3.3.3. La médiation dans le discours des témoins

Dans le tableau général II "Aide, dynamisation, médiation" placé en annexe, et le tableau 15 "Médiation" ci-dessous, nous avons recensé quantitativement l'ensemble des réponses, critère par critère. La médiation est constituée des attitudes de la conseillère propices au développement de prises de conscience chez la personne, favorisant chez elle un changement de représentations. En choisissant la méthodologie des entretiens-interviews qui privilégie la parole des personnes pour analyser la prestation d'orientation, nous avons vérifié la réalité de l'impact d’une relation de médiation au travers de leurs déclarations et en recoupant certaines questions posées 920 .

Dans l’ensemble, le total des réponses positives est élevé, avec deux pics très significatifs concernant l’intentionnalité et le sentiment de compétence, tandis que les médiations de transcendance, de signification et de but obtiennent des résultats très satisfaisants avec seize à dix-sept affirmations fermes, et quatre réponses positives atténuées pour le but.

TABLEAU 15 : Critères de Médiation

Catégories

Oui

Oui mais

Non

Non
pas besoin

pas de question

pas de réponse
Intentionnalité 24 1        
Transcendance 16   1     8
Signification 17   2 6    
Recherche de but 17 4 1 3    
Compétence 20 2 1 2    
Changement 4 3     18  

Les réponses en termes de médiation de changement sont moins satisfaisantes, avec respectivement sept « oui », assortis de quelques atténuations. Pour ce critère, il s’est avéré dans la lecture des interviews que la question n’a pas été posée systématiquement parce que la plupart des personnes y avaient répondu positivement indirectement au préalable, comme le tableau général II « Relation Aide, dynamisation et médiation » l’indique en annexe.

Ces résultats quantitatifs montrent que la dimension de médiation est effectivement présente dans la pratique d’orientation. Il convient de le vérifier maintenant dans l’analyse du discours des témoins, critère par critère.

L’intentionnalité et la réciprocité

Avec un chiffre record de vingt-cinq réponses positives dont celle de Sarah atténuée, on peut établir sans hésitation l'implication de la conseillère dans la relation et ses efforts de réciprocité, c’est-à-dire de ne pas laisser la personne dans la passivité de sa situation antérieure. Margaux justifie ainsi l'interdépendance des critères d'intentionnalité et de réciprocité :"C'est pour ça qu'après, je lui téléphonais pour la tenir au courant. Sinon, je l'aurais pas fait !" . Beaucoup insistent sur le fait que la conseillère manifestait un grand intérêt pour leur personne et leur environnement. Claire parle même de passion : « Oui, oui, je pense que c'est quelqu'un qui se passionne bien pour les autres ». Pauline résume ainsi cette attitude qui a permis d'ouvrir le dialogue au delà du strict objectif professionnel : "elle a essayé de me connaître en profondeur", ce qui l'a beaucoup aidée dans l'élaboration de son projet. Jacques suppose que ce "réel intérêt" pour la vie de l'autre, tout en restant "dans la limite des choses", relève d'une motivation pour un travail relationnel, à l'opposé du "fonctionnaire qui attend le moment de partir". Gérard renchérit, en se déclarant prudent sur le terme de « vocation »  ; il souligne la dimension de motivation de ce métier que l'on ne peut faire dans la "routine" : "cette dame-là n'est pas venue par hasard dans le métier, qu'elle a quand même choisi ». Mathilde met en rapport ce critère avec la disponibilité de la conseillère, qui montre son implication, dans un premier temps, par une attitude d'ouverture. De plus, elle a senti "un grand enthousiasme par rapport au projet, par rapport à la démarche de reconversion ou du moins de questionnement". Non seulement il y a un intérêt mais aussi de l'ardeur dans l'engagement de celle-ci, sans "décoller toutefois de la réalité, en gardant les pieds sur terre". Cette attitude ajustée peut ainsi conduire l'autre vers une authenticité de réflexion. Aux éventuelles interrogations sur la réalité du désir d'introspection chez les consultants en orientation, une confirmation est ainsi apportée, établissant l'importance du rôle du conseiller dans ce chemin de vérité sur soi.

Léa approfondit encore, en précisant qu'elle n'a pas ressenti chez la conseillère une simple envie d'aider mais une implication personnelle, qui lui a paru plus forte :"'être dans le plaisir de ce qu'on fait, c'est plus important qu'une relation d'aide ... je ressens plus le fait qu'elle aime ce qu'elle fait". Avoir envie d'aider peut être perçu comme relevant d'une attitude d'assistance vis-à-vis de l'autre, mais faire ressentir qu'on aime ce que l'on fait, libère en quelque sorte la personne du poids de ce souci de l'autre et la place dans une situation d'égalité interpersonnelle.

Fanny a répondu à la question avant qu'elle ne lui soit posée, en insistant sur la motivation profonde de la conseillère : "On sent qu'elle a besoin, qu'elle veut que les autres s'en sortent .. en plus, ça l'enrichit cette femme." Ces propos, qu'il convient de replacer dans leur contexte soulignent néanmoins la nécessité d’un dosage équilibré de la motivation du conseiller, qui ne devrait pas se transformer en "besoin", au risque de devoir être satisfait au détriment des propres besoins de la personne. Fanny introduit également la dimension de transfert positif, qui peut se réaliser d'autant mieux que l'implication du conseiller est forte : "Je me suis dit c'est super ce qu'elle fait, elle est bien dans son truc .. c'est quelqu'un qui est à fond dans ce qu'elle fait". Ce terme de transfert, issu du langage psychanalytique 921 , résonne avec celui de réciprocité dont parle Feuerstein, qui est suscitée par l'implication personnelle du conseiller.

