Conclusion quatrième partie

Au terme de cet essai de conceptualisation, nous avons mis en exergue l'anthropologie sous-jacente à la stratégie éducative appliquée à l'orientation, dont l'inspiration centrale est étayée par la pensée-action d'Henri Desroche. Comme tout acte éducatif, cette pratique d'orientation professionnelle est finalisée par une conception de l'homme, en capacité de se développer et d'apprendre tout au long de sa vie. L'éducabilité, autrefois postulat qu'il fallait vérifier, semble aujourd’hui devenue réalité scientifique, puisqu'il est maintenant prouvé par les neuro-sciences, que le cerveau humain, composé de milliards de neurones, pour peu qu'il soit stimulé, dispose de possibilités infinies de création de nouvelles connexions qui permettront de nouvelles modalités d'apprentissages 1320 . Reuven Feuerstein, s'appuyant sur ces dernières recherches scientifiques, a même abandonné le concept de potentiel, dont la signification de réserve cognitive dont disposerait un être humain durant sa vie, lui semble aujourd'hui trop statique et dépassée. Il lui préfère l'expression "propension à apprendre", plus proche du mouvement de la vie et de la modifiabilité humaine, qui lui donne cette capacité d'apprendre, à vie 1321 . De même que l'acte d'apprendre est, selon Bernadette Aumont et Pierre-Marie Mesnier, une combinaison de deux processus asymétriques, chercher et entreprendre 1322 , de même la personne qui s'oriente est engagée, voire projetée dans un mouvement de vie, créateur de savoir et de liberté. Henri Desroche, qui a intitulé son ouvrage consacré à l'autobiographie raisonnée, "Entreprendre d'apprendre", a également souligné "la configuration polymorphe du terme “apprendre“ lorsqu'il s'agit, pour “apprendre à entreprendre“, d'avoir “entrepris d'apprendre“ 1323 .

Même si le Plan national pour l'emploi (PNAE), voulu par l’Europe, peut apporter une amélioration par la nouvelle synergie qu’il a imposée entre les services sociaux et de l'emploi, il semblerait cependant que les politiques d'emploi actuelles ne prennent pas encore suffisamment en compte le temps nécessaire à la restauration d'une personne en grande difficulté, en finançant des dispositifs trop ponctuels, ou quand c’est le cas, à l'exemple du dispositif RMI, la dimension éducative de réinsertion professionnelle n'est pas suffisamment intégrée, au profit d'un accompagnement social sans objet qui, de ce fait, perd de son efficacité.

‘"Au mythe d'Ulysse retournant à Ithaque, nous voudrions opposer l'histoire d'Abraham quittant à jamais sa patrie pour une terre encore inconnue et interdisant à son serviteur de ramener même son fils à ce point de départ."

E. LEVINAS, En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 1967, p.191.’

Notes
1320.

Si les récentes découvertes concernant le décryptage du génome humain ont montré que ce dernier était moins riche qu’on ne le pensait, avec « seulement » 30 000 gènes, elles ont souligné une complexité encore plus grande du fonctionnement humain avec des gènes qui eux-mêmes sont d’une insoupçonnable plasticité, pouvant se remplacer, se combiner différemment. Cf. Jean Claude PETIT, « Notre santé entre prouesses et négligences », La Vie, n°2894, 15/02/2001, p.5.

1321.

Cf. Interview de Reuven FEUERSTEIN, Jérusalem, ICELP, 3 Mai 2000, texte disponible à la MIFE de Savoie. Annie Cardinet mentionne également ce changement de vocabulaire de Feurstein dans son dernier ouvrage. Cf. Annie CARDINET, École et médiations, Op. cit., p. 112.

1322.

Bernadette AUMONT et Pierre-Marie MESNIER, L'acte d'apprendre, Paris, PUF, 1992, 301 p.

1323.

Henri DESROCHE Entreprendre d’apprendre, d’une autobiographie raisonnée aux projets de recherche action, Apprentissage III, Paris, Editions Ouvrières, 1991, p. 11.