1.3.3. L'impact des outils d'orientation sur l'élaboration de projet

Dans le tableau 4 présentant les outils d'orientation utilisés par la MIFE, nous avons indiqué un critère de satisfaction pour Choix et l'autobiographie raisonnée, tel qu'il nous a été reflété et que nous l'avons ressenti, lors des interviews. Ces données nous permettent d'analyser l'impact des outils sur le processus.

Choix

L'expression spontanée de la satisfaction ou de l'insatisfaction peut être un premier indicateur des apports et des limites de cet outil. Alors que six personnes se sont déclarées très satisfaites, avec dans le même temps quelques critiques formulées par une, huit expriment certaines réserves et quatre s'avouent plutôt insatisfaits. Approfondissons cette analyse à travers leur discours.

Nous avons relevé quatre indices de satisfaction. Tout d'abord, pour Jeanne, si c'est un test qui en a l'aspect, "il ne fait pas peur". En effet, avec un questionnaire qui s'appuie sur des réponses déclaratives des personnes consultantes, donc n'essaye pas de "piéger" en fouillant dans le non-dit et l'inconscient, il a eu pour effet de réconcilier Jeanne avec ce mode d'investigation. Ensuite, il a permis à Estelle, par le renseignement du questionnaire, "d'aller au profond de soi". Pour ceux qui ne pratiquent pas l'auto-analyse, que ce soit par des moyens de psychothérapie ou de développement personnel, ce premier déchiffrage de la personnalité, même succinct, peut représenter un travail riche de révélations et source de découvertes. De plus, la partie d'exploration professionnelle du test a permis à Estelle de "voir toutes les possibilités dans lesquelles on peut se projeter", donc "d'ouvrir des portes". Enfin, grâce à ce premier travail sur soi, Alain a pu voir en lui "une logique au niveau de la personnalité", qui a confirmé ce qu'il pressentait et connaissait de lui, comme pour Géraldine, pour qui "ça a bien confirmé le tempérament qu'elle était".

Ces propos montrent que ce questionnaire de personnalité permet d'apprécier le sujet tel qu'il se voit au travers de sa propre parole 774 . C'est d'ailleurs le reproche adressé à ce type de test de ne pas rendre compte de qui il est ou serait, mais tel qu'il dit être, donc de n'explorer qu'un plan de la personnalité, déclaré superficiel parce que non basé sur une démarche d’observation scientifique. Mais n’est ce pas aussi une illusion de penser pouvoir observer les mobiles d’action d’un être humain tels des objets inertes d’études, dans une lecture fiable de son univers inconscient et conscient ? De plus, nous pouvons atténuer cette réserve et justifier l'utilisation de cet outil en orientation professionnelle par le fait que, outre les méthodes de contrôle élaborées dans la conception même du test, qui tentent en permanence d’ajuster les réponses, en explorant les intérêts, les préférences des sujets, il donne des éléments d'information qui permettent à la personne d'évaluer sa propre motivation, source de dynamisme et principal moteur de la réussite professionnelle. Mais ce qui nous paraît encore plus déterminant et pertinent dans le processus d'orientation professionnelle, c’est qu’il lui offre la possibilité de s'apprécier lui-même, certes dans une auto-évaluation, mais surtout, de susciter une parole sur soi génératrice de dynamisme.

En revanche, l'insatisfaction s'est manifestée dans plusieurs directions. Tout d'abord, il n'est pas toujours facile de répondre à certaines questions, du fait de la présentation formelle du questionnaire qui, souvent fastidieuse peut générer des confusions, et de certaines questions qui se ressemblent ou paraissent ambiguës. C'est ce qu'a notamment évoqué Mathieu, tandis qu'Estelle a souligné le risque de se surestimer ou de se sous-estimer. De plus, selon Marc, une utilisation un peu trop rapide du test "restreint trop vite les choix", et "l'entonnoir se restreint trop vite", ajoute Mathieu. D'autre part, Judith et Marc lui reprochent de "mettre trop de barrières de diplôme ou de niveau de formation", de présenter une vision trop scolaire et de ne pas tenir compte de l'expérience et des acquis des personnes. En effet, pour des adultes n'étant pas restés longtemps dans le moule de l'école et ayant privilégié les acquisitions autodidactes, ce type d'outil ne semble pas assez nuancé et risque de décourager de nombreux candidats, en ne suggérant pas de moyens de validation d'acquis 775 . Il conviendrait d’ailleurs de pouvoir dépasser cette dimension scolaire, inhérente à cet outil créé initialement pour ce public, et prévenir les éventuelles déceptions par une utilisation optimisée, c'est-à-dire sans prendre tout à fait à la lettre le critère "niveau d'études" pour des personnes susceptibles d’accéder à une démarche de validation des acquis. Il est aussi reproché au test un manque de finesse, entraînant une inadéquation entre les souhaits — peut-être exprimés de manière imprécise dans les réponses au questionnaire—, et la proposition de filières professionnelles trop éloignées de l'expérience et des possibilités des personnes. Géraldine a été déçue d'y retrouver la filière du secrétariat pour laquelle elle avait été formée mais qu'elle souhaitait abandonner. Mathieu avait exprimé au début un intérêt pour le social, mais qu'il entendait plus au sens de relationnel ; de ce fait, il n'a pas apprécié de recueillir les propositions trop ciblées sur le travail social, qui ne l'intéressaient pas. Nathalie, surprise par la grande diversité de filières proposées, qui ne correspondaient pas toujours à sa formation littéraire de base, a été déçue par ce qu'elle a appelé sa dimension "subjective", qui ne lui semble pas assez rigoureux, puisque "on peut rentrer les critères qu'on veut pour en sortir ce qu'on veut".