L'implication de la conseillère est également comprise comme "la volonté de bien faire son travail", ainsi qu'Alain le précise, reliant cette attitude à une conscience professionnelle effective. Le moins que l'on peut exiger d'un professionnel de la relation d'aide c'est qu'il ait envie d'aider ; cependant, cette évidence ne trouve pas une application automatique, tant les phénomènes inconscients qui émergent dans le non-dit de la relation interpersonnelle peuvent engendrer des incompréhensions.

Nous pouvons entrevoir quelques écueils de ce critère de médiation dans le discours de Sarah et de Sonia. Si la première acquiesce sans hésitation quant à "l'intention" des conseillères qui serait « bonne » mais elle en a perçu une limite dans la mesure où elles seraient "dans l'incapacité d'appréhender ce qui se joue à l'intérieur" des personnes. La seconde souligne l'importance d'une implication égale, qui ne diminue pas d'une rencontre à l'autre : "la première fois, il y a eu vraiment quelque chose ... la deuxième fois, j'ai été un peu frustrée ". Sonia, qui avait éprouvé un fort sentiment de proximité avec la conseillère lors de la première rencontre, a été quelque peu déçue, la deuxième fois, de ne pas retrouver ce même climat. Ces paroles confirment, par le positif et le négatif, que ce double critère d'intentionnalité et de réciprocité, qui suppose intérêt, implication et engagement de la part de la conseillère, ouvre une voie d'authenticité dans la relation et active ainsi le travail d'élaboration de projet.

La transcendance

Le critère de transcendance, avec seize réponses positives, bénéficierait d’un résultat moyen si nous ne considérions le nombre de non-réponses. En effet, huit personnes n'ont pas été interrogées explicitement (Cathy, Jeanne, Nathalie, Marc, Géraldine, Fanny, Antoine, Mathieu) 922 , tandis que Mélanie a répondu indirectement qu'elle n'avait pas besoin d'être médiatisée sur ce plan-là. En effet, de façon appuyée, elle a décrit comment cette dimension était immédiatement présente dans sa démarche d'élaboration de projet : "C'est-à-dire que moi, ce que je rêve, ce que j'ai dit au début, ... ce que je voudrais, c'est arriver à être suffisamment compétente ... pour un jour .. alors, là, c'est le rêve, pour pouvoir proposer mes services à quelque chose d'humanitaire, d'artistique ou de confessionnel". Le secrétariat n'est pas une fin en soi, mais s'inscrit dans un projet à plus long terme, qu'elle appelle son "rêve", qui, si elle parvient à s'en rapprocher, lui fera oublier toutes les difficultés qu'elle traverse en ce moment. Sarah traduit aussi cette dimension de transcendance par "l'imaginaire et le rêve que ça peut susciter" et qui "donne un petit coup de ressort". Mais cette dynamique peut vite retomber faute de propositions professionnelles concrètes et l'action de la conseillère devient alors limitée.

Parmi les réponses positives, pour Léa, l'action de la conseillère qui a été un "révélateur de cohérence", lui a permis de dépasser ses fonctionnements habituels, consistant à mettre l'art à côté de sa vie professionnelle, et de changer de stratégie, en dépit des difficultés actuelles avec son conjoint. Paul insiste sur la dimension "d'épanouissement personnel"qu'il a sentie dans l'approche de l'emploi de la conseillère qui, au delà de la recherche de solutions professionnelles concrètes, l'a aidé à envisager l'emploi dans une "dynamique d'avenir et de vie", alors qu'il avait vécu son licenciement douloureusement, en éprouvant des sentiments d'échec, de culpabilité et de rancune très forts.

Judith a pu dépasser l'image négative d'elle-même : "je suis passée de l'autre côté en me disant et ben ma petite, t'es capable de plus, c'est génial !". La médiation de la conseillère lui a même donné "des ailes" pour aborder une deuxième tranche de vie, en dépassant la référence à l'emploi salarié. Estelle a perçu dans la pratique d'écoute centrée sur la personne et dans la qualité de présence de la conseillère une incitation à "aller plus loin" dans l'exploration de soi, pour découvrir en soi des qualités enfouies, source de redynamisation de la recherche d'emploi.

Jacques, comme Pauline et Sonia, ont modulé leur réponse soulignant que l'action de la conseillère s'est inscrite dans un ensemble de médiations sociales (psychothérapie, contacts avec d'autres services d'orientation etc.) qui leur a permis de mûrir leur idée de reconversion et d'aller vers un secteur d'activité nouveau, en ayant, comme le dit Pauline, « les bases pour s'orienter ». Les limites de cette médiations'expriment au travers des deux réponses mitigées : pour Liliane, le temps de formation a été plus déterminant, même si l'action de la conseillère de mise en cohérence de son parcours personnel et professionnel, en lui redonnant confiance face à l'inconnu d'une recherche d'emploi, lui a permis d'accepter en profondeur l'évolution de son projet professionnel, donc de dépasser ses propres représentations. Pour Alain, elle ne semble pas avoir été efficiente car elle n'a pas permis d’aller au-delà de ce qu'il savait déjà sur lui-même et sur les filières professionnelles.

