après qu'il se soit senti accueilli 639 . Dès le premier contact, la personne qui prend rendez-vous est identifiée dans son statut professionnel et dans sa première demande, notés sur le carnet de rendez-vous, tandis que la procédure de l'entretien, son objectif lui sont présentés de façon à ce que chacun se prépare à la rencontre entre conseiller et personne consultante.
Ce premier accueil est d'une importance capitale, d'une part parce qu'il a pour objet de cerner la demande et d'acheminer le public vers la prestation d'orientation, d'autre part parce qu'il prépare psychologiquement la personne à la future rencontre et enfin parce qu'il reflète l'image de l'institution à la personne, qui se fera une opinion influant sur le futur processus d'orientation. En vue de l'accompagner dans sa réflexion préalable et d'élargir son champ de représentation des filières de formation, la revue Guidance Savoie 640 , qui recense l'offre de formation dans le département, lui sera éventuellement remise.
Ce premier accueil est réalisé lors d'un passage à la MIFE, mais il peut également l'être lors d'un appel téléphonique où l'on retrouve le même soin de répondre de manière opérationnelle ou de préparer la rencontre.
L'Entretien approfondi
Cet entretien, d'une durée d'une heure, basé sur la méthode de l'histoire de vie, a pour but d'élaborer un projet, en vue d'une insertion ou d'une évolution professionnelle. Le conseiller vient accueillir la personne et l'accompagne dans son bureau, lieu plus calme pour une relation de face à face. Les fondateurs des MIFE ont toujours insisté, dans leurs propos ou écrits, sur la nécessité, pour chaque personne consultante, de se sentir accueillie personnellement, comme un "invité", à la rencontre duquel le conseiller, tel l'hôte de la maison, vient. Il s'agit là d'une première condition de réussite de la relation, c'est-à-dire d'un premier conditionnement positif pour une rencontre d'égal à égal. Accueillir ainsi la personne consultante symbolise l'intentionnalité du conseiller qui est actif dans la relation qu'il instaure et ne se contente pas d'attendre, assis derrière son bureau, l'expression d'une demande 641 .
Dans un premier temps, celle-ci exprime sa demande, souvent dans des termes généraux : "je voudrais changer de métier", "je voudrais me perfectionner", "je voudrais faire une formation" ... Afin d'aller plus loin dans l'expression de la demande, le conseiller propose alors à la personne de faire, oralement, le récit de son parcours passé et de sa situation présente, ce que l'on pourrait appeler son récit de vie ou son "autobiographie raisonnée" selon les termes d'Henri Desroche : "Vous êtes consulté par une personne visitante, c'est un adulte. Il a à son actif des études formelles plus ou moins longues ou plus ou moins interrompues. Il a aussi, et surtout, une expérience professionnelle continue ou discontinue, sinueuse ou rectiligne. C'est ce qui est généralement porté sur son curriculum "à plat"... Il vous demande de l'ausculter pour le conseiller et l'orienter, le diagnostiquer ou le pronostiquer, l'activer ou le réactiver, bref se positionner pour se réinvestir ou se reconvertir" 642 .
Comme nous l'avons évoqué précédemment, cette phase biographique de bilan, où la personne retrace son histoire professionnelle, qu'elle émaille souvent d'évènements personnels, est l'objet d'une écoute attentive et exclusive de la part du conseiller, dans laquelle se mêlent, à la fois, effort de compréhension et analyse et esquisses imaginaires d'un ou plusieurs scénarios de projets. En effet, de l'écoute du récit de vie se dégagent des expériences dominantes, constitutives de ce qu'on pourrait appeler un fil conducteur, qui peuvent suggérer, dans le travail mental de reconstruction réalisé par le conseiller, des pistes ou hypothèses de projet. Ces premières représentations ne seront pas immédiatement énoncées mais, par les techniques de reformulation, elles seront elles-mêmes confrontées à la réalité intérieure de la personne, à ses propres représentations. De même, cette dernière, en parlant sa vie, extériorise et conscientise sa propre dynamique interne. À partir de sa parole, le même travail de compréhension et d'émergence de représentations se met en œuvre. C'est à partir de cet échange qu'une esquisse de projet professionnel est susceptible alors de se dégager, une fois conscientisés, c'est-à-dire éclairés par la conscience, le déroulement de l'histoire de vie et les motivations qui l'accompagnent. On pourrait dire qu'il est le fruit d'une collaboration, d'un travail commun, de réflexion, de conscientisation et d'imagination. S’il n'apparaît pas clairement, le conseiller propose une prestation plus approfondie, au moyen d'outils d'orientation.
