Introduction : Intérêts de la recherche et précisions méthodologiques

“ L'homme est la seule créature qui doive être éduquée. Par éducation on entend, en effet, les soins, la discipline et l'instruction avec la formation. Sous ce triple rapport, l'homme est nourrisson, élève et écolier i . (voir note, pp. 29 à 67)

Cette citation Kantienne peut renvoyer à la problématique de notre recherche dont la formulation peut partiellement être annoncée comme suit : la transposition didactique entre le savoir savant et le savoir à être enseigné. En réalité, cette citation ci-dessus incarne d'abord le droit, le devoir et le pouvoir d'apprendre. Elle nous montre que tous les êtres humains raisonnables peuvent échapper à l'ignorance que le stade de l'enfance (incarnant l'intelligence opératoire concrète) impose à l'homme. En s'inspirant du sens latin du mot : “ enfant ” qui signifie “ infari ” c'est-à-dire absence de la parole ii , Descartes avait déjà regretté d'être né enfant. Cela laisse penser que cette créature est susceptible d'être influencée, d'être manipulée. Pour échapper à toute manipulation, seul le projet éducatif représenté par la transposition didactique (en tant que concept polysémique) et par l'extension du pouvoir cognitif, peut lutter contre la réduction de l'enseignement à la simple manipulation. De toute manière – comme ChomsKy iii le laisse entendre – l'homme est programmé pour apprendre, car apprendre c'est se souvenir. Le plus important – dans le cadre de cette recherche –, est de réfléchir aux manières du bon apprentissage des auditoires présumés : à la manière dont ils peuvent échapper au monde de l'ouï-dire et de la doxa. Ainsi, la transposition didactique – dans la comparaison et l'étude qu'elle tente de faire en dégageant la différence entre le savoir savant et le savoir à être enseigné –, ne fait que s'aligner sur une bonne méthode pour instaurer les bons concepts adéquats pour la communication des résultats scientifiques.

La transposition didactique peut prendre un sens proche d'une action permanente qui réfléchit aux manières dont l'homme acquiert les savoirs et les connaissances. Lorsque l'homme pense aux sentences de la création, il est – par là-même – un être réfléchi, capable de mettre en forme le réel : de l'énoncer. Il est donc important de comprendre le concept de la transposition didactique en terme de méthode qui s'astreint à mettre en place le bon sens des propositions. Si tout le monde peut se nourrir de l'instruction et de la formation, y compris l'élève et l'écolier définis par Kant comme des "nourrissons", alors cela doit être compris dans une acception plus large, car du point de vue de la transposition didactique nous sommes tous des “ nourrices ” iv  : des hommes qui cherchent à s'instruire d'une manière permanente. Car plus on sait, plus on désire savoir.

Bien que certaines doctrines philosophiques ou théologiques aient tenté parfois d'affirmer la faiblesse de l'homme donateur et chercheur du bon sens, il n'empêche qu'elles ont – dans la plupart des cas – échoué, car l'homme est le seul être sur terre à pouvoir disposer du sens et de l'interpréter symboliquement. Chose – par exemple – que les abeilles ne peuvent pas faire dans leurs communications. v

La transposition didactique s'astreint à la recherche de la haute et de la basse densité discursive des discours de diverses disciplines. Elle cherche en effet à définir ce qu'est par exemple – bien penser, bien parler, ce qu'est l'art de retenir et d'apprendre. L'homme est le seul être raisonnable à qui ces conditions peuvent s'appliquer. Même si l'homme apparaît faible – comme Pascal, l'a laissé entendre – c'est cette même faiblesse qui le motive, à devenir fort, à chercher des appuis pour bien faire des choses : ‘“ L'homme est un roseau le plus faible de la nature mais c'est un roseau pensant’ ” vi . Pour que l'homme puisse apprendre à bien penser, l'instruction et la formation, sont les seuls moyens à pouvoir contribuer à son émancipation et à son épanouissement. Si par malheur, par hasard ou par nécessité, le cas contraire arrive, alors l'homme demeurera comme ce roseau, le plus faible de la nature, dépourvu de toute pensée, soumis au vent des vagues de l'ignorance qui l'emporteront de part en part.

Le sens de la trilogie Kantienne que nous venons d'avancer, est à nos yeux ailleurs. Cette trilogie témoigne des différents niveaux du concept de la transposition didactique dont nous traiterons à travers cette recherche, un concept devenu problématique et polysémique. Ainsi, on peut même laisser entendre que la transposition didactique est plus un concept méthodique, qu'une approche épistémique des acquisitions des savoirs et des connaissances.

A ce que Kant en effet nomme : “ les soins ” (l'alimentation et l'entretien), peut correspondre: le processus savoir-apprendre. Il y a lieu à travers cette comparaison de penser à une analogie entre la manière dont on apprend et celle dont on se nourrit. On peut ainsi dire que les aliments sont à notre corps, ce que les idées, les connaissances sont à notre esprit. Le rapport est celui de la taxonomisation, de la classification. L'homme nous dit-on, a du goût, qu'il a une manière de parler, de dire et de voir. Dans l'optique du même Kant, (qui parlait dans le domaine de l'expérience humaine, du jugement du goût vii ), cela peut signifier en fait, que l'homme ne consomme pas tout ce qui se présente à lui, qu'il n'agit dans la plupart des cas que selon sa raison d'être, selon sa manière de s'approprier un but, d'apercevoir un fait, une situation bref un processus et un état.

Cette approche taxonomique qui s'impose – ne se risque que d'une manière fortuite –, peut en éducation, donner un sens parmi d'autres à l'apprentissage. L'apprenant certes, n'apprend pas tout. Autrement dit : il y a des contenus qui ne passent pas malgré leur importance. Ces contenus même s'ils sont connus, peuvent devenir méconnus. Il y en a d'autres qui, par contre, même s'ils ont fait leurs preuves dans le monde sensible, ne s'enseignent pas non plus.

En réalité, cela pose – comme on le verra – le problème du sens de la transposition didactique entre une “‘ École dite à ciel ouvert ’” viii , et une autre dite achevée c'est-à-dire : organisatrice et programmatrice des connaissances et des savoirs. L'une est celle de la vulgarisation scientifique nommée par D. Jacobi : école parallèle, l'autre est celle de la science de la vulgarisation qui trouve son fondement dans une action à caractère de recherche et d'étude herméneutique, dont fait preuve la transposition didactique. L'une reflète l'action pédagogique, l'autre celle de la relation éducative. Entre les deux, l'écart est grand surtout lorsqu'il s'agit de l'idée de ce qu'on peut appeler : le programme cognitif. ix

Si dans l'enseignement, ce qui est honorable de connaître n'est pas toujours honorable de l'enseigner, alors le problème de la méthode de la transposition didactique est celui de la taxonomie (classification) des chemins de l'apprentissage, de la classification de l'emploi des concepts et des formulations, de la classification de ce qui est connaissable mais qui n'est pas susceptible d'être enseigné. Quant à la méthode de la vulgarisation dite scientifique, elle est de l'ordre de la taxinomie, de l'ordre de l'objectif à atteindre, un objectif qui n'est rien d'autre que la mise en mouvement des connaissances et des vérités déjà connues, déjà acquises. La méthode de la transposition didactique cherche à réduire ou à élargir la distance entre le pôle de la formation et celui de l'information. C'est dans cette perspective que la nécessité de la taxonomie d'une part et celle de la taxinomie des savoirs d'autre part, sont des choses qui désormais s'imposent car les chemins didactiques sont divers. Il y en a en effet des courts, des longs, des simples et des complexes. Par conséquent, les relations éducatives se présentent sous forme d'un pluriel-singulier.

En plus, ces mêmes relations traduisent la spécificité de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui : les sciences de l'éducation, dont on dit souvent que leur formulation en tant que discipline qui se veut autonome, incarne un singulier qui est déjà un pluriel. Par contre ce que Kant nomme : “ discipline ”, peut être synonyme de : savoir former. Il est vrai que chaque discipline a sa propre méthodologie, et que celle de toute transposition didactique ne fait que s'inspirer de la méthodologie de la discipline correspondante. Cela étant l'une des conceptions du sens du savoir-apprendre. On ne forme pas à notre guise, il y a en tout cas des invariants fonctionnels quels que soient les procédés de formation, des invariants qui peuvent aussi bien s'imposer par le système (l'École est en elle-même un système), que par l'arbitraire des projets du formateur. Ce n'est rien qu'une relation entre l'arbitraire du maître et la convention du système. Il est vrai que le processus “ savoir-former ”, nécessite au préalable une liberté d'apprendre, de former et d'enseigner. Chez Kant, cela incarne une émancipation des idées qui, elles, contribuent à l'extension des pouvoirs cognitifs et plus précisément, au développement.

Reste enfin ce que Kant lie intimement : “ l'instruction et la formation ”. Ce lien correspond au processus : “ savoir-enseigner ”. Ce processus composé, est complexe. Celui-ci traduit au niveau de la relation entre le pôle de la formation et celui de l'information une problématique sérieuse pour le concept de la transposition didactique, qui se révèle désormais entre : l'ouverture et l'achèvement, entre le hasard et la nécessité. Avant de s'en expliquer, terminons en avec le sens de la transposition didactique tel qu'il résulte de cette citation Kantienne.

Le but de la transposition didactique est de contribuer activement à l'extension des savoirs et des connaissances en vue d'un véritable développement qui, ne sera rien d'autre au fond, qu'une bonne compréhension de la métaphysique de la misère et de la métaphysique de l'ignorance x  ; compréhension qui est – pour nous – nécessaire, car le fait de chercher à valoriser l'enseignement, l'éducation, l'instruction et la formation, cela est la condition du progrès et de la progression. Lorsque Kant incite à “ ‘écouter les philosophes’ ” xi , cela est un cri pour soutenir l'Ecole, l'Université et la recherche, car à travers elles des idées adéquates peuvent se former pour constituer un pouvoir concret qui ne serait rien d'autre que le vrai pouvoir des idées. Celles-ci auront des effets dans le monde sensible.

Les bons effets de la formation liés à l'instruction peuvent être multiples, voire incommensurables. Mais cela n'est pas une raison pour affirmer leur incalculabilité. Parmi ces effets, on peut citer le domaine de la politique. En effet, la transposition didactique en tant que méthode, en tant que démarche pour libérer le savoir – de ce que Dubuffet nomme : “ l'asphyxiante culture ” xii – inaugure par ce même fait, une occasion privilégiée pour communiquer (par le biais de l'extension du pouvoir cognitif) avec des nations lointaines. Cela est une occasion pour le sujet de se connaître et de faire connaître des notions, des propositions, des connaissances et des savoirs, bref, la transposition didactique doit être pensée comme étant un passage de “ l'ésotérique à l'exotérique ” xiii , passage de L’apprendrequi est confié à une méthode : la science de la vulgarisation, dont la démarche est à nos yeux celle de la transposition didactique étudiée scientifiquement. Le problème du politique se pose au niveau du partage du savoir, car il existe des systèmes politiques qui ne veulent pas le partager et d'autres qui s'astreignent à l'étendre dans l'espoir de voir naître le développement, le progrès et la liberté.

Dans le passage du savoir-savant au savoir à être enseigné, se trace une vraie philosophie qui se construit dans le dialogue aussi bien que dans le dépassement. On peut se demander : comment peut-il y avoir un dépassement discursif dans une relation philosophique faisant l'éloge de l'authenticité de l'identité, et du rejet de tout ce qui est autre? L'enseignement, l'instruction la formation et l'apprentissage engagent toujours une relation entre au moins deux personnes. Cette relation enrichit plus le maître que les apprenants. La formation d'adulte est un exemple probant dans ce domaine.

S'ouvrir sur l'autre pour pouvoir apprendre quelque chose, est un acte qui incarne une relation didactique et pédagogique qu'on peut qualifier autant par l'empathie que par l'attention positive inconditionnelle de l'autre. Il est important de penser que plus on se perd, plus on se retrouve et que pour agir ainsi, il faut apprendre à se perdre tout en ayant le courage de le faire. Après tout, les grandes découvertes scientifiques ne se font plus à l'Université, mais dans l'aventure à ciel ouvert et dans la rencontre et les rendez-vous qui, l'un comme l'autre, résultent des voyages et des conquêtes. L'altérité à l'égard de l'autre (l'apprenant) est une occasion pour tracer une didactique de l'ouverture au lieu de celle de l'achèvement et de la fermeture. L'ignorance de cet autre et de tout le processus qui l'accompagne et qui le constitue, est l'un des obstacles qui bloque le progrès scientifique. S'agissant de la transposition didactique, Gaston Bachelard parle d'un obstacle épistémologique qu'il nomme : “ l'obstacle de l'observation première ” ou encore “ l'obstacle de l'expérience première ” xiv . Si l'on en croit la trilogie Kantienne, le concept de transposition didactique est alors une articulation entre trois processus qui le constituent nécessairement. Par conséquent l'équivalence : transposition didactique = savoir apprendre plus savoir former et savoir enseigner, montre que la répétition du mot : savoir, n'est pas une donnée fortuite. Elle est au contraire significative, car parfois, elle peut être légitimée surtout lorsqu'elle est un argument qui – tente d'une certaine manière – d'enfoncer le clou du vrai sens par excellence. La répétition peut être une provocation en vue de marquer et d'inciter à la convocation. Ici, elle incite à prendre au sérieux le savoir, sa constitution, sa logique sa formulation et sa reformulation. Or le sens de la trilogie Kantienne ne s'arrête pas là. Ces mêmes niveaux du savoir – qui sont au fond ceux de la transposition didactique – s'organisent autour de trois autres facteurs :

Au premier sont liés les objets de savoir : ce dont on parle. Ce sont des référents aussi bien que des signifiés. Ils désignent plus qu'ils n'expliquent. Ces objets de savoir sont en réalité des manières de dire les concepts et les choses. Par là-même, ils sont considérés comme des signifiés. Ils ne sont pas de simples substances. Ils peuvent se référer ou témoigner des idées les plus hautes de ceux qui les ont mis en forme. Du fait qu'ils sont ouvert sur les catégories de l'énonciation : sur cette manière d'énoncer, ils deviennent aussi des objets, non pas objectifs, mais objectivés. Ils articulent un énoncé qui présuppose une énonciation, une manière de dire, une manière de faire des choses. Dans cette perspective qui est controversée du point de vue philosophique, le problème du sens reste soumis à la problématique de l'ouverture et de l'achèvement entre ce qui est objectif et ce qui est objectivé. La divergence entre Hegel, Fichte et Lavater quant au sens de l'agir humain, est un exemple probant. Si pour Hegel en effet, l'esprit n'est pas une chose, ni même un objet factice, alors il n'en va pas de même pour Fichte xv pour qui l'homme ne peut être reconnu qu'à son visage, et que l'objet du sens réside dans l'apprence-réalité, au sujet de laquelle Lavater a laissé penser que l'art de “ la physiognomonie ” xvi l'art de reconnaître l'autre à son visage et à son apparence permet de créer un espace significatif. Cette tâche est aussi celle de la transposition didactique, qui s'interroge sur son objet, sa technique : sur ce qu'il faudrait apprécier chez les apprenants, et ce lorsqu'elle tente d'aménager un accès au savoir pédagogique et didactique comme vérité susceptible d'être arraisonnée. D'où la question : la didactique doit-elle prendre en considération le déjà-là ou le toujours-déjà ?

Ces savoirs objectifs et objectivés ne sont pas de simples articulations de mots. Ils ne sont pas une simple homonymie non plus. Ils sont des acceptions, c'est-à-dire qu'ils peuvent soit changer à travers le temps et l'espace, soit désigner des choses à la fois semblables ou différentes. C'est d'ailleurs la même idée d'Aristote qui a laissé entendre que l'être “ se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie ” xvii . Il en va de même pour l'être des mots qui reflètent une structure syntagmatique : une succession, sonore – qui est en relation avec l'autre structure opposée : la paradigmatique où le stocK des mots possédant des sens, est gardé par le système conventionnel, dont l'écho raisonne jusqu'au sens de notre concept de la transposition didactique. Dans cette direction, un concept n'est pas une chute à l'instar d'une feuille d'automne qui s'arrache à l'improviste. Et même celle-ci ne tombe pas suite à un simple hasard. Il y a bien des circonstances scientifiques, météorologiques socioculturelles et autres qui font que les arbres peuvent d'un instant à l'autre perdre leurs feuilles. Ainsi, les concepts sont à la fois la racine et le fruit d'un modèle ayant des effets dans un monde sensible bien typique. Cela signifie enfin que les concepts s'articulent ou s'annoncent, suite à un désir, à une pensée qui les déclenchent. Sur ce désir et sur cette pensée, qui font que les concepts sont des référents, des désignants bref, des signifiés xviii , on peut retenir les enseignements de plusieurs épistémologues. Pour n'en citer qu'un dans cette introduction, notre intérêt tient à ce que Gaston Bachelard a souligné quant au poids de la désignation que remplissent les concepts qui ont tendance à basculer du côté du paradigme de la désignation plus que de celui de l'explication. C'est ainsi qu'il disait : “ ‘(...). A une même époque, sous un même mot, il y a des concepts si différents ! Ce qui nous trompe, c'est que le même concept à la fois désigne et explique. La désignation est la même, l'explication est différente.’ ” xix .

Cette formulation nous servira prochainement, nous conservons son analyse d'une manière rigoureuse, lorsqu'on arrivera aux différentes définitions du concept de la transposition didactique. Mais d'ores et déjà, on peut affirmer qu'elle pose le problème épistémologique des “ trames conceptuelles ” xx .

Pour mieux comprendre un concept, une proposition ou une formulation, l'important – à en croire Gaston Bachelard – est d'avoir conscience de ce qu'il a appelé : “ ‘la critique de la provenance du concept’. ” xxi . L'analyse d'un fait, doit être identique à la procédure critique dont use le savant lorsqu'il s'astreint à la recherche de l'origine des causes du phénomène : la chute des corps. Dans la plupart des cas, le savant en effet, et – comme Claude Bernard xxii l'a laissé entendre – ne se laisse pas seulement impressionner par les faits, car ceux-ci ne valent rien en eux-mêmes. Le savant va au contraire au-delà des faits, en cherchant à les rematérialiser, à les modifier en vue de comprendre aussi bien leur état que leur processus.

Ce qu'il faut retenir de ce qui vient d'être souligné (quant au savoir des objets de l'apprentissage), est que le savoir – en lui-même – n'est pas une simple donnée objective. Il est au contraire en relation de connexion nécessaire avec celui ou ceux qui l'ont mis en forme. C'est la raison pour laquelle nous pensons que l'objet du savoir de l'apprentissage est bien un réfèrent, un signifié au lieu d'être une substance factice : un signifiant.

Dans sa relation d'ouverture, le savoir est factice de la non-facticité. Il est incommensurable et polysémique. Dans cet même ordre d'idée, Gaston Bachelard avait déjà affirmé ce procédé tout en mettant l'accent sur une construction permanente du savoir et du sens, en se traçant un type de relation déjà nommée : la relation positive inconditionnelle à l'égard des faits. Ce n'est rien d'autre que la continuité en vue de la rupture avec les opinions admises. Cela signifie enfin de compte qu'il y a de l'antipathie dans l'empathie. Et Bachelard ajoute : “ ‘On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de questions, il ne peut y avoir de connaissances scientifiques. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit. ’” xxiii

A partir de ce passage, on comprend que le savoir est toujours lié à celui qui en use à savoir l'homme qui, – à en croire Kant - xxiv possède des idées ayant des effets dans le monde sensible. Ce que Gaston Bachelard rajoute à la conception Kantienne est cet aspect révolutionnaire dont disposent à la fois l'idée et le savoir humain. Ceux-ci ne sont pas une simple action qui tente de rendre service à autrui dans ses apprentissages, mais au contraire, une occasion pour aider celui-ci à découvrir la vérité des choses tout en renversant des opinions admises pour comprendre l'essence de ces mêmes choses. Kant n'a pas été plus loin pour inciter au renversement des opinions admises. Il parlait au contraire du respect des jugements du goût, des jugements synthétiques a priori. Il parlait aussi du respect de la conséquence et de la cohérence. On peut lui demander s'il fallait tolérer à certains égards la fausseté, le mensonge, et les erreurs, qui, sous le prétexte de la conséquence et de la cohérence, marquent un pouvoir de la tromperie qui trouve son fondement dans l'impression sensible.

Le savoir de la transposition didactique ne peut pas être réduit à une continuité, à une ouverture fortuite à l'égard du déjà-là. Cette ouverture doit en fait prendre en considération son autre : son contraire, à savoir l'achèvement du concept, dont parle ici Gaston Bachelard. Cet achèvement repose sur une ouverture à l'égard du sens ou des sens authentiques des savoirs et des connaissances. Les concepts sont achevés, car ils sont d'une part, en relation avec les sujets de l'apprentissage (les apprenants aussi bien élèves qu'étudiants), et d'autre part, en relation avec les garants de l'apprentissage, (en particulier les enseignants et les institutions du système d'enseignement). Dire que les savoirs sont achevés, revient enfin de compte à admettre qu'ils sont en relation aussi bien avec le système social dans sa globalité, qu'avec les divergences systémiques imposées par le système politique, économique, et social. Par conséquent, les savoirs constituent donc deux aspects du signe. D'une part, il y a la notion de l'arbitraire, et d'autre part celle de la convention. Ces deux aspects sont aussi la tâche de la transposition didactique dont le sens s'organise autour du paradigme herméneutique.

Pour ce qui est des sujets de l'apprentissage – qui constituent le second paramètre de la transposition didactique – on peut mentionner les élèves-apprenants et les enseignants-formateurs. Les uns comme les autres sont aussi bien des signifiants que des signifiés. Puisqu'ils sont des substances : des sujets objectifs à désigner alors ils portent par là-même les mots d'abord aux faits. Ils entament des relations vis à vis de leurs semblables et vis à vis de leurs proches, à savoir ceux qu'ils éduquent. C'est ainsi qu'on peut les qualifier de signifiants-substantiels. Ils peuvent échanger entre eux des idées par rencontre directe ou indirecte. A la première est lié leur travail d'équipe, d'échange d'avis, d'opinions bref de rencontre, à la seconde est lié le travail de l'un où les uns et les autres, séparément, instaurent et mettent en place ce qu'on peut appeler avec les anglo-saxons : le collège invisible. Ce dernier est un lieu où les hommes peuvent se rencontrer autour d'un débat d'idée sans pour autant qu'ils puissent chercher à se rencontrer physiquement.

Par la différence de leurs capacités cognitives, de leurs compétences, de leurs spécialisations et de leurs attentes, les enseignants-formateurs et les élèves-apprenants, sont des signifiés. En effet, les uns comme les autres, ont une manière de s'approprier les faits, une manière d'accéder à la connaissance et au savoir. Par conséquent, la relation didactique et la relation pédagogique – lors de l'instauration du chemin didactique – deviennent une relation plurielle qui, – l'une comme l'autre – font référence à une approche pluridisciplinaire pour comprendre les faits humains en général et les faits éducatifs en particulier. C'est certainement la raison pour laquelle l'expression : “ sciences de l'éducation ” est formulée sous un pluriel-singulier. A nous maintenir à l'expression de l'un de nos maîtres (M. Tardy) qui souligne : “ ‘Les sciences de l'éducation. Ce pluriel est, si j'ose dire, singulier’ ” xxv , on peut à partir de là, affirmer que l'idée du sujet, en tant que signifié, n'est pas une sorte d'autosuffisance, il est au contraire autonome dans son rapport à sa culture originaire, à sa singularité éthique ou esthétique qui le distinguent, qui font de lui un être d'exception susceptible d'être cultivé. Dans une situation didactique – nous dit-on –, les sujets de l'apprentissage doivent être distingués de leurs référents. C'est en tout cas ce que demande l'institution éducative, qui s'oppose à la notion de service. Bien que cela ne soit pas toujours aussi facile qu'on peut l'imaginer, la didactique et l'enseignement ne peuvent pas être un lieu de service qui livre des remèdes aux maux des opinions admises : au pôle de l'information.

Dire que les sujets de l'apprentissage sont animés par une difficulté à faire le deuil de leur culture originaire, est en soi un vrai problème pour le concept de la transposition didactique. Il est important d'affirmer dans cette perspective que le processus de la signification est en relation intime avec celui de la référence. Ainsi, l'humanisation de la connaissance présuppose une ouverture, une altérité à l'égard de ceux qui en possède l'usage à savoir les sujets de l'apprentissage en situation de transposition didactique. Pour comprendre ce qui se passe dans la tête du sujet, la manière dont il acquiert les connaissances et les savoirs, Gaston Bachelard a incité à la prise en compte de ce qu'on peut appeler une école à ciel ouvert. Dans cette même direction l'auteur de La formation de l'esprit scientifique , n'a pas hésité à revenir sur le procédé cartésien pour corriger des opinions vis à vis de l'ordre de l'information. Pour marquer son opposition à l'égard du déjà-là, à l'égard du domaine du “ ouï-dire ” xxvi et du sens commun, Descartes – comme Gaston Bachelard le repensera plus tard – , pense qu'il est une déformation au lieu d'être une formation. Mais ce jugement subira par la suite – et par le même Descartes – une correction pour mettre en évidence le pôle de l'information. Ce dernier, (comme le pense Descartes ce philosophe du lieu de l'unité), est une occasion privilégiée pour affirmer le savoir-vivre. C'est ainsi que Descartes a repensé l'information en terme d'utilité. Cette utilité de l'information prendra son sens plus tard chez l'un de ses critiques à savoir Spinoza pour qui l'information ne peut en aucun cas devenir une déformation, mais une formation, car elle est utile pour vivre la vie : la comprendre et la dominer. Sans entrer tout de suite dans ce débat historique, nous tenons pour l'instant à souligner simplement la difficulté (à laquelle Gaston Bachelard faisait allusion) à savoir l'incapacité qu'ont les sujets à penser d'une manière anhistorique. L'ouverture sur le toujours-déjà des apprenants est l'une des conditions pour penser la genèse des concepts et la connaissance. C'est ainsi que Gaston Bachelard souligne: “ ‘Dans l'éducation la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de l'irréflexion. (...). Les professeurs des sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours faire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. Il n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors non pas d'acquérir une culture expérimentale mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. (...) En particulier dans cette psychanalyse des erreurs initiales, on ne fera jamais comprendre que le corps qui immerge et le corps complètement immergé obéissent à la même loi’. ” xxvii

On constate que le poids du concept de la transposition didactique comme étant – et à en croire l'approche bachelarienne – une continuité dont l'objectif est la rupture avec les opinions admises est une technique qui est à la fois utile et nécessaire. A partir de là, on peut laisser entendre que le but de l'enseignement est d'aider l'apprenant à surmonter les obstacles du déjà-là pour arriver à la maîtrise du toujours-déjà : à la maîtrise du savoir qui est garanti et reconnu comme tel, suite à des conventions. Une question légitime peut pourtant se poser dans cette perspective. Qui se porte garant de cette convention et de la réification xxviii partielle des opinions admises ? C'est la didactique, l'art xxix d'enseigner, l'art de sensibiliser pour mobiliser, qui à nos yeux, réalise cette tâche.

Le sens de l'enseignement peut en effet dans son étymologie être proche du sens de plusieurs autres mots. Ainsi, il peut avoir un sens proche de celui que reflète le verbe "saigner", qui signifie : blesser, faire couler le sang. Il peut être proche aussi, du verbe semer. Il est vrai que l'action de semer une semence c'est-à-dire faire répandre des idées en vue d'instruire et d'informer, est l'oeuvre de l'action didactique qui cherche – comme nous venons de le souligner – à réifier des actions, des états et des processus cognitifs. L'étymologie qui retiendra ici notre attention est celle de la provocation en vue d'une convocation. Il est du sens d'enseigner ce qu'on pourrait appeler l'art de la réification, l'art d'aider l'autre – comme le pense Gaston Bachelard – à se retourner contre ce qui est admis, contre ce qui est ordinaire. “‘L'art tout au long de son histoire est venu en aide à l'ordre établi qui s'est retourné contre celui-ci’ ” xxx , disait Adorno. A travers cette définition avancée par Adorno, et qui est propre au domaine esthétique, on s'aperçoit que la transposition didactique en tant qu'art d'enseigner, de communiquer, de transférer et de transposer ou même transmettre des connaissances, refuse et interdit à l'enseignant de "créer" l'apprenant à son image. Par contre, elle lui autorise de le former, c'est-à-dire de lui faire connaître les sentences de la vérité aussi bien que celles de la fausseté.

Il est vrai que ceux qui sont aptes à réaliser ce but mobilisateur déstabilisateur, qui exalte et en même temps, réifie des opinions admises, tout en se refusant de remplir le rôle du service, (imposée par un pouvoir extérieur pour plaire à l'ordre établi) sont les garants de l'apprentissage (les enseignants) que nous venons de mentionner ci-dessus et que nous avons placé dans la troisième position des paramètres de la transposition didactique. Désormais, il faut considérer ceux-ci comme les plus importants, car ils sont les savants et les prophètes de l'avenir. Les savants – comme le disaient certains traditionnistes arabes – sont les héritiers des prophètes. Mais les enseignants ne sont malheureusement pas les seuls à décider de la mise en oeuvre des programmes didactiques. Par delà leurs compétences, ils sont – qu'ils le veuillent ou non – soumis à l'idéologie dominante du système social. Ainsi on a toujours pensé que l'École est une institution idéologique, car elle fait partie intégrante du système social, qu'elle en est un en elle-même. Qu'en est-il alors des garants de l'apprentissage, c’est-à-dire des enseignants et du système ?