Ce critère, qui a peut-être souffert de ne pas avoir été systématiquement interrogé, conditionne l’avancée du processus d'élaboration du projet parce qu’il permet l’élargissement des représentations. L'action de la conseillère est d'autant moins efficace que le sujet s'arrête, par manque de motivation ou par trop de souffrance. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous empêcher de poser la question inhérente à tout acte éducatif : tout a-t-il été tenté dans la relation, notamment pour élargir les représentations personnelles et professionnelles ?

Les médiations de signification et de but

Notre lecture s'appliquera à ces deux critères, qui nous semblent les plus spécifiques de la relation d'orientation, du fait de la complémentarité des questions posées et de leur proximité, tous deux concernant le sens : le premier insiste sur la compréhension, tandis que le second est tourné vers la direction. En effet, la plupart des personnes ayant répondu positivement aux questions sont identiques, montrant ainsi que ces médiations, signification et but sont très liées. Alors que le critère de signification obtient dix-sept réponses positives, le but en atteint vingt et une, dont quatre mitigées. Six personnes (Antoine, Daniel, Brigitte, Mathieu, Alain, Margaux) ont déclaré ne pas avoir eu besoin de la première médiation, et trois (Antoine, Brigitte, Daniel), de la seconde, la plupart ayant une idée de projet déjà bien établie. Brigitte, qui avait l'assurance de pouvoir s'en sortir quelle que soit la situation, avait donné priorité à une recherche d'emploi active et large. Daniel, dont l'idée de projet était antérieure à son licenciement, n'a pas cherché plus loin, retenant davantage la dimension de réconfort des entretiens.

Parmi les dix-sept et vingt et une affirmations nettes, on peut observer que ces médiations se sont réalisées, avec le support de la parole, selon différents niveaux de compréhension. Jacques associe ces critères de médiation à "une gymnastique de la parole", qui permet d'affronter plus sereinement les entretiens d'embauche, parce qu'on a recommencé à parler, à s'exprimer, "à défendre ses idées, son point de vue" face à un interlocuteur spécialisé et à l'écoute. Il met aussi l'accent sur la situation de travail qui développe aussi les médiations de signification et de but, et lui a permis d'entrer en profondeur dans la compréhension du métier de moniteur-éducateur 923 . Sonia va dans le même sens en évoquant l'alchimie productrice de sens que constitue la parole : "Je m'en suis rendu compte en l'expliquant en racontant — j'ai commencé à raconter ce que j'avais fait au lycée, d'un point de vue scolaire—, et en disant tout ça et en racontant après les emplois que j'ai fait, je me suis rendu compte que, il y avait un fil conducteur ... Il ne s'agit d'une simple description de son parcours professionnel, mais d'un exercice de parole-recherche de sens, que la conseillère guide avec des questions et des reformulations et que Sonia met en rapport avec son propre travail de thérapie : "c'est la parole, à ce moment donné là, avec cette personne là parce que c'était important, et qui est l'aboutissement quand même d'un travail personnel que je fais depuis plusieurs années. Mais de pouvoir parler du travail comme ça, c'était quelque chose que j'avais jamais fait dans mon travail personnel".

La médiation de signification, appuyée, selon Paul sur "un système de prise de conscience de capacités qui permettent d'amener la solution", dans une problématique plus existentielle, lui a donné la possibilité "d'approfondir son cheminement" en toute liberté et dans une certaine sérénité. Elle lui a permis aussi de faire le deuil de son licenciement douloureux. Pour Estelle, la médiation de signification a consisté à dépasser son jugement négatif, sur elle-même, et la conseillère a ainsi pu mettre sous ses yeux sa propre façon de ne pas suffisamment se mettre en valeur dans son CV, lui faisant comprendre que cette présentation était fausse.

Certains ont répondu de façon lapidaire aux questions, mais on peut y associer un commentaire d'après l'ensemble leur discours. Après les entretiens, Gérard a immédiatement remis en forme son curriculum vitæ, mettant ainsi en pratique la compréhension de son parcours professionnel. Léa, qui avait longuement décrit l'effet de signification de l'autobiographie raisonnée, explicite clairement le processus de médiation, qui a été, dans son cas, révélateur de cohérence : "je vivais pas les choses comme étant cohérentes dans ma vie.... Et c'est là, quand la conseillère m'a dit que c'était cohérent, moi je n'avais pas le sentiment de cohérence, j'avais le sentiment de choses juxtaposées, comme une espèce de, je sais pas comment dire, de lutte quoi, il fallait toujours se bagarrer, il fallait toujours lutter pour retourner là où tu avais envie d'être en fait. ... Et puis le fait d'avoir un regard extérieur sur ça, ben quelque part ça valide en disant "mais attends, ton parcours il est logique, il est cohérent!". Donc je ne dis pas qu'il y a une autorisation à être ... ce qu'on est, mais peut-être que c'est ... et ben oui, ben c'est ça, alors tu fais avec". Elle a pu ainsi atteindre une compréhension plus profonde encore, que l’on pourrait appeler existentielle, touchant au sens de sa vie, qu'elle compare à la psychanalyse. Si la conseillère n'a fait qu'attester ce que Léa savait au fond d'elle-même mais ne s'autorisait pas à exprimer, à faire exister, sans cette parole extérieure, le sens n'aurait pas émergé à la surface de la conscience ou de la conviction. De la même manière, Liliane décrit cet appui à l'émergence de sens : si ses compétences ne lui étaient pas étrangères, "elle les connaissait comme des pièces de puzzle qui ne sont pas mises en place". La conseillère lui a permis, non seulement, de faire des liens entre ses différentes expériences bénévoles et professionnelles mais, en plus, de resituer l'ensemble de ses compétences, tel un puzzle qu'on assemble. En lui "remontant les bretelles", au sens de ne pas se laisser submerger par son problème de santé, la conseillère a suscité chez Judith une conscience de ses capacités, lui permettant d'entrer dans une réflexion sur un nouveau sens à donner à sa vie, non plus centrée sur une activité professionnelle subie, mais sur un véritable choix d'existence : "il s'est entrouvert quelque chose et j'ai vu que je pouvais éventuellement faire beaucoup mieux que je ne faisais".