La réalisation du projet professionnel passe par une information professionnelle avec, selon les besoins, une proposition de formation qui peut prendre des formes variées, selon les types de stages ou d'actions de formation. Le conseiller peut mettre directement la personne en relation avec l'organisme en prenant un rendez-vous téléphonique. Dans ce cas, il s'agit d'une aide, d'une dynamisation complémentaire qu’il propose, s'il sent qu'un « coup de pouce » est nécessaire pour la mise en route des démarches.
L'entretien se termine sur l'invitation à garder le contact avec la MIFE dans les différentes démarches que la personne doit effectuer. À l'issue de cet entretien, un dossier est constitué, rassemblant les éléments nécessaires au travail d'élaboration de projet. Une fiche de renseignements 643 est remplie, de façon à en conserver la mémoire et d'organiser le suivi des personnes. En fonction des besoins, des étapes ultérieures sont fixées : modules d'orientation et/ou suivi. Enfin, de la même façon qu'il est entré en contact avec le consultant, le conseiller le raccompagne.
Modules d'orientation
Selon les besoins et les situations, des modules d'orientation et de conseil, d'une durée moyenne de 2 à 4 heures, répartis en une ou plusieurs séances, sont proposés, utilisant des outils d'orientation, assistés par ordinateur, ou basés sur une méthode d'Histoire de vie ou encore une aide à la recherche d'emploi. Nous les listons rapidement avant de les présenter de manière plus détaillée : le logiciel "Choix", constitué d'un inventaire de personnalité et d'une base de données de plus de 900 descriptifs de métiers, ainsi que l'outil multimédia d'information et de sensibilisation à la création d'entreprise "Balise" ; l'Autobiographie raisonnée, constituée de la grille "bioscopie" desrochienne et d'une analyse chronologique des savoir-faire et compétences exercées ; des outils d'expression de l'identité professionnelle comme le "Centre de Gravité Professionnelle" et le "Blason" ; enfin un appui à la recherche d'emploi, qui passe par une aide à la rédaction du curriculum vitæ et par la préparation des entretiens d'embauche. Après ces modules, une restitution est réalisée et rédigée en vue d'une synthèse 644 , qui sera adressée, sous la forme d'un compte rendu, à l'agence locale de l'ANPE, pour les prestations prescrites par elle, dans un but d'information et de concertation entre les différents opérateurs.
Après l'entretien : le suivi
Le suivi ou accompagnement, dimension constitutive du parcours d'orientation, est réalisé, selon les besoins,au moyen de plusieurs entretiens, répartis dans le temps. Il sera d'autant plus important que la personne est dans une situation éloignée de l'emploi. En effet, il est fait d'ajustements successifs entre l'employabilité discernée de la personne, c'est-à-dire ses possibilités d'accéder à un emploi, et l'offre d'insertion ou d'emploi de l'environnement local. La personne reprendra librement contact, pour faire le point sur la mise en œuvre de son projet, ou pour réorienter son itinéraire en fonction des résultats de ses démarches. De la même manière que la démarche vers la MIFE est libre, cet accompagnement n'est pas imposé.
Une fois par an, un suivi plus bref est réalisé, par un courrier-circulaire ou, de plus en plus, par téléphone, adressé aux bénéficiaires de l'entretien, où la MIFE propose à nouveau ses services. C'est l'occasion de reprendre contact pour les personnes ayant abandonné leur projet et n'ayant pas trouvé de solutions. Il peut arriver également qu'à l'occasion de l'ouverture d'un stage de formation, ou d'une offre de stage en entreprise ou d'emploi, la MIFE prenne contact avec les personnes qui ont élaborer un projet professionnel susceptible de se concrétiser par ces moyens.
La gestion de cette pratique d'orientation est réalisée au moyen d'un fichier, rassemblant les informations nécessaires dans un dossier individuel, rendant compte des étapes de l'élaboration du projet professionnel. Le dossier d'entretien est alors complété par l'inscription des différentes démarches engagées par la personne et celles qu'a suggérées le conseiller, afin d'en garder une mémoire pour la prochaine rencontre.
Enfin, l'entretien et les modules d'orientation personnalisée peuvent être complétés, selon les besoins et la situation du consultant, par un appui personnalisé complémentaire (auto-documentation assistée, aide à l'insertion et la recherche d'emploi, offres de services..., orientation par alternance par le dispositif régional de stage en entreprise).
Les étapes ci-dessus, qui conduisent à l'appropriation et à la verbalisation des parcours professionnels, peuvent se concrétiser par la production d'un document de quelques pages, nommé, dans le rapport sur les MIFE, "Portefeuille professionnel" 645 . Dans les propositions exprimées dans le rapport, ce document, rédigé par la personne avec l'assistance éventuelle du conseiller, se décline selon les cinq axes suivants :
Ce portefeuille n’a pas encore été formalisé dans un document imprimé, susceptible d’être présenté à un employeur lors d’une recherche d’emploi 646 .