Comme on peut le remarquer, notre exposé n'est qu'une approche sociologique à caractère descriptif des constituants du concept de la transposition didactique. Cette étape est nécessaire avant même d'entrer dans la complexité des termes et des pratiques issus de ce concept. Ces garants de l'apprentissage, ont (en tout cas par rapport aux sujets de l'apprentissage) quelque chose en commun. D'abord, ils sont eux aussi – et en particulier les enseignants – à la fois des signifiants, des signifiés et des interprétants des concepts auxquels ils se réfèrent. Occupant la place de ce qu'on peut appeler avec D. Jacobi : “ le troisième homme ” xxxi , les enseignants sont en relation aussi bien avec le système qu'avec les attentes, les désirs et les difficultés simples ou complexes de leurs apprenants. Leur tâche est donc double. Ils doivent à la fois satisfaire les besoins des institutions, besoins de l'ordre établi, mais aussi ceux des apprenants et parfois même ceux de leurs familles qui tentent d'orienter leurs enfants dans une direction donnée. L'enseignant parfois sinon dans la plupart des cas, procède de cette même manière lorsqu'il se soucie de la mise en mouvement de son propre savoir ou de celui des autres. Il cherche en effet, à transmettre des notions diverses via la vulgarisation scientifique ou la transposition didactique.

C'est là toute la difficulté et la souffrance de ceux qui savent (les enseignants) et qui tentent d'enseigner à d'autres : à ceux qui ne savent pas encore. Cela est une tâche dont Heidegger parlait déjà en terme d'angoisse, et de difficulté d'enseigner. Avant de transposer ce qu'ils savent, les garants de l'apprentissage travaillent sur la taxonomie des savoirs et parfois même sur l'élimination de ce qui dérange le système, de ce qui peut éventuellement lui être opposé. Ce travail de taxonomie est au fond un travail créatif à la fois de l'autonomie et de l'hétéronomie xxxii . C'est une activité artistique de la pensée, qui peut utiliser le sensible pour manifester ses idées les plus hautes ou celles des autres et ce en empruntant la voie rusée de la raison, via l'inspiration. L'art aux yeux de Hegel, réside dans l'inspiration plus que dans l'imitation.

Si l'acte d'enseigner – comme le pensait Heidegger – est “ plus difficile qu'apprendre ” xxxiii , alors on est en mesure de se poser la question du pourquoi ? La réponse se trouve dans les écrits de Heidegger. Elle servira à l'analyse de notre concept de transposition didactique. Cette activité consiste en une relation à l'égard du savoir et des connaissances, une relation que Heidegger mentionne sous l'emploi du verbe-mot : “ arraisonner ” xxxiv . Heidegger entend par là, une attitude relationnelle qui n'est rien d'autre que celle de l'ouverture sur le déjà-là, tel que nous venons de le voir avec Gaston Bachelard.

“ Arraisonner ” les savoirs avant de les accompagner pour former et instruire sans altérer, est la tâche primordiale de la transposition didactique. Cette mission fût-elle réussie ?

Pour donner quelques éléments de réponse, nous avons choisi des modèles de transpositions didactiques représentés par quelques maîtres à penser. Leur analyse sera précisée lors de l'étude de la légitimité ou l'illégitimité de la transposition didactique.

En réalité la formulation : “ arraisonner les savoirs ” xxxv , est énigmatique. Elle incarne l'ouverture du sujet aux choses, devenues concepts. Le sujet (en tant qu'état de fait), dans son advenir, témoigne de ses idées les plus hautes qu'il cherche à mettre en forme. Voilà la raison pour laquelle nous tenons à dire qu'un concept désigne plus qu'il n'explique. Ainsi, pour qu'il y ait des concepts, il faut qu'il y ait des nations, des peuples bref, des communautés qui s'expriment librement. Par conséquent, c'est dans cette liberté d'expression que l'enseignement trouvera son sens, il est voué tôt ou tard à s'ouvrir sur le système social. Or, si celui-ci est aliéné d'avance, l'acte d'enseigner n'aura aucun sens. Il sera soumis au service d'une “ asphyxiante culture ” xxxvi .

L'altérité et l'ouverture sur ceux qui ont mis en forme les savoirs (les savants), et sur ceux qui en usent (les apprenants), est une occasion pour penser l'humanisation de la connaissance. Cette humanisation, peut désigner l'ensemble des démarches acquises par les savants dans leur mise en place des connaissances diverses et dans leurs créations des notions, des méthodes et des pratiques scientifiques. Celles-ci peuvent être vraies, comme elles peuvent êtres fausses. Elles peuvent être commodes pour certains univers comme elles peuvent ne pas l'être pour d'autres. Quand les apprenants usent de ces mêmes savoirs et de ces mêmes techniques, ils sont eux aussi soumis aux effets de l'humanisation de la connaissance : il y a parmi eux ceux qui assimilent vite et d’autres qui sont frappés par le retard pédagogique. Il pourrait aussi y avoir ceux qui sont motivés et sensibilisés à certains concepts et d'autres qui ne le sont pas. Toutes ces différentes divergences créent un problème pour la transposition didactique, car après tout, un cours tout à fait intéressant peut être lourd à “ assimiler ou ennuyeux ” xxxvii . La recherche des raisons pour lesquelles un cours, une proposition ne passent pas, est aussi l'une des tâches de la transposition didactique définie en terme d'ouverture, non en terme d'achèvement et de clôture.

Dans cette introduction, nous faisons simplement allusion aux problèmes que nous allons découvrir dans cette recherche. Pour n'en citer qu'un, nous retiendrons la question suivante:

Qu'elle est la place de la transposition didactique entre le hasard et la nécessité, entre l'ouverture et l'achèvement ?

Lorsque Nietzsche disait : “ ‘Le désert croît malheur à celui qui protège le désert’ ” xxxviii , il voulait certainement par ce cri amener à une prise de conscience e l’extension du pouvoir cognitif chez tous les spécialistes de l'éducation. Pour lui en effet, l'émancipation des idées et la liberté de l'opinion sont une condition de l'extension du pouvoir du connaître. Mais ce problème qui est au fond, un problème politique, ne peut s'accomplir qu'à partir de la mise en place d'un “ enseignement à ciel ouvert ”. Cette description appliquée à l'enseignement doit être prise dans un sens métaphorique. Elle signifie en réalité – et dans la perspective nietzschéenne –, que l'extension du pouvoir cognitif ne peut être acquise que lorsqu'on suit le chemin de la didactique de l'ouverture. Il ne suffit pas de répandre des théories toutes faites dans une société donnée et à travers des supports divers pour affirmer enfin qu'elles remplissent les caractéristiques suivantes : la discipline, l'instruction et la formation que Kant assigne à l'éducation.

Il est curieux de retrouver cette même position dans ce qu'on peut appeler : “ les Ecritures Saintes ” xxxix  ! Dans l'écriture coranique par exemple, on retrouve en effet une incitation à la lecture, comme si celle-ci est quelque chose de sacré, qu'il ne faut pas manquer. En effet, le premier verset qualifié ainsi par les exégètes et les traditionnistes musulmans le prouve fort bien. Il dit :

‘“ Lis, par le nom de ton seigneur qui a crée,
Lis! Car ton seigneur, le très noble,
C'est lui qui a enseigné par la plume ” xl .’

La répétition du verbe : “ lire ” à l'impératif, prouve en fait l'importance de la lecture, l'importance de la diffusion de l'enseignement qui, en tant qu'information, devrait circuler et se mettre en mouvement nécessairement. C'est donc par le biais de la lecture, de la formation et de l'enseignement – qui sont des conditions de la transposition didactique –, que l'extension du pouvoir du connaître trouve son vrai sens. La lecture ainsi que l'enseignement par la plume, doivent être pris dans un sens très large ; un sens qui peut signifier aussi bien la vulgarisation scientifique (l'accéité à la vérité), que la transposition didactique (la lente lecture par la plume). Au premier est liée la notion du temps qui repose sur son gain, quant au second est liée celle de sa perte en vue d'en gagner l'extension du pouvoir, non pas de l'assimilation à l'instar du premier, mais de celui de l'accommodation.

L'intéressant dans la perspective nietzschéenne est l'instauration d'une philosophie pratique. Pratique au sens où le passage des théories déjà établies, aux actions effectives, doit porter sur une philosophie en action à l'instar de celle de Michel Foucault qui s'est intéressé, par exemple aux prisons, aux écoles, aux maux de la société etc. Dans le sillage de ce cri nietzschéen, une conscience commence à s'installer comme si l'écho de son cri avait été entendu. Cette prise de conscience manifeste une tendance fataliste à l'égard de tout ce qui se publie dans le domaine de la recherche pédagogique, dans le domaine scientifique et dans le secteur de la recherche fondamentale. Le mépris porte sur cette omniprésence des savoirs et des connaissances qui débordent de tout part. Ils se trouvent gardés d'une manière relique, dans les bibliothèques des fonds anciens. Ils sont conservés dans les Musées, ils sont si bien rangés dans les bibliothèques. Ils sont parfois véhiculés par les mass-médias de manières différentes. En tout cas, les savoirs et les connaissances ne manquent pas. Ils sont si bien administrés ! Cela n'est pas pour autant une raison d'affirmer qu'ils sont lus et connus de tous.

Le problème de la transposition didactique, – en tant qu'action, en tant que passage de l'ésotérique à l'exotérique, passage du complexe au simple, de la théorie à la pratique, est en réalité un problème d'un apprentissage du bien penser. En effet, apprendre à bien penser n'est rien d'autre qu'échapper à cette "asphyxiante culture" qui renferme les oeuvres et les aliène. Ce n'est rien d'autre que s'opposer à “ l'industrie culturelle ” xli qui, tout en valorisant les oeuvres par la conservation et l'enfermement elle les insère dans ce qu'on peut appeler avec Adorno la “ EntKunstung ” xlii . Les oeuvres deviennent des choses parmi les choses à contempler via la jouissance artistique. Autrement dit, insérées dans les catégories de la marchandises, accessibles à quelques élites disposant du pouvoir d'achat, les oeuvres ne remplissent plus désormais leur objectif d'enseigner et de former le plus grand public possible. “ Le désert croît malheur à celui qui protège le désert ”, est une incitation à apprendre non pas à penser, mais à bien penser. Que signifie bien penser si ce n'est que s'ouvrir à l'autre et, est au processus qui l'accompagne ! Cela a un rapport très large avec le concept de la transposition didactique, défini en terme d'altérité radicale à l'égard d'autrui.

Dans la pratique éducative, l'instruction, la formation et la discipline doivent dépendre d'une méthode conséquente, qui, dans son ouverture sur les choses-ci et sur le déjà-là, peut garantir le sens du bon usage de ce que Philippe Meirieu (notre maître) appelle : “ le bon concept xliii . ”

Si L’on livre à autrui des concepts qui désignent une multiplicité de choses sans les lui expliquer, alors on tombe dans le désert, qui pour Nietzsche, aveugle et biaise le vrai sens des propositions, car “ au dessous de la proposition – comme le pense M. Foucault – il y a des cris ” xliv  ; disons plutôt, qu'il existe des dispositions, des fonctions phatiques centrées sur l'acte du discours. Pour échapper à ce désert qui n'est rien d'autre que la clarté de l'obscurité, la solution finale est de considérer l'enseignement en tant qu'action d'épanouissement pour contribuer activement aux développements des peuples et des nations. En effet dans le désert on ne trouve ni eau ni endroit pour se mettre à l'ombre d'un soleil et d'éventuelles tempêtes de sable qui aveuglent et éblouissent les yeux. Le sens de cette métaphore, est à chercher dans ce que Nietzsche pensait de l'Occident. Pour lui, l'homme Occidental n'a pas encore appris à bien penser. Notre but ici n'est pas d'exposer les fondements de la philosophie de celui que certains ont surnommé “ le prophète de l’avenir ”, mais de retenir simplement ce que cette citation signifie quant à ce qu'elle tente de penser pour l'avenir de nos établissements d'enseignements. Il est probable que celui qui protège la clarté de l'obscurité sera malheureux. Etant conscient de son action, il sera jugé sévèrement par le dernier homme, libérateur de l'action humaine de cette idéologie de l'asphyxiante culture, qui a commis un mal incommensurable. En transposition didactique, l'important ce ne sont pas les actes, la création des concepts complexes, mais au contraire le passage à l'acte. La mise en forme des pratiques didactiques, témoigne des idées les plus hautes d'un peuple. Elle fonde aussi des actions et des pratiques d'émancipations et de liberté. La conséquence de ce raisonnement est d'une teneur philosophique considérable. Il veut nous faire comprendre que les raisons pour lesquelles des savoirs, des connaissances tout à fait intéressants deviennent ennuyeuses, sont à chercher dans la compréhension d'un éventuel passage de la compréhension de la métaphysique de l'ignorance xlv à la maîtrise de la métaphysique de la misère, et ce pour comprendre enfin la physique de la violence : un phénomène factice, observable dont on ignore parfois les causes. Cette transition suppose que l'homme ne peut en aucun cas faire le mal tout en étant conscient réellement de son action, car, et comme le pensait déjà Socrate, c'est par ignorance que l'homme agit ainsi.

Le plus important pour éviter les guerres et pour instaurer la paix civile et mondiale, est de faire croître non pas le désert, mais au contraire de rendre ce même désert un pays fertile. Or lorsqu'on n'y arrive pas, cela annonce l'ambiguïté de l'acte de bien penser, l'échec de l'éducation, de la formation et de l'instruction. Par conséquent, tout travail intellectuel – dans cette même situation – devient – comme le pense François Guéry (l'un de nos maîtres), de la “ ‘merde et ne fait accoucher que de la merde’ ” xlvi . Car lorsqu'on est en plein désert, en pleine clarté de l'obscurité, on se demande ce que vaut l'acte d'enseigner, l'acte d'apprendre. A quoi sert-il d'imaginer ou d'être créatif ? L'important ne serait-il pas le contraire : d'arrêter de penser ? Car – comme Heidegger l'a laissé entendre –, plus on pense plus on se fatigue.

Dans le domaine de l'éducation, ces questionnements ne sont pas passés inaperçus. En effet Jean Houssaye (l’un de nos maîtres) s'y est intéressé en disant : “ ‘L'école est malade, elle nous rend malade, nous sommes malades de la maladie de l'école ” (...), “ on se demande parfois si ça vaut la peine d'aller à l'école pour y apprendre ou y enseigner ?’ ” xlvii . Ces propos nous laissent penser au sens de la relation qui pourrait exister entre transposition didactique et vulgarisation scientifique. Qu'on nous permette l'expression vulgaire : de "la merde" de la première et de "la putain" de la seconde. L'enseignant "s'emmerde", s'efforce à trouver et à chercher ses mots et ses techniques. Le vulgarisateur au contraire, use des résultats scientifiques sans pour autant fournir un effort de recherche à leur production. On peut se demander si vraiment tous les lecteurs de la revue La Recherche ou Science et Vie comprennent-ils l'intérêt et les mécanismes des résultats scientifiques ? Qui l'affirmerait ? dans l'absence d'une évaluation de leurs travaux ? Nous reviendrons plus loin sur cette métaphore ironique, provocatrice, instructive et destructive à la fois.

Les propos de Heidegger, et de la pédagogie dite "non-directive" témoignent de la conscience à laquelle nous avons fait allusion, d'une incitation à l'effacement, à la réification de l'acte de créer, d'imaginer et d'enseigner. Les formes de ce constat ne sont pas celles qui émergent de ce qu'il est convenu d'appeler : l'industrie culturelle. Ce sont celles du rejet de ce qui se passe dans les institutions qui ont tendance à vouloir “ la programmabilité ” xlviii des savoirs et des connaissances, car nous dit-on, les vraies découvertes scientifiques ne se font plus à l'intérieur des universités et des institutions, mais hors de celles-ci. En réalité cela n'est pas un rejet de l'acte d'enseigner ni de l'acte d'apprendre mais un rejet de leurs modalités et de leurs finalités. En effet, dans de telles situations plus on sait moins on désire savoir. Alors que ce qui devrait s'inscrire nécessairement, est le contraire : l'école, l'enseignement, l'apprentissage doivent nous inciter à penser et à bien penser.

Ce désir de créer des situations motivantes n'échappe pas à la transposition didactique qui s'ouvre aussi bien sur le savoir savant que sur le savoir à être enseigné ou enseigné xlix .

Depuis Socrate, cette technique de l'ouverture n'est pas passée inaperçue. L'important est de savoir en fait, ce qu'elle signifie : ses modalités, ses buts et ses conséquences. C'est ce que nous tenterons d'étudier dans cette recherche.

A nous en tenir à ce qui vient d'être souligné quant à l'approche philosophique de l'ouverture, on peut affirmer que l'apprentissage dans la vie est un apprentissage permanent à travers lequel on doit admettre que l'être humain est toujours ouvert à l'éducation, à la formation et à l'instruction. C'est cette leçon que Philippe Meirieu a certainement retenue de Georges Lapassade pour qui, trois concepts désormais doivent être liés : “ adolescence permanente, formation permanente et révolution permanente ”. Cette trilogie qui anime l'apprentissage, éclate dans un bref passage de Philippe Meirieu. Ce passage nous incite à nous ouvrir sur les concepts de l'apprentissage et de la transposition didactique. Il souligne: “ Entrevoir le future en questionnant le déjà-là, construire le future en s'appuyant sur le déjà-là. Ce n'est rien d'autres au fond, “ qu'une situation problème ” : un ensemble de données que l'on maîtrise – ce que l'on sait – est une situation qui fait pourtant problème – ce que l'on ne sait pas – un jeu de présence/absence, de connaissance/ignorance, qui crée une aspiration, suscite un désir. Un jeu sans cesse inachevé, tant il est vrai que plus on sait plus on désire savoir, et que la solution contre toute attente, agrandit toujours l'énigme. ” l . Ne pas attendre, signifie en réalité, intervenir, s'ouvrir sur le déjà-là pour le briser en lui imposant le toujours-déjà qui, n'est rien d'autre au fond, que la teneur et le poids d'un savoir li rationnel, conventionnel reconnu par ses effets dans le monde sensible.

Si Georges Lapassade dans l'Entrée dans la vie lii , incite à demeurer jeune, alors il nous force par là-même à admettre cet enseignement que conseille Philippe Meirieu pour qui l'ouverture à la connaissance et à la formation permanente sont une nécessité implacable pour l'extension du pouvoir cognitif. Car disait-il, l'apprentissage est spontanéité pour l'homme qui apprend tous les jours.

Le glissement de l'adolescence permanente à la formation permanente, est légitimé par la ressemblance des rapports entre la jeunesse d'une part, et les nouvelles connaissances de l'autre part. Ainsi on peut construire une analogie en disant : la jeunesse est au milieu social, ce que les connaissances et les savoirs nouveaux sont au milieu éducatif. De même que l'on cherche parfois à éviter la vieillesse, on s'astreint aussi, dans le domaine de la science, à éviter le vieillissement et l'usure des savoirs. D'où la raison qui pousse des intelligences à inventer de nouvelles connaissances et de nouveaux savoirs.

La ressemblance des rapports entre les termes du thème et ceux du phore, est ici fondée sur l'espérance de voir naître le progrès, que reflètent le changement et le développement permanent.

Parfois, il nous arrive d'apprendre sans comprendre, cela pourrait être un handicap pour l'éducation et pour la formation. Mais bien que cette approche ait un intérêt mémoriel (qu'elle sauvegarde l'histoire et la mémoire à travers la conservation littérale des concepts), il n'empêche que par ce même procédé, elle devient légitime et illégitime à la fois.

Légitime parce que parfois la vie oblige et impose ce type d'apprentissage. Par exemple dans des périodes de crises ou de guerres, la vie n'attend pas. Elle oblige à apprendre sans comprendre. Elle incite à cultiver l'état d'exception. Dans de telles situations la transposition didactique est soumise – faute d'un manque de temps – aux effets du hasard et non à ceux de la nécessité qui, elle, impose la rigueur, la clarté aussi bien discursive qu'esthétique.

Ce procédé d'apprendre sans comprendre peut aussi être illégitime, car en déclarant l'achèvement du concept, il peut par là-même conduire à l'asphyxie de l'apprentissage, en le réduisant à l'unique paradigme de la désignation. On sait – nous venons de le voir avec Gaston Bachelard – “ qu'un concept à la fois désigne et explique ” liii , qu'il est chargé et animé par ce que Benveniste appelle : “ la chronothèse du sens liv  ”. L'illégitimité repose donc sur la déclaration de l'achèvement des concepts. Or, une oeuvre – comme Umberto. Eco l'a laissé entendre – ne commence ni ne finit, elle ne fait que semblant. Le bon concept, est celui qui est soumis à l'ouverture, qui l'accepte, qui la cultive en tant qu'exception. “ Cultivons les exceptions ”, disait Nietzsche. Parfois les exceptions peuvent faire l'effet d'une règle ou d'un modèle. “ ‘Apprenons de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir’ ”, lv ajoutait Nietzsche ! Si on se soucie du sens du “ bon concept ”, alors on a qu'à entendre filer ce passage où Philippe Meirieu tente d'expliquer aussi bien son ouverture que son achèvement :

‘“ Un bon concept – disait-il –, c'est précisément ce qui éclaire mon expérience, me permet de l'organiser, la comprendre, la maîtriser, et non ce qui m'impose du dehors d'y renoncer ou complique artificiellement mes problèmes. Un “ bon concept ”, ne se substitue pas à un savoir antérieur, même s'il bascule mes représentations : il donne forme à mon expérience, rend la réalité plus saisissable et permet d'agir sur elle. Un “ bon concept ” n'apparaît jamais comme “ une chose en plus ” qui alourdirait ma pensée à mes systèmes de représentation, au contraire il “ m'allège ”, me libère de l'inextricable et semble me renvoyer quand je le découvre, à une antériorité radicale ” lvi .’

Cette définition du bon concept va nous aider à définir la transposition didactique en tant que concept problématique et polysémique. Nous tenons pour l'instant à souligner son intérêt théorique. Elle articule deux problèmes. Le premier, s'explique par l'utilité du concept, qui, lui, est ouvert puisqu'il intervient dans la pratique et dans l'expérience. Le second, qu'est l'achèvement, pense le concept comme étant marqué par une clarté à haute densité discursive, qu'il n'est pas de ce fait un ressemblant mais un clair-précis.

Le passage de Philippe Meirieu, qui vient de précéder, nous montre fort bien que le concept n'est pas une simple “ ‘substitution à un savoir antérieur’ ”, à du fortuit. Si l’on en croit cette définition du bon concept, alors la transposition didactique peut prendre le sens du mouvement. Les concepts ne doivent pas s'articuler d'une manière vulgaire et fortuite, ils doivent au contraire être considérés comme une oeuvre ouverte, c'est-à-dire, ils doivent être en mouvement d'une discipline reconnue à une autre. Or s'ils sont véhiculés dans le domaine de l'ouï-dire et de la doxa, ils n'auront aucune utilité, et ils ne feront que bloquer et infirmer l'apprentissage.

L'ouverture du concept, son usage d'une discipline à une autre, d'un domaine à un autre, contribue activement à l'enrichissement d'une langue et d'un système de pensée. L'exemple le plus probant est celui de la traduction lvii . En effet dans de telles situations, l'apprenant accroît la fonction expressive de son discours, ce qui le renvoie enfin de compte à disposer d'une bonne élocution qui fera de lui – peut être – un bon Rhéteur, un chef de parti ou un représentant du peuple dans une assemblée.

Jusqu'à présent, dans cette introduction, nous plaidons pour un éloge de l'ouverture oeuvre d'une transposition didactique en mouvement. Or, il faut signaler au passage que parfois cet “ ‘élargissement des possibilités s'avère un rétrécissement’ ” au niveau du paradigme herméneutique, organisé autour du sens, dans la recherche en didactique.

D'une manière générale, la recherche en didactique selon J. P. Astotfi est soumise à trois paradigmes contrastés : “ ‘le paradigme pragmatique (organisé autour du possible), le paradigme herméneutique (organisé autour du sens) ; le paradigme nomothétique (organisé autour de la preuve)’ ”. lviii

A la lumière de cette approche classificatoire, le concept de la transposition didactique paraît un concept polysémique tel le concept de projet. Il est un concept en mouvement d'une discipline à une autre, d'un contexte à un autre et d'un modèle de référence à un autre. Le rétrécissement lors de l'élargissement des possibilités, peut être constaté surtout au niveau du sens, au niveau du paradigme herméneutique. En effet, en transposition didactique, qui est un passage d'un savoir savant, élaboré en matière de recherche fondamentale, à un savoir à être enseigné, élaboré en matières éducatives, on assiste – comme en vulgarisation scientifique dont le passage est inversé – à une soumission des savoirs de références à deux mouvements :

  1. Une transformation des savoirs sociaux de référence décrits “ d'originaires ”, en savoirs à enseigner ou à être enseignés, décrits de “ dérivés ”.
  2. Une transformation de ces mêmes savoirs en savoirs effectivement enseignés.

Ces transformations, parmi d'autres, compliquent, affaiblissent et infirment des concepts et des propositions authentiques admises jusqu’alors comme vraies. Cela donne lieu à des phénomènes épistémologiques dignes d'intérêts. Parmi ceux sur lesquels nous reviendrons on peut citer :

Nous découvrirons d'autres phénomènes épistémologiques à travers l'analyse des différentes formes de formulations et de reformulations qu'incarnent les deux types de textes : didactique et scientifique. Désormais, la problématique de notre recherche est claire. Elle repose sur une étude critique du passage du savoir élaboré en matière des sciences humaines (méthodologies de la psychologie expérimentale, de la philosophie générale, et de la linguistique structurale), et surtout lorsque ce même savoir est à la fois l'objet de la recherche fondamentale ou objet d'un enseignement universitaire spécialisé. Devenu, aussi bien savoir savant que savoir à être enseigné, le passage que reflète la transposition didactique, subit par ce même parcours réciproque : (savoir-savant / savoir à être enseigné, ou inversement : savoir à être enseigné / savoir savant), quelques transformations que nous mentionnerons.

A la lumière des problèmes épistémologiques précédents, la problématique de ce travail est polysémique. Elle tente de traiter d'un sujet qui est lui-même polysémique voire obscur. Cela est du au fait que les débats sur son sens ne sont pas encore tranchés ni sur la filière où l'on doit l'asseoir, ni dans le domaine de recherche qu'elle doit conquérir. Notre problématique a pris la forme d'un certain nombre de questionnements, qui n'ont pas encore cessé de nous préoccuper. Leurs formulations telles qu’elles nous ont travaillées s'annoncent ainsi :

Ces questions sont nées d'un même souci : la transposition didactique des savoirs en sciences humaines à l'Université. Pour répondre à ces questions, nous nous sommes intéressé à la transposition didactique en tant qu'oeuvre d'art en mouvement et ce tout en prenant en considération le premier mouvement : la transformation des savoirs sociaux référentiels en savoir à être enseigné. La taxonomie de ces savoirs nous a permis – dans un premier temps – d'élaborer une thèse c'est-à-dire une direction de recherche. Il y a en effet, dans le passage du savoir-savant au savoir à être enseigné, des modifications de l'identité épistémologique du savoir dans la mesure où le changement du langage et du public, modifie radicalement le sens, noyau paradigmatique organisateur du sens des savoirs. Cette prise de position partielle nous a engagée dans la recherche du sens d'un concept, d'une proposition, d'une formulation et d'une reformulation. En procédant ainsi, on doit une fidélité au paradigme herméneutique, chèr à la recherche en didactique.

Cette démarche n'est pas une opposition à la transposition didactique en tant que concept soumis à la problématique de l'ouverture, elle est au contraire une continuité, une prise en considération de tout ce qui se publie dans le domaine de la recherche pédagogique et éducative. Autrement dit, l'herméneutique est une ouverture aux choses des apprenants, une recherche de la provenance et de la genèse des concepts en vue de comprendre la relation qui existe entre le processus de signification et de celui de la désignation.

Pour mieux comprendre les fonctions de chaque discours, nous nous sommes intéressé aussi bien au statut du savoir : au public auquel il s'adresse, qu'aux manières dont il est véhiculé en remplissant des tâches à travers des fonctions expressives, rhétoriques, incitatives, émotives, phatiques etc. La défense de cette idée constitue une thèse de la thèse, car il s'agit bien de soutenir une thèse : une idée, un projet qui sera projeté. Dire qu'une thèse est pro-jetée, signifie en fait, qu'elle tente de soutenir une idée qu'elle s'efforce de démonter d'une manière aussi conséquente que possible. Or, cette thèse ne peut réaliser cet objectif qu'à condition d'admettre l'existence d'une autre qui lui est opposée et que nous nommons : antithèse, car après tout, rien n'a de sens qu’en relation avec son opposé. Cette prise de conscience nous a conduit finalement à élaborer une antithèse de la thèse. Dans cette recherche animée de "contradictions" théoriques, d'antinomies latentes, on s'aperçoit qu'il y a d'un côté une thèse à soutenir et d'un autre côté, une antithèse à prendre en considération et enfin, une synthèse à penser, à mettre en oeuvre et à développer.

Sur l'antithèse, nous nous sommes posé la question du sens de cette modification (modification des trames conceptuelles lors du mouvement de la transposition didactique) et nous nous sommes dit : après tout cette altération, n'est-elle pas voulue ? Dans la mesure où “ le troisième homme ” : l'enseignant aussi bien que le vulgarisateur, l'un comme l'autre, soucieux de la transmission, du transfert et de la transposition des savoirs use dans la plupart des cas de cette technique uniquement pour marquer “ un jeu de rôle ”, car “ une oeuvre ne commence ni ne finit d'autant plus elle ne fait que semblant ” lix  ! En effet la vraie personnalité du “ troisième homme ”, ne se réalise pas dans cette pratique du jeu de rôle. Au contraire, le "troisième homme" demeure un enseignant soucieux de l'extension du pouvoir cognitif des apprenants et des individus de la société globale, qu'il a le souci d'une formation et d'une éducation “ à ciel ouvert ” : ouverte sur la vie. Ce jeu de rôle n'est rien d'autre qu'un faussaire qui traque le vrai, tout en facilitant (d'une manière directe) l'accès à l'appropriation des concepts, à l'extension du pouvoir du connaître, à la simplification du savoir complexe et au passage de l'ésotérique à l'exotérique.