Mathilde explique avec précision l'intervention de la conseillère pour faire émerger le sens en elle : "elle m'a posé des questions, donc elle m'a amenée à mettre des mots, et à essayer de clarifier ma pensée .. mes questions, elle me les retournait avec une autre formulation ... l'action très concrète c'est .... m'aider à clarifier, peut-être m'aider à m'écouter, puisqu'en fait les réponses, elles sont ... pas dans ses réponses à elle, mais en moi".Elle n'avait pas, jusqu'à ce jour, expérimenté la pratique rogérienne de reformulation. En répondant à la question par une autre question, cela lui a permis de trouver sa propre réponse à ses questions et ainsi, de progresser, en trouvant l'énergie en elle pour aller de l'avant. Ce qui nous paraît intéressant dans cet exemple, c'est le parallèle que Mathilde fait entre les pratiques de l'entretien rogérien et celles de la médiation. La technique de reformulation est propice à développer la médiation de signification, puisqu'en questionnant la personne sur sa propre question, on la conduit à affiner le sens de ce qu'elle dit et à approfondir sa réflexion.

Dans un autre registre, celui de la compréhension des dispositifs de formation et d ’emploi, Pauline, à la suite des entretiens, "a pu bien visionner les choses, c'était plus concret", au sens où la conseillère, dans une attitude de coopération, lui avait donné les moyens pour agir, qui passaient par une information et une compréhension des dispositifs de formation : "le fait d'avoir des adresses ... qu'on nous passe des petits tuyaux comme ça ... elle m'a envoyé une coupure de presse pour faire de l'encadrement ..le fait de savoir qu'il y a des gens qui pensent à nous, qui mettent des choses à votre disposition, c'est vachement positif". Mélanie a pu "mettre de l'ordre dans ses affaires" tout au long des étapes d'élaboration de son projet, grâce à l'accompagnement reçu, mais aussi grâce à sa volonté d'aller vers son désir. Si, pour elle, la médiation a joué son rôle, elle estime cependant qu'elle a agi d'elle-même dans ce sens, attestant d'une réciprocité dans la relation. Claire, pour qui la reconstruction personnelle était plus prioritaire que le projet, la médiation de signification s'est portée sur la compréhension de son parcours : "je comprends pourquoi je suis restée 16 ans dans la même entreprise, je pense qu'il y avait un manque de confiance total ... je me disais que je serais jamais capable, ailleurs, de faire quelque chose".

Les limites nous ont été directement suggérées par les réponses négatives ou mitigées données par Nathalie, Géraldine et Sarah, pour qui, l'intervention de la conseillère n'a abouti à une clarification ni de leur parcours, ni de la direction à prendre, et par Mathieu et Alain, qui auraient sans doute eu besoin de médiation plus forte. Mathieu a reconnu la médiation de recherche de but, mais dans la limite de l'exploration d’un secteur professionnel, vers lequel, finalement, il n'est pas allé. La relation n’a pas conduit à « un travail de synthèse » plus élaboré, par manque de médiation de signification et il n'a pas senti non plus qu'il aurait pu susciter une autre intervention. Dans ce cas, ni la conseillère, ni Mathieu ne sont parvenus à dépasser le cadre d'une certaine représentation de la relation, celle d'une aide à l'exploration de nouveaux secteurs professionnels. D'autres aspects liés à la motivation de la personne peuvent entrer en jeu et dans le cas de Nathalie, la réciprocité dans l'envie de s'engager plus loin ne semble pas s'être manifestée non plus, ne facilitant pas de médiations de but et de signification.

Dans l’interview de Sarah, la recherche de sens est évoquée avec beaucoup de douleur, et « reste un de ses objectifs » mais elle définit cette médiation comme une "tentative » qui a échoué. On peut voir, à travers cet exemple, combien cette question, fondamentale dans l'élaboration de projet, est source de souffrances quand la réponse ne vient pas. Plus la personne est en crise et cherche désespérément le sens à donner aux évènements (chômage, ruptures..) qu'elle subit, moins la construction du projet semble solide, pouvant, à tout instant et à la moindre difficulté, s'écrouler. Il semblerait que la médiation de recherche de but n’ait fonctionné qu’en périphérie d'elle-même, comme elle le dit elle-même :"Ca ne touche pas au centre". Cependant, la constance avec laquelle elle est venue à la MIFE, chaque fois qu'elle éprouvait une difficulté, témoigne d'une action non négligeable d'apaisement des souffrances et d'encouragement, préalable aux médiations de signification et de but.