Depuis 1993, le conventionnement avec le Conseil régional Rhône-Alpes a introduit une possibilité de prescription de la part de l'ANPE, dont le but est surtout d'établir des liens de collaboration avec l'agence locale ANPE. La prescription n'a pas d'incidence administrative ou financière pour la personne qui bénéficie ainsi d'un "droit de tirage" pour l'EMOP, en gardant son statut de demandeur d'emploi. Avec certaines agences de l'ANPE, le partenariat est plus développé et la prescription peut se faire "rétrospectivement", c'est-à-dire qu'elle est enregistrée une fois que la prestation est terminée.
Pour une méthodologie de l'information sur la formation , La pratique des MIF, Op cit ., p.17.
Comme nous l'avons vu préalablement, cette revue publiée deux fois par an recense les différents stages de formation pour adultes dans le département. Chaque stage est répertorié selon les rubriques suivantes : filière de formation, intitulé, objectif, durée, date, organisme. Cette revue a un rôle éducatif dans la mesure où elle peut susciter le désir, "mettre en appétit" de formation en montrant tous les possibles et déclencher une motivation. Rappelons que si la formation peut être plus accessible aux personnes y ayant déjà "goûté", c'est-à-dire bénéficiant d'un certain niveau de formation, pour les personnes ayant vécu l'échec scolaire, elle reste perçue comme un "retour à l'école" qui a toutes les raisons de les angoisser. Développer le goût de se former, d'apprendre passe par des moyens diversifiés de sensibilisation, comme la diffusion de ce type de document.
Cf. Pour une méthodologie de l'information sur la formation, Op cit., pp. 10-12 et 93. Chacun de nous a pu ressentir le malaise de la situation du demandeur venu solliciter un service, dont le sentiment d'infériorité est d'autant plus vif que le donneur est lointain, inaccessible, confortablement installé dans sa position privilégiée de donneur. Le demandeur peut se défendre de l'injustice de cette situation, soit en développant de l'agressivité envers le donneur indélicat, soit en retournant ce sentiment sur lui-même par un abattement et un désintérêt pour sa propre demande.
Henri DESROCHE, Entreprendre d'apprendre - D'une autobiographie raisonnée au projet d'une recherche-action. Apprentissage III, Paris, Ed. Ouvrières, 1990, p. 51.
La fiche de suivi, communiquée à la commission nationale informations et liberté (CNIL) est constituée des rubriques suivantes :
- état civil : nom, prénom, sexe, adresse, nationalité, âge, situation de famille
- situation professionnelle (salarié, travailleur indépendant, demandeur d'emploi ...), catégorie socio-professionnelle du dernier emploi (selon les catégories de l'INSEE), niveau d'expérience professionnelle...
- nature de la demande (métiers, offre de formation, orientation, emploi) et du projet (insertion, qualification, reconversion, perfectionnement)
- traitement de la demande (approfondissement de l'orientation par un autre entretien ou un cycle collectif, acheminement vers l'offre de formation ou l'emploi ou vers d'autre structures d'information spécialisées).
En général, le conseiller suivra la personne du début à la fin de la prestation. Cependant en fonction de la spécialisation acquise par chacun des conseillers dans l'utilisation de tel ou tel outil, la personne consultante pourra être acheminée vers un autre conseiller, et dans ce cas, un lien est établi entre les conseillers pour faciliter la synthèse.
Gaston PARAVY, Les Maisons de l'information sur la formation, État des lieux , analyse et propositions, Op. cit, p. 40.
La notion de portefeuille professionnel fait écho au portefeuille ou portfolio de compétences, issu des expériences québécoises de validation des acquis évoquées plus haut, et de l'idée d'un document recensant l'expérience professionnelle, appartenant à la personne, et qui lui permettrait de garder la mémoire et les traces de son parcours. Depuis l'expérience du carnet du travailleur mis en place dans les années 30 et repris par le gouvernement de Vichy pendant la dernière guerre mondiale et utilisé par les employeurs, l'idée d'un document de ce type provoque des réactions de défiance, certes compréhensibles, contre les abus éventuels de surveillance et les risques d'atteinte aux libertés des personnes. Mais aujourd'hui, du fait d'une mobilité professionnelle grandissante, les parcours professionnels se diversifient et se complexifient, à tel point qu'il n'est pas facile de garder la mémoire d'expériences multiples. Il conviendrait de dépasser ces préventions, et de réfléchir à la mise en place d'un document, à usage strictement personnel, qui, actualisé régulièrement, faciliterait les opérations de bilan et de mise en œuvre de projet. C'est ce qui semble être réfléchi dans le cadre de la réforme en cours du dispositif de formation et de validation des acquis.
Un projet de formalisation a été élaboré en 2000 par la MIFE de Savoie dans le cadre d’un programme du Fonds social européen.