Cette antithèse nous a conduit à nous intéresser à l'autre de la transposition didactique : à la vulgarisation scientifique. En effet, cette dernière est aussi en relation avec l'acte d'enseigner. Et à en croire D. Jacobi, elle ne se distingue en rien de la science de la vulgarisation qu'est la transposition didactique qui, elle aussi, s'interroge sur les sentences de l'acte d'enseigner et de l'acte de créer. Pour cet auteur, la vulgarisation scientifique est un enseignement, une école parallèle. On retrouve ici la vieille relation que se traçait Socrate en cherchant le “ lieu de l'unité ” à savoir la manière dont le sujet – en relation avec lui-même et avec l'autre –, acquiert des connaissances et des savoirs. Ce lieu est (dans l'optique de Socarte) caché sous le “ lieu commun ” lx de l'acte d'apprendre. Cette attitude ne peut être élucidée qu'à partir de l'ouverture sur ce qui se passe dans la tête de ceux qui usent de leurs facultés pour accéder au savoir et à la connaissance.

Cette discussion de la thèse et de l'antithèse de notre thèse, nous a conduit à la mise en oeuvre d'une synthèse. L'idéal synthétique auquel il faudrait désormais travailler serait la mise en place d'une argumentation du distinguo, qui aura pour but non pas la distinction de la thèse et de l'antithèse de notre thèse, mais une occasion pour arriver à arraisonner les savoirs qu'elles comportent et qu'elles tentent du moins de véhiculer.

Le fait de travailler dans la direction de la complémentarité de la thèse et de l'antithèse, en faisant valoir la légitimité de l'une et de l'autre, est en soi une attitude morale qui (au fond) incarne le principe éthique que Kant désignait sous le concept du respect. Dire qu'il n'y a aucune finitude à l'égard de l'autre quand il s'agit du respect, revient en dernier ressort, à penser l'ouverture sur le caractère de l'autre, à penser la manière dont il met en forme le réel. Ce n'est rien d'autre que la chronothèse du sens. Du point de vue éducatif, cela peut se traduire par l'idée d'une humanisation des connaissances et des savoirs, une humanisation qui signifie d'une part que toute chose a raison d'être et que (et d'autre part l'art), le sens est une des choses omniprésentes puisque plus on sait, plus on désire savoir et que l'art et le sens sont parfois là où l'on ne se rend pas compte.

A la lumière de ce procédé Kantien, on peut penser (dans la perspective de la transposition didactique), que la conséquence et la cohérence d'un auteur peuvent se mesurer par trois principes : l'exhaustivité, la simplicité et la cohérence interne. Ces principes doivent faire l'objet de toute transposition didactique réussie. Nous avons pensé à procéder de cette manière lors de notre recherche car tout au long de nos tâtonnements, de nos lectures et de nos rencontres avec des spécialistes du transfert des savoirs, nous nous sommes aperçu que ce problème est à la fois un problème argumentatif, rhétorique et politique. Par contre, en ce qui concerne la question de la conséquence et de la cohérence, Kant lui-même a soulevé la difficulté de ce procédé. A l'en croire, peu importe celui qui tente d'y accéder, il n'y arrivera pas, car comme le souligne Kant : ‘“ Etre conséquent, c'est la première obligation d'un philosophe et c'est pourtant celle à laquelle on se conforme le plus rarement’ ” lxi . Pour nous, cet enseignement n'est pas très bien convainquant, car après tout, on peut être conséquent par la voie des principes. Traduits en de simples actions par le langage, les principes peuvent en effet devenir des actions libres qui témoigneront de la haute ou de la basse densité discursive des discours en action qui, eux, seront en dernier ressort traduits en formes expressives. Nous avons prouvé cela en arraisonnant le savoir didactique, le savoir savant des spécialistes ainsi que celui de la recherche fondamentale.

Puisqu'il est question du style, des figures et des discours, alors la rhétorique et l'argumentation peuvent être un outil à chaque auteur pour renforcer son avis, sa raison et sa direction de travail. En effet, c'est dans la langue que les auteurs pensent et c'est au travers d'elle qu'ils véhiculent des messages.

L'argumentation et la rhétorique ne sont que de simples outils pour donner, et au didacticien, et au savant, une chance d'avoir raison. D'ailleurs, Aristote a laissé entendre que le premier de tous les arts est l'art du langage, ou rhétorique. La parole est en effet constitutive de paidéa, de l'éthique, de la politique et de la religion. L'éducation est d'abord une prise de parole et une écoute. Des propositions sous lesquelles – comme disait M. Foucault – il y a toujours des cris, doivent être prises en considération dans toute pratique didactique et pédagogique. La parole, dans sa réciprocité avec la langue constitue en gros, l'ensemble de l'anthropologie de l'éducation. On peut même aller plus loin pour considérer cette réciprocité comme maître d'oeuvre de l'éducation. Car c'est par son intermédiaire qu'on peut inciter notre auditoire présumé apprenant à apprendre, tout en créant chez lui des situations motivantes à travers lesquelles il peut adhérer à un discours commun qui prédomine le discours spontané. A partir de là, la distinction entre l'enseignement en tant qu'action d'endoctrinement et l'enseignement en tant que pratique de l'action droite est une chose évidente pour le progrès de l'extension du pouvoir cognitif.

Pour mieux comprendre le langage de l'éducation et de la transposition didactique qui sont par essence les plus rhétoriques des discours – comme Olivier Reboul n'a pas cessé de le répéter à la fin de sa vie –, notre intérêt a porté sur le premier mouvement : la transformation des savoirs sociaux référentiels en savoir à enseigner ou à être enseigné, une transfomation chère à la transposition didactique. C'est à partir de là que nous rencontrons le paradigme herméneutique. Par contre le second mouvement : la transformation des savoirs de référence en savoirs effectivement enseignés, ne tiendra pas notre attention. Ce n'est pas parce que celui-ci n'a aucun intérêt, mais au contraire c'est parce qu'il ne relève pas de notre compétence. Ce mouvement qui nomme les problèmes par les preuves pratiques, traduit le paradigme nomothétique. Il reflète l'action des praticiens et des pédagogues, hommes du terrain confrontés à des situations d'apprentissage et de formation.

Notre intérêt fût tel, car les savoirs effectivement enseignés n'ont de sens qu'en relation avec les savoirs sociaux de référence, qui, eux, sont des savoirs à être enseignés. D'où la légitimité du procédé avancé par Michel Tardy qui pense que : “ ‘la manière de diffuser les connaissances n'est pas étrangère à la manière de les construire : la méthodologie pédagogique devrait s'inspirer peu ou prou de la méthodologie de la discipline correspondante’ ”. lxii La discipline est en elle-même une raison sociale qui témoigne de la relation de connexion nécessaire entre énoncé et énonciation. Cela signifie que même le praticien, est condamné à se référer à quelque chose : à une théorie de référence, originaire, sinon sa pratique demeurera fortuite. C'est ainsi que la pratique doit être précédée d'une théorie, et que tout énoncé présuppose une énonciation : une manière de dire et de faire des choses. Etre praticien d'une théorie renforce l'idée de l'ouverture sur le toujours-déjà des concepts, une démarche qui n'est rien d'autre que “ la critique de la provenance ”, dont parlait déjà Gaston Bachelard.

La définition philosophique du concept dans sa généralité, renforce cette même idée. En effet, Burloud dans un cours de philosophie souligne : “ ‘Le concept est une pensée abstraite relativement stable et désignée par un mot. La plupart des idées sont en même temps des idées générales... Généraliser, c'est prendre conscience qu'un ou plusieurs caractères sont communs à une pluralité d'objets ; ces caractères, placés à part sous l'étiquette d'un même nom constituent l'idée générale’ lxiii  ”.

De cette ouverture, s'est imposée notre curiosité à l'égard des savoirs à être enseignés. On les retrouve dans des Manuels didactiques, dans les Que-sais -je ? et dans des Manuels pratiques de vulgarisation scientifique et de transposition didactique. Ils forment des abstractions, malgré leurs tendance à la simplification. Ils traduisent cette problématique propre au concept à laquelle Burloud faisait allusion.

En consultant à la fois certains Manuels ainsi que les références ésotériques et exotériques dont ils témoignent, nous nous sommes aperçu de la grandeur, de l'écart et de la distance entre le savoir-savant et le savoir à être enseigné. Le problème que nous nous sommes posé, est celui de savoir si lors du passage d'un niveau de savoir à un autre, il y a en effet altération, infirmation du sens des propositions ou au contraire, enrichissement et affirmation du sens de leurs contenus. Sachant bien que lorsque le vulgarisateur traque les vérités dites admises, il le fait au nom d'un certain projet, d'un certain idéal qui pourrait correspondre aisément à ce que Wölfflin lxiv appelle : le principe de l'anonymat dans l'art. Du point de vue de la vulgarisation scientifique, le savoir n'est alors pas l'oeuvre d'une minorité ésotérique. Il est au contraire celui de la majorité admise comme exotérique. Voilà la raison pour laquelle nous considérons que le principe de l'éducabilité est aussi l'oeuvre de la vulgarisation scientifique, avec quelque différences dans son rapport à l'égard du concept de la transposition didactique.

C'est à partir de cette constatation ordinaire, fortuite que nous avons pensé à mener une recherche sur ce langage du discours de la transposition didactique qui est, comme le souligne Olivier Reboul (l'un de nos maîtres), le plus rhétorique des discours.

Dans cette même perspective, deux disciplines attirent notre curiosité et notre attention : la méthodologie de la psychologie expérimentale et celle de la linguistique structurale dont témoignent les articulations langagières des différents textes. Le choix de ces deux disciplines est dû à deux raisons. Une raison subjective et une autre objective. Pour la première, on doit affirmer que les deux domaines de connaissances ont été travaillés dans le cycle de nos études universitaires dans deux disciplines voisines : la philosophie et les sciences de l'éducation. Pour la première spécialisation, nous pensons à la philosophie du langage, pour la seconde nous pensons à la psychologie de l'éducation. Quand à l'autre raison, objective, elle est due à un constat qui s'impose. A vrai dire, on assiste à des recherches sur la motivation, sur l'apprentissage et sur l'accroissement des recherches dans le domaine de l'éducabilité de l'intelligence. Ces recherches mettent l'accent sur l'importance de l'ouverture sur ce qui se passe dans la tête du sujet. Le laboratoire de pédagogie expérimentale et les recherches de l'association “ Binet -Simon ” ou “ Apprendre ” en sont un exemple probant. Il y a aussi des recherches portant sur le sens et qui touchent l'autre domaine : la linguistique structurale. Ces recherches sont soucieuses de ce qui se passe lors du passage d'un niveau de savoir à un autre. Elles tentent de mettre en place : “ une sémiologie de la scolarité ”, qui n'est rien d'autre que l'analyse du discours de la transposition didactique pour comprendre ce que signifie par exemple parler, écrire, lire, penser, bien parler et bien penser. Ce rêve trouve sa place dans l'esprit de Michel Tardy qui souligne : “ ‘On rêve d'une science qui s'occuperait enfin des laissés-pour-compte de la science. D'une science qui serait de la signification avant d'être de l'explication et qui pourrait s'appeler sémiologie de la scolarité’ ” lxv .

Au cours de nos recherches et de nos tâtonnements, nous étions frappés par les sens des contenus psychologiques et linguistiques présentés dans une version didactique à travers des Manuels didactiques. La version du savoir de la recherche fondamentale, relève des antinomies latentes qui ne sont pas les mêmes que celles de la version du savoir didactique correspondante. Parfois on s'aperçoit d'un dédoublement de la complexité qui émerge de la simplicité. Ce constat avait déjà conduit Edgar Morin à penser que le passage de la complexité à la simplicité est un passage du complexe au complexe. Lors du dressage récapitulatif des tableaux-textes des différentes formes de formulations et de reformulations, la question que nous nous sommes posé est celle de savoir si la transposition qui incarne la simplification vaut-elle encore la peine de se répandre et de se mettre en mouvement ?

Au premier niveau, que nous avons qualifié de la transformation des savoirs sociaux de référence en savoirs à enseigner, est liée l’approche descriptive. Il s'efforce de définir des propositions, des notions et des concepts, dont il donne soit, une définition simple et nominale, soit une autre complexe et composée. Pour transposer le texte descriptif, décrit et ce d'une manière animée par une clarté à la fois discursive et esthétique.

Quant au second niveau : celui de la transformation des savoirs sociaux de références en savoirs effectivement enseignés est lié un savoir de type prescriptif. Il est décrit ainsi car il tente d'imposer l'usage d'un mot, d'un concept ou d'une proposition. La définition qu'il en donne n'est pas descriptive mais normative ou nominale.

Dans l'étude de la transposition didactique des contenus de la méthodologie de la psychologie expérimentale et de la linguistique structurale, on a essayé de comprendre la relation réciproque qui se déroule entre les deux niveaux précédents (le passage du savoir savant au savoir à être enseigné) et ce pour mieux comprendre, d'une part, ce que l'un ajoute, enlève, ou emprunte à l'autre, et d'autre part, pour mieux saisir les raisons pour lesquelles il procède ainsi. On a aussi essayé de définir des concepts et des notions tout en nous référant aux différents sens de ces définitions. Pour parvenir à cet objectif, nous avons mis en place deux méthodologies :

La première porte sur l'explication des contenus des deux disciplines précédantes par la suite de l'application des techniques argumentatives et rhétoriques, qui sont au fond, des techniques de l'analyse du contenu. A partir de là, on peut mieux comprendre la relation qui pourrait exister entre l'acte de penser dans les signes (Leibniz ou Heidegger) et l'acte de penser avec les signes (Kant ou Ch. Peirce) lxvi . Ainsi, notre méthodologie de travail est par essence, animée d’un souffle philosophique qui revèle cette antinomie latente que nous proposons de formuler sous forme de la question : Peut-on penser dans le signe ou avec le signe ? La réponse est tranchée en faveur de l'homme. Ce dernier ne peut penser qu'avec ses signes propres, qu'il se trouve parfois trahit par d'autres hommes qui ne le comprennent pas.

Penser avec le signe signifie que l'homme est lui-même un signe, qu'il est un interprétant. Autrement dit, l'homme pense dans le signe et avec le signe. Il accompagne ce dernier d'autant plus qu'il le met en forme et en valeur. L'homme ne peut pas s'effacer (comme le pense Heidegger) devant les choses et les phénomènes qu'il aperçoit. Il est au contraire animé par une sensibilité, une motivation et par un degré d'implication. C'est la raison pour laquelle on parle parfois dans le domaine de l'art du “ degré d'implication ”. Etre impliqué dans une chose c'est simplement lui imposer une faculté de juger, nos manières d'être, notre oeil avec lequel on met en forme le réel. L'homme, nous dit-on, a l'oeil, qu'il est un “ mons-tre ”, capable de porter les mots aux choses, tout en les nommant.

En étudiant de près les textes didactiques et scientifiques, on s'aperçoit que les auteurs ont un style, un langage, bref une manière d'annoncer des propositions et des contenus. A chaque proposition et à chaque énoncé correspond ce qu'on peut appeler, le processus de l'énonciation c'est-à-dire une manière de dire les mots. Cette manière est animée par des efforts argumentatifs et rhétoriques. Il est question, à travers l'emploi de ces dernières approches (argumentative et rhétorique), de convaincre, de former, de séduire, d'impliquer, de faire apprendre, de faire retenir et enfin d'enseigner. Si le chercheur en sciences de l'éducation s'astreint à l'étude du concept de la transposition didactique, il sera alors frappé par le poids de l'argumentation et de la rhétorique dont témoignent les textes pédagogiques et éducatifs. Citons à titre d'exemple les métaphores pédagogiques, les allégories et les hyperboles (pour les figures), et l'argument d'autorité, de la comparaison, (pour les arguments fondés sur la structure du réel).

La philosophie du langage de l'éducation repose sur l'étude critique de toutes les formes de formulations et de reformulations que véhicule le langage de la transposition didactique par l'intermédiaire de l'emploi de ces mêmes techniques argumentatives et rhétoriques. Cette philosophie du langage de l'éducation ouverte sur “ le déjà-là ” (la parole du langage), achevée par “ le toujous-déjà ” (la convention du signe linguistique), est au fond une philosophie de l'acte. Elle prolonge les actions aussi bien que les actants. Elle est celle dont on souhaite la naissance et le développement.

Pour ce qui est de notre seconde méthodologie, celle du travail, elle s'annonce sous forme d'étapes et de démarches :

  1. Le choix des textes : C'est une première étape déterminante pour la suite de la recherche. Elle repose sur le choix des textes dont les contenus portent sur des savoirs sociaux, devenus des objets de savoirs à être enseignés. Pour faciliter cette recherche, nous avons pensé à la mise en place d'une transposition didactique inversée à travers laquelle on est parti des savoirs à enseigner, qualifiés de dérivés, de prescriptifs et de didactiques, pour remonter et arriver enfin, aux savoirs "originaires" descriptifs et scientifiques. Dans la quasi-totalité des textes étudiés, les objets de savoirs et les objets à être enseignés sont semblables. Mais cette ressemblance ne garantie en rien la similitude au niveau du sens. Par définition la ressemblance n'est rien d'autre qu'une identité dans la différence. Elle nous trompe puisqu'elle est un simple sentiment qui provient de l'ouï-dire et du sens commun : du pôle de l'information, qui est aussi bien une formation qu'une déformation. Dans le sillage de cette problématique nous avons pensé à une taxonomie des savoirs véhiculés par chaque texte tout en signalant le contexte ainsi que le public auquel il s'adresse. Puisque, – comme Aristote l'a laissé penser – le sens d'une proposition se prend en plusieurs acceptions, qu'il n'est pas une simple homonymie Cette citation d'Aristote est importante pour la compréhension d'un sens parmi d'autres du concept de la transposition didactique. Elle met en effet l'accent sur la polysémisation comme étant la haute densité discursive du discours. Pour mieux comprendre cela, nous nous sommes référés à deux endroits desquels elle ressort. Le premier lieu où elle est expliquée en comparaison avec d'autres catégories, est représenté par les travaux de Tricot (J) qui souligne à son propos : “ On appelle homonymie les choses dont le nom seul est commun, tandis que la notion désignée par ce nom est diverse. Par exemple, animal est aussi bien un homme réel qu'un homme en peinture, ces deux choses n'ont en effet de commun que le nom, alors que la notion désignée par le nom est différente. Car si on veut rendre compte en quoi chacune d'elle réalise l'essence d'animal, c'est une définition propre à l'une et à l'autre qu'on devra donner ”. (Cf : Tricot (J.), Aristote. Organon, I Catégories, II, De l'interprétation, Paris, Edit. J. Vrin, 1977. p : 1).Le second endroit, duquel cette citation ressort aussi est celui des Topiques d'Aristote. En effet, dans le livre I intitulé : Généralités sur la méthode dialectique, Aristote, a laissé entendre l'existence d'un moyen pour reconnaître si un terme se prend en plusieurs sens. Ce moyen est celui de l'ouverture sur l'autre du terme : sur son contraire. Cette ouverture montre bien les acceptions différentes d'un terme, d'une proposition ou d'un concept : “ Pour savoir si un terme donné se prend en plusieurs sens spécifiques ou en un seul, il faut utiliser les procédés suivants : Considérer d'abord son contraire, pour voir s'il se prend en plusieurs sens, la discordance éventuelle pouvant être soit d'espèce soit de nom. (...), Aristote ajoute, qu'il faut ensuite chercher les cas où “ il n'existe aucune discordance sur le plan des noms, mais c'est une différence spécifique qui se dévoile immédiatement dans les termes considérés ”. (...), “ Voir encore si l'un des sens du terme étudié possède un contraire et l'autre absolument aucun ”. Et ce pour examiner ensuite dit Aristote : “ Les termes intermédiaires, pour voir si à l'un des sens du terme correspond un intermédiaire, mais non à l'autre ; ou si alors qu'il en correspond bien un à chacun d'eux, ce n'est pas le même dans les deux cas ”. Cela – affirme Aristote – nous permettra de “ Voir encore si dans l'un des sens les intermédiaires sont plusieurs, alors que dans l'autre il n'en existe qu'un” . Ainsi on peut aussi chercher (pense Aristote) à “ examiner le terme opposé contradictoirement, pour voir s'il se prend en plusieurs sens, car s'il se prend en plusieurs sens son opposé se prendra aussi en plusieurs sens ”. Cela – conclut Aristote – doit être suivi par un examen des “ termes qui s'opposent comme privation et possession, car si l'un se prend en plusieurs sens l'autre le fait autant ”. (Cf : Brunschwig (J.), Aristote, Topiques, Livr (I -IV) paren1I 15 16, 105b106 aparen2 Tome I Paris Les Belles lettres 1967 p : 22).En résumé, on peut dire qu'Aristote a pensé la polysémisation pour tous les concepts, pour toutes les notions et ce pour faciliter l'accès à la dissociation des divers sens des termes, mais aussi à la découverte des différences et des similitudes. Du point de vue de la transposition didactique, on peut dire, dans cette même perspective aristotélicienne que la haute densité discursive d'un discours donné, est du côté de sa polysmisation : du côté de la recherche de la reformulation en vue de faciliter l'accès à l'appropriation des différents sens des propositions. Ce n'est rien qu'un passage de la monosémisation à la polysémiasation, un passage du clair-précis au ressemblant., alors l'acte d'arraisonner les concepts est en soi une méthode de définir ce dont on parle, de déterminer la désignation aussi bien que l'explication. Pour parvenir à ce but, le choix des textes était déterminant pour l'avancement normale et efficace de notre recherche.
  2. Le repérage des différentes formes de formulations et de reformulations : L'intérêt de cette étape est de faciliter les analyses du sens d'un concept pour enfin arriver à définir de nouveau ce que pourrait être un “ bon concept ”. Cette étape est à la fois utile et nécessaire. Elle sera visualisée à partir de l'établissement de tableaux d'illustrations. La difficulté de ce repérage réside dans la recherche du sens d'une proposition ou d'un concept. L'un comme l'autre lorsqu'ils sont formulés et reformulés, ne deviennent pas une simple homonymie, d'où l'ambiguïté du sens. Pour relever cette difficulté, il aura fallu analyser ce qu'on pourrait appeler : l'intention conceptuelle. Il existe en effet des raisons sociales et épistémologiques pour les quelles un texte remplit telle fonction expressive ou telle autre. A titre d'exemple, la transposition didactique parfois use des signes iconographiques pour transposer par la voie des images dites didactiques ce qui est difficile à transposer par les mots. Les mots peuvent tourner et dire aussi bien que les signes. Ceux-ci peuvent contribuer aussi à communiquer avec des nations lointaines par le biais d'un éventuel remplacement des mots par des signes linguistiques conventionnels, accessibles à tout le monde. Par conséquent, penser dans une langue signifie – à en croire Leibniz – y calculer. L'objectif est d'accéder à un langage universel, à une sorte du latin du monde moderne et contemporain. C'est parfois la tâche de la transposition didactique dans le milieu des sourds muets. Nous n'allons pas étudier ce problème, mais nous serons obligé de s'y référer (sans l'approfondir) lorsqu'on rencontrera quelques images didactiques, dans certains manuels que nous étudierons.
  3. Les analyses et les commentaires : Cette étape dépend logiquement de la précédante. On y étudiera les différentes fonctions des arguments de chaque discours, ainsi que les problèmes spécifiques que peut engendrer chaque formulation et reformulation. Pour mieux analyser la transposition didactique de tous les objets de savoir à être enseigné, il suffit de se placer dans une perspective de l'analyse argumentative des discours et des contenus, afin d'en classer les arguments, un classement qui par la suite nous permetta d'aboutir à une taxonomisation de la transposition didactique des différents concepts. Pourquoi cette classification ? Et bien, depuis l'antiquité on s'occupait déjà du classement des arguments. De même, Aristote a avancé un classement des propositions et des arguments. L'ennui c'est qu'après lui, on a proposé d'autres classifications, d'où un certain chaos. Cette classification des arguments a un but épistémologique bien déterminé. Par-delà la recherche du sens et du bon sens d'un concept, la classification a une fonction idéologique et politique. Elle aide à contre argumenter, à séduire pour renforcer l'autre à adhérer à nos conceptions malgré lui et ce par la voie de l'autophagie. C’est-à-dire, on peut parfois affirmer à autrui que le savoir ou les arguments qu'il possède ou qu'il tente de véhiculer, se détruisent par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Qu’est-ce que cela sinon une pédagogie de la continuité dans l'objectif de la rupture, une didactique de l'ouverture dans le but de marquer l'achèvement des concepts authentiques à haute densité discursive. Dans cette perspective, la transposition didactique prendra le sens d'un passage de la polysémisation à la monosémisation, passage du ressemblant au clair-précis.
  4. L'appréciation de la légitimité ou de l'illégitimité de la transposition didactique : On peut la considérer comme une étape de l'engagement. Elle doit nécessiter une prise de position, une conclusion conséquente à la fin de chaque analyse de toute transposition didactique de chaque concept et de chaque contenu de savoir. A travers cette prise de position, il faudra apprécier la légitimité ou l'illégitimité de chaque forme de transposition pour distinguer ce qui est une vulgarisation scientifique d'une science de la vulgarisation (transposition didactique). Quoiqu'on dise à propos de l'illégitimité de certaines transpositions didactiques, il n'empêche que lorsqu'elles sont conséquentes et cohérentes, elles deviennent l'objet d'impression : elles remplissent la légitimité par excellence. Et quand elles font partie du domaine du possible, elles deviennent par là-même réalisables sous une autre forme que nous discuterons. A travers cette étape, on étudiera les circonstances du renversement dialectique de la légitimité et de l'illégitimité de toute transposition didactique. Nous voulons dire par renversement dialectique, comment la légitimité devient-elle illégitime et inversemen ?. Qu’est-ce que cette attitude sinon l'humanisation de la connaissance qui puise son fondement dans l'extension du pouvoir cognitif ? Elle est aussi le respect de l’effort du savant, spécialiste de l'invention et de celui du didacticien-pédagogue, garant de la transmission, de la diffusion, du transfert des savoirs et des connaissances. Nous expliquerons cela lorsqu'on démontrera les deux niveaux de l'altération que nous avons appelés : altération positive et altération négative. A vrai dire, cette attitude est gênante car elle est par essence moraliste et moralisante. Sans prétendre s'opposer à toute attitude morale, nous voulons simplement savoir s'il est légitime de respecter les travaux du savant et du didacticien d'une part, et ceux du pédagogue et du vulgarisateur de l'autre part ; surtout lorsque ceux-ci sont conséquents et cohérents. Cela nous a conduit à définir le sens de la conséquence et de la cohérence malgré la difficulté à laquelle nous étions confrontés, une difficulté qui est de même nature que celle que nous venons de souligner avec Kant. En réalité, la conséquence doit (comme nous venons de le faire remarquer) réaliser d'une manière simultanée trois tâches principales : l'exhaustivité, la simplicité et la cohérence interne. En effet chaque auteur rêve et tend à la réalisation de ce but. C'est ainsi qu'il s'astreint à l'emploi de divers arguments et de diverses figures rhétoriques Parmi les arguments et les figures que chaque auteur emploie pour ce but, on peut citer les arguments fondés sur la structure du réel, les arguments fondant la structure du réel, les arguments quasi-logique, les arguments de dissociation ou de substitution ; et certaines figures comme les figures de pensée, les figures de style, les figures de construction etc. . Puisque l'emploi de ces arguments et de ces figures est fréquent dans un texte pédagogique ou scientifique, alors il nous a été d'une nécessité implacable de les étudier, de les classer et de s'interroger sur leur validité. C'est à partir de cet emploi que nous nous sommes rendu compte que l'argumentation et la rhétorique sont d'un intérêt considérable, – ce n'est pas simplement pour apprendre à bien parler ou à bien écrire –, mais aussi pour défendre des idées et des principes, car l'argumentation et la rhétorique ont pour but de donner à chacun une chance d'avoir raison. Ainsi et pour savoir si chaque auteur a raison, on doit apprendre à bien penser avec lui : à arraisonner son savoir et s'ouvrir sur le motif de ses oeuvres pour enfin comprendre la raison sociale qui le contraint à s'exprimer de telle manière et non pas de telle autre. Enfin, le lien entre transposition didactique et argumentation est devenu nécessaire. Ce lien est légitimé pour plusieurs raisons. A titre d'exemple on peut citer la raison éducative. Pour transposer un savoir complexe difficile d'accès, on utilise parfois de techniques argumentatives et rhétoriques, et ce dans le but de simplifier tout en espérant – lorsqu'on veut affirmer une proposition ou un fait – de ne pas l'altérer, de ne pas l'infirmer. Comme on peut aussi mentionner la raison politique, car par crainte du pouvoir, les dissidents, les opposants à des régimes, emploient des métaphores et du lyrisme pour se retourner d'une manière ironique contre l'ordre établi. L'ironie, nous dit-on, traduit le recule. Les dissidents usent de la polysémisation des concepts et des notions pour tromper, faire croire, voire s'adresser à un absent via l'apostrophe, ou à faire parler la chose, via la prosopopée. Ainsi, et pour échapper à “ une asphyxiante culture ” qui ne favorise pas l'émancipation des idées, les révolutionnaires de certaines époques ont employé des arguments et des figures rhétoriques pour provoquer en vue de convoquer. Ils savaient que toute provocation était en elle-même une convocation : une incitation d'autrui à la prise de sa propre défense et à l'affirmation de son existence par le biais de la mise en forme de la liberté d'expression et d'émancipation. Ces actions ne peuvent se réaliser que dans l'acte de former, d'éduquer, d'instruire et d'informer pour enfin accomplir la tâche qu'est celle de faire connaître, de faire voire et de faire comprendre, et ce pour enfin prendre en compte et faire voire ce que l'on sait.
Notes
i.