Au travers d’autres réponses mitigées, les médiations de signification et de but peuvent paraître moins efficientes. En effet, en se sentant réhabilité dans son intelligence, par une écoute compréhensive, Marc a réalisé qu'il était "capable de faire autre chose que manar", mais sans aller au-delà de cette prise de conscience. S'il a compris la complexité du dispositif emploi-formation qui exige d'entrer dans un travail personnel de discernement, il ne semble pas encore prêt à s'y engager. On peut s'interroger sur l'action de la conseillère, qui a conforté Marc, mais ne semble pas l'avoir poussé plus loin dans l'appropriation de son parcours professionnel, se limitant, si l'on peut dire, à une exploration de pistes professionnelles grâce au logiciel Choix. Au cours de notre entretien-interview, nous nous sommes rendu compte que la piste de promotion professionnelle à l'intérieur de son secteur professionnel des matériaux composites, pourtant créateur d'emploi, n'avait pas été exploitée par la conseillère. Mais était-il disponible pour aller plus loin ? Son rapport d’opposition à sa hiérarchie ne lui faisait pas entrevoir de possibilités dans l’entreprise et de plus, la naissance de sa fille semble avoir différé son désir de changement professionnel. Géraldine déclare avoir été aidée par la conseillère sur le plan de la connaissance des métiers et des cursus de formation, éléments de signification dans la phase d'exploration, mais il ne semble pas qu'elle ait pu aller plus loin, compte tenu du poids des problèmes, personnels, de santé, et de travail, qui pesaient sur elle. En décidant de prendre du temps pour approfondir sa réflexion, la jeune femme semble avoir pris la bonne décision.

Les médiations de signification et de but sont donc vécues de différentes manières selon les personnes. Une fois de plus, la parole est un vecteur privilégié, qu'elle soit dite ou entendue. L'intervention de la conseillère peut se limiter à une simple attitude d'écoute active, qui aura pour conséquence de donner libre cours à l'expression d’une signification perçue par la personne. Elle peut être plus intensive, grâce à l'utilisation des outils d'orientation, notamment l'autobiographie raisonnée, renforçant l'émergence de sens. On ne peut qu'être frappé encore par le fait que ce qui vient à la surface de la conscience semblait être déjà là, présent, mais ne demandait qu'une intervention extérieure pour apparaître.

A contrario, ces médiations ne sont pas toujours efficientes, soit que la personne ne les sollicite pas, par manque de motivation, ou ne puisse les accepter par trop de souffrance intérieure, soit que la conseillère n'ait pas pu intervenir davantage, ou n'ait pas été en mesure de le faire, par manque d'une compréhension suffisamment profonde. Les situations de malaise psychologique ou existentiel ne sont pas propices, la personne et la conseillère étant centrées sur l'atténuation de celle-ci en priorité. Ces deux médiations sont en interdépendance avec l'avancement du processus d'élaboration de projet, de l'équilibre intérieur des personnes et de leur environnement personnel et familial. En effet, les perturbations et les souffrances personnelles empêchent d'être réceptif à l'intervention de la conseillère et de se projeter dans l'avenir. Cette dernière peut également ressentir la situation de la personne et donner priorité à l'apaisement des souffrances, seule action possible au moment de l'entretien.

Enfin, si la personne est mobilisée par d'autres préoccupations, d'ordre familial, comme la naissance d'un enfant, le deuil d'un parent, elle n'a plus le ressort ou la motivation requis pour continuer le processus. Cela montre combien celui-ci est lié à la vie, et devrait être accompagné dans ce sens pour plus d’efficacité.

La médiation de compétence

Le critère de sentiment de compétence obtient un résultat très favorable, avec vingt-deux réponses positives, dont deux mitigées, exprimées par Sarah et Sonia. Les réponses négatives de Mélanie et atténuées de Daniel et Antoine, mentionnant qu'ils n'avaient pas besoin de cette médiation, se situent dans la logique des précédentes, que nous avons déjà explicitées. Pour les personnes, qui ont donné une réponse positive, les commentaires, concernant la médiation de compétence, n'ont pas été nombreux. En effet, les premières questions sur la restauration de l'image et de la confiance en ses capacités, semblaient avoir épuisé le débat. Les personnes ont cependant reconnu, sans hésitation, l'action des conseillères dans ce sens. C'est donc au travers de ses limites, que nous pouvons préciser son efficience. En effet, Sonia, dans sa réponse positive, mentionne qu'après, "elle a douté", et que c'est elle "qui n'a pas suivi", sans expliciter immédiatement ce qui n'a pas suivi en elle 924 , tout en indiquant plus loin qu'elle n'était pas encore mûre dans l'élaboration de son projet. Toutefois on peut émettre l'hypothèse que, ayant reçu des réponses négatives à ses demandes d'emploi, elle se trouve arrêtée dans le processus, doutant que la piste classique de l'animation puisse se réaliser compte tenu de son manque d'expérience professionnelle préalable dans ce secteur. On peut dire que la médiation du sentiment de compétence réalisée par la conseillère s'est trouvée affaiblie par la confrontation avec la réalité des refus à ses demandes d'emploi. Cependant, cette jeune femme a pu rebondir, "confortée dans l'idée que ce n'est pas par les voies établies que j'arriverai à faire ce que je veux et que c'est à moi de trouver autre chose et la chose est que je ne suis peut-être pas tout à fait prête pour le faire tout de suite". Elle a pris conscience que son idée d'une reconversion dans l'animation, pour être viable, devrait s'enrichir d'une dimension de création d'activité, et qu'elle devait prendre le temps de la construire. On peut entrevoir par cet exemple l'étendue des ressources intérieures de la personne, capable de transformer en positif une réalité négative, à partir du moment où elle s'est sentie valorisée par le regard d'un autre. Le sentiment de compétence, s'il a été affaibli par la réalité extérieure du non-emploi, a pu retrouver une force, grâce au dynamisme intérieur de la personne. On peut imaginer qu'une tout autre personne n'ait pas pu réagir de cette manière et se soit laissée envahir par le doute.

