Nous avons évoqué précédemment la mise en mouvement intérieur venant de la personne elle-même, comme une dimension inhérente de son désir, de sa motivation, pouvant se réveiller pour peu qu'elle soit suscitée, à la moindre occasion pourrait-on dire. Dans les commentaires, trois sources dynamisation venant de la conseillère ont été mises en exergue : l'une issue de l'identification à une interlocutrice dont l'attitude est dynamique, la deuxième résultant d'une mise en confiance et de valorisation, l'autre à partir d'une révélation, c'est-à-dire d'un objet de connaissance d'elle-même qui viendrait à la conscience grâce à l'intervention de celle-ci.
L'identification à une conseillère dynamique
Dans la logique de notre hypothèse, selon laquelle la relation favorise le processus d'élaboration et de mise en œuvre de projet, l'impression de dynamisme que la conseillère pouvait donner nous a paru un facteur déterminant. La question n'a pas été systématiquement posée mais, quand elle l'a été, elle a fait l'objet d'une réponse positive. Le témoignage de Brigitte, qui insiste sur l'efficacité d'une relation d'aide vivante, est parlant. En effet, elle souligne combien il est important de rencontrer une conseillère "entreprenante... qui avait la pêche, qui bougeait, qui (n')était pas les main (croisées) et qui n'attendait pas que je termine ma phrase... (qui) se levait, allait chercher des papiers". Avec humour, elle a démoli une certaine idée, caricaturale mais persistante dans les milieux professionnels du conseil, de l'attitude neutre du professionnel qui écoute imperturbablement et fait parler, sans livrer quoi que ce soit de lui. Comme beaucoup l'ont remarqué, ce dynamisme se transmet, tel un souffle qui, inhalé, revitalise les personnes, venant les sortir de leur propre lieu de souffrance et de blocage.
La mise en confiance et la valorisation personnelle : source de dynamisation
Certains témoins ont expliqué que, s'étant sentis valorisés au cours des entretiens, ils ont pu se mettre en mouvement. En effet, un des éléments constitutifs de la confiance en soi est le sentiment de sa valeur propre, qui se situe au cœur du concept de représentation de soi 889 .
Cathy fonde ce processus sur l'attitude positive de la conseillère, qui déclencherait « automatiquement» la mise en mouvement 890 , et elle définit clairement le processus en le comparant avec la mise en route d'un moteur :"c'est pas que je n'avais pas la sensation de pas pouvoir, c'est qu'il me manquait le petit truc pour démarrer", comme le geste de tourner la clé de contact d'un véhicule. Brigitte "est devenue plus active" parce qu'elle s'est sentie "soutenue".
Jeanne insiste sur le regard positif de la conseillère, à qui elle a donné progressivement sa confiance jusqu'à se sentir « en confidence» avec elle : "elle avait compris comment je fonctionnais... elle m'avait découvert en fait, elle savait où m'emmener ... elle m'a redonné l'espoir que j'étais capable de repartir travailler ... ça m'a redynamisée dans le sens que ça m'a revalorisée". En comprenant la première dans son fonctionnement intérieur, la seconde a mis le doigt sur son désir profond de retrouver du travail, avant toute élaboration de nouveau projet de formation, et a déclenché son acceptation d'un poste d'attente de CES. Pauline précise également que l'attitude positive de la conseillère, dans un premier temps, lui a donné envie de revenir consulter la documentation et, ensuite, l'a redynamisée : "ça m'a donné envie de me bouger... parce que c'était une période où j'étais assez figée".
