Si Feuerstein a défini douze critères précis de médiation qui, pour lui, conditionnent une relation éducative de qualité, dans notre étude, nous en avons privilégié six qui nous ont paru fondamentaux et déterminants 915 . Le premier critère, l'intentionnalité, préalable à tous les autres, peut être considéré comme facilitant toute relation, en revanche, les six autres nous ont semblé constitutifs d'une relation favorisant le processus d'élaboration de projet. L'intentionnalité, avec son corollaire, la réciprocité, sont, pour Feuerstein, les deux critères les plus importants : tout acte éducatif est soumis à une intention de son animateur, consciente ou non, qui est efficiente et, en retour suscite le désir et la motivation de l'apprenant. Le concept d'intentionnalité, appartenant à l'origine au registre de la philosophie, est lié à celui d'implication. La conseillère, impliquée elle-même, suscite le concours actif de la personne dans sa lecture de vie et son travail d'élaboration de projet. Nous avons introduit ce critère par cette question : "Avez-vous eu le sentiment que la conseillère avait envie de vous aider ?", que nous avons assortie d'une seconde : "Aviez-vous le qu'elle était positive à votre égard ?".
La transcendance est la possibilité de dépasser la situation concrète ou le besoin immédiat, pour atteindre une généralisation de l'action :"elle permet de transformer les stimuli qui s'abattent de manière directe et de leur donner une interprétation au-delà de l'expérience épisodique et isolée" 916 . Ce critère est inhérent à la relation d'orientation telle qu'elle est pratiquée à la MIFE, puisque, au travers du recensement des expériences et des acquis personnels et professionnels, il s'agit d'élargir le champ des représentations personnelles et professionnelles, de rechercher des pistes nouvelles et d'inscrire le projet dans la globalité de la vie. En effet, nous considérons que le processus d'élaboration de projet professionnel n'est pas dépendant exclusivement de l'environnement extérieur, mais est basé prioritairement sur l'identité et l'expérience de la personne, dans un rapport de faisabilité avec celui-ci. Les questions "est ce que vous pensez que ce projet, cette direction que vous avez prise, s'enracine dans votre histoire, dans votre personnalité ?" comme sur l'élargissement des représentations professionnelles, nous ont semblé traduire cette dimension de transcendance 917 .
La médiation de signification entraîne la personne dans une attitude de recherche de sens ; elle "représente en quelque sorte le facteur énergétique. Il donne à l'individu le pourquoi de ce qu'il fait, il explique la raison pour laquelle certaines modalités de comportement sont invoquées" 918 Ce critère, particulièrement pertinent en orientation, correspondrait à la recherche du sens des évènements d'une vie, en vue de l'élaboration de projet et, dans ce cas, la conseillère aide la personne à réfléchir sur le sens de son parcours. En effet, nous postulons, que tant que la personne n'a pas donné sens à son parcours, elle n'est pas en mesure d'avancer plus loin dans l'élaboration de son projet. Nous l'avons mis en exergue par les questions concernant la compréhension du parcours : "Pouvez-vous dire qu'elle vous a aidé(e) à voir plus clair dans votre parcours personnel et professionnel, à comprendre votre parcours ?" 919 .
La médiation de recherche de but (proche de la signification) invite à projeter, à anticiper son action dans le temps. On pourrait dire qu'elle est inhérente à la relation d'orientation, puisque spécifique du travail d'élaboration de projet professionnel. Dans notre questionnement, nous l'avons identifié par plusieurs questions ayant trait à l'élaboration de projet, plus particulièrement celles-ci : "Pouvez-vous dire qu'elle vous a aidé(e) à construire votre projet ? à clarifier vos objectifs ? à clarifier votre projet ? à prendre une décision ? à vous lancer dans les démarches ?". Ce type de médiation ressort également du discours des personnes lors des entretiens-interviews.