Le cas de Sarah témoigne de la difficulté d'une médiation éducative avec une personne en situation personnelle de crise, voire de dépression. Pour elle, les interventions des conseillères lui ont paru "superficielles" et, même si elle n'est pas "complètement insatisfaite ... ça ne touche pas au centre". Pour ces personnes en souffrance psychique, il serait opportun d’envisager un type d'accompagnement thérapeutique qui anticiperait la prestation d'orientation, la préparant en quelque sorte. La MIFE lui a permis de "maintenir la tête hors de l'eau", ce qui est significatif. Cela confirme que l'orientation, à l'instar de tout acte éducatif, répond à l'expression de la sagesse populaire "sans cesse sur ton métier remets ton ouvrage". Nous pouvons également émettre une hypothèse : pour certaines personnes, ce temps de désert est peut-être, sinon nécessaire, du moins constructif dans leur parcours de vie. Là aussi, l'avenir donnera sa réponse. Mélanie n'a pas explicité sa réponse négative mais, on peut relier sa réponse négative à ces propos précédents, et notamment au sentiment d'infériorité éprouvé avec une des conseillères 925 . Ces réponses confirment que, même pour les adultes, censés avoir atteint la maturité affective, et dont on peut supposer que l'intervention d'une autre personne sur eux ne serait pas déterminante, le regard valorisant confirme quasiment automatiquement le sentiment de ses propres compétences. La médiation du sentiment de compétence reste fragile, exposée aux "coups" de la réalité extérieure, défavorable à la mise en œuvre des projets.

La médiation de changement

Le critère de la conscience du changement, également spécifique de la relation d'orientation, qui prépare au changement professionnel, n'a pas donné lieu à une question explicitement posée pour dix-huit personnes. En effet, ces dernières avaient indirectement répondu 926 ., soit ne pas avoir eu besoin de cette médiation parce qu'elles avaient déjà pris conscience antérieurement à l'entretien de leur capacité d'évoluer, soit que l'entretien — et non pas l'action personnelle de la conseillère — les y avait aidées.

Parmi les réponses positives, Claire relie ce critère à l'attitude de non-jugement de la conseillère, et le fait "qu'elle n'a pas de préjugés" sur les personnes, ouvre un espace intérieur de liberté, leur permettant d'envisager des possibilités nouvelles. Jacques, qui se trouve "dans une dynamique de réussite, dans sa tête", a apprécié l'action de la conseillère. L'aurait-il fait s'il avait eu des dispositions moins optimistes ? Là encore, on soulignera l'interaction dans l'attitude des deux participants de la relation. Pour Sarah, la médiation de la conscience du changement a surtout été ressentie pendant l'autobiographie raisonnée, où "le regard, la confiance de l'autre appelle à la vie". Le regard extérieur, bienveillant et confiant, a des répercussions sur sa propre lecture de sa vie passée et ouvre des perspectives. De même, Liliane a surtout perçu la médiation de changement à travers l'autobiographie raisonnée, qui, en lui faisant prendre conscience de la cohérence de son parcours, "lui a donné une certaine force sur laquelle elle prend appui". Jeanne a répondu par l'affirmative, tout en évoquant l'échec de l'élaboration de son premier projet, incompatible avec la situation du marché, et trop difficile vu son âge. La réalité extérieure semble avoir eu raison de la médiation de la conseillère 927 .

Parmi les dix-huit personnes, à qui la question n'a pas été posée, quatre ont déclaré par ailleurs que la prise de conscience des possibilités de changement avait eu lieu antérieurement et que l'intervention de la conseillère n'était pas nécessaire. Margaux s'est lancé un défi après avoir été licenciée et avait surtout besoin d'un "coup de pouce", qu'elle est venue chercher à la MIFE. De la même manière, Cathy, en ayant bénéficié d'une écoute attentive, sans avoir eu besoin d'une intervention plus spécifique, a retrouvé en elle la certitude qu'elle pouvait évoluer. Mathieu, qui, "à force de faire des missions très diverses, commence à être un peu rôdé", a induit qu'il n'avait pas besoin de ce type de médiation. Mais est-il vraiment convaincu que son propre rapport au travail puisse changer ? Il semble en effet qu'il n'ait pas encore cerné le centre de sa problématique de changement professionnel, qui pourrait être davantage un ancrage de son profil professionnel de technicien dans des fonctions relationnelles.

Pour quatre autres personnes, l'intervention de la conseillère a été une confirmation (Pauline, Brigitte, Marc, Gérard). Brigitte souligne que la compréhension profonde dont a fait preuve la conseillère l'a beaucoup aidée, notamment pour dépasser les réactions angoissées de ses parents vis à vis de la situation de chômage qu'elle vivait à ce moment-là.

Gérard a été rejoint dans son propre sentiment, engendré par sa situation de chômage, non pas d'une possibilité mais d'une nécessité de changer. En effet, après avoir tenté vainement pendant quatre ans de trouver du travail dans des secteurs où il avait des savoir-faire professionnels, c'est dans la contrainte du non emploi qu'il a pu envisager "de changer carrément d'activité, se tourner vers autre chose et joindre la passion à la profession", comme s'il sortait une dernière carte de son jeu, en allant vers sa motivation profonde. Cet exemple montre, là encore, la force de la dynamique intérieure de la personne, qui va chercher en elle-même de nouvelles ressources, convaincue, au fond, de ses propres capacités d'aller vers le changement. L'action de la conseillère a consisté principalement à accueillir cette dynamique dans la confiance. Il ne s'agit pas là, de passivité, mais d'une relation "vivante", dans le sens où la personne rejoint la vie en elle.