Kant (E.), Réflexion sur l'éducation, Paris, Édit. J.Vrin, 1989, p : 69. Cette citation montre la spécificité de l'acte d'éduquer qui est possible, nécessaire bien qu'il soit si difficile. Cette difficulté a été soulignée par Kant lui-même et reprise par Freud dans ce qu'il appelle : "les métier impossibles", qui sont à ses yeux de trois ordres : 1) l'art de gouverner les hommes, 2) l'art de les éduquer, et 3) l'art d'analyser. Bien que Kant et Freud aient conscience de cette difficulté, ils n'ont pas pour autant inscrit l'acte d'enseigner et d'éduquer dans une limite, et dans une fin. L'impossibilité, la difficulté doivent être comprises en terme d'appel au dépassement de toute limite assignée. En effet, Kant avait affirmé que la liberté, qui puise son sens dans l'extension du pouvoir cognitif et physique, est une liberté insaisissable, incompréhensible, mais nécessaire. Elle peut dépasser le cadre de toute limite assignée. De ce fait, si Kant a souligné qu' “ Il est deux découvertes humaines que l'on est en droit de considérer comme difficiles, l'art de gouverner les hommes, et celui de les éduquer ” ; et si Freud le reprit sur ce point précis en disant : “ Il semble presque qu'analyser soit le troisième de ces métiers impossibles dans lesquels on peut d'emblée être sûr d'un succès insuffisant. Les deux autres connus depuis beaucoup plus longtemps sont éduquer et gouverner ”, on peut alors dire que cette impossibilité est une raison pour chercher des solutions aux problèmes aussi bien dans l'action politique que dans l'action éducative. Cela Michel Develay le propose aussi dans son ouvrage intitulé : peut-on former des enseignants? Édit. E.S.F. 1994, pages 72 et 73. A cet endroit, l'auteur reprend les conceptions de Kant et de Freud quant au sens de l'action éducative et politique, tout en insistant – de la même manière que Kant – sur la possibilité d'éduquer et de former. C'est ainsi qu'il souligne :

“ C'est parce que l'homme est libre qu'il est impossible de constituer une science de l'éducation comme une science du politique ou une science de l'analyse. Mais ce n'est pas parce que la liberté humaine est au coeur de l'action du maître de l'homme politique ou du psychanalyste qu'il est impossible de se donner les outils pour décrire, analyser, expliquer, prévoir ces actions ”. Ce propos a un sens en sciences de l'éducation. Il est soutenu dans un article de Maldinier paru dans un travail collectif, qu'on retrouve dans la Revue de l'Institut de sociologie T 1, 2, 3 et 4 et plus précisément dans le chapitre intitulé : Recherches sociologiques et demandes sociales : pouvoir politique, fascination, séduction et pouvoir.Là où (notamment dans le Tome 1 de l'article), les auteurs sont en parfait accord sur la possibilité d'agir en vue de trouver des solutions pour les problèmes et les crises politiques et économiques de la population.

ii.

Sur ce regret un chapitre dans le livre II du Discours de la méthode , explique l'opposition de Descartes à l'égard des informations, à l'égard du monde du ouï-dire et du sens commun. Ce même jugement sera corrigé plus tard lorsque Descartes laissera entendre que les informations, ne peuvent en aucun cas être des déformations qu'elles peuvent nous être utiles pour vivre. Chose que reprendra Spinoza : un cartésien accompli, qui laissera entendre que même si le pôle de la formation et celui de l'information peuvent être – en apparence opposés – cela n'est pas pour autant une raison pour les opposer l'un à l'autre.

L'important à retenir du point de vue de la philosophie de l'éducation est donc cette part insaisissable en l'enfant qui est un "petit adulte", qui nous interpelle pour le former, l'éduquer en vue de dissiper le regret de l'âge de l'enfance. A propos de cet âge, Descartes souligne : “ Et ainsi encore je pensais que, pour ce que nous avons tous été enfant avant que d'être homme, et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns au autres, et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu'ils auraient été, si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle ”.

iii.

ChomsKy (N.), Réflexions sur le langage , Édit. G. Flammarion, 1981.

iv.

Kant était lui-même précepteur lorsqu'il s'occupait d'enfants.

v.

Cet exemple a été repris par Emile Benveniste dans sonouvrage : Problèmes de linguistique générale , Tome I Edit. Gallimad, 1981. Dans sa référence à l'expérience de Karl Frish (cet américain qui s'est donné à l'observation de la communication des abeilles), souligne que celui-ci fût arrivé à une conclusion qui mit en évidence la spécificité de la communication humaine. En effet, pour Frish, le langage humain est d'abord un langage symbolique. Il diffère de ce fait, du langage mécanique des abeilles. Si l'on suppose trois abeilles (A B et C), l'abeille C ne peut pas transmettre le message X à l'abeille A sans passer par B. Par contre dans le domaine humain, les hommes peuvent, d'une part communiquer librement leurs messages à plusieurs hommes à la fois sans chercher à passer nécessairement par des intermédiaires; et d'autre part, les abeilles n'ont pas le poids symbolique de leur propre histoire, en comparaison avec l'homme qui, lui, ne peut en aucun cas penser d'une manière an-historique. Celui-ci peut parfois oublier, car il est dans la plupart des cas soumis au souvenir et à l'oubli de sa mémoire individuelle ou collective.

Selon Benvéniste, l'homme est un être du symbole, différent de l'animal. Il est un être du signal. L'animal de même que l'homme répond et réagit adéquatement à un signal qui est physique, relié à un autre fait physique par un rapport motivé et conventionnel. La différence malgré tout qui réside entre l'homme et l'animal est que ce dernier ne peut en aucun cas dénoncer ses propres sentiments sensoriels. Alors que le premier est le seul être raisonnable qui peut soit obéir à une loi, soit se retourner contre la sienne. L'homme à l'opposé de l'animal, est un interprétant. Il peut comprendre le sens d'un signe qu'il invente et qu'il aperçoit, et ce en lui imposant des fonctions significatives diverses. Cela n'est pas le cas pour l'animal, qui est soumis dans le choix des faits fondamentaux, au dressage et non pas à la sélection qui, elle, est l'oeuvre de l'homme. Bien que l'animal soit apte à exprimer ses émotions, il n'est pas pour autant capable de comprendre celles que l'homme annonce par le biais de la parole et du langage.

Benvéniste conclut que le langage humain diffère du langage animal. Mais on peut se demander si cette différence est une raison pour marquer une rupture entre l'homme et l'animal lorsqu'il s'agit de la différence des deux langages.

vi.

Ce propos pascalien légitime le précédant : celui de Benveniste. On le retrouve repris par Chaïm Perelman dans son Traité de l'Argumentation , Edit. Université de Bruxelles 1988 ; notamment au § 39 qui s'intitule : "les modalités dans l'expression de la pensée" pages 207 et suiv.). Mais aussi chez Olivier Reboul dans un cours qu'il a professé à Strasbourg entre 1990 et 1991, dont le polycopie se trouve à l'Université des sciences humaines de Strasbourg. En tout cas ce même propos prolonge la conception philosophique de l'exception qui pense depuis Platon voire depuis Protagoras, que l'homme est une exception qu'il faut cultiver autrement que l'animal. Du fait qu'il n'est pas une chose parmi les choses et qu'il est "la mesure de toute chose", alors son état d'exception n'est rien d'autre que sa soumission à l'éducation.

vii.

Kant avait développé dans La Critique de la faculté de juger, une conception de la perception humaine. Cette dernière repose sur le caractère apodictique de la liberté humaine. Ce caractère a été conçu d'après Kant, comme étant la loi de liberté. Parmi les spécificités de ce caractère, il existe une qui anime la volonté humaine, qui, elle, agit selon des représentations en vue de l'autodétermination. Le jugement du goût, s'opère d'une manière spontanée à travers un choix que l'homme fait tout en obéissant à son propre libre arbitre. Ce choix, est en réalité un jugement qui obéit à des lois. Pour Kant la liberté n'est pas en dehors de toute loi. S'agissant de celle du caractère du jugement du goût du sujet pensant, on peut dire qu'elle est celle qui obéit à sa propre disposition morale fondamentale comme étant un toujours-déjà qui a des effets dans le déjà-là. Ce n'est rien d'autre qu'un libre jeu de l'entendement qui se plie et qui obéit à la maxime : "ainsi je veux ainsi j'ordonne".

Au sujet de ce vouloir vivre de l'intention des idées subjectives, un passage de Kant peut expliquer la teneur de l'action subjective du sujet pensant qui, lui, s'astreint à mettre en forme ses propres idéaux dans le monde sensible : il les exprime comme un jeu. Le passage dont il est question ici souligne : “ Les arts de la parole sont l'éloquence et la poésie. L'éloquence est l'art d'effectuer une tâche de l'entendement comme s'il s'agissait d'un libre jeu de l'imagination ; la poésie est l'art de conduire un libre jeu de l'imagination comme une activité de l'entendement. L'orateur ainsi annonce une tâche et s'en acquitte, afin de divertir les auditeurs, comme s'il s'agissait simplement d'un jeu avec les idées. Le poète annonce qu'un jeu plaisant avec des idées, mais il s'en dégage tant de choses pour l'entendement, qu'il semble n'avoir eu d'autre intention que de s'acquitter de la tâche de celui -ci ”.(Cf : Kant (E.), Critique de la faculté de juger , 1 ère partie, première section, 1. II, § 51 : De la division des beaux arts ; traduction PhilonenKo, Edit. J.Vrin 1965, p : 149 à 150).

Ce jugement du goût correspond en éducation à la motivation intrinsèque. Il faut retenir dans cette perspective que ce jugement n'a de sens qu'en relation avec le contexte socio-politique dans lequel il se produit. Chose que Kant n'a pas évidemment pris en compte. Chez les Romains par exemple, le sens de la personnalité individuelle, n'était pas analogue à celui des Grecs. Pour les premiers, la personnalité est comprise en terme d'action, les grands orateurs en effet étaient des hommes de terrains, des chefs de partis. Tandis que ceux de la Grèce, ils étaient soumis au jeu libre dans les tâches de l'entendement au sens Kantien du terme. Le sens de la dignité individuelle est romaine, elle n'est pas grecque, car, les Grecs parlaient au nom des parties, ils n'ont pas cherché à pratiquer et à développer leur variable personnalité tout en s'inspirant des autres, ou en leur imposant ce qu'ils pensaient être un idéal rationnel pour tous les êtres communs. Voilà la raison pour laquelle, Schopenhauer tout en s'opposant à Kant, accentue l'importance de la personnalité individuelle telle qu'elle a été vécue par les Romains à travers leurs conquêtes. C'est ainsi qu'il souligne :

“ L'éloquence est la faculté de faire partager aux autres nos opinions et notre manière de penser au sujet d'une chose, de leur communiquer nos propres sentiments, pour tout dire, de les faire sympathiser avec nous. Et nous devons arriver à ce résultat, en faisant pénétrer au moyens des mots nos pensées dans leurs cerveau, avec une force telle que leur propre pensée dérive de leur direction primitive pour suivre les nôtre qui les entraîneront dans leur cours. Et le chef-d'oeuvre sera d'autant plus parfait, que la direction naturelle de leurs idées différait davantage de celle des nôtre ”. (Cf : Schopenhauer. Le monde comme volonté et comme représentation , suppléments : supplément au livre 1, 2è partie, chap XII ; trad. Burdeau revue par Roos, P.U.F, 1966, p : 802). Ces comparaisons nous les devons à Ph. Lacoue-Labarthe qui a analysé en collaboration avec Jean Luc-Nancy le rapport du jugement du goût en tant qu'art de mise en forme du réel : un art qui trouve son sens dans la pratique du langage et de la rhétorique. L'ensemble des analyses ressortent d'un article paru dans : Éducation et philosophie , un ouvrage qui se présente sous forme de recueil d'articles écrits en l'honneur d'Olivier Reboul, textes réunis et publiés par Renée Bouveresse, article : Rhétorique et langage, de Ph. Lacoue-Labarthe et Jean Luc Nancy (Cf : Éducation et philosophie, P. U. F, 1993, p : 190& 191).

viii.

On emprunte cette formulation à une conception journalistique, qui l'emploie à titre d'amplification pour parler du débat en pédagogie, mais aussi pour faire l'éloge devant un public large. L'étude argumentative et rhétorique de cet article paru dans le journal le Monde du Samedi 8 Décembre 1990 et qui s'intitule : L'École à ciel ouvert, montre que son auteur François-Henri de Virieu, a choisi le moment propice pour s'ouvrir aux populations en vue de les mobiliser à la cause public et humaine qu'est l'Ecole. En effet, le temps du WeeK-end est un moment où la quasi-totalité des personnes sont chez elles ou du moins la majorité d'entre elles auront à ce moment précis le temps pour feuilleter un journal. C'est la raison pour laquelle la page du journal consacrée au débat, était marquée par un titre écrit en lettres d'imprimerie, portant la mention : "L'École à ciel ouvert". Celle-ci témoigne d'une croyance à savoir la possibilité de l'instauration d'une école ouverte sur la vie. La conception est ancrée dans l'esprit des journalistes. Par conséquent, tout le contenu de l'article tourne autour de cette possibilité expérimentale à laquelle l'auteur nous invite.

ix.

En transposition didactique, la distinction entre relation éducative, relation pédagogique et relation didactique est une chose qui s'impose. Au sujet de cette distinction, on doit maintenir avec G. Piaton que : “ la relation pédagogique est omniprésente ”. La différence avec la relation éducative repose à ses yeux sur “ un pas notionnel à affranchir, qu'une restriction de territorialité et de fonction à opérer : de l'éducation à l'enseignement. Car la relation pédagogique s'établit par l'intermédiaire de la tâche scolaire, définie par des programmes contenant des objectifs explicites, effectués en respectant des modalités fixées par des institutions ou circulaires officielles dans un milieu architectural spécifique, selon le rituel de l'emploi du temps ”. Quant à la relation éducative, elle est dans son optique la conception qu'en fait Marcel Postic, qui la définit comme étant : “ l'ensemble des rapports sociaux qui s'établissent entre l'éducateur et ceux qu'il éduque, pour aller vers des objectifs éducatifs, dans une structure institutionnelle donnée, rapport qui possèdent des caractéristiques cognitives et affectives identifiables, qui ont un déroulement et vivent une histoire ”. (Cf : Goerges Piaton : La relation pédagogique, article paru in La psychopédagogie des activités physiques et sportives , sous la direction de Pièrre Arnaud et Gérard Broyer, préface de Roger Delaubert, Edit. Privat, p : 187 à 195).

La différence entre les deux relations repose sur le repérage des variations interactives qui se déroulent entre les différents acteurs : entre enseignants et enseignés (pour ce qui est de la relation pédagogique) et entre l'éducateur et ceux qu'il éduque (pour ce qui est de la relation éducative). Mais pour ce qui est de la relation didactique, son sens est controversé. Du moment qu'elle s'interroge sur la genèse des savoirs et des connaissances, certains pensent qu'elle doit être en relation de connexion nécessaire a l'égard du pôle éducatif où elle trouve son fondement. Par exemple pour Jean Marie Besse, les divers modèles didactiques nouveaux qui apparaissent dans le champs de la recherche en didactique des disciplines sont en réalité la conséquence de “ l'évolution des idées et les influences des sciences humaines, notamment celle de la psychologie et, plus encore, de la sociologie, qui ont conduit à une critique du fonctionnement de l'Ecole, voire à une contestation plus ou moins radicalisée de sa fonction même ”. Cette conception explique le sens de la transposition didactique comme méthode, approche critique de la manière dont la connaissance et le savoir se constituent à travers la trajectoire du passage du savoir savant au savoir à être enseigné. La conception de J M Besse est donc une ouverture de la didactique sur le pôle éducatif avec lequel elle constitue une continuité. Pour plus d'information sur ce point précis de Besse voir : La pédagogie au 20 ème , Siècle, article : Éducation et didactique, par Jean Marie Besse Edit. Privat, 1978 p : 150 à 185.

x.

Personne ne peut discerner avec exactitude les causes de l'ignorance et de la misère, phénomènes désastreux. Mais cela ne veut pas dire non plus, que nous devons nous désarmer et nous désespérer pour ne pas mener le combat. D'ailleurs Nietzsche, avait laissé penser que la douleur du monde, les maux de l'humanité ont détrôné Dieu. Mais Nietzsche ne précise pas clairement de quel Dieu il s'agit. Un compagnon Musulman dénommé Omar Ibn AlKhatab, qui accompagna le Prophète Mohammed dans ses actions, avait dit que “ si la pauvreté était un Homme je l'aurais combattu ”. (lâo Kana AlfaKrou rajoulan Laharab' touhou). Lorsque ce compagnon choisit l'homme au masculin singulier pour désigner le combat contre la pauvreté, c'est parce que les hommes étaient les seuls habilités à mener des opérations guerrières, que les femmes ne faisaient pas. Cela veut dire, que le combat du désert causé par la pauvreté et l'ignorance (dont parlera Nietzsche plus tard) suscitent d'autres efforts concrets et abstraits à la fois.

xi.

Sur cette écoute ainsi que son sens, Kant souligne justement que : “ les maximes des philosophes sur les conditions qui rendent possible la paix publique doivent être prises en considération par les Etats armés pour la guerre ”. (Cf. Kant (E.), La Raison Pratique , textes choisis par Claude Khodoss P.U.F, 1956, p : 202).

Cette écoute doit être comprise en terme d'authenticité de l'action philosophique, qui n'est pas celle de venir en aide au pouvoir qui établit des lois, mais d'exprimer ses vues librement quant à des situations données. En transposition didactique cela peut être compris en terme d'émancipation des sujets en situation d'apprentissage. Elle doit procurer l'extension du pouvoir cognitif. C'est aussi une conception de l'aspect paisible de la transmission des savoirs, un aspect qui trouve son fondement dans une École à ciel ouvert, qui est celle de l'échange des idées, de la rencontre et du rendez-vous. L'écoute des philosophes ne signifie pas la possibilité de les laisser gouverner, mais au contraire, elle signifie la nécessité de les laisser s'exprimer pour mettre en forme leurs idées, qui sont en fait des projets qui enrichissent la transposition didactique en tant que concept compris comme étant la mise en mouvement des connaissances et des savoirs. C'est ainsi que Kant souligne : “ (...) Mais que les rois ou les peuples (c'est-à-dire les peuples qui se gouvernent eux-mêmes d'après les lois d'égalité) ne souffrent pas que la classe des philosophes disparaisse ou soit réduite au silence, mais qu'ils la laissent parler tout haut, c'est ce qui leur est indispensable pour s'éclairer sur leurs propres affaires. Cette classe est d'ailleurs, par sa nature même, incapable de former des rassemblements et des clubs, et par conséquent elle échappe au soupçon d'esprit de propagande ”. Ibid. Dans cette perspective le problème de la transposition didactique se pose au niveau d'un choix à opérer entre l'aristocratie de l'esprit savant et philosophique, et la modestie de la recherche-action qui préconise le paradigme de la preuve.

xii.

Dubuffet (J.), L'asphyxiante culture, Paris, 1968. Dans la perspective d'une relation de ressemblance des rapports entre le Musée et l'Ecole, on peut dire que le Musée imaginaire est à l'École à ciel ouvert ce que les images artistiques sont aux contenus éducatifs. La ressemblance des rapports repose sur la mise en mouvement, aussi bien des oeuvres d'arts que des pratiques didactiques, tout en se retournant contre tout jugement de valeur variable du moment. C'est l'un des enseignements qu'on retient de cette citation de Dubuffet : “ On ne peut abolir la valeur marchande qu'en abolissant la valeur esthétique et c'est au surplus cette derrière qui est pernicieuse bien plus que la valeur marchande ”. Ibid. p : 42. Bernard Deloche, le philosophe des formes, travaille dans cette même direction. Il reprend cette même phrase de Dubuffet pour développer une esthétique sans sujet pensant. Du point de vue éducatif, cette phrase de L'asphyxiante culture met en valeur une ouverture tout en dévalorisant les systèmes de connaissance et de pensée déjà admis comme vrais. L'esthétique du faussaire dont Bernard Deloche (notre maître) fait l'éloge en est un exemple probant. C'est ainsi qu'il souligne : “ Il n'y a rien a conserver parce qu'il n'y a rien qui doive jouer un rôle symbolique ; la vraie fonction de l'art n'est pas celle d'un signifiant symbolique mais d'un opérateur structurant ”. (Cf : Deloche (B.), Museologica, contradiction et logique du Musée J. Vrin 1985, p: 76 & 77). Cela signifie par analogie avec la transposition didactique, que la diffusion et la mise en mouvement des savoirs et des connaissances n'est pas et ne doit pas être l'oeuvre d'un Musée fermé et "achevé", mais une affaire de grand public large, car – comme Wölfflin, l'a laissé entendre – il faut arracher l'art et les activités savantes à l'ésotérique pour les soumettre au principe de l'anonymat. Voilà la raison pour laquelle, on peut en didactique parler du principe de l'éducabilité des intelligences, de la mise en mouvement par le biais d'une science de la vulgarisation des savoirs faire, des savoirs dire et être, pour renforcer l'idée qui consiste à penser que tout individu aussi bien "le fou", "le déviant" que l'homme "normal", mérite d'être éduqué.

xiii.

Pour Daniel Jacobi, linguiste de formation, le problème de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs est un problème qui est avant tout d'ordre rhétorique. En effet, dans son optique, la vulgarisation scientifique est en elle-même une "grande didactique", du fait que d'une part, elle s'astreint à humaniser la connaissance et les savoirs en les "mettant à la portée d'un grand public large" ; et d'autre part, elle contribue à la mise en place d'une nouvelle communication, qui n'est rien d'autre que celle de la réduction du langage articulé à des signes conventionnels pour communiquer avec des nations lointaines. Cette approche est aussi une occasion pour ouvrir la voie à un autre acte de penser, celui du penser dans les signes. Il en résulte des conséquences qu'il ne faut pas ignorer et sous estimer. Cette approche peut en effet renfermer et à jamais, la pensée humaine dans une relation de connexion nécessaire à l'égard des signes objectifs, imagés et iconographiques. Elle peut aussi réduire l'École à une espèce de marché ou "d'industrie culturelle", qui conduira par la suite à une rupture de contact d'homme à homme. Par conséquent ce constat une fois réalisé, ne va pas à l'encontre de la relation pédagogique et éducative ou même didactique, qui sont animées par des sentiments d'affectivité et d'ambivalence entre coercition et liberté.

Dans cette note, il nous est impossible de résumer, de discuter et même de commenter toutes les opinions – si riches soient-elle – de cet auteur. Ce qu'on peut dire en revanche c'est qu'il est opposé au sens de l'École comme étant programmatrice des connaissances et des savoirs, qu'il s'inscrit par là-même dans l'optique nietzschéenne de l'ouverture à l'égard des choses tout en inaugurant ce sens de l'École dite à "ciel ouvert", qui se soucie de "l'information d'un grand public". La question à laquelle nous devons désormais répondre est celle de savoir si tout objectif d'information finit-il tôt ou tard de devenir un objectif de formation ? Telle est la question à laquelle quelques éléments de réponse concernant la correction des jugements cartésiens ont été donnés dans ce travail, quant à cette opposition apparente entre les objectifs de formation et les objectifs d'information.

Pour mieux saisir de près les propos de D. Jacobi quant à sa conception de la vulgarisation scientifique, nous avons tenu à étudier et à résumer les contenus de ses écrits qui ressortent de deux endroits :

1 : Diffusion et vulgarisation Itinéraire du texte scientifique , préface de Jean Peytard, annales littéraires de l'université de Besançon les Belles Lettres, Paris, 1986.

A cet endroit, (qui est le premier) l'auteur laisse entendre que la vulgarisation scientifique présente des illustrations de deux sortes. Une qui est de l'ordre de l'univers de l'expérimentation scientifique ; l'autre de celui de la visualisation et de la représentation schématique de ces mêmes expériences. Le but de cela est pour lui de faciliter plusieurs tâches à la fois. Parmi celles-ci, l'auteur cite :

* la mémorisation comme fonction didactique.

* la reprise des références scripto-visueles, qui appartiennent à un public ésotérique, et qui sont destinés aux seuls spécialistes, qu'il faut rendre accessibles à un grand public que D. Jacobi qualifie d'exotérique. Il y a – comme il le laisse entendre – une nécessité de penser le passage de l'ésotérique à l'exotérique.

* La satisfaction de la fonction didactique par le biais de la proposition des schémas et des dessins pour favoriser l'explication et la mémorisation.

Cet auteur suggère de laisser une place, qui est à ses yeux grande à ce qu'il appelle : "le troisième homme", qui doit se présenter désormais comme le "traducteur", occupant sa fonction entre le savant d'une part, et le pédagogue didacticien de l'autre. Il parle même d'une "École parallèle".

Nous considérons la vulgarisation scientifique comme étant d'une utilité légitime en période de crise. Mais il n'est pas nécessaire de s'y référer pour transmettre des contenus déjà connus, surtout lorsque les écoles de formation, de spécialisation éclatent de toute part. Dans cette situation, la vulgarisation ne serait plus légitime et nécessaire, car elle risquerait de réduire l'acte de "l'Apprendre" (un acte propre à l'enseignement et à la formation), aux simples actes de "l'Apprendre à...," "Apprendre que....", qui sont en réalité des composantes du domaine du renseignement et de l'information. Telle est notre opinion.

Par contre la vulgarisation scientifique peut être légitime en cas d'urgence, c'est-à-dire lorsque par exemple la contrainte, la coercition d'un pouvoir politique totalitaire, soumet le peuple à une guerre illégitime ou à l'extension du pouvoir de la misère et de l'ignorance. Dans ce cas l'enseignement n'est plus apte à remplir sa fonction d'émancipation des idées. Dans l'absence d'accord préalable à toute discussion possible, seule la vulgarisation (par l'emploi des figures rhétoriques, au lieu d'arguments convainquants), est d'une utilité pour s'ouvrir à un avenir possible qui sera celui du temps des études, des analyses, des réflexions, des développements, bref des commentaires qui puisent leurs sens dans l'enseignement en tant qu'activité, à propos de la quelle Rousseau disait : “ Le temps en Éducation il vaut mieux en perdre que d'en gagner ”. L'histoire des fables de La Fontaine en est un exemple probant.

xiv.

2 : Revue Langue Française  ; français technique et scientifique : reformulation et enseignement, N° 64 Décembre 1984. Dans cette Revue (qui est le second endroit), se trouve un article de D. Jacobi, dont le contenu s'inscrit dans le prolongement de celui de la référence précédante (Diffusion et vulgarisation Itinéraire du texte scientifique...). L'article – qui occupe une place au sein des travaux d'un collectif, suivi par une table ronde –, s'intitule : Du discours scientifique, de sa formulation et de quelques usages sociaux de la science. L'important à retenir de cet article est la fonction sociale que remplie la reformulation des discours scientifiques, une fonction qui est par essence humaine. Elle contribue au changement du monde, car celui qui arrive à avoir conscience d'un fait scientifique (ne se risque que d'une manière approximative) peut, d'une part agir sur le monde pour avoir prise sur lui, et d'autre part, reconnaître que le langage scientifique ésotérique ne doit pas freiner l'extension du pouvoir du connaître. Le plus important pour cet auteur, ce n'est pas la langue du discours, car le fait que celle-ci soit un être vivant qui change à travers le temps et à travers l'espace, elle ne peut pas alors définir l'identité d'un peuple ou d'un discours. Le plus important ce sont en revanche "les usages sociaux qui ont autant d'importance que l'analyse formelle de la langue". Pour renforcer cette idée, l'auteur, cite dans le § 3 de cet article, l'approche cognitive de Flaubert, qui – à l'en croire – n'avait pas "réellement cherché à produire une critique du scientisme". L'auteur ajoute que le travail de Flaubert dans sa description stigmatisante de quelques usages sociaux de la science, n'est rien d'autre qu'un postulat posé par Flaubert à propos des manuels et des livres qui la présentent et la propagent, pour aborder une question essentielle qui consiste à chercher si réellement le discours scientifique a quelque chose de commun avec le récepteur qui en use. Autrement dit, la production scientifique progresse t-elle à travers l'usage commun qu'on en fait, ou au contraire à travers le discours qu'on en tient ? Pour répondre à cette question, D. Jacobi procède par deux moments. Dans le premier moment, il met l'accent sur la notion du public, sur la fonction sociale du discours et non pas sur celle du discours lui-même. Cela signifie que le statut d'un discours se définit à travers la fonction sociale qu'il remplit, à travers, l'usage qu'on en fait et à travers le public auquel il s'adresse. C'est pour cette raison qu'il souligne en reprenant une citation de L Guilbert que : “ Le discours scientifique n'est rien en dehors de l'utilisation que le récepteur est susceptible d'en faire ”, et que “ la langue scientifique en tant que système linguistique ne saurait se définir pleinement en dehors de la communication entre les locuteurs et des modalités du discours, ce qui est l'essence de tout langage ”. Mais d'autre part, il revient à travers le second moment, pour mettre l'accent sur le langage populaire, dont les chercheurs usent entre pairs dans leur laboratoire de recherche pour faciliter leur communication. Cette pratique de popularisation du langage scientifique est aux yeux de l'auteur , un enrichissement de la science qui se meut entre le faire et le dire. Si l'on s'en tient au chapitre 3 de cet article, qui s'intitule : "Reformulations des terme (s) pivots", on s'aperçoit que l'auteur préfère parler d'une définition de la langue en tant qu'acte. Il préfère centrer son analyse sur la fonction phatique du langage plus que sur celle qui est expressive. C'est ainsi qu'il laisse entendre que la mise en mouvement des connaissances scientifiques ésotériques, à l'égard des non-scientifiques, est devenue un souci qui anime à la fois le savant qui veut faire connaître et faire partager son savoir, malgré sa conscience du fait que son travail n'est pas toujours susceptible d'être partagé. A travers cette action du partage, l'auteur pense qu'il “ Se réalise ainsi une grande diversité de situations de communication où le terme est manié par des scripteurs-locuteurs multiples et divers : les spécialistes s'adressent à des spécialistes; des spécialistes désireux d'exposer le problème à des non-spécialistes ; des journalistes et des informateurs soucieux de faire saisir ce dont il s'agit à leur public ; des enseignants qui tentent d'exposer les soubassements théoriques et scientifiques de ce fait divers. L'observateur dispose ainsi non pas d'un écrit isolé, mais d'une masse considérable d'échanges linguistiques, corpus gigantesque et diversifié qui témoigne de la vie de la langue (et d'un terme scientifique en particulier). Cette situation à la fois stimulante, mais aussi non prévue, balaie les exemples d'emplois théoriques, pauvres et abstraits que trop souvent les spécialistes du lexique scientifique attribuent aux termes scientifique ”. Daniel Jacobi, op, cit.

