Ce concept d'attitude, utilisé dans le langage courant en synonyme de comportement, a été défini de manière précise en psychologie sociale, rejoignant toutefois le sens commun. Si l'attitude "est un état mental de préparation à l'action, organisé à travers l'expérience, exerçant une influence directive et dynamique sur le comportement" 863 , selon la définition donnée par le psychologue américain Allport, traditionnellement acceptée dans les milieux universitaires, elle se distingue du comportement par son caractère intentionnel, qui la rend moins directement observable. Néanmoins, ce concept nous intéresse pour sa triple dimension, affective, qui fait juger un objet bon ou mauvais, cognitive, qui touche à la connaissance, et conative, relative au comportement.
Dans une lecture d'ensemble des réponses, c'est l'attitude d'écoute qui domine, avec des mentions dans chacune des catégories, que ce soit dans la première impression, dans l'attitude, dans la relation et même dans le regard, pour lequel nous avons relevé la mention de "regard qui écoute"de la part de Jacques, de Daniel et d'Estelle.
La première impression
Ce que nous avons défini sous le terme de "première impression" correspond au ressenti d'une personne dans la toute première phase de la relation qui s'instaure, ressenti qui laisse une trace dans la mémoire. Nous avons tenu à recueillir l'avis des personnes-témoins, tant ce premier instant conditionne l'ensemble de la relation et du processus. Dans les témoignages, cette question a été aussi l'occasion de résumer la globalité de l'impression ressentie pendant la prestation d'orientation, avec l'éventualité de similitudes avec deux autres critères, l'attitude et la définition de la relation. Mais il nous a semblé important de cerner au plus juste cette relation vécue, au risque de quelques répétitions.
La dominante est le sentiment d'avoir été accueilli, "un accueil chaleureux" pour Jeanne, "sympathique"pour Margaux, Daniel, Brigitte, Liliane, Judith. Antoine précise avec humour qu’"on n'a pas l'impression de déranger" 864 . Daniel et Antoine insistent sur les locaux accueillants et "sympas", premier élément conditionnant la rencontre et favorisant le dialogue 865 . Beaucoup se sont sentis "tout de suite à l'aise» et "le courant est tout de suite passé". Cette dimension de spontanéité et d'immédiateté dans la relation, soulignée par la fréquence de l'adverbe "tout de suite", revient très souvent dans les témoignages, notamment ceux de Daniel, Gérard, Brigitte, Alain, Marc. Une autre caractéristique, qui approfondit la précédente, émerge dans les propos de Jacques, Pauline et Léa : il s'agit de la mise en confiance immédiate. Gérard rapporte l'impression de "non-jugement", qu'il a sentie dès le début, que Marc exprime en disant "elle en met pas plein la tête", qui vient s'ajouter à la dimension de proximité. Cette insistance des témoins, repérée dans les expressions superlatives et les répétitions, confirme que la construction immédiate et positive de la relation est un facteur déterminant pour le déroulement de la rencontre.
Enfin, Mélanie, qui a rencontré l'ensemble des conseillères dans les deux années où elle a fréquenté la MIFE, tout en mentionnant leurs différences, souligne une ressemblance "dans l'esprit .. quelque chose qu'on ne trouve pas ailleurs", qu'elle explicite par la dimension d'ouverture à la relation à l'autre. En parlant de "gens équilibrés", elle semble vouloir définir cette capacité d'accueillir l'autre, de telle sorte que celui-ci trouve sa place dans une relation paisible. A contrario, elle exprimera plus loin les effets négatifs de la relation, quand la conseillère, peu disponible et "stressée" n'a pas été capable de l'écouter en profondeur. D'autres témoins ont souligné "l'ouverture" de la conseillère, attitude qui prédispose à l'établissement d'une relation.
L'ensemble de ces critères convergent vers une appréciation positive d'une relation qui commence bien, prédisposant ainsi les personnes au dialogue, ce qui peut certes flatter un certain "narcissisme professionnel", mais qui permet sans difficulté d'évaluer positivement l'impact de ce premier accueil réussi sur le processus d'élaboration de projet.
Les trois composantes du concept d’attitude dans le discours des témoins
La dimension affective a été soulignée par Claire : "elle positivait les choses, il n'y a jamais de chose négative qui en ressort", de même par Daniel, "positive, insufflant de l'énergie", par Marc qui qualifie l'attitude de "franche et honnête" , et par Mathilde, parlant de "grande neutralité", dans le sens sans jugement, et de valorisation.