Pour six personnes, on peut parler d'une médiation mitigée. Si, pour Daniel, la conseillère "insuffle toujours quelque chose de positif", la confrontation avec la réalité du travail rend difficile l'actualisation de ses possibilités d'évolution professionnelle et son retour à son emploi précédent. Bien que suscité par l'action de la conseillère, il a préféré mettre de côté ce qu'il pourrait sentir comme potentialités de changement et même différer son idée de projet — la mettra-t-il un jour en œuvre ? —, répondant à l'impératif du principe de réalité que représente pour lui la situation difficile de l'emploi. Mathilde confirme la réalité de l'action de la conseillère sur ce plan, même si, pour elle, cela n'a pas été suffisant. En effet, elle précise qu'elle a encore besoin d'une aide dans la durée pour développer ce sentiment, ou se convaincre davantage de pouvoir changer "parce que spontanément, on a ses barrières". La jeune femme qui, par ailleurs, expérimente le "déplacement intérieur" au moyen d’unethérapie, semble prudente dans ses réponses sur ses propres capacités de changement. En répondant "oui, on peut le dire", Alain n'affirme pas clairement avoir pu prendre conscience de possibilités en lui d'évolution professionnelle et, de ce fait, on peut douter de l’impact de la médiation de changement sur lui. Lorsque la situation personnelle est confuse, comme pour Fanny et Géraldine, il paraît difficile d'exercer une autre action que celle d'apaiser et d'aider à clarifier.

En ayant pu confronter ce critère à l'ensemble du discours des personnes, nous pouvons conclure que la médiation du sentiment de changement a été efficiente, avec de fortes nuances d'intensité, induites par l'avancée du processus d'élaboration du projet, l'état intérieur de la personne et sa situation personnelle, ainsi que la réalité extérieure favorable ou non. La médiation fonctionne d'autant plus que ce sentiment a déjà une réalité pour le sujet. Néanmoins le non-jugement, l'écoute et la mise en confiance participent à cette médiation, étant des éléments de renforcement de ce sentiment.

L'action de médiation éducative, dans sa globalité, apparaît plus diversifiée dans l'expression des différents critères. Si l'intentionnalité reste dominante, signifiant l'implication de la conseillère, la transcendance, comme la signification, le but et le changement sont interdépendants de la dynamique personnelle vis-à-vis du processus d'élaboration du projet, elle-même conditionnée par l'état intérieur de la personne et la réalité extérieure de l'emploi ou de la formation. L'attitude médiatrice de la conseillère vient infléchir le mouvement personnel dans un sens positif et dans un regain d'énergie. N’ayant pas interrogé directement leurs pratiques, nous ne pouvons pas savoir comment elles-mêmes ont agi, réagi ou du moins quel regard elles ont porté sur leur action, mais nous pouvons déduire des entretiens-interviews que l'attitude de la personne vis-à-vis de son propre projet a pu engendrer une intervention plus ou moins active de la conseillère et vice-versa, que le comportement de la conseillère au cours de la rencontre a pu modifier la dynamique de projet de la personne. Mathilde résume ainsi l'effet du processus de la médiation intra-personnelle :"c'est vraiment soi avec soi, même si on décide d'un tout petit pas, mais c'est complètement différent dans la réalisation." En effet, la médiation consiste à accompagner quelqu'un dans son propre cheminement personnel, à l'inciter à un retour sur soi en permanence, de façon à comprendre son propre fonctionnement réflexif et ainsi, à prendre des décisions. L’attitude de médiation de la conseillère, en favorisant un retour et une réconciliation avec soi-même, facilite la réappropriation du vécu personnel et professionnel par l'explicitation de ses composantes subjectives.

Nous pouvons entrevoir un certain nombre de similitudes ou d'analogies entre la médiation éducative et la relation d'aide rogérienne. Les deux sont basées sur une forte implication du conseiller, que ce soit par le concept d'intentionnalité de la première ou la relation centrée sur la personne de la seconde. Elles ont pour but d'aider le sujet à donner un sens à sa propre histoire à partir d'une lecture de son expérience personnelle et/ou professionnelle. Il ne s'agit pas d'en savoir plus sur soi ni "d'essayer une réorganisation du vécu par une approche intellectuelle" 928 , mais d'apprendre à se comprendre soi-même et, en mettant l'accent sur la situation actuelle, d'entrer dans une expérience de maturation. Rogers n'hésite pas à définir sa méthode comme une "expérience d'auto-développement" 929 . La théorie de la relation d'aide ou du counselling a été élaborée dans un contexte de psychothérapie, mettant l'accent sur les dysfonctionnements affectifs, existentiels et relationnels. De la même manière, Feuerstein a construit son modèle de médiation afin de résoudre les blocages cognitifs de sujets en difficulté. Cependant, leurs deux systèmes conceptuels ont pu être appliqués dans d'autres contextes, notamment en formation et en orientation, parce qu'ils présentaient une approche renouvelée de la relation éducative. Dans cette mouvance, Annie Cardinet insiste sur le rôle "relationnel" du médiateur, qui établit ou rétablit une relation, de soi avec soi-même, de soi avec le monde. De même, il est "révélateur de sens", face à une situation devenue compliquée, bloquée. Enfin, il a un "pouvoir de proposition" sans avoir celui de décision finale, réservé à l'autre 930 . Ne retrouve-t-on pas les deux premières fonctions dans la relation d'aide, ce qui vient encore accentuer les similitudes ? Enfin les deux théories ne postulent-elles pas la capacité permanente de l'être humain de se développer pour l'une, et d'apprendre pour l'autre, ce qui relève de la même réalité ou postulat de la modifiabilité ou de l’éducabilité de la personne ?

