Conclusion troisième partie

L'élaboration de projet professionnel est un processus complexe qui fait appel prioritairement aux ressources intérieures de la personne, devant puiser dans ses motivations profondes et dans son désir. Basé sur l'expression d'une idée, qui sera confirmée ou infirmée après un travail fin d'exploration de soi et de l'environnement extérieur, et une confrontation avec la réalité extérieure et ses possibles, ce processus nécessite un accompagnement de type éducatif, dans le sens issu de l'étymologie latine "educere" 947 — conduire à l'extérieur. En l'occurrence, il s'agit d'accompagner la personne de son "intérieur" de désir vers son "extérieur" d'action.

De plus, nous avons pu vérifier que la pratique d’orientation MIFE, dans ses objectifs, répond aux cinq critères qui, selon Guy Avanzini, composent le processus éducatif 948 . C'est une pratique qui instruit, en élargissant la connaissance et les représentations que la personne peut avoir sur elle-même et sur le monde du travail  ; elle autonomise, en favorisant le changement professionnel et l’accès à l’emploi ; elle accroît sa polyvalence, en lui faisant découvrir ou redécouvrir des potentialités enfouies ; elle contribue à fournir des moyens de vivre, par sa finalité d'emploi et d'insertion ; enfin, elle aide à se donner des raisons de vivre, par la recherche de sens contenue dans l'histoire de vie et le récit de l’expérience passée.

Les MIFE ont introduit le terme de guidance professionnelle pour désigner leur pratique d'orientation, en référence à l'expression anglo-saxonne utilisée dans les milieux de l'orientation professionnelle. Mais elles ont choisi ce substantif, dont le suffixe exprime la durée, pour signifier aussi la complexité de cette relation d'orientation, riche de fonctions diverses, dont la finalité est l'élaboration d'un projet enraciné dans l'existence de la personne et adapté à son environnement. Nous avons pu confirmer ainsi la force de la dynamique personnelle dans la conduite de projet et la démarche d'orientation en vérifiant l'ensemble de nos hypothèses. Nous avons montré également que les dynamiques personnelles du processus d'élaboration de projet sont très dépendantes d'une relation de qualité, à l'écoute des mouvements intimes, « motions » selon le terme ignatien, qui se transforment en motivation pour agir. Sans pouvoir avancer d'évaluation mathématique mesurant l'effet de la relation conseiller-personne sur le processus d'élaboration de projet, nous pouvons affirmer que celle-ci est primordiale, dans la mesure où elle peut s'ajuster aux besoins de chacun. Pour cela, elle nécessite un accueil inconditionnel et une finesse d'approche, basée sur une implication, sur une écoute centrée sur l'autre, et sur une pertinence de compréhension.

En effet, l'adulte en orientation n'est pas une cire molle ou vierge sur laquelle on imprime un projet, mais, comme l'ont dit certains de nos témoins, rejoignant notre intuition de recherche, l'élaboration de celui-ci relève d'un "accouchement", parfois difficile, des potentialités, existantes, mais le plus souvent enfouies. Comme dans toute naissance, la naissance est déclenchée par l'enfant qui agit par lui-même, de concert avec la mère, tout en ayant besoin d'une aide extérieure, plus ou moins appuyée selon les besoins, pour faciliter sa sortie au monde. Henri Desroche, en référence à Socrate, n'a pas hésité à avancer le terme de maïeuticien, pour définir l'animateur de cette relation éducative, en écho à Rogers qui utilise, quant à lui, celui de "facilitateur" 949 , et à Reuven Feuerstein, qui privilégie celui de médiateur.

Telle une corde raide, l'espace étroit et fragile de la relation, peut à tout moment être source de dérapage, voire d'échec. En tant qu'animateur de la relation, le conseiller — facilitateur, médiateur, maïeuticien —, détient, en final, une responsabilité, non pas en termes de puissance d'intervention, mais sur un plan que nous pourrions définir comme éthique : quoi qu'il fasse, il est en situation d'être responsable de cet espace relationnel.

Dans cette relation d'orientation, la personne est établie comme expert de sa propre vie, ainsi que le résume Guy Avanzini, mettant en exergue le changement radical apporté par la conception éducative : "Dans ce cas, l'orientation va se présenter d'une manière tout à fait différente, elle ne sera plus le constat de l'aptitude que le sujet peut éventuellement présenter, mais la recherche des choix qui lui sont possibles, compte tenu du potentiel dont il est porteur et du contexte socio-économique dans lequel il s'inscrit ; c'est alors que l'on passera de l'idée selon l'adulte est orienté à l'idée selon laquelle il s'oriente. les Québécois utilisent un terme très significatif et parlant des adultes en cours de formation, ils les appellent les "s'éduquants", pour signifier que ce n'est pas une action subie de la part d'un autre, mais une action conduite par le sujet avec, bien entendu, tous les concours et collaborations requis" 950 . Ainsi, seule une pratique d'auto-orientation médiatisée serait adaptée aux adultes, experts, car ayant fait l'expérience, de leur propre vie.

‘« Accepter l’être, c’est accepter qu’il y ait devant moi, de l’autre que moi-même et dans l’être, de l’autre être que l’être actuel. Nous tenons là une puissance positive de mouvement : la plénitude non actuelle, mue par sa surabondance intime. L’idée de plénitude créatrice occupe une situation centrale dans l’ontologie. Elle exprime à la fois l’abondance et le manque qui caractérisent notre expérience de l’être. »
E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, in Œuvres complètes, Tome III, Seuil, 1962, p. 166.’

Notes
947.

Une autre origine étymologique "ducare" opérerait un rapprochement sémantique avec la signification de nourrir, ce qui corresponderait à un mode éducatif bien connu, fondé sur la transmission exclusive de connaissances, ou transfert d'objets de connaissance, tel le transvasement d'une substance d'un récipient à l'autre, du cerveau du professeur à celui de l'élève.

948.

Cf. Guy AVANZINI, Séminaire doctoral, ISPEF, Université Lumière, Lyon 2, 1995-1996.

949.

Henri DESROCHE, Apprentissage 2, Éducation permanente et créativités solidaires, Paris, Les Éditions ouvrières, 1978, p. 126.

950.

Guy AVANZINI, "Éducabilité des adultes et orientation professionnelle", in Médiation éducative et éducabilité cognitive autour du PEI, Lyon, Chronique sociale, 1996, p. 44.