La dimension cognitive pourrait se retrouver dans les qualitatifs touchant le savoir faire de la conseillère, que l'on retrouve dans les expressions de "professionnelle", évoquées par Margaux et Marc, "qui a fait le lien entre le savoir être et le savoir faire", utilisée par Liliane. Mais la plupart ont souligné la dimension conative de l'attitude, majoritairement en terme d'écoute — dont l'occurrence est la plus forte —, de disponibilité, de sens du dialogue - voire de "technique relationnelle en place" comme le dit Paul —, de mise en confiance, de respect. Si la conseillère favorise l'écoute, est "à sa place", "très réceptive et très sereine", elle va plus loin dans la relation :"elle s'intéresse à mon cas", "elle nous fait parler et elle est attentive à ce qu'on dit". Marc résume ainsi les trois composantes : "professionnelle, franche et honnête et en même temps encourageante, elle est à sa place". Il insiste sur l'importance de l'attitude "correcte", c'est-à-dire ajustée et, à ce propos, fait une comparaison digne d'intérêt, une fois dépassée la connotation religieuse, avec un dialogue qu'il a eu dernièrement avec un prêtre. En effet, il explique comment la relation ajustée, c'est-à-dire sans complaisance ni désir de calmer l'inquiétude, voire de séduire, permet à l'autre d'accepter une vérité, qu'elle soit effrayante ou simplement désagréable et par là, de dépasser un problème et d'avancer dans la confiance.
Deux personnes ont apporté des réserves, délimitant ainsi les contours de la relation établie. Mélanie, qui a concrétisé son projet par un stage en entreprise dont le suivi est réalisé par la MIFE, dans le cadre d'un dispositif d'orientation par alternance 866 , a ressenti un manque d'accompagnement de la conseillère. Dans cette démarche d'insertion en entreprise, qu'elle a vécue difficilement, elle a eu l'impression d'avoir été abandonnée : "je paniquais et tout et un jour j'ai appelé et elle m'a un peu... c'est pas envoyé balader, mais j'ai senti qu'elle avait ses propres problèmes et qu'elle pouvait pas porter les miens". L’exemple de Mélanie pose ainsi la question des limites de l'accompagnement et de son ajustement aux besoins de la personne. En effet, jusqu'où accompagner et selon quelles modalités ? Dans ce cas précis, le stage en entreprise, en tant que simulation d'une situation d'emploi, établit une situation transitionnelle qui, certes, requiert une autonomie mais, en même temps, exige un accompagnement suffisant. Le responsable de ce suivi doit évaluer le degré d'autonomisation du stagiaire, afin d'en ajuster l'accompagnement, ce qui représente un équilibrage parfois difficile, qui oscille entre la liberté de laisser la personne "se débrouiller" et le risque d'une assistance trop prégnante. Mélanie, avec précaution, ne souligne pas le manque d'écoute, qui semblerait pourtant la raison première, mais le stress et l'impuissance de la conseillère à résorber l'angoisse et à résoudre le problème posé. Cet exemple confirme la force des impressions éprouvées qui, au delà des mots, conditionnent la relation. L'angoisse, qui ne trouve pas à se diluer dans un dialogue suffisamment apaisant, peut avoir des répercussions non négligeables sur l'avancée du projet. On peut imaginer qu'une personne plus fragilisée aurait pu prendre la décision d'abandonner le stage, à la suite d'une relation insuffisante. Mélanie souligne également l'exigence de la relation, qui, une fois établie dans la confiance, doit être constante pour être crédible : "tu investis vachement là-dedans et puis après ... À la limite je préfère les gens qui affichent tout de suite la couleur .. que d'être trop gentil et finalement après, quelque part on laisse un peu tomber les gens". À partir du moment où une relation de proximité a été établie, tout changement peut être très mal perçu et périlleux pour la suite.
Liliane "qui n'était pas venue pour qu'on la tartine", évoque, quant à elle "une écoute partiale", mettant en exergue les effets négatifs d'une trop grande positivité auprès de personnes cherchant l'objectivité, alors que pour d'autres plus insécurisés et angoissés, l'effet pourra être dynamisant. Là encore, c'est au conseiller d'ajuster son attitude en fonction du degré de réceptivité et des besoins des consultants.