Mais, si la théorie rogérienne pouvait englober cette pratique d'orientation, pourquoi avoir insisté sur cette dimension de médiation, comme si nous n'avions pas résisté à un effet de mode ? Le choix de ce concept de médiation trouve son entière justification dans sa dimension et son contenu d'action. L'animateur de la médiation, le médiateur, agit sur l'autre et sa responsabilité en est soulignée. De plus, la médiation s'attache à une action précise : acte d'apprendre, résolution de conflit, restauration du lien, élaboration de projet professionnel etc. Et le modèle de Feuerstein, qui n'a pas été brouillé par le débat faussé sur la non-directivité, possède une spécificité dynamique et dynamogène, dont les personnes interviewées ont témoigné, et que nous avons mis en exergue dans le tableau 16 "Action Conseillère/Personne" 931 . Si les verbes "aider" ont très souvent été mentionnés, d'autres verbes, exprimant l'activité, non seulement de dynamisation mais aussi de transformation, de la conseillère sur la personne : "quand elle m'a expliqué... je suis sortie plus forte" (Margaux) ;"elle m'a pas imposé ..mais elle a insisté" (Mélanie) ; "elle savait où m'emmener" (Jeanne) ; "elle m'a incitée à contacter des professionnels" (Nathalie) ; "quelqu'un qui vous stimule, qui vous pique et qui vous réveille" (Gérard) ; " elle cherchait pour moi, elle s'est démenée" (Brigitte) ; "elle m'a poussée en avant" (Mathilde) etc...

Ces résultats, composés en majorité de réponses positives, confirment notre hypothèse que la relation d'orientation est constituée de trois dimensions, l'aide, la dynamisation et la médiation éducative.

Notes
920.

Nous avons pu ainsi recouper les questions du début concernant l'impact des entretiens avec celles de la deuxième partie de nos interviews concernant l'attitude de la conseillère. L’analyse des entretiens d’orientation en direct, qui ne serait pas passée par le filtre du discours des témoins, aurait sans doute permis une étude encore plus approfondie de la pratique de médiation. Nous assumons notre choix en ouvrant ainsi la possibilité d’autres méthodologies et initiatives de recherche.

921.

En psychanalyse, le transfert est constitué de l'ensemble des réactions de l'analysé vis à vis de l'analyste, sur lequel il projette ses sentiments, ses fantasmes et ses conflits intérieurs. Si l'analyse est une expérience très intensive d'expression de sentiments, faisant apparaître des situations de transfert parfois violentes, aucune relation humaine n'est absente de transfert. Le transfert est un vecteur d'identification, concept du registre de la psychologie, illustrant le mécanisme de construction personnelle, de l'enfant qui se réfère à ses parents, l'élève à son professeur etc.

922.

La question ne leur a pas été posée pour différentes raisons : d'une part, le projet n'a pas abouti ou est en cours d'élaboration — ce qui est le cas de Cathy, Jeanne, Daniel, Nathalie, Géraldine, Marc, Mathieu —, d'autre part pour Fanny, qui a pu cependant élaborer un projet de formation, l'apaisement de la souffrance encore très prégnante pendant l'entretien-interview l'a emporté sur le questionnement que nous avions organisé. Enfin pour Antoine, dont le projet s'est élaboré sans une aide significative de la conseillère, la question ne se justifiait pas.

923.

Cet exemple vient confirmer le bien-fondé des dispositifs d'orientation par alternance, tels que les contrats emploi solidarité, les stages d'expérience professionnelle qui permettent d'appréhender la réalité du travail etc...

924.

Nous pouvons regretter de ne pas l'avoir relancée par une question de reformulation, mais Sonia a apporté une réponse indirecte.

925.

Nous avons senti au cours de l'entretien-interview que Mélanie avait éprouvé de la fatigue face aux questions qui lui étaient posées, répondant parfois avec difficulté ou ne se souvenant plus avec précision de ce qu'elle avait pu ressentir pendant la prestation d'orientation.

926.

La question sur la médiation de changement était très parallèle à celle sur la prise de conscience de pouvoir évoluer professionnellement, ce qui explique pourquoi, nous ne l'avons pas systématiquement posée aux personnes ayant déjà répondu à la première.

927.

Face aux difficultés de mettre en œuvre son projet, compte tenu de son âge, Jeanne a évoqué le système d'orientation qu'elle a subi dans sa jeunesse, n'ayant jamais pu exprimer ses goûts et ses désirs, ce qui l'a conduit à être plus vigilante pour l'orientation de sa fille.

928.

Carl ROGERS, La relation d'aide et la psychothérapie, Op. cit., p.43.

929.

Carl ROGERS, Ibid.

930.

Annie CARDINET, Op. cit, p.158-159.

931.

Cf. en annexe Tableau 16 "Action Conseillère/Personne"