A partir de là, on doit donc dire que D. Jacobi est favorable à une science du langage qui est celle de l'effacement, qui incarne ce qu'on pourrait appeler, la didactique de l'effacement. En terme philosophique, la pauvreté des concepts théoriques dont-il est question ici, peut rappeler le sens que Heidegger avait attribué à l'acte du penser dans le domaine de la science lorsqu'il disait que la science ne pense pas, qu'elle agit. En effet, dire que la science ne pense pas, incite l'homme à l'action, à l'extension du pouvoir physique des pratiques scientifiques.

Le passage de l'approche historique du langage à son historialité en tant que concept philosophique proprement heideggerien ressort en fait du chapitre 4 intitulé : "Conditions de production du discours , dialogisme polémique et champ scientifique", là où D. Jacobi paraphrase la conception heideggerienne de l'effacement de la pensée devant ce qu'elle aperçoit. La question de "l'historialité" et de "l'effacement" du langage scientifique qui est à l'opposé de son historicité, sont deux conceptions proches de ce que D. Jacobi pense en terme d'extension du pouvoir physique des scriptes, des schémas et des graphes. Il pense comme Heidegger, la possibilité de l'extension de la langue en tant que pratique puisant son sens dans le remplacement des mots par le dessin et le graphique. C'est ainsi qu'il souligne que : “ le français technique et scientifique, se caractérise dans l'ordre scriptural ; et réciproquement, sa nature scripturale modèle et influence la construction du savoir scientifique ”. On ne peut pas comprendre les inspirations heideggerienne de cet auteur si l'on n'a pas au préalable une vue d'ensemble sur la conférence prononcée à la société des sciences de l'art de Fribourg-en-Brisgan le 13 Novembre 1935, par M. Heidegger. Conférence qui s'intitule : "l'origine de l'oeuvre d'art". Il est question à cet endroit de la même idée que développe D. Jacobi, à savoir, la réduction de l'acte du penser avec les signes propres à la pensée, à celui de penser dans les signes, dans les images, dans les icônes et dans les graphes.

Il est maintenant temps pour nous de prendre position par rapport à cette approche. Il est vrai que même si l'extension du pouvoir physique est en soi le véhicule des contenus de la pensée, il n'empêche que cela n'est pas une raison pour chercher à réduire la pensée humaine à un simple signe, tout en oubliant que l'homme est avant tout un interprétant des signes. R. Barthes à laissé entendre en effet, la présence d'une limite entre l'image et la pensée en disant : “ l'écrit ne commente pas l'image, l'image ne commente pas l'écrit ”. Idée que M. Tardy maintient dans son ouvrage : Le professeur et les images, essai sur l'initiation aux messages visuels, Paris P.U.F, 1973. L'auteur soutient l'idée de l'impossibilité de réduire l'enseignement à une espèce de marché d'images ou d'industrie culturelle.

Bachelard (G.), La formation de l'esprit scientifique , Edit, J. Vrin Paris 1986. Surtout le chapitre II, là où il est question du première obstacle : "l'expérience première", qui est à en croire l'auteur, un obstacle qui lutte contre le progrès scientifique. L'expérience première est d'une part, un frisson de sens, et d'autre part amoncelée par des pratiques mythiques qui sont à l'opposé de la science qui, elle, doit se former et s'exercer contre la nature. Voilà pourquoi à cet endroit précis, Gaston Bachelard souligne : “ (...) L'expérience première ne peut en aucun cas être un appui sûr. (...) l'esprit scientifique doit se former contre la Nature, contre ce qui est en nous et hors de nous, l'impulsion et l'instruction de la Nature, contre l'entraînement naturel, contre le fait coloré et divers. L'esprit scientifique doit se former en se réformant. Il ne peut s'instruire devant la nature qu'en purifiant les substances naturelles et qu'en ordonnant les phénomènes brouillés ”. Ibid. p : 23. Ce qu'il faut comprendre à partir de là, est le contenu de la thèse que nous soutenons à travers ce travail à savoir que l'art – comme dira Adorno, n'est pas une simple activité qui peut venir en aide à l'ordre établi, mais elle est celle qui se retourne contre celui-ci. En terme de transposition didactique, on doit donc dire que cette activité qui s'interroge sur la genèse des connaissance en tant qu'art méthodique, ne doit pas simplement venir en aide à l'ordre établi, ne doit pas remplir la fonction de service, mais elle doit au contraire s'interroger d'une manière permanente sur l'adéquation des possibilités offertes à la pratique, tout en expliquant les choses sans rien laisser sous silence.

xv.

Sur cette question de la reconnaissance de l'homme à son visage : à son apparaître, on propose de revoir la troisième partie qui s'intitule : “ l'antinomie du jugement du goût : Kant, Fichte et Hegel ”, partie qui se trouve dans l'ouvrage intitulé : Le transcendantal et la pensée moderne, Etudes d'histoire de la philosophie, par Alexis PhilonenKo P. U F. 1990, p : 232 et suiv. Là l'auteur pense tout en se référant à Fichte, que la raison humaine doit d'abord être posée. Elle se pose dans le monde sensible, car “ Elle est à la fois logique et ontologique et son essence est l'infinité ”. Pour comprendre cette approche, de la reconnaissance de l'homme à son visage, il faut chercher son sens philosophique dans l'antinomie du jugement du goût qui est une problématique proprement Kantienne. C'est d'ailleurs ce que l'auteur (PhilolenKo) nous suggère en soulignant : “ Fichte est bien le seul à avoir suivi Kant en ceci ”, c'est-à-dire en ce que : “ La raison humaine finie est définie comme principe de la présupposition des principes, par et dans la critique de la faculté de juger ”. Cela veut dire que l'homme n'est conçu ainsi qu'à partir d'une présupposition qui lui reconnaît sa spécificité d'être raisonnable. Un être qui non seulement pense, mais agit en fonction des représentations en vue de l'autodétermination. Cette action qui se réalise à travers le jugement du goût dont nous venons de souligner les spécificités, est repensé par Fichte comme étant spécifique à l'homme en tant que sujet esthétique. Cela veut dire que la chose pensante de l'homme (qui nous laisse réfléchir), ne peut être que sa manière d'être qui se dissimule à travers son apparaître : à travers son visage. Il faut comprendre ici l'expression : "l'homme est reconnu à son visage", d'une manière métaphorique. Elle signifie que la pensée humaine est la chose de l'homme en tant que sujet esthétique, à propos duquel A. PhilolenKo note : “ Seul le sujet esthétique est cet homme réel, un autre déterminé et concret. Ni l'entendement ni la raison pratique ne permettent de saisir autrui dans son être concret : l'entendement nie autrui dans le concept, la raison pratique le nie dans la législation ”. On peut en fait se demander : qu’est-ce qui peut opérer une saisie, une définition de l'homme? La seule réponse qui puisse être donnée par référence à Fichte est celle de la reconnaissance de son visage, c'est-à-dire, la possibilité de la mise en forme de sa manière d'être, de voir, et de sa totalité absolue.

xvi.

“ Physiognomonie de Lavater ”, est une formulation qui consiste à mettre l'accent sur la reconnaissance d'un homme à travers les traits de son visage en vue de la détermination de son identité. (Cf : Tardy (M.), Sciences de l'éducation, Considération épistémologique in : Coll. Sciences de l'éducation p : 13 & 14, Edit. C. N. D. P. 1984 Strasbourg. Nous retenons aussi cette conception d'une éducation et d'une connaissance fondée sur le visible dans : Philosophie de l'image par Dagognet. (F.), Paris, 1984. L'important à retenir dans ces références est le sens de l'âme en tant que comportement observé. Ce qui apparaît concrètement reflète en effet une réalité du domaine de l'apparaître. C'est d'ailleurs ce que Hegel laissera entendre à cette même époque de Lavater, car pour l'auteur des Cours d'esthétique, l'âme reflète des situations factices propres à l'homme. C'est ainsi que Hegel souligne :

“ Pareillement, l'oeil de l'homme, son visage, sa chair, sa peau, sa figure toute entière laisse transparaître l'esprit, l'âme, et là aussi la signification est toujours autre chose que ce qui se qui se montre simplement dans la manifestation phénoménale immédiate ”. (Cf: Hegel : Cours d'esthétique , T. I Edit. Aubier. Paris, 1995, p : 30).

xvii.
Aristote pense que l'homonymie est l'état des "choses" où celles-ci "n'ont de commun que le nom". Voir Tricot. (J.), Aristote, Organon I Catégories, Edit. J. Vrin, Paris, 1977, p : 2. Si aux yeux d'Aristote, les choses n'ont de commun que le nom, cela est alors, une manière de mettre en évidence le principe de l'ouverture, pour chercher les différences au niveau du langage, car nous dit-on "dans une langue il n'y a que des différences". Dans la perspective de la transposition didactique cette idée peut se traduire en terme de la didactique de la divergence qui aurait pour tâche la recherche du sens des différentes acceptions d'activités didactiques définies à la fois en tant que multiplicité d'états et de processus. C'est dans les écrits aristotélicien que cette conception de la didactique de la pensée divergente sera analysée avec plus de précision. Voir Topiques ,
I 15 106 a
Tome I Livr I- IV Traduit par Brunschwig (J.) Paris Les Belles lettres 1967, p : 22. Cette idée d'Aristote sera vivement critiquée aussi bien par Averroès que par Descartes. Pour l'un comme pour l'autre, il y a en effet des exceptions où des choses peuvent être homonymes. Tel par exemple le cas de l'unité relationnelle qui lie le relatif et l'absolu. Une unité qui n'est que l'idée de l'infini. De même que le relatif est en soi animé par une infinité de relation, de même que l'absolu, lui aussi est infini.
xviii.

Comment appliquer des concepts sémiologiques au domaine de l'Éducation ? Telle est la question qui reste posée dans la perspective de ces analyses. Pour y répondre, il faut prendre en compte deux situations. Puisque le signifiant est toujours une substance, il est alors le même dans tous les milieux. Il est un invariant fonctionnel. Par contre ce qui varie, ce sont les signifiés et les référents. Pour s'en expliquer , on doit prendre deux situations différentes. La première est celle où le signifié adhère et se confond avec le réfèrent ; la seconde est celle où le référent est inclus dans le signifié, qu'il ne soit pas le seul possible à expliquer la signification. Ces notions sémiologiques, ont un sens très restreint qu'il faut retenir comme problématique. Le signifié du fait qu'il n'est pas une chose, reste une représentation psychique de la chose. Sa nature psychique en est le concept. Les Stoïciens, l'ont définit comme étant un incorporel. Le signifié ne peut rien médiatiser. Il est au contraire défini à l'intérieur du procès de signification. S'agissant par contre du signifiant, il est l'image de l'objet, l'image du référent, qui, lui, est une image acoustique. L'une de ses caractéristiques est la linéarité. Le signifiant, représente une étendue mesurable dans le temps. Il est par là-même une image sonore qui fait que, à chaque différence de son, correspond une différence de forme. Quant au référent, il est la chose elle-même, il est un objet apte à être représenté. Il peut de ce fait être soit le monde avec ses objets, ses événements, ses qualités sensibles ou imaginaires, soit une forme de vulgarisation verbalisée par le langage, soit enfin une nomination verbalisée par un énoncé arbitraire dépendant de l'orientation subjective du chercheur.

Pour être concret quant aux sens de ces notions, prenons deux exemples. L'un qui est du domaine de la vulgarisation scientifique, l'autre de celui de la transposition didactique. Pour ce qui est du premier on peut citer la relation entre "le moteur et la carcasse d'une voiture". Pour le second, la relation entre enseignants et enseignés, entre apprenants et formateurs. Tous ces exemples tournent autour du problème du sens dont R. Barthes avait déjà souligné la complexité en disant : “ Le sens c'est un mot général, peu précis ; mais on peut dire qu'on sait assez bien ce que c'est que le sens , selon un schéma extrêmement élémentaire auquel il faut toujours revenir : le sens est l'union d'un signifiant et d'un signifié. Les caractères de l'un et de l'autre sont assez bien connus , assez bien classés, en tout cas ceux du signifiant ; ce qui encore est moins claire c'est le signifié (...) où commence et où finit le sens ? C'est toujours là qu'est le problème. Naturellement on peut donner des solutions idéologiques ou esthétiques au problème de la limite du sens, mais une réponse technique, précise est beaucoup plus difficile. Il est absolument patent qu'un seul et même signifié peut avoir plusieurs signifiants ou qu'un signifiant peut avoir plusieurs signifiés, c'est ce que l'on appelle au sens propre la polysémie... ” (Cf. Barthes (R.), Une problématique du sens, in Messages I, C.R.D.P, Bordeaux 1970. Citation reprise et analysée dans : Les images dans la société et l'Education, Etudes critique des fonctions de la ressemblance ; par René La Borderie. Edit. Casterman 1972, p : 115 et suiv.).

Pour reprendre les exemples du haut, on doit dire que cette approche de R. Barthes s'applique fort bien à la relation entre le moteur (signifié) et la carcasse (signifiant) d'une voiture et à la relation enseignants / enseignés, apprenants / formateurs, ou maîtres / élèves. En effet, dire que le signifié adhère et se confond avec le référent dans le cas de la relation entre le moteur et la carasse d'une voiture, cela ne va pas toujours de soi. Car d'une part, les avis des constructeurs automobiles ne sont pas les-mêmes. Et d'autre part, elles varient selon les exigences et les attentes des consommateurs. En plus l'esprit de la concurrence pousse les concepteurs-réalisateurs de projets de construction, à mettre en forme des idées exceptionnelles, qui donnent naissance à des formes différentes d'images automobiles, qui ne sont en réalité rien d'autre qu'un témoignage de ce Hegel appelle l'esprit ou la raison qui use du sensible pour se manifester. "C'est dans l'art que le peuple a déposé ses idées les plus hautes", disait-il. Au sujet de ce dépôt, on peut dire que le référent, dans le cas de la relation (moteur / carcasse) de la voiture, reste ambiguë, car il est aussi bien l'ensemble des idées factices qui ont mis en forme un produit, que la forme du contenu dont l'ensemble des facteurs organisationnels (les avis économiques, politiques et sociales) contribuent à la réalisation du projet, à la mise en forme d'un produit. Ce référent use d'une part, du signifié qui est la substance du contenu, puisque même s'il est une idée, il devient un fait factice. Et d'autre part, il use de la substance (le fer) qu'il organise à sa guise selon des opinions à la fois arbitraires et conventionnelles. Voilà la raison pour laquelle nous venons de dire qu'il existe bien des situations où le signifié peut adhérer au référent. De même dans la relation éducative, le concept de transposition didactique peut être compris en relation avec ce qui se passe dans la tête des sujets pensant. Le référent aussi bien que le signifiant sont des substances influençant la manière d'être de l'élève, de l'enseignant et du système social et éducatif. Par contre en ce qui concerne l'autre situation où le référent est inclus dans le signifié, cela doit être compris en terme d'ouverture, en terme d'association de facteurs socio-dynamiques de certaines conduites et comportements incarnant des schèmes transcendantaux, qui pénètrent de l'intérieur et d'une manière transcendante, l'opinion du concepteur-réalisateur et qui le dépasse pour influencer son degré d'implication dans le choix des motifs, des matériaux etc. Il est de même pour le sens de l'École dite à ciel ouvert, là où les concepteurs-réalisateurs de projets éducatifs et didactiques sont influencés par des processus et des états.

On doit avouer selon l'opinion que nous avons de R. Barthes, que le domaine du signe est insaisissable, du fait qu'il lie un son et son image acoustique.

Le problème qui se pose dans cette perspective est la recherche du sens à travers les différentes images. Bien que ce lien entre le son et l'image acoustique pose l'évidence de la liberté du moment que celle-ci n'a de sens que lorsqu'elle est pratiquée, que si elle a des échos, il n'empêche que la taxonomisation des images – comme R. Barthes le laisse entendre – est une chose qui ne va pas de soi. Car on est toujours amené à chercher et à distinguer dans le domaine de l'image, la polysémie (différents degrés de signification), la monosémie (signification unique), l'asémie (absence de signification) et la pansémie (toutes les significations possibles). Cela n'est toujours pas une chose qui va de soi dans le domaine de l'Education, où les imprévus – comme disait Maldinier – ne cessent de multiplier des imprévus.

xix.

Bachelard (G.), La formation de l'Esprit scientifique op. cit. p : 18.

xx.

Michel Develay a employé l'expression : "trames conceptuelle" pour désigner l'intrigue, pour désigner l'entrelacement de la trame avec aussi bien la chaîne paradigmatique que la chaîne syntagmatique d'un concept. Il est vrai que le syntagme (succession de chaîne sonores) ne peut avoir de sens qu'en relation avec le paradigme (stocK de concepts factices). Par exemple pour la liberté en tant que concept propre à la philosophie politique, il est à vrai dire en relation avec les deux niveaux : l'axe paradigmatique et l'axe syntagmatique. En effet, on peut se demander : que vaut la liberté si elle n'est pas vécue sous des formes différentes ? C'est-à-dire sous forme de sonorités de discours expressif, de débat discursif, bref d'émancipation d'idées, qui doivent être en relation avec les états et les processus, incarnant des manières d'être et de voir. Pour cette même raison M. Develay affirme que "les trames conceptuelles sont liées au registre plutôt qu'au niveau". On peut dans cette perspective se demander : qu’est-ce qui prime dans une trame conceptuelle, est ce l'axe paradigmatique ou le syntagmatique ?

La réponse à cette question varie selon les circonstances. Si par exemple on se situe dans le domaine de la politique ou de la pédagogie, qui sont des domaines d'action, on doit alors chercher le sens des trames conceptuelles du côté de leurs effets dans la pratique. On doit chercher dans toute trame l'ordre de la preuve, l'ordre du syntagme. Par contre si l'on se situe du côté de la spéculation théorique, du côté de la clarté discursive, le sens de la trame est a chercher du côté de la haute densité discursive d'un concept qui signifie plus que d'autres. Elle se trouve en relation d'enchaînement enchevêtré au sein de la chaîne paradigmatique. Pour mieux comprendre le sens de la trame conceptuelle, M. Develay a cherché à classer ce qui la constitue. A le lire sur ce point précis, on constate trois niveaux à prendre en considération :

1 : la trame conceptuelle, peut se présenter sous forme d'un ensemble d'énoncé qu'on doit lire en relation avec une unité , qui constitue un concept unique. Ce qui signifie au fond que chaque énoncé présuppose une énonciation.

2 : dans la trame conceptuelle, il arrive que tous les énoncés aient un lien logique, et non chronologique. Cela ne peut s'expliquer que si on s'aperçoit que chaque formulation antécédente est pour la suivante une condition de possibilité, et non pas un prérequis exigible.

3 : la trame conceptuel peut présenter une organisation, une programmation d'un réseau ensembliste. En effet, il arrive que la trame conceptuelle présente une série d'activité à deux niveaux :

a : niveau des énoncés ponctuels, qui se présentent sous forme d'activités dites didactiques.

b : niveau des concepts intégrateurs de la discipline qui résultent d'un travail de remodelage.

Cela signifie que la méthodologie de la transposition didactique finit tôt ou tard de s'inspirer de la méthodologie de la discipline correspondante avec laquelle elle organise ses conceptions autour d'un noyau dur. Enfin M. Develay laisse entendre que les trames conceptuelles ont une double utilité, qu'elles remplissent une double fonction : la représentation et la présentation. A la première est lié l'aide qu'elles procurent pour contribuer à la taxonomisation des représentations des apprenants en vue de les traiter et de les combiner en une logique de concept, qui est propre à l'action didactique. A la seconde est liée son utilité qui se manifeste à travers la recherche de la simplicité pour faire participer les autres (ceux qui ne connaissent pas encore), au lieu de leur fournir des cadres pré-organisés. Cette logique de l'action est celle de la pédagogie.

Le sens de la trame conceptuelle est analysé avec plus de rigueur philosophique et épistémologique dans le travail de Gaston Bachelard duquel nous venons de retenir la leçon de l'interférence dans laquelle on tombe parfois lorsqu'on prend un même concept pour lui-même sans chercher la critique de sa provenance à travers ses deux niveaux : internaliste et externaliste.

Au sujet des éclaircissements avancés par Michel Develay quant au sens de la trame conceptuelle, voir : le collectif M. Develay Jean Pierre Astolfi, in, La didactique des sciences, Coll. Que sais -je ? N°2448 P. U. F. 1989.

xxi.

A travers l'emploi de cette formulation, G. Bachelard a tracé une ligne de conduite qui a trouvée son écho chez les auteurs de la didactique des sciences à savoir M. Develay et J. P. Astolfi. En effet, la trame conceptuelle doit être recherchée dans la critique de la provenance du concept, car – comme A. Léon pour la psychopédagogie le laisse entendre – un concept, une conduite ou un comportement ne sont jamais neutres, ils ne peuvent être compris qu'à travers une approche pluridisciplinaire.

xxii.

Claude Bernard rappelle en effet dans cette même perspective que la renommée d'un auteur se mesure par les réflexions exceptionnelles qu'il mène à l'égard des choses, surtout lorsqu'il pense dès le début, en opposition aux autres : contre les chercheurs de son époque. Pour nous, cela est évidemment intéressant, car les grands écrits d'exceptions, qui se retournent contre l'ordre établi, contre les opinions admises et reçues comme vraies, sont des écrits importants et intéressants, puisqu'ils font état d'exceptions susceptibles d'être cultivées. Mais cela n'est pas toujours vrai, car si par exemple on prend l'exemple de Nietzsche, personnellement, je préfère Nietzsche de la période de l'attitude critique de l'homme face à son histoire, à Nietzsche de la période de l'attitude monumentale, là où l'on se donne la force de vénérer son passé, qu'on porte sur soi comme une sorte de nostalgie qui suscite une algie qui fait mal, au sujet de laquelle Nietzsche de l'attitude critique disait qu'il pourrait porter en elle le risque de voir les morts enterrer les vivants.

xxiii.

Bachelard (G.), La formation de l'Esprit scientifique, op, cit. p: 14.

xxiv.

Dans la philosophie critique de Kant, il faut prendre en considération le taux de figuratif élevé de l'expression : "dans le monde sensible". Du point de vue éducatif, les faits didactiques et pédagogiques, ne doivent pas se détacher des états de faits dans lesquels ils se meuvent. L'impression sensible, est le lieu où s'applique une causalité dite dynamique, qui met en mouvement et en marche la facticité des faits. C'est la raison pour laquelle Kant souligne : “ Cette analytique, montre que ce fait est inséparablement lié et même identique à la conscience de la liberté et de la volonté, et c'est par là que la volonté d'un être raisonnable qui en tant qu'appartenant au monde sensible se reconnaît nécessairement comme d'autres causes efficientes, soumises aux lois de la causalité ; a cependant aussi dans le domaine pratique, d'un autre côté à savoir comme être en soi ; la conscience de son existence en tant que déterminable dans un ordre intelligible de choses, non certes en vertu d'une intuition particulière de soi, mais en vertu de certaines lois dynamiques qui peuvent déterminer sa causalité dans le monde sensible, car que la liberté nous soit attribuée, nous transporte dans un ordre intelligible de choses, c'est là ce qui a été suffisamment démonté par ailleurs ”. (Cf : Kant (E.), Critique de la Raison Patique, Edit. P.U.F 1990, p : 30 à 45). Ce même problème auquel Kant faisait allusion nous le rencontrons, dans l'exposé de l'impératif catégorique et surtout à la troisième section des Fondements de la Métaphysique des Moeurs , où Kant utilise une argumentation pour expliquer la synthèse de l'impératif catégorique,en montrant que l'homme est un être raisonnable, doué d'une raison, qui est par essence spontanéité. Elle introduit l'homme dans un ordre intelligible de choses. L'homme appartient donc à la fois au monde sensible et au monde intelligible. En effet, lorsque Kant dit : “ La conscience de son existence en tant que déterminable dans un ordre intelligible de choses en vertu de certaines lois dynamiques qui peuvent déterminer la causalité dans le monde sensible ” ; il entend que le pouvoir concrétisé des idées dans le monde sensible correspond à la liberté qui est celle de l'idée qui possède des effets dans ce même monde. Il existe donc une idée, une causalité libre transcendantale pure qui s'auto-détermine, qui possède des effets dans le monde sensible. Le sens attribué par Kant à la conscience est très particulier. En effet Kant annonce que la conscience doit appartenir au monde intelligible, mais il dit en revanche, qu'elle ne vient pas “ d'une intuition particulière de soi, mais vient de certaines lois dynamiques qui peuvent déterminer sa causalité dans le monde sensible ”. Cela laisse penser, que toute intuition est de l'ordre du sensible, que ce qui la rend empirique, est l'intention qui s'opère a priori dans l'idée de la pensée du sujet.

Sur les conceptions Kantienne de l'impression, du transcendant, qui résident dans le monde sensible voir :

Kant (E.), La critique de la raison pure. Edit. P.U.F Collction Quadrige 3ème Edit. 1990. Surtout les pages 31 à 33, où Kant pense que "Tout effet" (sans exception) à une cause y compris la cause elle-même. Dire que tout phénomène qui a lieu dans la nature peut être expliqué sous une cause naturelle, cela amène à expliquer inévitablement la manière dont deux causalités différentes peuvent être appliquées au même phénomène. Par conséquent la distinction qui s'impose est celle de deux aspects du phénomène :

1 : le phénomène selon son caractère empirique, dépendant d'une causalité dite naturelle.

2 : le phénomène selon son caractère intelligible, dépendant d'une causalité dite intelligible. On aura par conséquent deux catégories, deux mondes auxquels va s'appliquer le tribunal de la raison. S'appuyant sur les acquis de l'analytique transcendantale, comme le montre fort bien le dernier chapitre de l'analytique transcendantale : la distinction des objets en noumènes et en phénomènes, on conçoit un jugement qui satisfait les deux parties : la partie théorique et la partie pratique. Et ce dans la mesure où l'on admet que la causalité empirique ne concerne que les phénomènes, ainsi que leur relation. A côté de cette causalité empirique, il existe une autre dite libre, dont traite la troisième antinomie et sa solution de La Critique de la raison pure . Elleconcerne les noumènes dont le sens est difficile d'accès. Kant pense à son propos qu'on ne peut pas admettre la possibilité de la liberté, car le sens qu'il attribue au possible, est de l'ordre du réel. Elle est une possibilité compatible aux règles de l'expérience. Puisque Kant dès la troisième antinomie conçoit l'existence de la liberté, comme étant la pratique d'une causalité libre qui existe, à une condition qui ne concerne pas l'expérience, alors les raisons qui légitiment d'admettre la liberté, ce sont celles de la philosophie pratique. Ainsi la morale peut se contenter de cette division, de ce jugement dans la mesure où ce qui est montré en définitif c'est que la morale ne contredit pas l'expérience scientifique. Seulement La Critique de la raison pure dont la solution de sa troisième antinomie s'engage à ne pas intervenir dans le cadre de la philosophie pratique. Voilà pourquoi Kant n'a pas trop développé le problème de la liberté pratique. Cependant dès la troisième antinomie et sa solution le cas de la volonté humaine est pris en considération comme un exemple privilégié de la liberté transcendantale. Sur cette volonté il aura fallu attendre la Critique de la raison pratique qui avait le souci de l'analyse de la conduite humaine, de la pratique de la volonté libre.

xxv.

TARDY (M.) Sciences de l'éducation, Considération épistémologique in : Collection Sciences de l'éducation p: 12 à 14. Edit. C. N. D. P Strasbourg., 1984.

xxvi.

Une formulation reprise par Olivie Reboul, in, La philosophie de l'Education, P. U. F, Paris, 1971. Cet ouvrage qui est épuisé, l''auteur y rapporte que l'expression : "l'ouï-dire", a été employée par Spinoza, pour marquer la non opposition entre le pôle de la formation et celui de l'information. Il précise que même si les deux pôles sont opposés, cela n'est pas une raison de les opposer. Une telle prise de position s'inscrit dans le sillage de la philosophie de la rencontre et du rendez-vous qui était l'oeuvre de la philosophie de l'éducation de notre maître : Olivier Reboul.

xxvii.

Bachelard (G.), La formation de l'esprit scientifique, op, cit. p : 18.

xxviii.

La réification est un terme qui reflète une action qui signifie que lorsque l'usage d'un mot rentre en relation avec une autre pratique à laquelle il n'est pas destiné d'avance, il devient autre chose : il perd sa fonction originaire. Par exemple le mot : inertie, au départ dans le domaine des sciences dites exactes, il s'appliquait aux matières dures, aux solides, bref à tous corps soumis à l'inflexibilité. Mais dès que ce même mot a été transposé dans le domaine de la littérature et des sciences humaines, il a pris (sous les effets de la réification) un autre sens qu'il est devenu significatif de l'absence du mouvement. Or cela ne veut pas dire que les matières inertes sont aussi exemptées de mouvement, au contraire, une pierre solide, dure, emprunte son état d'inertie et de solidité au mouvement scindé des différents cristaux. De ce fait, l'inertie n'est pas simplement un état, mais un processus, car en anthropologie, dans le cas du mouvement des peuples et des individus, l'étude et la compréhension de l'inertie ne sont pas de même nature qu'elles peuvent l'être dans le domaine des sciences exactes, car le fait humain est d'une part, imprévisible, et d'autre part, ne s'inscrit pas dans la catégorie des choses parmi les choses.