Le regard
Dans notre effort pour cerner au plus profond la relation vécue, nous ne pouvions manquer d'interroger le premier vecteur de relation qu'est le regard, en sachant la difficulté d'en parler, tant il peut échapper à la conscience. Comme on peut le remarquer à la lecture des interviews, la question sur le regard a étonné un certain nombre de personnes, qui n'ont d'ailleurs pas toutes répondu 867 . Mais, s'il échappe à la conscience de celui qui regarde, il ne peut manquer d'être repéré plus ou moins consciemment par celui qui voit ou le croise. La plupart du temps, la perception du regard reste dans la sphère du non conscient pour ne pas dire de l'inconscient, mais, en posant directement la question, nous voulions, dans notre investigation, le faire exister. Comme nous l'avons constaté dans les entretiens-interviews, il y a le regard concret ou "physique", évoqué par un témoin qui en a demandé la précision, et le regard abstrait, qui signifie plus globalement l'accueil de la personne par la conseillère. Nous avons déjà évoqué la mention du "regard qui écoute", indiquant la centration et la concentration de la conseillère sur la personne accueillie.
Tout d'abord, même s'il n'est pas resté dans la mémoire, le regard a été remarqué par un certain nombre — seules sept personnes n'ont pu répondre à la question, n'en ayant pas gardé le souvenir —, ce qui veut déjà dire qu'il y a eu échange de regard.
Comme le dit Marc, la conseillère, "c'est pas quelqu'un qui parle sans regarder l'autre", ce qui paraît pour le moins normal dans un entretien de face à face, mais il ne semble pas inutile de le préciser. En effet, dans la situation de face à face, le regard qui ne se pose pas vraiment, se remarque en général immédiatement et suscite un malaise, ce qui ne semble pas avoir eu lieu dans les entretiens d'orientation.
Les deux dominantes du regard concret, exprimées dans le retour de nos témoins, se situent autour des qualificatifs" énergique", "clair", "direct", "franc", exprimés notamment par Claire, Jeanne, Pauline, Gérard, Judith, Mathieu, et "positif", évoqués par Liliane, Sonia, Alain, Mathilde. La première caractéristique désigne l'ajustement de la relation, dans laquelle il n'y a pas de trouble, et la deuxième, l'accueil ou l'acceptation inconditionnelle, voire la bienveillance de la conseillère. Certains, comme Claire, Pauline, Alain, Fanny, Antoine, ont donné des définitions plus abstraites, du type "qui met en confiance", "elle me regardait dans qui j'étais", "beaucoup de pensées communes à travers le regard", "j'ai senti quelqu'un d'impliqué", marquant d'une autre manière l'acceptation de l'autre. Pour Brigitte, dont la situation familiale était préoccupante, puisqu'elle se trouvait seule à élever ses trois jeunes enfants et devait chercher du travail, l'expression "il n'y avait pas de larmes dans les yeux" pourrait indiquer l'effet positif d'une relation établie, qui entraîne la personne au-delà de son présent difficile. Enfin, Léa a évoqué le "regard extérieur sur sa vie, sur ce qu'on fait, sur ce qu'on est", qui n'est pas neutre et qui valide, en le comparant à la situation psychanalytique.
Citation reprise par Rodolphe GHIGLIONE et Jean François RICHARD, Cours de psychologie, 1 Origines et bases, Dunod, 1993, p. 215.
A travers cette boutade, se dessine une réalité moins riante où la dimension d'accueil reste encore trop souvent négligée dans les lieux publics, dont la fonction est pourtant d'accueillir. On pense immédiatement à l'ANPE, ou à l'ASSEDIC, dont le flux massif de demandeurs d'emplois, sans doute insuffisamment pris en compte dans l'organisation même du travail des agents, a rendu difficile un accueil de qualité. Il est vrai que la comparaison de cet accueil avec celui de la MIFE n'a pas d'objet tant les échelles sont différentes.
Dans leur premier rapport de 1987, les animateurs des MIFE avaient particulièrement souligné la nécessaire qualité du premier accueil, aussi bien matériel par des locaux agréables, que relationnel.
Le dispositif de stage "emploi vocationnel", mis en place par le conseil régional et géré par la MIFE de Savoie, permet à tout demandeur d'emploi, en difficulté d'insertion, de suivre un stage de 6 mois en entreprise, sous statut "stagiaire de la formation professionnelle", rémunéré par le CNASEA (organisme de gestion des rémunération des stagiaire de la formation continue), dans le but de vérifier son projet professionnel et de préparer l'insertion en entreprise.
Quand nous posions cette question, nous-même ressentions à certains moments comme une sorte d'indiscrétion, vis à vis d'un non-dit de la relation, comme presque déranger les personnes dans leur intimité.