Malgré ses 900 filières professionnelles, qui constituent une base de choix significatives, Mathieu a reproché au test de donner "des réponses simplistes, trop générales, de métiers trop connus", ne prenant pas assez la mesure de l'expérience, ni de la variété des situations professionnelles ni du contexte de l'entreprise, diversifiant l'application d'un métier. Par exemple, un métier technique peut se décliner dans une dimension plus sociale ou relationnelle, comme Mathieu l'a bien expliqué dans son interview, mais un test comme Choix n'est pas en mesure de le faire pressentir. Cet exemple confirme la nécessité, pour les conseillers, d'accompagner l'utilisation des tests en rapportant les réponses à l'expérience des personnes ; il souligne ainsi les limites inhérentes à ce type d'outil d'investigation personnel et professionnel. Enfin, pour Léa, il s'est avéré "inutile et frustrant", dans la mesure où elle avait pu élaborer son projet avec l'appui de la méthode de l’Autobiographie raisonnée et, venant après, il n'avait plus d'utilité. Cela confirme aussi que la prestation d'orientation n'est pas plus enrichie par le nombre d'outils utilisés.

Nous ne pouvons nous empêcher de nous interroger sur l'origine de ces insatisfactions : sont-elles inhérentes à toute passation, ou dues aux limites de l'outil lui-même, ou encore à son utilisation quelque peu rapide et incomplète ? La réponse se situe sans doute au carrefour de ces trois questions ; elle souligne la responsabilité du conseiller dans le choix de l'outil et dans l'accompagnement qu'il réalise en référence aux besoins de la personne.

Outre la satisfaction, l'impact de cet outil sur l'élaboration de projet peut être évalué en croisant ces deux critères. Parmi les quinze personnes qui ont élaboré leur projet, neuf ont utilisé Choix mais, parmi elles, deux ont exprimé une insatisfaction, affirmant son inutilité, voire son effet négatif dans le cas de Judith. On ne peut donc pas en déduire que le test, utilisé par dix-huit personnes a eu un effet déterminant sur la dynamique d'élaboration de projet, puisqu'il n'a été réellement profitable que pour sept, c'est-à-dire moins de la moitié de ceux qui ont élaboré leur projet. Toutefois, il reste un outil précieux pour une démarche d'exploration de soi et des filières professionnelles, mais il ne peut évidemment remplacer l'entretien, qui reste le pivot du processus d'élaboration de projet.

Appui à la rédaction du Curriculum vitæ

Comme nous l'avons évoqué plus haut, cet appui permet une relecture valorisante de ses expériences professionnelles ; sa fréquence dans la pratique de la MIFE montre qu'il répond à un besoin important 776 . Toutefois, sur les quinze personnes qui ont bénéficié de cet appui, seules cinq le mentionnent dans les interviews. Brigitte et Gérard n'évoquent pas le travail réalisé au cours des entretiens, mais rapportent qu'ils ont modifié d'eux-mêmes leur curriculum vitæ après la prestation, soulignant ainsi leur propre autonomie. Pour Pauline, Mathilde et Estelle, le travail de relecture du CV a été très enrichissant, dans le sens d'une valorisation de leur profil. Il a aidé Pauline à se "renforcer dans une image positive" d'elle-même. Quand elle s'est entendu dire qu'elle mettait plus en valeur son employeur qu'elle-même, elle a retravaillé son CV. Mathilde, quant à elle, a pris conscience qu'elle se sous-estimait dans le compte rendu de ses expériences et dans la définition de ses compétences, et qu'elle pouvait se valoriser davantage. Enfin, pour Estelle, outre la mise en valeur des points forts, ce travail a joué un véritable rôle de révélateur d'une identité personnelle et professionnelle, qui l'a réhabilitée dans une confiance en elle plus solide. Elle explique que pour les personnes qui ont tendance à se dévaloriser, la parole extérieure d'un autre est nécessaire pour sortir d'une vision fermée de soi : "Je pense qu'on n'arrive pas à être objectif par rapport à soi et c'est vrai qu'on a besoin, de temps en temps, qu'on nous mette le doigt dessus, aussi bien quand c'est positif que négatif".

