Il dépasse l'apaisement des souffrances intérieures pour toucher à la dimension du sens de la vie, de l'existence. Ce qualificatif "existentiel" peut prêter à confusion dans la mesure où il relève du registre philosophique et phénoménologique, mais nous osons cet emploi pour signifier le dépassement de la problématique psychologique que nous souhaitons pour notre recherche. Plus que le sentiment d'exister, il procure une plénitude, un bien-être, par la compréhension du parcours de vie et la reconnaissance par l'autre que "ma vie a un sens, elle a du prix". Cette fonction synthétise les médiations de signification et de but, contribuant à l'émergence du sens, la compréhension du parcours et l'inscription du projet dans l'histoire de la personne et donc, dans son existence. Nous l'avons mise en exergue dans notre étude parce qu'elle nous a semblé se dégager d'elle-même, et qu'elle ne nous semblait pas suffisamment prise en compte dans les lectures plus "psychologisantes" que nous avons faites. Cette fonction a d'autant plus d'importance que le sujet se trouve dans une situation intérieure confuse, ayant traversé des épreuves personnelles douloureuses, comme un licenciement difficile, la séparation d'avec son compagnon, la contrainte d'une reconversion professionnelle pour des raisons de santé, la difficulté de se réinsérer dans une région inconnue etc. 935 En dégageant à nouveau du sens dans son parcours, la personne retrouve une assise, sur laquelle elle peut reconstruire un projet, et cet appui confère une assurance ou une réassurance pour aller vers l'inconnu d'une nouvelle activité.
Sans comparaison possible avec la pratique psychanalytique, dont les moyens et les finalités sont différents, l'action du conseiller peut bien sûr "se répercuter sur l'inconscient", comme le dit Paul, soulignant par là, un des effets de toute relation interpersonnelle que représente le transfert. Quelques témoins ont d'ailleurs fait des essais d'analogie entre cet appui touchant à l'existence et la psychanalyse qui, dépassant l'apaisement des souffrances, est un des modes "que l'homme a de poser la question de son existence" 936 . Au-delà des effets thérapeutiques de toute relation interpersonnelle, qu’elle soit d’aide ou autre, il est intéressant de souligner ce parallèle, qui confirme de manière indirecte la composante existentielle de la relation d'orientation. Léa a souligné l'intensité de lecture et de visualisation qu'apporte le déroulement chronologique de l'histoire de vie, à la différence de la psychanalyse, dont la logique repose sur l'émergence plus morcelée des signifiants de l'inconscient : "C'est aussi encore des petits morceaux de vie... qui éclairent ton histoire mais d'abord tu dis, pas tout, t'éclaires pas tout et puis ça se fait par morceaux aussi, c'est encore des petits patchworks que tu amènes et puis tu te débrouilles avec ça. Alors que là, dans ce bilan, tu commences du plus tôt possible jusqu'à aujourd'hui, donc il y a ce fil là qui se voit ".
Cet appui existentiel semble être la pierre angulaire de la relation d'orientation, car, à moins qu'il ne soit pas indispensable à la personne, celle-ci ayant antérieurement, par elle-même ou dans le cadre d'un accompagnement spécifique, dénoué les fils de son histoire personnelle, son absence a des répercussions sérieuses sur l'avancée du processus d'élaboration de projet 937 . Quand la dynamique interne existentielle est affaiblie, la personne offre moins de résistances aux aléas de la vie, et si la relation d'orientation ne réussit pas à l'affermir, le processus d’élaboration de projet est fortement compromis.
Cet appui ne représente pas non plus une action en soi du conseiller, dans le sens où il apporterait une connaissance ou une force nouvelle, extérieure à la personne ; son rôle consiste, dans un dialogue, à faire émerger, chez le sujet et par lui-même, au travers de son parcours, le sens de sa vie dont il a une conscience diffuse.
D'après le tableau 17 "Apport de la MIFE" en annexe, on peut dire que cet appui a été effectif pour neuf personnes, plus marqué pour Claire, Pauline, Léa, Liliane, Judith et Mathilde, pour lesquelles il a contribué à des révélations ou des confirmations fortes sur leur vie.
JacquesLACAN, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 239. A la différence de la religion — autre mode dont dispose l'homme de poser cette question de l'existence —, qui pour Lacan, relève de la croyance et sous-tend l'aliénation - concept s'opposant à celui de séparation -, la psychanalyse se rapprocherait de la science par son indifférence à ce type de question.
Rappelons pour mémoire les exemples de Nathalie, Marc, Géraldine, Mathieu, dont le projet est en cours, et ceux d'Alain et de Jeanne, qui ont abandonné leur projet initial.