2.4.4. Impact de la prise de conscience et de la mise en mouvement sur l'élaboration de projet

Si l'on croise les résultats des trois colonnes, on voit apparaître un lien significatif entre la prise de conscience et la mise en mouvement, en ce sens que la prise de conscience donne lieu à une mise en mouvement dont on peut distinguer le point de départ ou le déclic.

Parmi les douze personnes qui ont donné des réponses positives dans les trois colonnes, on constate une majorité de "déclics existentiels" — chez Claire, Pauline, Léa, Paul, Liliane, Judith, Fanny et Mathilde —, qui peuvent paraître plus significatifs d'une action en profondeur. Nous devons mettre à part Antoine, qui a répondu négativement aux trois séries de questions, à juste titre puisque son projet était déjà très avancé. En revanche, cinq réponses négatives de prise de conscience ont donné lieu cependant à une mise en mouvement. Pour Margaux, Mélanie, Cathy, Gérard, cela a été effectif parce que les prises de conscience avaient eu lieu antérieurement à la prestation d'orientation de la MIFE. Jacques, du fait de son travail thérapeutique, n'a pas eu de révélations particulières mais a poursuivi sa mise en mouvement, non pas avec des déclics mais dans une "dynamique de progression".

On peut donc conclure que, sur les vingt-cinq personnes interrogées, pour dix-sept il s'est passé un phénomène de prise de conscience et/ou de mise en mouvement. Les six réponses inversées, positives de prise de conscience, et négatives de mise en mouvement ou de déclic induisent deux types d'explications : d'une part, à l'exemple de Brigitte, la mise en mouvement avait eu lieu avant la prestation, par son divorce, et il y a eu déclic de dynamisation pendant la prestation, à l'instar des autres prestations d'orientation qu'elle a suivies ; d'autre part, pour les cinq autres personnes (Daniel, Sarah, Sonia, Alain, Géraldine), il y a eu prises de conscience mais pas de déclic, soit que la mise en mouvement fût antérieure, soit qu'il n'y en ait pas eu.

Si on rapproche ces résultats de ceux de l'élaboration de projet (Cf. Tableau 6 p.258), on peut ainsi confirmer le lien très significatif entre prise de conscience, mise en mouvement intérieur et élaboration de projet. En effet, toutes les personnes qui ont pu élaborer leur projet ou dont il est en cours d'élaboration, ont réalisé des prises de conscience ou ont été mises en mouvement, avant ou pendant la prestation, et on a pu discerner chez elles, sinon le déclic et ses facteurs déclencheurs, du moins une dynamique de progression. En revanche, le cas de Jeanne, pour qui il y a eu prise de conscience, mise en mouvement et déclic de dynamisation, pourrait constituer une exception, si on ne rappelait pas sa première tentative non aboutie d'élaboration d'un projet professionnel et son repli sur une solution plus immédiate d'emploi précaire, constituant un projet professionnel « en creux ». Judith qui a connu de fortes prises de conscience et qui a gardé un souvenir très précis de ce moment, tout en ayant l'impression "d'aller de l'avant", ne s'est pas dirigée vers un projet professionnel mais a fait un autre choix de vie. Quant à Daniel et Sonia, qui ont bénéficié d'une mise en mouvement intérieure peu significative et n'ont pas eu de déclic, ils sont dans une situation où leur projet est différé et on peut s'interroger sur sa mise en œuvre effective. Enfin, Sarah, qui a fait quelques prises de conscience où "elle a pu toucher du positif", qui a eu le sentiment "de pouvoir relever la tête hors de l'eau" et qui a connu "de petites ouvertures", n'a cependant pas encore pu concrétiser le dernier projet qu'elle a élaboré, ayant échoué à la sélection de l'école.

Nous pouvons en conclure qu'un projet ne peut s'élaborer que si les prises de conscience et la mise en mouvement sont suffisamment fortes et durables : plus ces phénomènes sont intenses, plus le projet sera construit sur des bases solides. Le cas de Sarah pourrait signifier que le choc de la révélation intérieure n'aurait pas été suffisamment intense pour entraîner une dynamisation interne jusqu'à une mise en œuvre réussie de projet. Toutefois, on ne peut s'empêcher de penser que la chance n'a pas été au rendez-vous pour elle. Mais au travers de cet argument et de cette répétition d'échecs, ne peut-on pas entrevoir l'idée qu'un projet qui ne se concrétise pas, parce qu’il ne correspondrait pas en profondeur à la personne, voire à sa vocation, et qu'il lui faut encore chercher à l'intérieur d ‘elle-même les fondements d'un authentique projet ?

Nous avons pu ainsi vérifier nos premières hypothèses, selon lesquelles le processus d'élaboration de projet se définit selon quatre dynamiques internes à la personne : l'élargissement des représentations personnelles conditionné surtout par la restauration de l'image de soi, l'élargissement des représentations professionnelles, l'émergence du sens et la mise en mouvement intérieur, qui se réalisent à partir du processus de prise de conscience. Si les deux premières composantes font partie de la phase initiale d'élaboration du projet, c'est-à-dire l'exploration, les deux suivantes sont constitutives de la phase de décision, fortement conditionnée par la dimension du sens. Enfin, la phase ultime de réalisation du projet fait suite à la dynamique de mise en mouvement intérieur.

Les dynamiques d'élargissement des représentations personnelles et professionnelles constituent le socle du processus d'élaboration de projet, indispensable quand la personne n'a pas exprimé d'idée préalable 859 . Elles permettent aussi de confirmer ou d'infirmer une idée de projet. Si le logiciel Choix étaye le processus d'exploration, l'autobiographie raisonnée, qui renforce la mise en cohérence des parcours, a plus d'impact sur la décision, transformant l'idée en projet d’action. Enfin, la découverte de sens et la mise en mouvement intérieur sont les conditions déterminantes de l'élaboration et de la réalisation du projet.

Le processus d'élaboration de projet pourrait s'illustrer selon le schéma ci-dessous, dans un mouvement hélicoïdal et continu, guidé par l'émergence du sens qui lui donne sa direction, ponctué par des circonvolutions, dont le nombre varie selon la situation des personnes et que nécessitent les prises de conscience et le dialogue de soi à soi. L’espace de la décision, constitué de déclics, existentiels et de dynamisation, est lui-même issu de la confrontation du possible des représentations et de celle de l’environnement extérieur, aboutit à la formulation et à la mise en œuvre du projet vers l'emploi. Chaque intersection des boucles indique le lieu où la relation personne-conseiller est susceptible d’agir, située dans une position d’entre-deux ou de médiation intra-personnelle ou interpersonnelle comme nous le verrons plus loin.

LES DYNAMIQUES PERSONNELLES

DU PROCESSUS D'ELABORATION DE PROJET

Notes
859.

Ce qui était le cas de Mélanie, Claire, Cathy, Léa, Liliane, Judith.