Du point de vue didactique, on peut laisser penser que le concept de la réification est plus que jamais un concept apte à être appliqué dans le domaine de la transposition didactique des connaissances et des savoirs. Il témoigne d'une approche dialectique entre ce qu'on peut appeler avec Adorno : "AufKlärrung et frisson", c’est-à-dire, une relation dialectique entre le sens organisé, suite à une convention rationnelle, et le frisson du sens qui se trouve comme disait Bachelard, amoncelé dans la vie quotidienne : un sens qu'il faut réifier et transformer pour qu'il puisse devenir du sens par excellence. C'est d'ailleurs ce que nous suggère Austin en parlant du langage ordinaire duquel le didacticien doit partir car – à l'en croire – ce langage est "le premier venu avant le langage articulé", chose que Hegel avait déjà pensé en laissant entendre que la parole est d'abord aux faits, et que le sens réside dans le frisson du sens.

xxix.

Sur la question de l'enseignement en tant qu'activité artistique voire le développement de Hegel in, Cours d'esthétique , Edit. Aubier, 1995, p : 71 à 74. Le contenu de ce développement porte sur la fin la plus haute : la purification des passions et l'éducation des hommes, que procurent l'art de l'enseignement et de la didactique, en vue de contribuer activement à l'extension du pouvoir cognitif.

xxx.

Adorno (T. W.), Théorie Esthétique , traduit de l'allemand par Marc Jimenez et Elliane Kaufholz, nouvelle traduction Paris, KlincKseicK, 1989 p : 16. A cet endroit précis, Adorno souligne : “ L'art est contraint de se retourner contre ce qui constitue son propre concept et il devient, en conséquence, incertain jusqu'au plus profond de sa texture. On ne saurait cependant lui régler son compte par une négation abstraite. En attaquant ce qui, au cours de la tradition, semblait garantir son fondement, il se transforme qualitativement et il devient lui-même autre chose. Cela lui est possible, parce que, au cours des âges, il s'est grâce à sa forme, autant tourné contre l'Etant, contre l'ordre établi, qu'il est venu en aide à celui-ci en procédant à la mise en forme de ses éléments ”. Ibid. Si l'on en croît Adorno dans sa Théorie Esthétique , alors le sens de la didactique (en tant qu'activité artistique), est plus celui du refus, que celui de l'acceptation des données fortuites, qui, elles, s'imposent d'elles-mêmes. Cette même idée sera reprise par Snyders (G.) qui incite à faire répandre les écoles : "nous n'abandonnons pas l'Ecole" disait-il. Sa critique dans son ouvrage : Où vont les pédagogies non-directives ? est dirigée à l'encontre de l'attitude du silence des intellectuels bourgeois, qui ne sont pas prêts à faire partager le savoir à un grand public large. (Snyders (G.), op cit ; p : 363 à 366).

Dire que le pôle de la formation ne doit pas venir seulement en aide à l'ordre établi, signifie au font que l'acte d'enseigner qui trouve son fondement dans la transposition didactique, doit chercher à comprendre le monde, et à le transformer car cela lui est possible. C'est sur lui que pèse la tâche d'enseigner aux masses des choses vraies, sans pour autant chercher à falsifier la réalité du monde. Chose que réalise en revanche – consciemment ou inconsciemment – ce qu'il est convenu d'appeler : la vulgarisation scientifique, qui s'oppose à la science de la vulgarisation qu'est la transposition didactique. L'enseignement qui s'oppose à l'ordre établi a toujours été celui d'hommes d'exceptions. En effet, les grandes découvertes ont toujours été celles des aventures des sujets à vivre la vie dans le risque gratuit et le vivre dangereusement. Des individus comme Socrate, Jésus, Mahomed le prophète, ou même Karl Marx, étaient des aventuriers qui avaient compris que le refus, la résistance, la révolte sont les seuls moyens pour faire passer des messages inédits et des pratiques exceptionnelles qui relèvent du jamais vu et qui peuvent devenir un modèle pour les générations futures.

xxxi.

Pour D. Jacobi, la tâche de ce troisième homme, qui est le vulgarisateur des résultats des connaissances scientifiques déjà établies, est de se situer – voire de s'interposer –, entre les spécialistes et le public large, pour communiquer et populariser les résultats des recherches scientifiques réussies. (D. Jacobi, op cit, p : 16 & 17).

Cette mission du point de vue méthodologique est la même que celle de la transposition didactique, qui, elle aussi transmet des résultats des recherches réussies mais tout en allant plus loin dans cette perspective pour transmettre aussi bien leurs méthodologies que leurs différences à l'égard des recherches non réussies. Ce troisième homme, peut être considéré comme un Etre "entre deux". On peut même aller plus loin pour s'interroger sur son statut philosophique, car il peut traduire la problématique philosophique qui a opposé Heidegger à Kant, à savoir la place de l'être raisonnable, "entre deux" : entre, "le Sein et le Sollen" c'est -à -dire entre l'Etre et le devoir être.

Du point de vue philosophique, il est vrai que le troisième homme occupe une place qui incarne un aspect typique de la liberté. Il se donne lui-même sa propre liberté tout en s'opposant aux normes et aux règles admises, imposées par l'institution scolaire, dont le concept de la transposition didactique fixe les règles du jeu. Le vulgarisateur est donc cet homme d'exception, au sujet duquel Nietzsche a laissé entendre qu'il est apte à s'ouvrir aux choses pour en apprendre quelques modèles d'apprentissage en vue de rendre les établissements d'enseignements accessibles au savoir de la vie.

Dire que le vulgarisateur est un Etre "entre-deux" signifie en fait qu'il occupe une place intermédiaire entre le pôle de l'Etre des hommes populaires et vulgaires (pôle de l'information, pôle de l'Etre en tant qu'être), et le pôle du devoir être : pôle de la formation dont l'exigence est de programmer le savoir et les connaissances : une exigence imposée par la transposition didactique qui, elle, s'astreint – à en croire M Verret – à la classification de ce qui est gnoséologiquement connaissable, mais non-scolarisable, et ce qui est à la fois connaissable, et accessible à la scolarisation.

xxxii.

Pour montrer l'opposition de Heidegger à Kant quant à la place de l'homme entre deux : entre le devoir être (la loi de la liberté) et l'être (la liberté comme loi), nous devons souligner que la formulation précédente : "entre-deux" a été rapportée par Martin Heidegger à la page 247 d'un cours intitulé : Qu’est-ce qu'une chose ? et ce pour désigner ce qui est dans l'analytique des principes de la Critique de la raison pure, à savoir le rapport qui pourrait exister entre nous et la chose. Cette idée d'entre-deux signifie une recherche des types de rapports qui peuvent exister entre nous et les choses, qui s'imposent à nous. Heidegger relie cet entre-deux à l'ouverture de l'homme aux choses.

On peut se demander si cette lecture métaphysique de la Raison pure c'est-à-dire l'ouverture aux choses, l'ouverture à l'être, l'ouverture à quelque chose qui est au-delà de l'être ne serait-elle pas possible sans la Critique de la raison pure  ? On pourrait même aller plus loin pour se demander si le but de la Critique de la raison pratique, ne serait pas de rendre possible une lecture de type métaphysique ? A maintenir cela, il est possible de penser que Heidegger était injuste à l'égard de la Critique de la raison pratique de Kantlorsqu'il impute, et induit toutes les détériorations qu'il subit à la Critique de la raison pure entre sa première et sa seconde version. Il est injuste parce qu'il méconnaît ce que la Critique de la raison pratique rend possible à l'égard de la Raison pure à savoir une lecture analogue à la sienne.

Aux yeux de Kant, ce que l'être raisonnable découvre lui-même, c'est d'abord son existence en tant que déterminable du point de vue pratique, non pas par l'étendue de son pouvoir physique, mais du point de vue pratique, l'être raisonnable, n'agit pas selon ce qu'il peut mais c'est bien l'inverse : c'est parce qu'il doit qu'il peut.

Du point de vue didactique, cela peut se traduire en terme d'une capacité de l'enseignant à pouvoir et à devoir apporter les justes mots aux choses non falsifiées. Ce qui n'est pas le cas pour la vulgarisation scientifique qui falsifie, et qui illustre plus qu'elle ne prouve. Par conséquent, la raison de l'enseignant devient un fait qui pénètre les faits tout en les expliquant, car le fait de la raison (factum),- comme le rapporte Kant – au lieu d'être soumis au pouvoir physique, il le détermine. C'est le "Tu dois donc tu peux" qui prédomine. Telle est la devise de la transposition didactique. Ce n'est donc pas l'inverse, comme avec Heidegger qui laisse dissimuler la possibilité du "je peux donc je dois" : la possibilité de l'extension du pouvoir physique, comme principe sous-jacent de la vulgarisation scientifique.

A la lumière de cette digression philosophique, on peut déjà souligner une opposition entre transposition didactique et vulgarisation scientifique. Avant de s'en expliquer longuement dans les prochains chapitres, on peut désormais dire que, si la tâche de la transposition didactique est de faciliter aux apprenants l'accès à l'appropriation des concepts et des contenus, à travers une démarche qui se déroule à l'intérieure d'une institution donnée (scolaire ou universitaire), la vulgarisation scientifique au contraire va au-delà pour viser un public large indiffèrent, tout en lui communiquant les résultats des problèmes. Par contre la transposition didactique, à travers des règles et des normes, s'astreint à discuter les problèmes en vue d'en chercher les solutions au sein d'un rapport de convention. De ce fait on peut donc dire que le médiateur-vulgarisateur s'interpose entre le spécialiste et le public, alors que le didacticien-transmetteur de savoirs et de techniques, s'impose entre le savoir et l'apprenant, entre le spécialiste et l'initié.

L'opposition entre autonomie et hétéronomie a été soulignée par Adorno dans sa Théorie Esthétique, op, cit, p : 320 et 321), et ce pour montrer que les oeuvres qui sont à la portée d'un grand public, ne le sont pas toujours. Il en va de même pour la vulgarisation scientifique. En effet qui peut garantir (dans l'absence de l'évaluation) , que le message qu'elle tente de véhiculer est largement reçu dans son authenticité du départ par les membres d'un public différencié ? En effet, lorsque à travers des images dites "significatives", on vulgarise par exemple le travail de la cellule dans l'organisme, (sachant bien que ce travail ne peut pas être représenté avec exactitude), on fait de l'expérience en trompe-l'oeil, pas même de l'expérience pour-voir. Ce travail est pour le vulgarisateur une activité artistique puisqu'il peut prolonger la série des vérités sans pour autant la représenter ; alors qu'il est pour le didacticien une sorte de préjudice pour l'apprentissage bien qu'il soit simplement utile, dû à l'absence de l'extension "des laboratoires publics d'information". C'est donc cet absence des Ecoles de la formation et de l'information qui font que l'art est devenu incertain. Il est devenu ainsi car le rôle de l'Ecole, de l'Université programmatrices des connaissances et des savoirs a changé bien que celles-ci éclatent de toute part. Ce changement repose en fait sur l'insatisfaction et la méfiance qui résident chez le citoyen en ces institutions qui mènent à rien. Elles ne remplissent pas en effet la fonction de service de la vie. Elles ne sont pas ouvertes sur la vie pratique. D'ailleurs certains parlent de consommateurs de savoirs pour qualifier le travail des apprenants et des formateurs qui travaillent dans l'enseignement décrit par certains comme étant un secteur non-productif. Cette situation où l'art de l'enseignement n'est pas prix au sérieux puisque la vulgarisation scientifique cherche à le réduire à une sorte d'industrie culturelle, Adorno en a été conscient et c'est ainsi qu'il souligne : “ La situation des artistes dans la société, pour autant qu'elle entre en considération pour la réception de masse, tend après l'époque de l'autonomie à retourner dans l'hétéronomie. Si, avant la Révolution française, les artistes étaient des laquais, ils deviennent aujourd'hui des amuseurs publics. L'industrie culturelle appelle ses champions par leur prénom, tout comme les maîtres d'hôtel et les coiffeurs traitent la jet society. La suppression de la différence entre l'artiste comme sujet esthétique et l'artiste comme personne empirique témoigne en même temps du fait que la distance entre l'oeuvre d'art et la réalité empirique a été supprimée, sans que l'art ait toutefois la liberté qui n'existe pas. Cette proximité accroît le profil, l'immédiateté est organisée pour tromper ”. Ibid.

Il existe en fait une ressemblance des rapports entre deux activités artistiques différentes : celle qu'incarne le travail de la transposition didactique, et celle que représente celui de la vulgarisation scientifique. D'abord Adorno – disons le ouvertement – vise ici l'art français. Pour lui, en cette période moderne et contemporaine, le débat sur l'art notamment en France, a perdu son caractère d'évidence, puisque tout les artistes sont à ses yeux "des amuseurs publics". Cela veut dire que la vulgarisation scientifique en tant qu'activité artistique est en elle-même au banc des accusés, car elle tente de libérer l'enseignement en croyant le rendre autonome, mais sous cette même autonomie elle entre en contradiction avec l'acte d'enseigner qu'elle l'insère dans la catégorie des marchandises, à travers des revues comme "Science et Vie" ou "La Recherche" qui sont presque comme un défilé de mode à l'instar de celui que remplissent les Revues de "Femmes Actuelles" ou d' "Elle". C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont laissé M. Tardy aller plus loin pour souligner : “ je n'aime pas ce qui se publie dans le domaine de la recherche pédagogique ”, car en celle-ci la vulgarisation scientifique est parfois – sinon dans la plupart des cas – une contre pensée.

Le fait de réduire l'enseignement à une sorte "d'industrie culturelle", à une sorte de supermarché imagé tout en poussant les initiés "à penser dans les signes", est certes une liberté qui installe le spectateur dans le fauteuil de l'imagination créatrice loin de la réalité. En effet, l'image (nous dit-on) est "un luxe doublement condamnable". Elle porte "la petite crainte du XXème siècle". Elle est petite, mais elle reste (malgré tout) une crainte, au sujet de laquelle Adorno a affiché ses réserves. Car même si les images esthétiques de la vulgarisation scientifique libèrent le savoir et les arts, de ce que Dubuffet nomme : l'asphyxiante culture et de l'enfermement, il n'empêche que cette même liberté d'une Partie du Tout, entre en contradiction avec la liberté de la totalité du Tout. C'est contre cette crainte du manque de la liberté que Adorno a mis en garde ceux qui organisent la fausseté pour tromper. Voilà la raison pour laquelle dès les premières pages de sa Théorie esthétique, il a laissé entendre que l'art véritable est celui de la liberté du Tout : “ Partout, les artistes se réjouirent moins du royaume de liberté récemment conquis qu'ils n'aspirèrent de nouveau à un prétendu ordre tout aussi fragile. Car l'absolu liberté en art, qui demeure liberté dans un domaine particulier, entre en contradiction avec l'état permanent de non-liberté dans la totalité. En celle-ci la place de l'art est devenue incertaine ”. Ibid. p : 15.

De ce fait, on peut laisser entendre que le travail de la vulgarisation scientifique – si riche soit-il – rentre en contradiction avec la non-liberté du tout, car il vise simplement à rendre accessible les résultats scientifiques, en vue de l'extension d'un marché économique. Ce travail ne se soucie pas des sentences de la création artistique, des degrés d'implication des chercheurs dans leur engagement à choisir des recherches plutôt que d'autres, ni des impacts que peuvent avoir des résultats scientifiques dans un milieu plutôt que dans un autre. Bref, c'est un travail qui tourne le dos à la taxonomisation tout en se traçant celui de la taxinomisation.

xxxiii.

Sur la relation entre l'apprendre et l'enseigner, Heidegger n'est pas si claire. Cette absence de clarté explique la difficulté aussi bien de l'acte de l'apprendre que celui de l'enseigner. A en croire Heidegger, il y a une antinomie latente entre les deux actes. C'est certainement cette antinomie qui a laissé le même Heidegger dire d'une part que "Apprendre est plus difficile qu'enseigner", in conférences de semestre d'hiver 1935 1936. (Cf : Martin Heidegger, Qu’est-ce qu'une chose ? . Edit. Gallimard, coll. Tel, pp : 84 & 85). Mais d'autre part, il revient sur cette décision pour dire le contraire : “ l'acte d'enseigner est en effet, plus difficile qu'apprendre on le sait ! ”, in conférences du semestre d'hiver 1951 1952(Cf : Martin Heidegger, Qu'appelle-t-on penser ? Edit. P.U.F Coll. Quadrige, pp : 88 & 89).

xxxiv.

Pour mieux saisir cette difficulté on ne saurait faire autrement sans, d'une part citer les deux passages de Heidegger dans lesquels, réside cette contradiction apparente, et d'autre part sans avoir – du moins brièvement – cherché à comprendre le sens contradictoire des propos du maître de l'existentialisme Européen moderne et contemporain. Chemin faisant, la première citation pointe le problème de l'enseignement en relation avec la capacité d'apprendre à faire des choses. Il y avait là un début de la réification de l'acte d'enseigner proprement dit, sous les effets des différentes activités d'apprentissage. Il est vrai que Heidegger faisait l'éloge d'une lente lecture du temps des études de l'apprentissage et de l'enseignement. Enseigner, avait pour lui à cette époque, un sens qui était si proche du faire et non pas du dire, un sens hérité probablement des spéculations de la philosophie de l'ouverture, spéculations qui avaient déjà commencés avec les Stoïciens, pour qui, la Nature est susceptible de toucher aussi bien la morale que le souverain bien. Si l'on en croît ces deux visées philosophiques alors l'homme qui s'ouvre aux choses de la vie naturelle, s'aperçoit aisément que le fait de vivre conformément à la nature et en accord avec elle, peut avoir le moyen pour, d'une part comprendre la vie et l'affirmer, et d'autre part, marquer la conséquence et la cohérence entre sa personnalité et son action. Cette conception a trouvée ses échos chez Nietzsche duquel toute la philosophie de Heidegger s'est inspirée. Voilà pourquoi ce dernier a laissé entendre que : “ Apprendre est plus difficile qu'enseigner ; car seul celui qui peut vraiment apprendre – et seulement aussi longtemps qu'il le peut – celui-là seul est capable d'enseigner. Le véritable enseignant ne se distingue pas de l'élève qu'en ce qu'il peut mieux apprendre et a plus authentiquement la volonté d'apprendre. Dans tout enseigner, c'est l'enseignant qui apprend le plus.

L'apprendre le plus difficile est celui-ci : porter à la connaissance réellement et à fond ce que depuis toujours nous savons. Un tel apprendre le seul qui nous importe ici, requiert de séjourner en permanence près de ce qui en apparence est le plus proche, par exemple près de la question : Qu’est-ce qu'une chose ? ”. Ibid.

Dans ces derniers passages que nous venons d'avancer, Heidegger trace une liberté pour apprendre et non pour enseigner. Cette liberté puise son sens dans la question du pouvoir qui émerge de ce qu'il est convenu d'appeler : la motivation. Reste à savoir si cette motivation est d'ordre extrinsèque ou à l'inverse, d'ordre intrinsèque. A lire sur ce point le solipsisme heideggerien (hérité de Nietzsche), on s'aperçoit que l'unité du comportement est la seule qui est capable d'aider tout apprenant à progresser dans ses apprentissages. En effet, à deux reprises le mot : "solitude" est cité dès le début de la première phrase de ce passage : “ Seul celui qui peut vraiment apprendre... ” “ Seul est capable d'enseigner.. ”. Il y a ici un lieu de l'unité qui s'oppose d'une manière formelle à l'acte d'enseigner qui est le lieu commun où s'opère et se noue des relations diverses. On peut se demander si en fait, les oeuvres parfaites sont celles auxquelles Un a travaillé, ou au contraire, elles sont celles qui sont faites des mains de plusieurs hommes et de plusieurs maîtres, qui, ensemble apprennent par essais, par erreurs, par rencontre, dans le rendez-vous et par dépassement ? Ainsi pour Heidegger, enseigner est équivalent à l'acte d'apprendre, puisque c'est de la volonté bonne, (et non pas de la bonne volonté que possède l'enseignant), qu'il est question dans ce passage. Car l'enseignant est déjà achevé pour un type de travail qui n'est rien d'autre que celui de la formation permanente dont l'aspiration est de savoir toujours plus quant à l'essence des choses qui se présentent. Le vrai maître-apprenant – aux yeux de Heidegger – est celui qui, plus il sait, plus il désire savoir. Mais ce travail est-il vraiment celui d'une École achevée : programmatrice des connaissances et des savoirs ? Evidemment la réponse de Heidegger, à travers ce passage des années 1935 1936, ne va pas de soi, car le sens de l'École institutionnelle est pour lui ambiguë. Ce sens – nous dit Heidegger – consiste en ce que chaque enseignant digne de ce nom doit se mettre au travail pour “ porter à la connaissance réellement et à fond ce que depuis toujours nous savons ”. Vieil argument platonicien de l'enseignement de la vertu, un enseignement qui met en forme et en mouvement ce qu'on connaît déjà : un lieu de l'unité du préférable. Autrement dit, Heidegger reste ici fidèle à la tradition grecque qui n'était rien d'autre que l'enseignement de la vertu, l'enseignement des contenus déjà connus. Etant ainsi, l'enseignement n'est plus une activité critique, n'est plus une activité qui se retourne contre l'histoire régressive et répressive, il est simplement une action qui prolonge le passé historique d'une nation ou d'un peuple avec tous ses maux, ses blessures, ses joies bref, avce ses malheurs et ses bonheurs. L'enseignement de ce fait, n'est plus cette activité qui peut aussi bien venir en aide à l'ordre établi que de se retourner contre tout autre ordre y compris celui du sujet qui en use. L'enseignement est défini ici en terme de tâche, qui, elle, prend l'initiative de prolonger l'histoire propre du sujet pesant. Ce prolongement peut évidemment prendre des formes. Celle que Heidegger privilégie en est la continuité du déjà-là, duquel émerge et surgit le toujours-déjà. L'enseignement en tant qu'art, ne se résume pas à cette attitude critique du sujet face à son histoire, mais aussi à l'éloge qu'il en fait. D’ailleurs lorsque Heidegger laisse entendre que l'oeuvre d'art est d'abord historiale et non historique, cela est une raison pour affirmer que le vrai maître ne doit pas chercher ni à penser le présent ni l'avenir mais il doit chercher à prolonger le passé des contenus déjà connus. Cela est comme comme si l'attitude critique du philosophe face à son propre histoire n'est pas quelque chose qui devaît a priori s'imposer.

Sur ce point précis, on peut laisser entendre que Heidegger a trahi l'enseignement nietzschéen à savoir celui de l'attitude critique de l'homme face à son histoire propre, une attitude à propos de laquelle Nietzsche craignait de voir naître un temps dans lequel “ les morts vont se précipiter à enterrer les vivants ”. Lorsque Heidegger a répété inlassablement que c'est avec les Grecs que l'histoire de l'humanité a commencée, il a oublié (volontairement ou involontairement) que les Grecs ont raté quelque chose dans leur propre histoire, puisque d'une part, ils n'avaient pas cherché à cultiver le déjà-là, et d'autre part, ayant été renfermé sur eux-mêmes, l'art chez eux, ne savait pas où il allait et en vue de quelle différence culturelle ou cultuelle il existait. D'ailleurs le Sphinx grec, n'avait rien avoir de près ou de loin avec les Pyramides Egyptiennes, d'où le mystère inhérent à celles-ci. Renfermé sur lui-même, dans l'ignorance d'autres activités, l'art grec ne savait pas en vue de quelle autre activité il fut typiquement de l'art véritable.

Pour nous, on voit mal comment l'enseignement peut avoir son sens dans une activité de la relation de connexion nécessaire à l'égard des choses seulement factices. Il peut certes en avoir un si l'on distingue les deux niveaux de la relation à l'égard des choses : celui de la relation de connexion nécessaire et celui de la relation de connexion réciproque. D'autre part, cette activité de l'enseignement privilégiant le rapport d'homme à homme est plus proche des cris apostrophés que de ceux que reflète la prosopopée en tant qu'activité qui tente de faire parler les choses qui, elles, ne parlent pas encore. L'enseignement est d'abord le fruit d'une rencontre, qui ne peut être riche qu'à travers la relation avec l'autre et est le processus qui l'accompagne.

Sur cette position, Heidegger reviendra dans les années 1951 1952, pour corriger ses propos quant à la place de l'enseignement, et ce pour dire que ce n'est pas l'apprendre qui est plus difficile que l'enseigner, mais c'est bien ce dernier qui est si complexe et si délicat par rapport au premier. Si dans les précédantes conférences, l'accent était mise sur le principe de l'effacement de la pensée à l'égard d'une autre pensée et sur l'effacement du sujet pensant qui dans sa relation de connexion nécessaire à l'égard des choses, ne fait que de prolonger le vécu, l'appliquer sans le penser, sans en jouir, alors il n'en va pas de même dans la conférence datant entre 1951 1952 à travers laquelle l'acte d'enseigner est défini comme étant à la fois la racine et le fruit d'une rencontre d'homme à homme. C'est ainsi que Heidegger souligne :

“ Enseigner est, en effet encore plus difficile qu'apprendre. On le sait bien, mais on y réfléchit rarement. Pourquoi enseigner est-il plus difficile qu'apprendre ? Ce n'est pas que celui qui enseigne doit posséder une plus grande somme de connaissances et les avoir toujours disponibles. Enseigner est plus difficile qu'apprendre, parce qu'enseigner veut dire "faire apprendre". Celui qui véritablement enseigne ne fait même rien d'autre qu'apprendre. C'est pourquoi aussi son action éveille souvent l'impression qu'auprès de lui on n'apprend, à proprement parler, rien. C'est que l'on entend alors inconsidérablement par "apprendre" la seule acquisition de connaissance utilisable. Celui qui enseigne ne dépasse les apprentis qu'en ceci, qu'il doit apprendre encore beaucoup plus qu'eux, puisqu'il doit apprendre à "faire apprendre" (...) Nous devons bien garder sous les yeux la véritable relation entre celui qui enseigne et l'apprenti, si nous voulons que dans la marche de ce cours s'éveille un apprentissage ”. Ibid.

Par contre dans la conférence précédente, cette relation est mentionnée en terme d'effacement : “ (..) Enseigner, c'est donner, offrir. Mais ce qui est offert dans l'enseignement n'est pas seulement l'indication lui permettant de prendre par lui-même ce qu'il a déjà. Quand l'élève ne fait que prendre possession de quelque chose qui lui est offert, il n'apprend pas. Il ne commence à apprendre que lorsqu'il éprouve ce qu'il prend comme ce qu'il a déjà lui-même en propre. Là seulement est le véritable apprendre, où prendre ce qu'on a déjà, c'est se donner à soi-même, et où cela est éprouvé en tant que tel. Enseigner ne veut donc rien dire d'autre que laisser les autres apprendre, c'est-à-dire se porter mutuellement à l'apprendre ”. (Ibid. pp : 84 & 85).

On voit bien que la contradiction heideggerienne repose, dans la première conférence, sur l'éloge qu'il faisait de ce que les anglais appellent : le learning, c’est-à-dire l'Apprendre à...qui puise son fondement dans une sorte de collège invisible. Heidegger en disant : “ laisser les autres apprendre ”, il incite en effet à “ une liberté pour apprendre ” comme si l'École de la vie est la seule apte à la réalisation des objectifs de la formation. Mais dans la seconde conférence, on le voit, Heidegger affirmer qu'il savait bien déjà que “ L'acte d'enseigner est plus difficile qu'apprendre ”. Et il ajoute aussitôt, que le sens de cette difficulté, “ On y réfléchit rarement ”. Cela veut dire que sens de l'enseignement (qui occupe une réflexion importante dans la philosophie de Heidegger) ne peut être compris qu'à partir d'un travail de confrontation entre les deux textes : Qu’est-ce qu'une chose ? et Qu'appelle t-on penser  ? Evidement ce n'est pas notre propos ici, car cela mérite une autre recherche. Mais on peut néanmoins laisser entendre que les deux titres s'opposent mutuellement, car dans les secondes réflexions, la place de l'enseignement est du côté de la force des idées, du côté non pas du travail autonome de la main, mais du côté de cette même main qu'il faut lier à la totalité des autres organes, qui eux, constituent l'acte de penser. Cet même acte il faudrait enfin chercher à le classer pour le distinguer du bien penser. Ainsi c'est donc la pensée qui détermine la chose, c'est elle qui est un signe et un interprétant, car – comme Heidegger le laisse entendre dans l'une des conférences des années 1951 1952 – l'enseignement doit prendre en considération l'Etre qui parle avec ses signes à lui : avec sa pensée, tout en distinguant la main qui fait, et la pensée qui ordonne : “ Seulun être qui parle c'est-à-dire qui pense peut avoir une main et accomplir dans un maintenant le travail de la main ”, dit Heidegger. (Ibid. pp : 90 & 91).

