Desroche a conscience de la complexité de cet art de la maïeutique, à la fois métier et charisme, qui nécessite de la part de ses acteurs, « accoucheur » et « accouché », une connivence et une volonté réciproque de partager une vérité dont chacun détient une parcelle, et qui se définit comme une production commune de savoir, à la fois unique et nouveau. Il insiste sur le compagnonnage et la réciprocité de la relation de "face à face" et de "coude à coude", dans laquelle le maïeuticien a un rôle de "facilitateur" et de "catalyseur" 1110 . De la même manière que chaque personne est unique, la mise au monde du sujet en capacité de connaître et de créer est spécifique et particulière. Elle requiert une position humble face au mystère qu'à chaque fois elle tente de révéler et "elle ne peut pas ne pas mettre en œuvre une certaine énergie sans une certaine liturgie. Ses opérateurs sont comme des officiants d'une humble et secrète dramaturgie où les acteurs eux-mêmes ne sauraient suppléer hic et nunc à quelque chose comme une grâce. Il y a en elle de l'adorcisme ou de l'exorcisme, car ce qui s'y traite est l'adjuration ou la conjuration de ce que Socrate appelait le “démon“ ou le “dieu“ intérieurs : tiers personnages malins ou bienfaisants, toujours assez inexplicables, et qui sont les esprits d'un esprit" 1111 . Nous sommes là au cœur d'une stratégie maïeutique, face au mystère d'une naissance, toujours de l'ordre de l'accueil de l'altérité. Quand la pratique d'entretien d'orientation accède à ce degré de profondeur et de partage, au travers de la méthode d'histoire de vie, qu'elle soit formalisée selon la praxis desrochienne ou plus simplement dans un entretien de type rogérien, on peut comprendre l'émotion qui est vécue par le conseiller, qui effleure ainsi le sacré de la vie de l'autre. C'est ce dont témoigne Pierre Dominicé : "J'ai souvent éprouvé une grande émotion face à la profondeur de leur histoire professionnelle et, comme je connaissais leurs auteurs, un sentiment de très grande reconnaissance face à la qualité du partage offert" 1112 . Dans la mesure où "rencontrer un homme, c'est être tenu en éveil par une énigme" 1113 , nous pouvons "remiser" la pénibilité couramment évoquée du travail d'entretien de face à face, quand le conseiller est en capacité d'éprouver ce sentiment, et qu'il est lui-même ressourcé par le partage dont il a bénéficié.
Henri DESROCHE, Apprentissage 2, Op. cit., p. 112. Le terme de "catalyseur" reflète bien ce que quelques personnes-témoins ont déclaré dans les interviews.
Henri DESROCHE, Apprentissage 2, Op. cit., p. 112.
Pierre DOMINICÉ, L'histoire de vie comme processus de formation, Paris, L'Harmattan, 1990, p.103.
E. LEVINAS, En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1967, p. 125.