On peut conclure que ce travail de relecture et de réécriture du curriculum vitæ, sous un regard extérieur, n'a pas seulement pour utilité d'aider à rédiger un document, laissez-passer obligé de toute demande d'emploi, mais il est primordial dans le processus d'exploration de soi, parce qu'il permet, par une identification plus ajustée de ses expériences et de ses compétences, de valoriser son parcours professionnel et, par là, de reprendre confiance en soi. Du fait de cette double fonction, il nous paraît difficile de mesurer son impact sur l'élaboration de projet. Mais ce qu'on peut déduire, c'est qu'il est utile dans la phase d'exploration de soi et de plus, en suscitant une valorisation personnelle, il contribue à la dynamique de projet.

L'autobiographie raisonnée

Les trois personnes qui ont bénéficié de cet outil ont, chacune, rapporté des impressions très positives, insistant sur un effet significatif : la compréhension existentielle de soi et de son parcours qui prend alors sens.

Sarah met l'accent sur "la mise en lumière du positif" de son expérience passée, qu'elle se sentait alors en capacité de réactualiser. Elle insiste également sur la prise de conscience du caractère unique de son expérience, qui a constitué un facteur de réhabilitation personnelle important, même si cela ne lui a pas permis de sortir complètement de son malaise intérieur. Enfin, le dernier projet qu'elle a élaboré et qui semble en voie de concrétisation, fait suite à cet outil. Liliane évoque la mise en cohérence de son parcours passé et de son fonctionnement cognitif et relationnel, en utilisant la parabole très parlante du puzzle :"mes compétences, je les connaissais comme des pièces de puzzle qui ne sont pas mises en place .. Non seulement la conseillère m'a permis de faire les liens, mais en plus de prendre les pièces du puzzle et de les resituer". L'autobiographie raisonnée a permis non seulement de rassembler les éléments d'un parcours professionnel et personnel, en en donnant, par la remémorisation, une vision d'ensemble, mais aussi de relier les différentes expériences entre elles, pour leur conférer un sens nouveau.

Léa renchérit sur la mise en cohérence de sa trajectoire personnelle et professionnelle, qui, auparavant, lui paraissait constituée d'expériences disparates et juxtaposées les unes aux autres. L'exercice autobiographique lui a permis de trouver du sens au sein même de ses expériences et de confirmer la ligne directrice de l'art dans sa vie. Elle décrit avec justesse ce phénomène, en utilisant la métaphore du tissu où la vie est comparée à un patchwork, dont les morceaux juxtaposés laissent entrevoir la trace signifiante. Dans un parallèle avec sa propre expérience de psychanalyse, elle insiste sur le déroulement chronologique qui favorise l'émergence d'un fil conducteur, donc d'un sens :"le fait d'avoir écrit cette histoire de vie, ça a recollé les morceaux qui étaient éparpillés .. Dans la psychanalyse tu déroules pas ton truc dans l'ordre. C'est aussi encore des petits morceaux de vie que tu amènes et qui éclairent ton histoire mais d'abord tu dis pas tout ... Alors que là tu commences du plus tôt possible jusqu'à aujourd'hui, donc il y a ce fil là qui se voit alors" 777

Ces propos viennent confirmer cette expression de "fil d'Ariane", souvent utilisée pour signifier l'émergence du sens dans la lecture de la bioscopie. Ils soulignent également la force de cet outil en terme de valorisation existentielle 778 .

