Il a été très souvent mis en exergue pour définir la relation d'orientation, mais aussi plus précisément pour souligner l'appui dans les démarches de mise en œuvre du projet des personnes. S'il détient une connotation active et dynamique dans la relation d'orientation, en cela lié à l'action de dynamisation du conseiller, il est enrichi d'une dimension d'autonomie et d'indépendance : "c'était un accompagnement mais j'avais fait un choix préalable », nous dit Jeanne. Il se différencie de l'assistance, car le conseiller "ouvre des portes et après, c'est à vous de voir", selon les paroles de Claire. De même, il ne peut se réduire à la relation d'aide, moins équilibrée dans les rapports entre les protagonistes. L'accompagnement met l'accent sur l'instauration d'une relation d'égal à égal, qui favorise la responsabilité ; il est marqué également d'ouverture et de confiance, telle une certitude qu'une relation a été établie et qu'elle pourra se poursuivre. Lorsqu'on accompagne quelqu'un, on ne l'abandonne pas, ce que nous rappelle Jacques : "Ce qui était important aussi, enfin très important ... c'est que je sache qu'on se voyait une fois et peut-être qu'un jour on se reverrait une deuxième fois ... au départ, inconsciemment la voie était ouverte pour se revoir". Cette fonction est autant plus nécessaire que la situation de départ est difficile et défavorable (chômage de longue duré, ruptures douloureuses etc). Résultant d'une écoute active, d'une compréhension en profondeur, mais aussi d'une attitude dynamique de l'animateur, cette fonction traduit bien, là encore, l'alchimie de la relation, qui en agissant sur un aspect de la personne déclenche chez elle une mise en acte.
Il nous paraît opportun d'expliciter ce concept, qui, depuis quelques années a envahi les institutions sociales et d'emploi, pour ne citer que les dispositifs d'accompagnement des bénéficiaires du RMI et des chômeurs de longue durée à l'ANPE. Marius Alliod détermine son émergence dans la "détutellarisation" de l'action sociale, effective depuis quelque quarante ans : "Le terme d'accompagnement, enraciné dans le champ de l'action sociale, a progressivement remplacé celui de prise en charge, porteur d'une dimension de tutelle sur les personnes en difficulté, et devenu incompatible avec l'émergence d'une conception de la liberté individuelle" 941 . Cette expression, plutôt d'origine religieuse 942 , aurait été introduite dans les milieux laïcs, à partir des cercles protestants pour désigner les pratiques d'écoute des grands malades et d'accompagnement des personnes en fin de vie. Le concept d'accompagnement serait donc utilisé pour des publics en difficulté, nécessitant une présence et une durée plus continues, à la différence de l'aide qui pourrait avoir une connotation plus ponctuelle. La relation d'aide rogérienne relèverait donc de l'accompagnement, puisqu'elle se situe dans la durée, par sa visée thérapeutique. Au sens propre, l'accompagnement est l'action de montrer le chemin, tout en marchant aux côtés de celui qui est accompagné 943 . Du fait peut-être de l'origine de ses pratiques, il se traduit par une attitude particulière à l'égard de l'autre : "Ce n'est pas lui imposer un itinéraire, ni même connaître la direction qu'il va prendre, mais marcher à ses côtés. En ce lieu-frontière, où l'homme apprend à se dessaisir de sa vie, il ne peut s'agir que d'un aide discrète, avec des appels paradoxaux qu'il s'agit de déchiffrer. S'ouvrir ainsi à l'inconnu de ce que l'autre vit, rend vulnérable aux blessures infligées par le rapport avec la mort et le mourant lui-même" 944 . On pourrait trouver une analogie avec la situation d'orientation professionnelle, qui est marquée par une rupture, survenue ou à venir, dans le parcours personnel et professionnel de la personne. Marcher à ses côtés sans lui imposer de direction, c'est privilégier sa parole dans ce moment où elle tente de ressaisir et de rassembler les éléments disparates de sa vie pour lui donner sens, c'est-à-dire, signification et direction. C'est, pour le conseiller-médiateur, "s'ouvrir à l'inconnu" de l'autre et, dans cette disponibilité, dans cette ouverture, se loge la vulnérabilité qui rend l'autre proche et prochain, et qui fait qu'il nous touche. On peut poursuivre le parallèle avec l'accompagnement spirituel, dont les finalités sont évidemment différentes, et que Léo Scherer définit comme "une aide à naître à soi-même", dans le sens d'une révélation de son existence. Il utilise la symbolique de la marche et du voyage, dont les trois étapes d'autonomisation ont des résonances avec la relation d'orientation : "L'accompagnateur spirituel (le conseiller) sera celui qui fait la route avec et en quelque sorte la trace, parce qu'il en a déjà une certaine expérience, qu'il connaît le pays et s'y trouve déjà engagé. D'une certaine manière, il précède pour que l'autre puisse à son tour avancer. À un moment donné, il passera à côté de lui, parce que l'expérience a pris forme. Enfin, il veillera, sans doute, par la suite à le suivre pas à pas" 945 .