On constate également un phénomène de réciprocité, source de dynamisation : la personne a reçu quelque chose au cours de la rencontre et, en retour, manifeste sa reconnaissance par un geste, une action : "elle m'a donné les moyens de me bouger, donc maintenant, c'est à moi de le faire quoi», déclare Pauline. Pour Brigitte, la réciprocité s'accompagne d'une responsabilisation : "j'avais un compte à rendre à la personne qui avait mon dossier, mon nom quelque part, qui m'envoyait — elle fait référence aux informations complémentaires que la conseillère lui adressait par courrier — on s'occupait de moi, il fallait bien que je montre que j'agissais de mon côté". On pourrait lire cette réciprocité dans une approche contextuelle 891 , qui décrit le rapport d'échange qui se construit entre deux personnes à travers ce que l'un donne et ce que l'autre reçoit, mais nous ne nous lancerons pas dans cette comptabilité relationnelle, préférant en souligner la dynamique.
L'action de révélation de la conseillère
Ce thème a été abordé par une question directe : "la conseillère a-t-elle été un révélateur pour vous ?", susceptible de mettre en exergue la possibilité, pour le consultant, de connaître quelque chose de caché ou inconnu de lui-même. De plus, en émettant cette hypothèse, nous voulions souligner la possibilité d'une symétrie d'action des deux protagonistes, avec le phénomène de prise de conscience. Dans sa formulation, la question n'a pas toujours été comprise et a suscité des demandes d'explicitation de ce vocable, qui fait référence à un registre mystérieux, voire religieux 892 . Nous avons précisé ce terme par une comparaison avec le procédé photographique qui fait apparaître progressivement, au moyen d'une intervention extérieure, d'un produit, une image latente, c'est-à-dire existant au préalable mais non dévoilée. Une autre formulation a également été exprimée, au sens de réveil, de manifestation d'un objet enfoui ou endormi.
Sur les vingt-cinq témoins, vingt et un ont répondu, avec douze réponses positives, dont une mitigée et neuf négatives. Pour quatre, nous n'en avons pas eu, soit que la question ne leur ait pas été posée, soit qu'ils n'aient pas répondu 893 . Pour celles qui ont répondu négativement, le terme "révélateur" a paru souvent trop fort pour définir l'action de la conseillère, qui reste surtout une « confortation » ou une dynamisation. En rapprochant les réponses de celles qui ont trait à la prise de conscience, on peut observer des similitudes évidentes entre les deux. En effet, dix personnes (Claire, Cathy, Pauline, Sarah, Léa, Liliane, Sonia, Judith, Mathilde, Estelle) ont répondu positivement aux deux questions, mentionnant, pour la plupart, la dimension de prise de conscience et de révélation sur elles-mêmes, dans une action conjuguée avec la conseillère. Mathilde ne voit pas de révélation radicale et atténue la portée du rôle de la conseillère en évoquant son travail personnel de thérapie ; néanmoins celle-ci lui a permis de se convaincre avec force qu'elle se reconvertirait, au sens qu'elle a "réveillé sa quête d'une autre voie professionnelle". Et, à partir du moment où il y a réveil, il y a mise en mouvement.
Sarah a répondu positivement seulement à propos de l'autobiographie raisonnée, qui a suscité une prise de conscience importante sur elle-même, et au cours de laquelle elle a fait l'expérience "du regard révélant de l'autre". Si Sonia a dit "oui peut-être", réservant sa réponse, Gérard traduit à sa manière cette dimension de révélation. Pour lui, il n'y a pas eu "une révélation totale au sens d'une apparition ou d'un miracle, mais ça a été un stimulant dans la prise de conscience". La confiance de fond qu'il a sentie dans le regard de la conseillère a été "un révélateur de possibilités " ; son action a consisté à révéler non pas des éléments inconnus de lui-même mais "des possibilités de réussir ce vers quoi il voulait aller", ce qui a réveillé en lui un dynamisme nouveau, après des années d'inactivité et de passivité "vis à vis des évènements". De la même manière, pour Judith, la conseillère a été un révélateur de "ce qu'elle était encore capable de faire", alors qu'elle était, "à la limite de la déprime", à l'approche de la cinquantaine et avec des problèmes de santé l'obligeant à une reconversion. Ce type de révélation a eu un effet de redynamisation très fort dans ces deux cas.