Les médiations du sentiment de compétence, deconscience de la modifiabilité (ou médiation de changement)consistent, d'une part, à restaurer chez le sujet une image positive et une estime de soi par une attitude valorisante et, d'autre part, à susciter la prise de conscience, par la personne elle-même de sa possibilité d'évoluer, de sa capacité de faire un choix positif pour elle. Il s'agit d'élargir les représentations personnelles dans le sens d'une positivité, c'est-à-dire d'éclaircir l'image noire qu'elle a d'elle-même, perçue par elle-même en situation d'échec. En effet, nous considérons que tant qu'elle est envahie par une image négative d'elle-même, elle ne peut envisager sereinement un changement professionnel, et nous avons pu voir antérieurement combien la situation de chômage ternit l'estime de soi. Les questions "les entretiens ont-ils contribué à vous donner une image plus positive de vous-même?", "En présence de la conseillère, vous êtes-vous senti(e) compétent(e), capable d'évoluer ?" illustrent ces deux critères.
Nous n'avons pas retenu six critères, qui nous ont paru moins significatifs. La « régulation et le contrôle du comportement » relèvent plus spécifiquement de la réalisation d'une tâche cognitive que du travail d'orientation, tel qu'il est réalisé en entretiens individuels de face à face. « L'individualisation et la différenciation psychologique », plus propices à la situation de travail en groupe, consistent à encourager l'élève à prendre conscience de sa singularité, ce qui n'est pas nécessaire en entretien individuel où cette conscience est immédiatement présente. « La médiation de défi », qui consiste à aider la personne à se dépasser soi-même, en la plaçant dans une situation de challenge, n'a pas été systématiquement explorée, dans la mesure où, s'adressant à des adultes, venus d'eux-mêmes et à priori motivés, la prestation d'orientation de la MIFE ne semble toujours requérir ce type de médiation. Certains, d'ailleurs, ont mentionné que l'expérience de vie était, elle-même, médiatrice de défi, à l'exemple de Margaux, pour qui la reconversion dans les métiers du transport en commun a été un véritable défi. On peut cependant imaginer que pour un public plus jeune ou encore en plus grande difficulté d’insertion, sans expérience professionnelle, ce type de médiation, liée à la motivation de la personne, soit plus développée. De même, « la médiation de comportement de coopération » ne nous a pas semblé nécessaire d'être vérifiée, tant il nous semblait évident que les personnes venant à la MIFE étaient volontaires pour ce travail d'élaboration de projet. On peut toutefois s'interroger sur le cas de Nathalie, qui ne semble pas avoir été suffisamment suscitée dans une coopération : en effet elle est venue à la MIFE, dans un moment d'interrogation sur son devenir, mais sans grande motivation pour entreprendre un travail de lecture de sa vie, souhaitant seulement se renseigner sur quelques professions. « L'alternative positive », ou optimiste, selon Feuerstein, qui "amène à tout faire pour chercher et trouver une solution à un problème"n’a pas fait l’objet d’une question précise, mais elle aurait pu être incluse dans notre questionnement (peut-être nous a-t-elle paru trop évidente ?). Enfin, la médiation d'appartenance à l'espèce humaine, critère développé plus tard par Feuerstein lui-même, qui indique la prise de conscience que la construction de l'individu s'inscrit dans une histoire, un passé, une culture, en proximité du critère de transcendance, nous semble traverser implicitement la relation d'orientation, dans la mesure où la personne s'interroge, de fait, sur la place et la fonction sociale qu'elle occupe ou désire. Nous ne l’avons pas explicitée dans notre questionnement
Reuven FEUERSTEIN, "le PEI, programme d'enrichissement instrumental", in Pédagogies de la médiation, autour du PEI,ouvrage collectif, préface de Guy Avanzini, Lyon, Chronique sociale, 3ème édition, 1996, p. 162.
Cette question pourrait également faire émerger le critère d'appartenance à l'espèce humaine, que nous n'avons pas jugé nécessaire d'approfondir tant il nous paraît inhérent à l'action de s'orienter.
Idem, p. 163. La différence entre la situation d'apprentissage et la situation d'orientation est que dans la première, le maître va d'abord "imposer" sa propre signification, pour susciter ensuite celle de l'élève. En orientation, le conseiller suscitera directement la personne sur le sens qu'elle peut voir dans les étapes de sa vie.
Ces questions se recoupent aussi avec les premières concernant la compréhension du parcours personnel et professionnel et la direction pour l'avenir.