Dans la relation d'orientation, les dimensions d'appui et d'accompagnement ainsi dégagées, illustrent l'apparente contradiction d'une stabilité et d'un mouvement. Le terme d'appui, qui fait référence à l'étayage, exprime cette action subtile du conseiller — action ou présence active ? —, dont la présence est indispensable, mais qui laisse la personne libre d'agir et de se mouvoir. L'accompagnement évoque le mouvement — deux personnes avancent ensemble, au même pas, dans une même direction —, à la différence de celle de l'appui, plus statique, où chacun se trouve "calé", dans un face à face, délimité le plus souvent par une table renforçant la protection et la sécurité de chacun. Pour poursuivre cette image, l'appui se réalise dans un face à face, et si le risque de s'approcher trop est moindre, celui de s'enfermer dans l'espace clos du regard est sous-jacent, avec celui de paralyser le mouvement. Alors que dans le côte à côte, qui définirait l'accompagnement, en ne distinguant pas toujours le visage de l'autre, les personnes sont peut-être plus libres de se parler, n'étant pas distraites par les éléments du visage, les expressions, susceptibles de ne pas être comprises ou de susciter de fausses interprétations. Ainsi, la relation d'orientation, dans sa dimension d'appui, prépare la personne à l'action, c'est-à-dire au mouvement que représente l'élaboration de projet. Cependant, elle n'est pas statique puisqu'elle accompagne ce mouvement, mais elle oscille en permanence entre ces deux pôles, en devant s'adapter subtilement aux besoins de la personne. Si l'aide précède souvent l'accompagnement, chaque étape de l'élaboration de projet remet en question les équilibres, comme on a pu le voir pour Mélanie, qui a souffert de ne pas avoir reçu l'aide escomptée, après avoir été accompagnée jusqu'à la réalisation de son stage en entreprise.
Nous avons vu que l'absence ou la faiblesse d'un critère de la relation avait des répercussions sur l'ensemble, jusqu'au bout de la chaîne, tel un phénomène d'écho qui s'amplifie. C'est ainsi que nous pourrions expliquer l'amplitude de la force négative d'une relation dont une des composante a échoué. Ces exemples montrent la finesse d'approche relationnelle et de ce fait, la difficulté d'animer la relation, au sens "d'apporter le surcroît d'âme" qui ferait basculer le processus ou qui en accélèrerait le rythme. Même si le conseiller peut avoir compris la situation de la personne, il est impuissant face au propre rythme de la personne et doit attendre que cette dernière sorte de sa confusion et entre dans sa propre compréhension. Par contre, s'il a manqué d'attention ou de vigilance, cela peut altérer de façon significative la qualité de la rencontre, et la suite du processus d'élaboration de projet. En effet, il n'aura pas réussi à tirer la personne de son enfermement, dans lequel, telle une ornière, cette dernière va rester bloquée. On perçoit ici la responsabilité quelque peu radicale qui incombe à ce médiateur : même s'il réunit toutes les conditions d'une relation réussie, il est dépendant des dynamiques personnelles de l'autre. Mais si, de surcroît, il manque à sa responsabilité, les conséquences peuvent être désastreuses pour la personne. De par cette charge éthique dont il ne peut s'alléger, le conseiller ne serait-il pas alors contraint de perdre toute illusion d’un quelconque pouvoir, et condamné à être toujours dépendant, voire otage du consultant ?
Dans notre essai de définition de la relation d'orientation, nous avons intégré la relation d'aide, explicitée par Carl Rogers dans le domaine éducatif comme "une qualité d'attitude de la relation interpersonnelle entre le facilitateur et l'apprenti" 946 , que nous avons enrichie de la théorie de la médiation de Reuven Feuerstein, qui a finement et opérationnellement élaboré un modèle de relation éducative, dans laquelle le médiateur facilite un travail de construction cognitive, que ce soit l'apprentissage ou l'élaboration de projet, en se plaçant entre les objets de connaissance ou stimuli et le sujet apprenant ou s'orientant. Enfin nous avons insisté sur l'espace de la relation qui favorise les mises en mouvement de la personne, à l'intérieur d'elle-même ou tournée vers les démarches de mise en œuvre.
Marius ALLIOD, L'accompagnement éducatif personnalisé, pour une insertion professionnelle réussie", in Guidance Savoie, MIFE Savoie, n° 53, Avril 2000, p.21. De même, Marius Alliod situe l'origine religieuse de l'accompagnement : "Si on voulait aller plus loin dans la recherche des antécédents, on trouverait bien sûr des origines religieuses, autour des pratiques d'accompagnement ou de direction spirituelle. Il semblerait d'ailleurs que cette tradition de direction spirituelle, qui remonte aux Pères de l'église, soit plus riche qu'on ne le pense, tendant à la découverte de soi-même, du point de vue de son origine et de sa fin". Ibid.
Léo SCHERER,"Si personne ne me guide, L'accompagnement spirituel", supplément revueVie Chrétiene, n°328, Novembre 1990, p. 6.
Les pratiques d'accompagnement spirituel ont de tout temps existé, sous des appellations différentes en fonction de la culture et de la tradition religieuse de l'époque : les traditions des Pères du désert des premiers siècles après Jésus Christ et de Saint Benoît, père du monachisme chrétien induisent la figure de la "paternité spirituelle"; au XIIIème siècle, avec Saint François d'Assise, c'est "la dimension fraternelle" de l'accompagnement spirituel qui est mise en exergue ; renouvelé par François de Sales au XIVème siècle, enrichi de la pédagogie d'Ignace de Loyola, avec ses exercices spirituel au XVIème siècle, l'accompagnement spirituel évoluera aux XVIIème et XVIIIème siècles vers une image dirigiste et autoritaire sous les appellations de conduite ou direction spirituelle ; cette pratique contestée au siècle des Lumières et au XIXème siècle, va connaître une réhabilitation et une renaissance au XXème siècle sous le nom d'accompagnement spirituel, intégrant dans les années 60 les sciences humaines.
Ce terme est également utilisé depuis quelques années, pour le métier d'accompagnateur en moyenne montagne, en parallèle des guides de haute montagne et sans doute pour marquer une différence de statut.
Léo SCHERER,Ibid.
Léo SCHERER,Ibid.
Carl ROGERS, Liberté pour apprendre, Paris, Dunod, 1972, p.135.