Pour mieux saisir ces contradictions nous nous sommes référés à quelques réflexions de l'un de nos maîtres: Ph Lacoue-Labarthe, qui a laissé entendre l'existence de deux personnalités philosophiques distinctes dans l'héritage de ce qu'il est convenu d'appeler : l'existentialisme heideggerien, dans lequel on doit distinguer deux types. Le premier peut être qualifié "d'inhumain", de "déshumanisation", tandis que le second, est celui de "l'humanisme tardif", qui se présente sous forme d'une autocritique. L'important pour nous dans le sillage de ses réflexions, est la place de l'ouverture et de l'achèvement lors de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs. Dans la première période que Ph. Lacoue-Labarthe qualifie de “ période de l'engagement ” qui commença de 1933 à 1936, l'acte de penser était au service d'un travail de-la-main. La jeunesse hitlérienne était invité à se mettre au travail (à mettre la main à la pâte) dira-t-on d'une manière vulgaire, et ce pour accomplir l'aveu de l'idéologie allemande représentée par le national-socialisme. Ainsi le fait de se mettre au travail, signifie en fait la possibilité de la mise en place d'un État en tant qu'oeuvre d'art, un État qui puise son fondement dans l'extension du pouvoir physique : dans la grandeur de l'Allemagne hitlérienne. D'ailleurs cette même grandeur sera remise en cause par Adorno, qui dira plus tard que “ tout élargissement est en fait un rétrécissement ”. Cette période de l'engagement avait des conséquences sur l'acte du penser. En effet et si l'on en croît Ph. Lacoue-Labarthe, c'est alors “ dans le Discours de 1933 qu'il faut chercher la prise de positions politiques de la part de Heidegger ”, car c'est dans ce discours – ajoute Ph. Lacoue-Labarthe – que l'on “ assiste à une substitution du national-esthétisme au national-socialisme ”. Voilà pourquoi l'acte de penser était au font, une activité qui consistait à mettre en forme des objets techniques au lieu de produire des discours sur la technique. Sur le contenu de sa pensée philosophique à cette même période, Heidegger va s'expliquer plus tard aussi bien dans l'intimité qu'en public. Au sujet de cette explication est liée donc la seconde période qui coïncide avec les réflexions précédantes quant au sens de l'acte de penser. Pour ne mentionner que quelques citations rapportées par Ph. Lacoue-Labarthe, on doit rapporter ce que notre maître des années d'études a souligné dans son texte supplémentaire exigé en vue de l'obtention, sur travaux du Doctorat d'État en philosophie là où il souligne : “ Il a lui même parlé en privé de la plus grande bêtise de sa vie dans la circonstance précise de l'engagement politique de 1933 1934 ”. (Cf : Philippe Lacoue-Labarthe, La fiction du politique Heidegger l'art et la politique. Association des publications près universitaire de Strasbourg 1987, p : 17). Si Heidegger s'est trompé, alors ce n'est pas en privé seulement qu'il a déclaré cela, mais aussi publiquement. Car comme l'auteur de La fiction du politique... le laisse entendre, la contrainte pesait lourdement sur les intellectuels allemand de l'époque, qui n'avaient pas d'autres possibilités que de venir en aide à l'ordre établi. Heidegger était conscient des risques qu'il courrait s'il avait cherché à s'opposer à l'ordre : “ je n'ai pas seulement parlé pour faire semblant ; je voyais cette possibilité-là ”, comme il dira aussi : “ Il faut que la pensée pense contre elle-même, ce qu'elle ne peut que rarement ”. (Lacoue-Labarthe (Ph.), op, cit. pp : 22 et 23).

Cette seconde période de la pensée de Heidegger est difficile à la dater, car même dans les conférences datant entre 1951 et 1952, qui tournent autour de la mise en évidence de l'acte de penser, qui est l'acte de la réflexion, et de l'analyse, on y trouve des aspirations incarnant la nostalgie des réflexions philosophiques des années 30. De ce fait, la fin de la première période ne peut commencer – aux yeux de Philippe Lacoue-Labarthe – qu'à partir de 1955. C'est ainsi que ce dernier souligne au sujet de la rupture heideggerienne : “ (..) Il aura fallu attendre 1955 et la lettre adressée à Jünger “ Contribution à la question de l'Etre ” pour que Heidegger en somme dénonce l'onto-typologie et en vienne à récuser comme renversement simple du platonisme, dans l'aire spirituelle-historiale de la mort de Dieu et de l'infinitisation du sujet ("rescendance" contre transcendance), toute la thématique onto-typologique de la figure ou de la stature (Gestalt), de la frappe et de l'empreinte (Prägung, Gepräge), pourtant continûment sienne depuis 1933. C'est dire au fond que ce n'est que dix ans après l'effondrement du Troisième Reich que Heidegger aura la révélation définitive que le national-socialisme (esthétisme) était la vérité de l'inversion du platonisme ou de la restauration de ce que Platon avait combattu – non sans céder lui-même à la tyrannie –, c'est-à-dire de la pensée de la technique, et du politique, comme fiction : la dernière tentative de "mythation" de l'Occident. Mais non, probablement, la dernière esthétisation du politique ”. (Cf : Lacoue-Labarthe (Ph.), op cit. pp : 74 et 75).

On peut à partir de là, comprendre le sens fortuit de la proposition de Snyders (G.) qui pense que L'Ecole, l'Université, bref le pôle de la formation sont toujours au service du pouvoir de l'idéologie dominante. Dire que l'Ecole, l'Université sont toujours politiques, signifie – à partir de ce qui est avancé ici par Lacoue -Labarthe (Ph.) – qu'elles incarnent un ordre typique de la politique : celui de la fiction, car – comme Freud l'a laissé entendre –, la politique et l'enseignement sont des institutions fictives puisqu'ils sont par essence des métiers impossibles. Ainsi le fait de chercher à politiser le pôle de la formation est un contre-sens, car la liberté que reflète l'enseignement est celle de la pensée divergente qui émerge du dialogue aussi bien de la rencontre que du dépassement.

Le problème qui se pose est que dans la postérité de cette conception heideggerienne, le débat quant au sens de cette relation entre l'enseigner et l'apprendre, n'est pas prêt d'être clôturé. En tout cas pour nous, on souhaite qu'il ne le sera pas et que l'enseignement aussi bien que l'apprentissage restent soumis à une ouverture inachevée. C'est d'ailleurs ce qui ressort d'un article de Daniel Payot, qui commence son analyse de cette même opposition avancée par Heidegger, par une critique de celui-ci pour finir par défendre la contradiction apparente de Heidegger. D'ailleurs après avoir exposé les mêmes passages que nous venons de mentionner, Daniel Pyot s'est posé – en faisant allusion à la technique de l'effacement voulue par Heidegger – les questions suivantes : “ Quel sens peut-il bien y avoir à insister de la sorte, à propos de l'enseignement, sur une sorte d'éloge de l'impuissance, une sorte d'appel à l'irresponsabilité ou à la démission ? Ne vaudrait-il pas mieux indiquer ce que l'action d'enseigner comporte de positif, de volontaire, soucieuse qu'elle est ou devrait être d'apporter à “ ceux qui apprennent ” le savoir et les valeurs dont précisément ils ont besoin, et pour lesquels la compétence de l'enseignant constitue un recours nécessaire ? ” (Cf : Payot Daniel article in, Éducation et Philosophie Ecrits en l'honneur d'Olivier Reboul, op cit., p : 159 à 169).

Ces questionnements qui sont d'une importance capitale, que maintient l'auteur de l'article : Enseigner et penser , peuvent être considérés comme une objection de principe. Cette objection trouve des éléments de réponse à travers le geste de l'auteur qui lie la pensée à l'enseignement. Mais ce geste n'est rien d'autre que l'acte de penser avec Heidegger, et non pas à l'instar de Lévinas qui nous incite à penser avec Heidegger contre Heidegger. Sans chercher à discuter à cet endroit le contenu, et le propos de l'auteur à travers cet article, on veut simplement résumer tout en commentant dans la mesure du possible quelques points qui nous paraissent importants et qui témoignent bien de cet éloge rendu par l'auteur à Heidegger. A lire Daniel Payot, sur ce point, on s'aperçoit en effet que la docilité dont parlait Heidegger traduit bien selon l'auteur l'attitude à apprendre d'une manière permanente à se tenir prêt à la formation et à se mettre au travail. Etre docile souligne l'auteur, “ ne consiste pas à se plier devant une puissance supérieure ni à obéir à quelque autorité indiscutable, mais à être disposer d'une façon particulière, à être capable de se tenir prêt à recevoir ce qui peut se donner à apprendre ”. Voilà donc une première prise de position en faveur de Heidegger, position qui oublie que la tentative de celui-ci si riche soit-elle était celle de l'effacement de la pensée devant ce qu'elle aperçoit. (Voir Heidegger (M.), l'origine de l'oeuvre d'art conférence prononcée à la société des sciences de l'art de Fribourg-en-Brisgan le 13 Novembre 1935).

La seconde prise de position en faveur de cette pensée philosophique repose sur le sens typique qu'il faut entendre par “ être docile ” et “ ne pas être sûr de son affaire ”. En effet, Daniel Payot va plus loin pour laisser entendre que Heidegger est en faveur d'une continuité à l'égard des apprenants puisqu'il veut d'une part, que l'enseignant puisse travailler davantage, et d'autre part, que l'apprenant ait une volonté, une motivation active à se mettre au travail, et de ce fait on peut le qualifier de marxiste puisqu'il s'astreint – comme le pense l'auteur – à évoquer davantage que la question de l'enseignement doit désormais être “ soustraite à toute tentative métaphorique de capitalisation, du capital, voir du capitalisme ”. Le fait que l'enseignant n'est pas totalement sûr de son affaire, cela laisse entendre d'une part que l'acte d'enseigner est plus difficile que celui de l'apprendre, et d'autre part que toute philosophie doit accepter le principe de l'ouverture. Chose que Marx a voulu pour sa propre philosophie qu'il a considèré comme étant animée d'imprévus, qui multiplient et à jamais d'autres imprévus. Mais du fait que le sens de cette passivité n'est pas formulée, cela se laisse donc deviner, à l'appuie d'une lecture autre du sens de la docilitas : l'aptitude à apprendre, qui donne (à en croire l'auteur), une raison pour Heidegger à penser l'effacement de la pensée spéculative tout en attachant une considération à l'être des apparences, aux formes et aux objets qui nous affectent en permanence. Par conséquent l'enseignant doit se sentir affecté par l'apprenant malheureux qui n'a d'énergie et de possibilité que l'ouverture au savoir apprendre pour apprendre le savoir. Voilà la raison pour laquelle Daniel Payot s'aligne sur une conception qui lui est propre du sens heideggerien de l'enseignement, sens qui n'est rien d'autre que ce qu'on appelle en sciences de l'éducation : la formation permanente. Celle-ci signifie l'ouverture de l'homme à l'éducation, une ouverture à laquelle Daniel Payot nous incite tout en la faisant l'oeuvre de Heidegger en disant : “ (…), Car peut être devine t-on mieux maintenantpourquoi enseigner est plus difficile qu'apprendre : enseigner consistant en quelque sorte à favoriser chez l'apprenti la docilitas, cela suppose au moins que l'enseignant soit lui-même docile, qu'il sache lui-même se tenir ouvert à la réception de ce qui est à apprendre, et cela suppose aussi et en outre, qu'il soit en quelque sorte docile à la docilité de l'apprenti, qu'il sache la comprendre, l'accueillir pour pouvoir la favoriser ou la guider. Mais dans tout cela, la dimension de ce à quoi il s'agit d'être réceptif demeure informulée ”. Daniel Payot, op cit. C'est là à nos yeux le drame des propos de Heidegger, qui ne nous mènent nulle part, puisqu'ils marquent souvent du renvoi qui métamorphose le sens des résultats ; car l'enseignement d'habitude doit donner des directives, doit venir en aide à l'ordre établi, ou se retourner contre celui-ci suivant les degrés de sa faisabilité ou de sa corruption. On peut laisser penser que le silence de Heidegger quant au vrai rôle de l'enseignement est de même nature que celui de Nietzsche ou bien d'autres philosophes si nombreux qu'ils soient et qui n'avaient pas écrit davantage à ce propos, puisque ce domaine est d'une part problématique, et d'autre part soumis à l'imprévu. Car aucun enseignant n'a le droit de créer l'apprenant à son image. Celui-ci doit au contraire s'instruire seul, sans intervention "d'une volonté" extérieure. Ce qu'il faut donc retenir de cet article de Daniel Payot est le manque cruel de la critique de la contradiction heideggerienne du sens de l'apprendre et de l'enseigner. En effet, l'auteur n'a pas mentionné du moins modestement les raisons pour lesquelles Heidegger disait d'une part que l'acte d'enseigner est plus difficile que celui de l'apprendre et d'autre part, l'inverse. Par contre on apprécie chez cet auteur sa conclusion portant sur le recul quant aux procédés hyperboliques heideggeriens ; une conclusion qui privilégie le génie créateur, par rapport à l'artisan qui use de l'être de-la-main. C'est ainsi que l'auteur de l'article : Enseigner et penser , revient sur le sens du génie tout en lui réservant une acception particulière. C'est ainsi qu'il souligne : “ Dans cette étrange indication il faut entendre du moins ceci : penser ne consiste pas à agencer le manifesté, mais à questionner vers ce qui, dans la visibilité de ce qui est présent, demeure essentiellement celé ”. C’est-à-dire qu'il existe – comme Ph. Meirieu le laisse entendre – du secret, du caché dans toute activité d'enseignement. Ce secret ne doit pas être totalement percé, il faut en lever un voile seulement pour ne pas déstabiliser le sujet.

Le mot “ arraisonner ” a été employé par Martin Heidegger pour marquer aussi bien l'attitude de la relation emphatique, que celle de la relation positive à l'égard des choses. L'important à retenir du point de vue de la transposition didactique, est que l'arraisonnement des choses-ci ne peut s'accomplir qu'à partir de la force des idées lesquelles trouvent leur fondement dans l'extension du pouvoir cognitif. C'est pour cette même raison que le maintien de l'École de la programmation et de la prescription est une chose qui doit s'imposer pour rendre le désert de l'ignorance un pays d'intelligence fertile. On voit mal comment on peut éduquer l'intelligence sans le pouvoir de l'École des idées.

xxxv.

On emploie cette expression pour qualifier le travail du didacticien qui, du point de vue épistémologique, s'intéresse au discours et aux fonctions expressives qu'il remplit et qu'il incarne, au lieu de s'intéresser aux fonctions phatiques qui, elles, sont celles de l'action. Ainsi “ arraisonner les savoirs ”, ne peut en aucun cas être une action mais au contraire une haute fonction de l'esprit et de la pensée réflexive qui s'astreignent à la taxonomisation de véritables hypothèses de recherche ou de travail, et non pas de simples opinions fortuites.

xxxvi.

Dubuffet (J.), op, cit.

xxxvii.

Ce constat à été certainement observé par Snyders (G.) puisque dans sa référence au travail de l'enseignant, il souligne cette remarque en laissant entendre que le vrai peut quelquefois ne pas être assimilable : “ Il n'empêche dit -il qu'un contenu juste, un cours tout à fait vrai peut être tout à fait ennuyeux, inassimilable ; il peut se dérouler dans une atmosphère de froideur, d'hostilité d'incompréhension. Le savoir enseigné est une condition nécessaire absolument nécessaire en dehors de quoi toutes les autres recherches manquent de sérieux : il n'est cependant pas une condition suffisante ”. (Cf : Snyders (G.),op, cit. p : 318).

xxxviii.

Il y a là une nuance à faire en ce qui concerne la différence entre le savoir enseigné et le savoir à être enseigné. Evidement Snyders est conscient du fait que l'extension du pouvoir cognitif n'est pas le seul suffisant pour rendre accessibles les connaissances scientifiques qui sont déjà mises en mouvement. Il y a – à ses yeux – un autre travail à savoir l'instauration d'une relation à caractère herméneutique qu'il faut chercher à réaliser à travers les manuels didactiques : lors de la mise en forme des savoirs à être enseignés. C'est dans cette même perspective que Snyders laisse entendre que le travail de la pédagogie est par essence problématique : “ Il existe un problème proprement pédagogique : passer de la vérité à la vérité pour les élèves, capable à tel moment, dans telle circonstance, de toucher les élèves – et cet élève-ci ; passer de la vérité à la vérité qui répondra à une aspiration à comprendre et à établir avec ses camarades et son maître un certain type de relation ”. Ibid. p : 318 & 319.

On peut dire que le travail de la transposition didactique est celui de la création de situations motivantes à travers l'instauration d'un type de relation fondée sur l'accueil total de l'élève, sur une altérité radicale ; mais cela reste évidement du domaine du possible loin de celui du réel, puisque en transposition didactique comme nous venons de le voir, les relations sont délimités par l'accomplissement des jeux de rôle aussi bien de la part du maître que de l'apprenant. Ainsi, l'important dans la méthodologie de la transposition didactique telle que nous la définissons, est de créer des situations motivantes à travers le jeu du langage, à travers l'instauration de discours à haute densité discursive, des discours séduisant. Car après tout, l'homme est un être raisonnable, parlant avec ses signes dont il en assume la tâche. Voilà la raison pour laquelle nous avons dès le départ (dès le titre de cette thèse) cherché à lier le problème de la transposition didactique (en tant que concept méthodologique) à l'effort aussi bien argumentatif que rhétorique. D'ailleurs le même Snyders (G.) était bienveillant et docile quant à la recherche d'une relation qui pourrait être celle de l'effort à la fois didactique et pédagogique. Cette relation n'est pas simplement celle de la continuité ou de la rupture, mais elle est aussi celle de la recherche de la synthèse (rupture-continuité). Car c'est bien le manque de cet effort synthétique dont souffre l'Éducation depuis quelques décades, un manque qu'il faut chercher d'abord à combler en réalisant la synthèse pour la cultiver ensuite. A nous lire sur ce point précis, on doit maintenant affirmer que le sens de la thèse Kantienne : “ L'éducation est par essence problématique ”, est largement compréhensible.

Cette citation qui fut celle de Nietzsche est énigmatique. On ne sait pas encore quel sens il faudrait lui attribuer dans le domaine de la didactique et de l'éducation. Même Nietzsche n'a pas vraiment cherché à en explorer le sens dans ses conférences portant sur l'avenir de nos établissements d'enseignement. On peut se demander pourquoi par exemple les philosophes dans leur majorité – et notamment Nietzsche – dès qu'ils touchent aux questions propres à l'enseignement et à la didactique, ils n'en disent pas autant eu égard à leur travaux avancés à travers leurs spéculations d'ordre philosophiques général. En effet, si l'on compare – par exemple – ce que Nietzsche a écrit dans le domaine de la philosophie morale et politique, on s'aperçoit que le taux de figuratif des contenus idéelles est plus élevé en comparaison avec celui de “ l'avenir de nos établissements d'enseignement ”. Par conséquent, Nietzsche n'a pas été conséquent et cohérent avec lui-même. Car, le cris : “ le désert croit malheur à celui qui protège le désert ”, avancé dans : Ainsi parlait Zarathousta , devrait être cultivé dans le domaine de l'éducation et non pas seulement dans celui de la philosophie politique. Quoiqu'il en soit, Heidegger a cherché à le reprendre pour en faire la devise d'un procès qu'il infligea à la Pensée Occidentale qui, – à l'en croire – n'avait pas encore appris à bien penser. A travers sa reprise de cette même citation qu'on retrouve – d'une manière répétitive – à plusieurs endroits des conférences de Heidegger des années (1951 1952), on est devant un fait : comme si l'heure était venue pour émouvoir et mobiliser. Cette reprise de la citation de Nietzsche par Heidegger avait comme but d'inciter la Pensée Occidentale à chercher à bien penser son existence et son être, et ce, en regardant et en observant d'une manière organisée ce qui est sous ses pieds. C'est-à-dire à réfléchir son propre existence qui s'impose en tant que déjà-là, en tant que tâche. Voilà pourquoi actuellement quelques uns des commentateurs Heidegger (parmi eux Sir François Guéry, notre maître), font allusion à l'ouverture sur la facticité des choses du "je" sujet-pensant. C'est ainsi que François Guéry fait allusion dans son ouvrage : Heidegger rediscuté à la notion du “ paysage ” : à cet espace naturel qui crée un monde, un pays tout en ouvrant une histoire qui est déjà oeuvrée dans l'ouvert. A l'en croire sur ce point précis, nous devons donc chercher à cultiver l'exception du paysage d'un pays. Cette histoire qui surgit du paysage, qui est proprement Occidental doit – souligne François Guéry – : Nous faire réfléchir ! ”. Voilà la raison pour laquelle cet auteur souligne : “ Ainsi, le paysage nous renvoie à nous-mêmes en tant que moderne et nous oblige, pour peu que nous cherchions à "penser" notre monde et notre être, à revenir sur nos modes d'appréciation des choses, devenus des habitudes et des réflexes : calcul et volonté, par exemple. Voilà en gros ce qu'on rencontre en se préoccupant d'esthétique paysagère : de quoi "nous faire réfléchir ”. Il y a là donc un appel à l'instauration d'un sentiment de jouissance esthétique : revenir sur nos modes d'appréciations devenus des habitudes, auquel l'auteur incite ouvertement ses contemporains comme si l'acte du bien penser en transposition didactique n'est rien d'autre que celui de l'effacement de la pensée devant ce qu'elle aperçoit. L'effacement peut s'expliquer à partir de la préservations des habitudes dont parle ici cet auteur. Ces habitudes sont uniques et exceptionnelles. A l'en croire sur ce point précis, on peut penser que l'activité artistique ne peut avoir de sens qu'à partir de l'amour de l'unique, de ce lieu de l'unité qui incarne quelque chose de préférable, qu'on ne verra qu'une seule fois. Or on ne sait pas si vraiment on peut fonder quelque chose de durable sur l'habitude, sur cet agir humain qui, lui, change d'une manière perpétuelle. Faire du concept de la transposition didactique une activité de conservation des comportements affectifs ou intellectuels n'a à nos yeux aucun sens puisque – comme Adorno le laisse entendre – l'art puise son mouvement dans le changement, dans l'ouverture à son autre et est le processus qui l'accompagne. L'art requiert sa spécificité en se séparant de l'habitude dont il est issu. L'habitude en tout cas n'est pas de l'art, car elle repose sur le seul principe qu'est l'imitation et non l'inspiration. L'habitude nous dit un certain poète est une étrangère : elle possède quelque chose d'étrange :

L'habitude est une étrangère, qui supplante en nous la raison,

C'est une ancienne ménagère qui s'installe dans la maison.

Il est certain que du point de vue philosophique, notre maître François Guéry nous incite en tant qu'Européens à nous installer dans une "sorte de maison", dans une sorte "de paysage" qui est le nôtre qu'on peut désormais chercher à contempler, et à conserver tout en subjuguant – comme disait Nietzsche – tout étranger qui tente d'y accéder. Dans une telle situation, il ne peut en fait y avoir aucune place pour le partage du savoir. Ainsi à partir de ce même constat, on peut d'une manière modeste et courageuse qualifier l'auteur du Heidegger rediscuté , de théoricien qui embrasse l'épistémologie traditionnelle. Cette attitude d'enfermement sur soi-même est une attitude propre à une étape (l'attitude monumentale) de la pensée philosophique nietzschéenne qui pense l'idée du bien en terme de liberté qui puise son sens dans une sorte de droit à la différence, qui, lui, finit par nier le droit de l'autre à l'existence. Car l'attitude nietzschéenne est claire à l'égard de l'étranger qu'il faut (si l'on en croit Nietzsche) chercher à subjuguer. C'est ainsi qu'il souligne : “ Vivre c'est essentiellement s'approprier, blesser subjuguer l'étranger et le faible, l'opprimer, être dur lui imposer nos formes propres, l'incorporer et au moins au minimum l'exploiter ”. (Cf : Nietzsche (F.), Par delà Bien et Mal , Ed. Gallimard, Coll. Idées. Paris 1971, p : 259). Cela est une manière de s'adresser à autrui pour lui dire : “ Ce n'est pas à vous de nous imposer un comportement ou une direction à suivre ! ”. Chose qui nous a déjà été dite dans les cycles d'études.

A lire Nietzsche sur ce point, on s'aperçoit que le concept de la transposition didactique ne peut en aucun cas être celui de la mise en mouvement des connaissances et des savoirs pas même celui de la nécessité de leur partage. C'est ainsi que Nietzsche souligne : “ Bien ne signifie plus bien dans la bouche du voisin. Et comment y aurait-il un bien commun ? Le mot renferme une contradiction : Ce qui peut être commun n'a jamais que peu de valeur. Finalement, il en sera comme il en a toujours été : Les grandes choses appartiendront aux grands hommes, les profondeurs aux hommes profonds, le raffinement et le frisson aux hommes raffinés et, en un mot, tout ce qui est rare aux hommes rares ” (Cf : Nietzsche (F.), Par delà bien et mal Edit. Gallimard Coll. Idées Paris 1971, p : 62). On peut se demander si Nietzsche en pensant cela ne pensait-il pas aux Turcs, puisque c'est bien la Turquie (avec ses exceptions culturelles et cultuelles) qui est le voisin de l'Allemagne ! D'ailleurs Hegel dira la même chose (dans son opposition aux traditions turques) lorsqu'il a laissé entendre que des guerres comme celles que l'Empire Outteman a mené, n'ont rien apportées de bien à la population et aux Etats qu'elles avaient vaincus et conquis.

Cet effacement dont il est question avec François Guéry, hérité de Nietzsche et de Heidegger, est compris en terme de sacralisation des êtres, des états et des processus apparents. Il peut aussi être compris en terme de conservation d'une manière relique de cet état de l'apparence devenu réalité exceptionnelle, qu'il faut chercher à tout prix à cultiver. Cet aspect de la pensée dite réflexive, n'est donc pas celui de l'attitude critique qui fut celle des spéculations philosophiques nietzschéenne venues tardivement. Mais il est au contraire celui de l'attitude monumentale et de l'attitude antiquaire, qui sont en réalité des attitudes qui cherchent à vénérer le passé et à en extraire des apparences esthétiques, des modèles de vie : de quoi simplement "nous faire réfléchir". Or il faut souligner que Nietzsche a dépassé ces attitudes à partir de ce qu'il a appelé l'attitude critique, à travers laquelle il incita au dépassement de sa propre histoire tout en craignant que les morts risqueront un jour d'enterrer les vivants.

En transposition didactique cette ouverture aux choses peut évidemment se traduire en terme de la vie des objets, qui, eux, sont factices et porteurs de sens. Mais cet effort didactique n'est pas le seul qui demeure objectif et sûr pour la mise en mouvement des connaissances et des savoirs. Il existe aussi un autre travail : celui des idées. Ce travail est celui que réalise l'enseignement en tant que réflexion permanente sur ce qui se présente comme étant du frisson de sens. Voilà pourquoi nous avons toujours cherché à afficher une opposition à l'égard des propos de notre maître François Guéry, tout en étant du moins en parfait accord avec lui sur la possibilité que possède l'être humain raisonnable pour apprendre à bien penser aussi bien son existence propre que de chercher à le dépasser, et ce bien que les modalités du dépassement ne soient pas mentionnées chez l'auteur du Heidegger rediscuté . On se demande d'ailleurs pourquoi, cet auteur ne se dépasse pas lui-même, sachant bien que l'usure du savoir nécessite le changement des concepts et des attitudes. Au sein de l'Europe d'aujourd'hui qui reflète la pensée divergente, on constate aisément que la recherche de la conservation et de la préservation des états d'exceptions sont quelque chose qui relève du passé tragique de la vieille Europe. Vouloir préserver la forme du paysage sous une manière relique est en soi une opposition au mouvement, au changement, comme si l'usure des connaissances et des savoirs sont quelque chose qui n'est pas susceptible d'être vécue sous une forme ou sous une autre. Ainsi – et comme Heidegger (de l'étape de l'attitude critique) l'a laissé entendre –, la pensée doit se penser contre elle-même ce qui ne lui arrive que rarement. De ce fait se dépasser soi-même en toute liberté au sein d'un pouvoir dit démocratique est l'une des formes de la modestie du savoir, chose que Heidegger a comprise à la fin de sa vie : dans la période de son autocritique, à travers sa répétition de ce cri nietzschéen : "le désert croît...", repris dans : qu'appelle-t-on penser ? (Cf : Martin Heidegger, op cit. p : 35, 46, 47, 49 et suiv.).

xxxix.

Pour nous, toutes les Ecritures dites "Saintes", sont animées – à des degrés différents – d'efforts de "falsification" de simplification en vue de pousser l'homme en tant qu'auditoire présumé à croire. L'usage de la transposition didactique en tant que technique, en tant que méthode pour la mise en mouvement des connaissances et des savoirs virtuels, fut une tâche dans ces mêmes Ecritures. Pour s'en expliquer, tenons par exemple à illustrer cela à partir de l'ouverture du texte Coranique sur la vie des objets ; une ouverture qui est – à l'instar de celle d'Aristote – une recherche du sens dans le frisson du sens. Cette démarche fut l'objet des philosophes, des savants et des sages. Mais aussi (et cela va encore légitimer notre propos ainsi que celui de Kant plus tard à savoir la possibilité de l'ouverture sur la vie des objets) elle est devenue dans le domaine de la didactique une méthode pour contribuer activement à l'instauration de ce qu'il est convenu d'appeler : la coercition cognitive.

Dans ces Ecritures, le sensible est à la fois considéré comme preuve et comme moyen très utile pour la transposition et le transfert des catégories de pensées qui sont très complexes et difficiles d'accès.

La métaphore qui va suivre (à travers notre traduction littérale de certains versets Coraniques du texte arabe), va renforcer l'idée de la transposition didactique via la vie des objets, une idée sous jasante des écrits Kantiens et qui repose sur la possibilité que possède la nature à nous donner des modèles de vie.