Estelle reconnaît que la conseillère "a révélé quelque chose" de personnel en elle, qu'elle n'a pas voulu préciser au cours de l'entretien-interview, mais dont elle a fait état par la métaphore du "grain de sable dans les rouages". En pointant ainsi son manque de confiance en soi, indirectement, la conseillère a conduit Estelle à mettre en valeur ses qualités dans son curriculum vitæ, et lui a fait découvrir la possibilité de transformer des point faibles en points forts, ce qui a été une autre révélation pour elle. De la même manière, dans le cas de Cathy, en l'aidant "à se regarder avec un autre regard", c'est-à-dire en lui révélant ses propres qualités par un regard positif, on a transformé sa propre appréciation d'elle-même. Pour Léa, la conseillère, par sa lecture de sa bioscopie, a été "un révélateur d'une cohérence qu'elle ne voyait pas" dans son histoire et lui a permis d'enraciner son projet professionnel dans sa motivation profonde, la peinture.
Nous en concluons que les objets de révélation sont diversifiés, liés à des caractéristiques personnelles, à des manières de penser, de se regarder soi-même ou de lire le déroulement de sa vie, ou encore d'entrevoir son avenir. En symétrie de la prise de conscience, l'action de révélation est source de dynamisation intérieure, de même que les paroles de valorisation personnelle et de mise en confiance. Enfin, la personne-même du conseiller, qui s’expose au cours de la rencontre, est susceptible d'engager le consultant dans un mouvement de libération, de consolidation ou de confortation personnelle. Cela nous conduit à regarder la situation des personnels de l'orientation, souvent surchargés par des entretiens qu’ils sont obligés d’écourter, ne pouvant apprécier le temps de rencontre et de découverte de l'autre, œuvrant dans un environnement professionnel parfois peu propice au dialogue ni épanouissant ; et pour peu qu'ils rencontrent eux-mêmes des difficultés personnelles, le processus d'identification sera inexistant, voire contraire, affaiblissant alors tout appui à l'élaboration de projet.
Lionel BELLENGER, La confiance en soi, Paris, ESF Éditeur, 1998, p.112.
Il est curieux cependant que, dans son ouvrage, l'auteur ne fasse pas d'allusion aux effets de la relation interpersonnelle dans la mise en confiance, hormis de citer les expériences déterminantes de la petite enfance, comme si, une fois de plus, l'adulte serait déterminé dans son niveau de confiance en soi à partir de l'enfance.
Même si elle ne va pas au bout de sa phrase, nous avons compris par la suite de ses propos, que nous avons mentionné, qu'il s'agissait bien d'une mise en mouvement.
Cette approche, fondée par le psychiatre d'origine hongroise Ivan Boszormenyi-Nagy dans le cadre d'une pratique de thérapie familiale, consiste à mesurer les relations par "l'équilibre entre le donné et le reçu" des différents membres de la famille et à introduire un dialogue, dans lequel "les comptes étant faits", la relation peut s'établir sur de nouvelles bases.
Si, en psychologie ou en philosophie, ce terme indique la résonance en soi d'un évènement, en théologie, il signifie l'action de Dieu faisant connaître aux hommes sa volonté inaccessible à la raison humaine.
Nous n'avons pas posé la question à Daniel, ayant ressenti tout au long de l'interview que la prestation d'orientation de la MIFE n'avait pas apporté de connaissances nouvelles et n'avait été qu'une confirmation de ce qu'il connaissait déjà. Jeanne et Géraldine n'ont pas répondu à la question, peut-être ne l'ayant pas comprise. Quant à Brigitte, elle a répondu, sans confirmer ou infirmer explicitement, mais nous pouvons opter pour une réponse négative, dans la mesure où elle a situé la conseillère comme étant "un maillon d'une chaîne" qu'elle s'était constituée en appui à sa recherche d'emploi.