Bien souvent, le processus d'élaboration de projet se concrétise par un emploi précaire, à l'exemple de trois personnes de notre groupe. Mélanie a opté, après sa formation théorique de perfectionnement en secrétariat, pour un stage de six mois en entreprise, qui a débouché sur une embauche sur un poste à mi-temps et peu payé, qu'elle a dû accepter faute de mieux, mais qui ne la satisfait pas en tant que femme seule. Cathy, qui a des perspectives de retourner dans le secteur commercial, a accepté, dans l'attente, un contrat à durée déterminée de six mois à la Poste. Jeanne, CES dans un collège, donc à mi-temps, reprend progressivement une activité salariée, après plus de deux ans de chômage. Le risque, pour toutes trois, est qu’elles soient obligées de se remettre dans une dynamique d'élaboration de projet si leur situation ne se stabilise pas.
Ces démarches actives, qui, au moment où nous rédigeons, n'ont pas toutes abouti à un emploi stable, restent dépendantes des possibilités de l'offre. Il est certain que si, au bout d'un certain temps, celui-ci n'était pas trouvé, il serait nécessaire de reprendre le travail d'élaboration de projet et de poursuivre l'accompagnement de la personne, dans la déception et le deuil d'une idée avortée pour une raison extérieure à elle-même. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec Sarah à plusieurs reprises pour des projets antérieurs dans les secteurs, commercial et de l'animation. On voit ici l'enjeu de ce travail d'accompagnement, qui mobilise et la personne consultante et la conseillère pendant un temps souvent long, avec des rebondissements conditionnés par la réalité extérieure. Cette durée de plus en plus étalée de recherche, que l'on observe depuis près de dix ans, impose de plus en plus des pratiques d'accompagnement. Si elle s'avère souvent nécessaire au travail de maturation, elle devrait cependant pouvoir être aménagée de façon plus constructive. En effet, la personne reste isolée dans sa recherche, et nous verrions toute l'efficacité d'un temps de recherche accompagné et organisé en fonction des situations personnelles, enrichi même de périodes d'activité utile socialement et porteuse de lien social 783 .
Ces personnes-témoins sont venues à la MIFE durant l'année 1997 et, au tiers de l'année 1998, pour la plupart, elles n'avaient pas encore de solution d'emploi stable. Comme le dit Alain, cette période de recherche entame l'équilibre personnel, même si l'entourage peut apporter un appui : "je dirais pas qu'on irait jusqu'à la déprime, mais on se pose des questions". S'il fallait se remobiliser sur un autre projet, cette durée serait quasiment doublée. En 1998, la durée statistique moyenne du chômage atteignait 411 jours 784 , et ce chiffre ne semble pas baisser en dépit de l’embellie économique actuelle, ce qui entraîne des phases de réalisation de projet de plus en plus prolongées. En effet, du fait de la pénurie de l’offre d'emploi, la confrontation avec la réalité du travail, les démarches auprès d'employeurs potentiels auprès d'organismes de formation de plus en plus sollicités, sont échelonnées dans le temps, ce qui n'est pas suffisamment pris en compte dans les dispositifs d'aide à la réinsertion professionnelle. Même si un projet peut s'élaborer en peu de temps, comme on a pu le voir par quelques exemples, le temps de concrétisation et de mise en œuvre, très aléatoire, nécessiterait donc un accompagnement et un suivi plus dynamique dans son organisation.
Dans une lecture brute de ces résultats, on pourrait conclure qu'en terme d'emploi, la prestation d’orientation n'atteint pas son but puisque, sur vingt cinq personnes, si quinze ont élaboré un projet, seulement six ont pu le concrétiser en un nouvel emploi effectif avec, de plus, la réserve que, parmi elles, trois seulement occupent des postes en contrat à durée indéterminée et deux subissent une situation professionnelle précaire ne correspondant pas à leur projet initial ! Même si le cas particulier de Judith peut être considéré comme une dynamique réussie de changement, avec des résultats très positifs pour l'élaboration de projet, la prestation tombe à un niveau d'efficacité deux fois moindre pour l'emploi. On peut seulement espérer qu'en terme de potentialités ces résultats soient plus favorables puisque les dix autres qui ont élaboré un projet, sont dans une réelle dynamique de recherche. En effet, nous avons été quelque peu surprise par le climat relativement optimiste vis-à-vis de l'avenir, qui s'est dégagé dans l’ensemble des entretiens-interviews, à part l'exemple, compréhensible, de Sarah.
C'est là que nous pouvons comprendre les limites d'une évaluation d'une pratique qui ne consisterait qu'à vérifier l'atteinte d'objectifs et de buts. En effet, à partir du moment où la finalité ultime de cette pratique est l'emploi, l'évaluation paraît d'autant plus difficile que la MIFE n'a aucune influence en matière de création et d'offres d'emploi, celles-ci relevant de la responsabilité et des possibilités économiques des entreprises. En effet, son rôle se limite à optimiser chez la personne les stratégies de recherche, à favoriser les liaisons entre les sources d'offres que sont l'ANPE, les différents supports d'annonces, et en fonction des relations développées avec les secteurs socioprofessionnels, à faciliter les contacts avec quelques employeurs, notamment dans le cadre des stages en entreprise qu'elle anime.
Mais, au-delà de ces résultats qui peuvent paraître insuffisants, même désespérants en termes d'emploi stable, il convient d'approfondir aussi le processus d'élaboration de projet et, tout en privilégiant la parole de ces personnes-témoins, de regarder de plus près leurs dynamiques internes de mise en mouvement et de changement, propices à supporter, à résister à la pénurie d'emploi, voire à la vaincre.
Nous avons déjà cité le dispositif « nouveau départ », mis en œuvre par l’ANPE, à l’initiative de la Commission européenne, qui semble apporter un début de réponse à cette question, en instaurant pour la première fois des modalités d’accompagnement personnalisé. Cependant la durée de ce temps d’accompagnement vers l’emploi (trois mois maximum) reste encore inadaptée à certaines personnes très éloignées de l’emploi. Les dispositifs d’insertion de type CES restent limités au secteur associatif, ne permettant pas aux personnes de s’insérer de cette manière en entreprise, et le dispositif Contrat Initiatives Emploi qui s’adresse aux chômeurs de longue durée s’appuie déjà sur un contrat de travail à durée indéterminé.
Cf. Ces Chiffres 1998 de l'ANPE ne semblent pas avoir évolué puisqu’en novembre 2000, cette durée moyenne d’inscription était encore de 416 jours, certes avec une évolution annuelle à la baisse de 23 jours (Cf « Tableau de bord », in La vie à défendre, Paris, CFTC, Novembre 2000, p. 20). Ils soulignent le « noyau dur » du chômage de longue durée, qui touche encore beaucoup de personnes.