Alors que le curriculum vitæ ne retrace que les éléments successifs de l'activité professionnelle, l'autobiographie raisonnée va beaucoup plus loin, en reflétant plus globalement une cohérence et en favorisant la compréhension existentielle d'un parcours de vie. L'impact de l'autobiographie raisonnée sur l'élaboration de projet semble indéniable, puisque les trois personnes bénéficiaires ont élaboré leur projet, avec quelques nuances cependant. Léa et Liliane ont affirmé un projet professionnel avec assurance, la création de sa propre activité de formation pour la première et une recherche d'emploi dans les métiers de l'insertion après avoir effectué une formation adaptée pour la seconde. En dépit de son échec à la sélection, Sarah a pu maintenir l'idée de se reconvertir dans l'éducation spécialisée grâce à un contrat de travail provisoire dans ce secteur, alors que l'entretien-interview révélait davantage de doute sur son avenir. Même avec un nombre restreint de personnes ayant bénéficié de cet outil, on peut confirmer sa pertinence dans la dynamique d'orientation par l'assurance ou la réassurance qu'il produit sur les personnes.

Les autres outils (CGP, Blason, Balise)

En termes de satisfaction, nous n'avons pas eu de retour du Centre de gravité professionnelle (CGP), sinon celui de Mélanie, qui confirmait la lecture rapide du profil professionnel que cet outil permet. De la même manière, le Blason, utilisé uniquement par Léa, qui en a souligné l'aspect ludique, apporte une respiration dans la prestation, tout en privilégiant la parole de la personne sur elle-même. De plus, la dimension symbolique contenue dans cet exercice facilite et vient renforcer l'expression. Enfin, l'outil Balise n'a pas bénéficié de commentaires particuliers de la part de Paul, seul utilisateur, sinon de souligner l'apport puissant d'informations, favorisant l'exploration de l'environnement professionnel, plus particulièrement, celui de la création d'entreprise. Paul évoque un effet significatif de l'exhaustivité de l'information qui, en facilitant une exploration large, libère en quelque sorte la personne, en la replaçant face à sa véritable motivation. Cela lui a permis de revenir positivement vers sa profession initiale après avoir vu l'ensemble des autres possibles : "On a fait un peu le tour de tout ce que ,je pourrais faire en dehors de ma formation initiale et .. ça permet de faire un balayage beaucoup plus large, pour peut-être revenir après, comme je l'ai fait là, sur un secteur professionnel".

Par une réponse quasi unanime à la question de comparaison sur les effets de l'entretien et des outils, nos témoins plébiscitent l'entretien, et sa dimension de relation, qu'ils jugent primordiale dans la prestation d'orientation. Ces résultats ne font que confirmer la diversité des situations des personnes, de leurs besoins d'orientation et d'accompagnement, et nous renforcer dans la conviction d'une nécessaire pluralité dans les modalités de réponses à ces besoins. Si dans leur ensemble, les outils et les modules utilisés par la MIFE enrichissent la phase d’exploration, l’entretien et la méthode l’autobiographie raisonnée qui le complète, en approfondissant la compréhension existentielle de soi et de son parcours, participent à la construction de la motivation, à la décision et à la finalisation du projet.

Notes
774.

De plus, si certaines pathologies, comme des dépressions ou même des névroses aggravées, rendent impossible l'élaboration de projet, la structuration psychique ne semble pas toujours déterminante dans le choix d'une profession. Qui n'a pas vu dans les médias ou dans son entourage, des personnes, à qui on pourrait attribuer une structure psychique pathologique, réussir professionnellement !

775.

Les auteurs du test ont pallié ce manque en lançant, en 2001, une version « Transférances », mettant en exergue les acquis de l’expérience

776.

On pourrait s'étonner qu'au cours des entretiens à la MIFE, le travail sur le CV soit toujours aussi nécessaire, malgré les nombreuses situations d'apprentissage de ces techniques de recherche d'emploi, que ce soit pour les demandeurs d’emploi (sessions de l'ANPE, bilans, conventions de conversion etc.), ou pour les personnes en situation de formation (scolaires, étudiants, stagiaires) où la rédaction de CV est devenue un exercice courant. Il est vrai qu'aujourd'hui, un CV est rédigé en fonction d'une offre de service et, de ce fait, doit être réactualisé en permanence.

777.

Pratiquant l'astrologie, Léa a même pu rapprocher les résultats obtenus par la bioscopie avec ceux, plus empiriques issus de son questionnement astrologique. Sans interpréter davantage, nous nous contenterons de souligner l'effet positif sur la personne de se voir ainsi confirmée dans la connaissance de soi, ce que Léa exprime, de façon sans doute plus abrupte que ne l'a fait la conseillère, par ces mots :"finalement vous êtes ça ... et pas autre chose".

778.

Cf. Agnès BERJON, “L’Entretien MIF, Une rencontre éducative", in Guidances Savoie, n° 34, Mai 1991, p.11.