Dans une Sourate intitulée : LOUCKMÂN,le Coran rapporte sur la langue de Sir LOUCKMÂN , le sage , une manière, un comportement que son fils doit suivre. Le verset dit :

(...), Oui, la plus détestée des voix, c'est bien la voix des ânes ! ” (Cf : Le Coran, Traduction mot à mot dans l'édition française par MUHAMMAD HAMIDULLAH, avec la collaboration de M Léturmy. Edit : Amana Corporation 1989 p : 412). L'important à retenir de cette traduction – qui n'a pas le même poids quand elle est rapportée dans sa langue d'origine – est la place du sensible, la place des êtres apparents, qui servent de supports et d'images pour transposer des notions philosophiques, morales ou éthiques, telle que cette notion du respectet de la modestie. On peut même aller plus loin pour dire que : l'art est là où l'on ne se rend pas compte. Si Aristote use de l'hirondelle et de la chauve-souris pour transposer des notions philosophiques, alors il en va de même ici pour "l'Ecriture Sainte" qui évoque les cris détestables des ânes, comme illustration d'un mauvais comportement d'un fils à l'égard de ses parents, de ses proches et de ses pairs. Ces lieux spécifiques, nous montrent l'importance du sensible et de l'empiriqueainsi que les rôles qu'ils peuvent jouer dans l'instauration des Lois et des principes. Kant plus tard, et même Nietzsche après lui, ont retenu quelques leçons de ces enseignements analogiques et métaphoriques. Mais chacun a cherché à les cultiver à sa manière. Pour Kant par exemple, ces impressions sensibles, ne sont pas pour lui des modèles ou des exemples pour élucider, transposer et diffuser des contenus ; ils sont au contraires, des preuves qui montrent que tous ce qui est conforme au devoir et à la Loi est praticable. Car si l'on s'astreint uniquement à l'imitation du sensible, notre conduite ainsi que notre action n'auront aucun sens. Elles peuvent prendre une forme analogue au comportement de l'animal (l'âne) que nous venons de citer pour illustrer les analogies de l'expérience. Quant à Nietzsche, il a laissé entendre le contraire en disant : “ apprenons de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir ”.

En général, la réfutation de l'analogie passe par le procédé : comparaison n'est pas raison ! Ainsi, dans l'analogie les rapports ne sont pas de même nature ! Kant en effet, a insisté sur le respect de soi en procédant à une argumentation par d'autres exemples. Si l'âne est pris ici à titre d'exemple pour inciter l'homme àrésister à ses passions luxurieuses car cet animal – on le sait – ne résiste pas longtemps à ses instincts sexuels dès qu'il voit sa femelle ; alors pour que l'homme puisse éviter de tomber dans un comportement déviant, il n'a de solution que d'obéir à la loi morale. C'est-à-dire à ce propos que Kant a souligné dans La Critique de la raison pratique en disant : “ A supposer que quelqu'un prétende ne pouvoir résister à sa passion luxurieuse quand l'objet aimé et l'occasion se présentent à lui ; on demande si, un gibet se trouvant dressé devant la maison où cette occasion s'offre à lui, pour l'y prendre aussitôt sa passion satisfaite, il lui serait dans ce cas impossible d'opter son inclination. On n'aurait pas à chercher longtemps ce qu'il répondait. Mais demandez lui si dans le cas où son prince lui ordonnerait, en le menaçant d'une mort immédiate, de porter un faux témoignage contre un honnête homme qu'il voudrait perdre sous de spécieux prétexte, il tiendrait dans ce cas pour possible, quelque grand puisse être son amour pour la vie, de le vaincre malgré tout, il n'osera peu être assurer s'il le ferait ou non, mais il devra considérer sans hésitation que cela lui est possible. Il juge donc qu'il peut quelque chose par ce qu'il a conscience qu'il le doit, et reconnaît en lui la liberté qui sans la loi morale, lui serait restée inconnue ”. (Cf : Kant (E.), Critique de la raison pratique, op cit. Livre I, Chap. I, § 6, du Scolie.). Kant distingue ici deux situations : l'une, celle dans laquelle on a le choix d'agir librement sans nous laisser aller avec nos inclinations sensibles, aveugles et immédiates qui peuvent nous entraîner la mort ; une autre au contraire, qui nous pousse à vouloir mentir pour nous préserver la vie, car après tout, le mensonge qu'on fera contre un honnête homme n'est pas le seul qui déterminera sa condamnation. Il existe un autre pouvoir : celui de la justice. L'honnête homme pourra peut être faire appelle de son jugement et voilà pourquoi on le considère toujours, sous les effets de la présomption d'innocence, comme un être libre, c'est ainsi que sa vie est susceptible d'être préservée. Par contre si j'agis comme un animal sans écouter les injonctions de la morale en moi, nul ne peut me préserver la vie sauf ma conscience à vouloir obéir à la loi morale en moi. Cette attitude recommandée par Kant, sera longuement critiquée par Nietzsche, qui trouve dans la liberté un acte d'agir avec courage, non pas dans le sens Kantien d'une décision réfléchie de résister aux vices, mais dans le risque gratuit et dans le vivre dangereusement, avec ses vices.

Cette argumentation Kantienne par l'exemple et par l'illustration incarne une argumentation d'autorité. Elle instaure des images aussi bien concrètes qu'abstraites pour marquer et transposer des valeurs.

La légitimité de cette même argumentation fut celle d'Aristote. On ne peut en aucun cas dit Aristote cesser de penser sans les images. C'est ainsi qu'il souligne : “ Il est impossible de penser sans image, car il se passe dans le fait de penser, exactement le même phénomène que dans la construction de figures géométriques où, tout en ne faisant pas entrer en ligne de compte la détermination de la grandeur du triangle, nous ne les traçons pas moins d'une grandeur définie ; pour la pensée, il en est de même : bien que son objet n'ait rien de quantitatif, il est posé devant nos yeux comme une quantité, mais on le pense abstraction faite de toute quantité ”. (Cf : passage repris par JAAKO HINTIKKA, in ARISTOTE aujourd'hui, 2ème Edit érès, sous la direction de M. A. Sinaceur 1988, p: 102). Il ressort ainsi de ce passage, une possibilité de cultiver à travers la pensée, les images factices, qui s'imposent à nous, et à notre perception. Mais ce qu'il faut quand même ajouter à cette conception, c'est que Aristote ne se laisse pas aller avec l'acte de penser dans les signes, mais il va plus loin pour laisser entendre la possibilité du penser avec les signes de la pensée : avec le raisonnement de l'âme, et ce en disant que le raisonnement se produit au moyen “ d'images ou de pensée dans l'âme comme si celle-ci voyait ”. Il y a là donc une différence entre l'utilisation de figures dans l'argumentation géométrique et l'emploi inévitable d'images dans toute pensée. Car en cette dernière nous n'avons pas toujours besoin de recourir à la perception sensible. “ Dans la pensée, les images remplacent les perceptions sensibles ”. disait Aristote. Ibid.

Ainsi – et comme nous venons de le voir aussi bien avec les Ecritures dites : "Saintes" qu'avec Kant, le bon exemple à imiter est celui de chercher à penser avec les signes de la pensée tout en cherchant à illustrer les signes de la réalité fictive. Ce n'est rien d'autre qu'un travail de taxonomisation que la transposition didactique peut réaliser. La définition du bon exemple à imiter sera donnée par Kant. Cette définition sera reprise par Hegel plus tard. Elle consiste à dire que l'art n'est pas dans l'imitation du réel, mais dans l'inspiration : “ Le bon exemple, – disait Kant – est que la conduite exemplaire, ne doit pas servir de modèle, mais seulement de preuve pour montrer que ce qui est conforme au devoir est praticable ; ce n'est pas en comparant un homme avec un autre considéré tel qu'il est, mais avec l'idée de ce qu'il doit être de l'humanité, c’est-à-dire avec la loi, que le maître trouvera une règle d'éducation qui ne trompe jamais. ” (Cf : Vertu, § 52, p. 169. Citation reprise in, La Raison pratique, op cit. p : 230).

xl.

Coran, op cit. p : 597.

xli.

Adorno (T . W.), Théorie Esthétique op cit. p : 34 et Suiv.

xlii.

Ce mot est allemand. Bien que nous ne soyons pas germaniste, ou germanophone, on peut se permettre d'avancer une autre traduction de ce mot devenu concept, une autre traduction qui n'est pas celle d'Adorno, mais qui s'en approche. Si donc en bas de la page 34 de la Théorie Esthétique, le traducteur pense que ce mot est littéralement intraduisible tout en cherchant à lui donné un sens proche de celui de la "désesthétisation", alors nous pensons que cette même désesthétisation peut être proche aussi de déshumanisation : un sens qu'on pourrait aussi attribuer à de ce mot devenu concept.

L'important dans la perspective de la transposition didactique est de savoir justement à quel moment un travail de falsification, de simplification est-il proche aussi bien de la déshumanisation que de la désesthétisation ? La réponse à cette question ne serait possible qu'à partir d'un effort de taxonomisation aussi bien des images didactiques que de leurs contenus. Ce travail répétons-le encore, ne peut être possible qu'à partir de l'arraisonnement des savoirs d'abord, et des pratiques éducatives ensuite. Car après tout le praticien est toujours praticiens d'une théorie. Ce travail de classement, de description en vue de la prescription, est nécessaire, car le fait de décrire sans prescrire n'a aucun sens surtout dans le domaine de l'enseignement qui est – comme nous venons de le voir – celui de venir en aide à l'ordre établi tout en se retournant contre celui -ci. Ce n'est rien d'autre qu'une relation que Snyders (G) nomme : la synthèse de la relation rupture-continuité.

xliii.

Meirieu (Ph.), Apprendre ...oui, mais comment préface de Guy Avanzini, 3ème Edit, E .S.F. 1988 p : 27). A cet endroit, la définition que donne l'auteur du bon concept, est à nos yeux purement théorique. Bien que notre maître soit un homme de terrain, on s'aperçoit malgré tout qu'il n'échappe pas à la conceptualisation théorique. A cet endroit en effet, la répétition de l'expression : "un bon concept" est d'un taux de figuratif plus élevé. Elle est citée dans un paragraphe plus de quatre fois de suite. D'autre part, l'emploi de la métaphore de la lumière : "éclaire...clarté"; "éclaire ce qui existe déjà" etc., est un emploi qui peut effectivement nous renvoyer à la conception qu'exprime d'habitude le mot allemand : "AufKlärung", qui signifie la pensée lumineuse par référence à l'esprit des Lumières. Mais l'emploi par Ph. Meirieu de la métaphore du chemin : “ Observons cet adolescent qui dévale les pentes d'une montagne, qui maîtrise, qui prend appuie..., qui accélère..., qui freine etc. ”, (Ibid., p54 & 55), laisse la possibilité de le classer parmi les philosophes de l'ouverture, qui cherchent (à travers leur méthode pédagogique de l'ouverture) à extraire le sens du frisson du sens. De ce fait, cet auteur traduit pour nous la problématique de la transposition didactique entre "AufKärung et frisson" : entre la pensée lumineuse (le dire) et la pratique agitée (le faire).

xliv.

Foucault (M.), Les mots et les choses, Edit. Gallimard, 1966, p : 107. Dans ce chapitre III, intitulé : "la théorie du verbe", Foucault, place – d'une manière implicite – le problème de la transposition didactique en terme d'absence de mise en mouvement des actes de paroles. D'ailleurs c'est dans un autre travail qui s'intitule : "surveiller et punir", (un travail qu'il a mené tout en observant des institutions comme les prisons, les écoles, les internats, qu'il qualifia de lieux d'enfermement), qu'il s'insurgea contre la discipline de l'enfermement, de l'asphyxie de la conduite et de la culture. De ce fait, le concept de transposition didactique, peut avoir un sens si proche de la proposition de Foucault. Cette proposition repose sur la mise en pratique des cris, c'est-à-dire sur la concrétisation d'une École d'ouverture où l'on laisse la parole à la pratique des fonctions expressives des discours. C'est ainsi que Foucault souligne dans les mots et les choses : “ La proposition est au langage ce que la représentation est à la pensée : sa forme à la fois la plus générale et la plus élémentaire, puisque dès qu'on la décompose, on ne rencontre plus le discours, mais ses éléments comme autant de matériaux dispersés. Au-dessous de la proposition, on trouve bien des mots, mais ce n'est pas en eux que le langage s'accomplit. Il est vrai qu'à l'origine, l'homme n'a poussé que de simples cris, mais ceux-ci n'ont commencé à être du langage que du jour où ils ont enfermé – ne fût-ce qu'à l'intérieur de leur monosyllabe – un rapport qui était de l'ordre de la proposition ”. Qu’est-ce que cela signifie dans la perspective de notre recherche ? Evidemment, ces propos sont séduisant pour un pédagogue, car pour celui-ci, c'est sur la pratique, sur la mise en place des propositions, des idées en tant que projets pro-jetées – comme disait Kant – que repose le sens de la transposition didactique. Il est vrai que lorsque je dis : "tiens j'ai une idée"! Cela n'a de sens que lorsque celle-ci (l'idée) est mise en pratique. A partir de là, Foucault, se retrouve dans sa proposition, en parfait accord avec des philosophes comme Kant, mais aussi avec Hegel qui, lui, a laissé entendre que "la parole est d'abord aux faits". Comme il se retrouve aussi en parfait accord avec Nietzsche qui s'opposait à toute état d'enfermement et ce lorsqu'il a laissé entendre que la liberté déborde le cadre, qu'elle est inscrite dans la même manière que celle dont l'homme se comporte parfois comme un tyran : “ la manière dont laquelle je porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran", disait-il. L'homme libre doit être “ impitoyable envers lui-même et envers ce qui tend l'arc ”. Foucault est proche des conceptions philosophiques nietzschéenne plus que de celles de Kant ou de Hegel. Cela on peut l'extraire de sa référence d'une manière implicite à Nietzsche en laissant entendre qu'il faut désormais chercher à penser le sexe sans la Loi et le pouvoir sans le Roi. Cette opposition au pouvoir arbitraire des Monarques et des Princes qui décident du sort de l'organisation politique de la Cité, est une transposition didactique de la vertu, du sens de ce que Aristote pensait déjà en terme d'action droite. Cette action puise son fondement dans le contact, dans le toucher bref dans la mise en forme d'une éthique de la communication dont l'argumentation rationnelle entre les individus est le seul garent pour arriver à l'universalité, à l'administration de la preuve de la vérité. D'ailleurs – comme on le verra dans les prochains chapitres – les fables de la Fontaine s'opposaient d'une manière ironique à un pouvoir où le Roi use de ses capacités coercitives pour unifier le peuple sous l'idée d'une volonté générale imposée au peuple extrinsèquement. Nous pensons que le contact, la rencontre entre les hommes est le seul garent pour l'extension du pouvoir politique de la liberté. Si l'on se réfère à certains versets coraniques, on s'aperçoit que ce que Marc Fumaroli pense dans Le poète et le Roi en terme d'innocence poétique persécutée par les Rois de France, avait déjà été dénoncée par Le Coran pour laisser la place à ce que Aristote pensait déjà en terme du bonheur de vivre ensemble un certain bien. En effet, l'opposition coranique au régime monarchique éclate de ce verset qui souligne : “ Les Rois, en vérité, quand il entrent dans une cité, ils y mettent le désordre, et font de ses plus puissant habitants les plus humbles. C'est ainsi qu'ils agissent encore ! ” Notre traduction du verset : "Ina AlmoulouKa, ida daKalou Karyata, afsadouha, oi jaâlou aizzata ahliha addillah oi KadaliKa yafâloun ”. (Voir Sourate les fourmilles § 3, verset 32).

Pour transposer le sens du dynamisme du mouvement de la liberté, pensée en terme de pratique, Foucault va chercher à user du langage et c'est là que réside l'ambiguïté. Car on voit mal comment on peut faciliter l'accès à des propositions sans user du langage à caractère de haute ou de basse densité discursive. Cet usage, qui fût celui de Foucoult, ressort à partir de la ressemblance des rapports que reflète l'analogie qu'il a construite dès la première phrase de ce chapitre III, entre les termes du thème (la proposition / le langage) et ceux du phore (la représentation / la pensée). En effet, la ressemblance des rapports entre le thème et le phore, est fondée sur la mise en mouvement des différentes fonctions expressives, aussi bien des éléments du thème que de ceux du phore. Du point de vue politique on peut penser à la mise en forme de la liberté en tant qu'action. Car si celle-ci n'est pas mise – comme disait Kant dans l'ordre du phénoménal –, cela n'aura aucun sens puisque la liberté ne saurait puiser son fondement dans l'ordre du noumène. Elle est nous dit-on : une pratique. Du point de vue éducatif, l'extension du pouvoir cognitif ne peut avoir de sens qu'à travers l'accroissement des cris. Mais pour nous les cris ne sont que ceux des élèves dans une classe, ne sont que ceux des maîtres qui luttent contre l'extension du pouvoir de l'ignorance, qui, lui, peut – parfois sinon dans la plupart des cas – conduire aussi bien à la misère de la philosophie, qu'à la philosophie de la misère.

xlv.

La relation entre ce que nous appelons : métaphysique de l'ignorance et métaphysique de la misère, n'est pas si simple. En effet, l'épistémologue lorsqu'il cherche à faire progresser la science et les connaissances scientifiques, il se heurte à la question du commencement. Il ne sait pas toujours s'il faut commencer ses investigations par l'étude des obstacles, des seuils causés par l'ignorance à la connaissance, ou au contraire par ceux de la misère : par la compréhension des situations qui conduisent au manque du bien être des hommes, à l'absence de la prospérité des individus à pouvoir vivre le seul souci de la connaissance.

Cette difficulté était d'ailleurs celle d'un épistémologue célèbre : Karl Popper, qui dans tout le début de son ouvrage: Conjectures et Réfutations. La croissance de la connaissance scientifique, a évoqué le débat qu'il a mené avec certains de ses amis quant à cette question du commencement lorsqu'il s'agit de l'étude de ce que lui -même posa comme titre à à sa conférence qui traita du thème : les sources de la connaissance et de l'ignorance. Ainsi, lorsque l'un de ses amis, lui opposa une objection en laissant entendre que : “ L'ignorance est quelque chose de négatif  : elle est l'absence de connaissance. Et comment donc assigner des sources à une absence? ” L'épistémologue, K Popper, pressé de répondre à l'objection de son ami, a préféré – pour des raisons d'extension du pouvoir cognitif et non de celles de la propagation de l'ignorance comme l'incarne à ses yeux la technique de cette objection – de commencer à répondre par ce qu'il appelle : “ les origines de la connaissance et non par celle de l'ignorance ”. Il disait : “ Je reviendrai d'ailleurs toute à l'heure aux sources de l'ignorance ainsi qu'à la doctrine du complot contre la connaissance ”.

On n'a pas l'intention d'exposer dans cette note le contenu intégral de la conférence de K. Popper, mais on propose seulement un résumé de l'essentiel de ses investigations. Pour lui, il existe en effet un complot obscurantiste contre le progrès de la science et de la connaissance scientifique. Ce complot – à ses yeux – n'est pas simplement l'oeuvre d'une seule pratique, et d'ailleurs la formulation : "complot...", signifie bien qu'il existe une organisation à caractère multiple contre la croissance de la connaissance scientifique. Il faut bien dire que K. Popper n'exclut presque aucun courant de ce complot. C'est ainsi, et pour commencer que Karl Popper a dirigé sa critique à l'encontre de ce qu'il appelle : “ la doctrine du caractère manifeste de la vérité ” ; c'est-à-dire, contre toute la philosophie dogmatique à commencer par Platon qui incarnait – par son aspect autoritaire – une épistémologie pessimiste et tragique, en passant par Descartes, pour enfin arriver à Fancis Bacon qui, – à en croire Karl Popper – , l'un comme l'autre pensent : “ Qu'il n'y avait jamais lieu d'invoquer d'autorité en matière de vérité puisque les sources de la connaissance étaient en chacun de nous : soit dans la faculté perceptive qui permet l'observation minutieuse de la nature, soit dans cette intuition de l'esprit qui sert le vrai du faux, récusant toute idée dont l'entendement n'a pas une connaissance claire et distincte ”. Cet optimisme épistémologique si riche avec les possibilités qu'il a offert à l'homme en le rendant responsable, en l'encourageant à penser par lui-même, le libérant de la servitude et du dénuement, bref en le rendant maître et possesseur de la nature, a conduit – à en croire Popper – à des conséquences terribles, qui l'ont rendu en parfait accord avec l'épistémologie pessimiste et ce en contribuant activement à des formes du fanatisme qui ont préparé à des autorités qui prescrivent et qui fixent – des régularités de la même manières que les irrégularités. Or ces doctrines incarnant l'épistémologie optimiste (l'extension du pouvoir cognitif) de même que celles qui incarnent l'épistémologie pessimiste, qui, elle, voyait dans l'autorité divine un moyen pour garantir la continuité d'un type de connaissance et de savoir, sont aux bancs des accusés puisqu'elles n'admettent pas que les théories aussi bien les nôtres que celles d'autrui, sont susceptibles d'être renversées. Ces doctrines n'admettent pas que le respect de la vérité est celui de la recherche de la mise à jour de nos erreurs par une critique rationnelle et une autocritique de tous les instants. Elles pensent au contraire détenir la vérité qui, elle, doit désormais s'imposer comme un fait de la raison.

Le complot obscurantiste sous-jacent, s'explique par l'impossibilité pour ces théories d'admettre que la vérité, est non seulement dans la reconnaissance de l'erreur, mais aussi dans leur soumission à l'incapacité de la maîtrise de leur propre propos.

Pour mieux saisir les sources de l'ignorance, nous proposons de reproduire dans cette note un bref passage de K Popper qui résume bien les facteurs incarnant ces différentes sources. Cette illustration des sources de l'ignorance nous la devons à la critique de K. Popper du complot obscurantiste qui, lui, se traduit d'une part par le caractère manifeste de la vérité, et d'autre part, par l'autoritarisme dogmatique de ceux qui croient détenir la vérité, dont Descartes et Bacon – à titre d'illustration seulement –, font partie. Ainsi la critique – et comme le montre le passage qui va suivre – est dirigée à l'encontre du premier, qui pensait "la veracitas dei" (la vérité des idées claires et distinctes), et à l'encontre du second, qui pensait "la veracitas naturae" (la véracité de la nature).

Le passage dont il est question souligne : “ Cette dernière considération (celle de Descartes et de Bacon), montre que le caractère de la vérité manifeste se trouve dans la nécessité de rendre compte de l'erreur. La connaissance, c'est-à-dire la possession de la vérité, n'a pas besoin d'être expliquée. Mais comment se peut-il que nous tombions dans l'erreur dès lors que la vérité est manifeste ? La raison est à chercher dans notre refus coupable de voir cette vérité, pourtant manifeste , ou dans les préjugés que l'éducation et la tradition ont gravés dans notre esprit, ou encore dans d'autres influences pernicieuses qui ont perverti la pureté et l'innocence originelle de notre esprit. L'ignorance peut être l'ouvrage de puissances qui conspirent à nous maintenir en cet état, à contaminer notre esprit en y faisant pénétrer la fausseté ainsi qu'à nous aveugler pour nous empêcher de voir la vérité manifeste. Ce sont par conséquent ces préjugés et ces puissances hostiles qui constituent les sources de l'ignorance ”.

(Cf : Karl Popper, Conjectures et Réfutations. La croissance du savoir scientifique, Edit. Payot, Paris 1985, pp : 17 à 23 et suiv.).

Que faut-il comprendre dans la perspective de notre recherche à partir de ce passage ? La seule chose que nous devons chercher à mettre à jour est celle du sens de notre thèse quant au statut que nous tenons à attribuer au concept de la transposition didactique. Si l'on en croît K. Popper, alors la transposition didactique doit être si proche d'une technique qui décrit plus qu'elle ne prescrit, d'une approche qui reconnaît que rien n'est valable pour toujours, et que tout est susceptible d'être renversé. Nous n'enseignons que des faussetés. Nous n'apprenons que des erreurs. Il est temps de parler pour qualifier le vrai, ce langage des Alchimistes qui pensent que la vérité est dans l'erreur. Le temps est donc venu pour chercher à valider l'enseignement de celle-ci. Cette validation passe par le biais de l'extension du pouvoir cognitif du faussaire : par l'image et le jeu de rôle, qui ne font en réalité que de prolonger les séries de la vérité. Ainsi, l'Ecole, l'Université ne doivent donc en aucun cas prescrire des savoirs et des connaissances, comme étant absolus et valables pour tous les espaces et tous les temps. De ce fait on peut dire que le sens de notre concept (la transposition didactique) est proche de celui de Popper lorsqu'il est compris en relation avec l'ouverture. Mais il s'en éloigne lorsqu'il est compris au sens de la programmation à travers laquelle le didacticien se donne le temps de la recherche, tout en s'angoissant (à travers la méthodologie du tri et de la taxonomisation) pour arriver enfin à un objectif qui n'est rien d'autre que l'extension du pouvoir cognitif. Le vulgarisateur tente de la même manière (sans être sûre d'accéder à l'extension du pouvoir cognitif) de s'ouvrir à l'autre en lui livrant uniquement le résultat et non pas la méthode de la science. Il y a donc une distance dans le rapprochement entre ce que nous pensons avec Karl Popper sous le terme de l'extension du pouvoir physique de la connaissance, et sous l'idée de l'humanisation des savoirs et des contenus connaissables, une idée qui surgit de la psychologie de la recherche avancée par Th. Kuhn.

xlvi.

Guéry (F.), Lou Salomé, génie de la vie, Edit, Calmann Lévy. 1978. Cette citation doit être comprise dans la perspective du sens politique d'une l'École à ciel ouvert qui s'astreint à illustrer au lieu de prouver. Mais il faut aussi chercher à la rapprocher de la perspective heideggerienne de l'effacement.

xlvii.

Houssaye (J.), Le triangle pédagogique, Collection exploration ; "pédagogie : histoire et pensée" ; Peter Lang SA, Berne 1988, in Introduction p : 13). A cet endroit, dès l'introduction, Jean Houssaye, (qui fut aussi l'un de nos maîtres) annonce son pessimisme à l'instar de celui d'Adorno, qui n'attendait rien de ce monde de la modernité. Le pessimisme de J. Houssaye est un pessimisme actif : il ne fuit pas les réalités du pôle de l'information, mais il cherche à en explorer les contenus et les situations pathologiques. Si pour toute pathologie il existe un diagnostic et un remède alors J. Houssaye en effet, propose de travailler dans une perspective d'exploration, d'extension du pouvoir cognitif quant à la genèse de la maladie et du caractère pathologique du pôle de l'information. Il est curieux de voir converger deux approches du pessimismes. D'une part celle du philosophe (F. Guéry), qui pense que le désert croît ; et d'autre part celle du pédagogue (J. Houssaye) qui fait le bilan de l'accroissement de ce désert de l'ignorance qui nous rend de plus en plus malade. Pour comprendre le sens de ce pessimisme déclaré dès l'introduction de l'ouvrage intitulé : Le triangle pédagogique , nous avons tenu à reproduire ici les phrases de J. Houssaye, qui expriment ce pessimisme : “ Nous sommes malades – souligne J Houssaye – , malade de la maladie de l'Ecole. Tout autant parce que, étant enseignant, nous sommes atteint des maux de l'École que parce que en tant que pédagogue et attaché aux sciences de l'éducation, ça nous rend malade de voir l'École dans un tel état ”. Ibid.

xlviii.

Sur la question de la programmabilité des connaissances et des savoirs, le débat caché est d'ordre politique. Ainsi entre d'une part, Ph. Roqueplo et M. Verret (qui pensent que le savoir n'est pas toujours successible d'être partagé) et d'autre part, D. Jacobi et Ph Meirieu, (qui pensent au contraire que toute connaissance est successible d'être connue, partagée voire renversée et exposée d'une manière simple, vraie ou falsifiée), le politique, devenu une idée opiniâtre, se laisse donc jaillir, puisque ce qui est visé derrière tout cela, est bien l'accéité du grand public large à la formation, afin qu'il puisse réaliser le bien être individuel et collectif d'un État en tant qu'oeuvre d'art. C'est-à-dire d'un État prospère, instruit, pour assimiler les concepts moraux et politiques, tel que par exemple la notion du respect, de la finitude de l'individu à l'égard de soi-même et à l'égard d'autrui. Le débat est donc celui de la place que doit occuper une communauté de droit entre une conception de l'École de l'ouverture et une autre qui est au contraire celle de l'achèvement. A ce sujet, deux attitudes quant à l'acte du connaître et d'enseigner finissent tôt ou tard de s'opposer radicalement,. La première, qui est celle de l'achèvement est rapportée par Olivier Reboul qui souligne : “ L'enseignant prépare à la vie en créant des situations qui stimulent celles de la vie sans se confondre avec elles ”. (Cf : Olivier Reboul, Qu’est-ce qu'apprendre? Pour une philosophie de l'enseignement, Edit. P. U. F, 1980, p : 14). Quant à la seconde, elle est celle de l'ouverture, qu'incarne les vulgarisateurs et les pédagogues. Elle consiste à penser que l'École est d'abord et avant tout un processus social qu'il faut chercher à comprendre, qu'elle est par là-même en relation de connexion aussi bien nécessaire que réciproque avec l'ordre établi. Par conséquent le sens de l'ouverture, qui tente de comprendre les raisons pour lesquelles des contenus intéressants ne passent pas, est désormais quelque chose qui s'impose et qui va de soi. Ce point de vue qui est par essence politique tente de penser l'avenir des établissements d'enseignement en terme de maîtrise des problèmes de la société globale. Dans l'optique de cette visée, tout problème, toute difficulté sont à la fois la racine et le fruit du déclenchement de tout un processus et non pas d'un état de fait fortuit. A ce point de vue correspond par exemple la remarque de Vergnaud (G) qui souligne : “ La transposition didactique désigne le processus social par lequel les savoirs sociaux de référence sont, dans le système éducatif, transformés en savoir à enseigner (premier mouvement) puis en savoirs effectivement enseignés (second mouvement) ”. (Cf : Revue, Éducation permanente N° : 11 juin . 1992, p : 14. (Voir Article intitulé : Approches didactiques en formation d'adultes).

xlix.

Pour mieux comprendre le sens de la transposition didactique en tant que concept soumis au savoir enseigné (pratique didactique), et au savoir à être enseigné (en tant que réflexion sur ce qui se produit dans le domaine de la recherche pédagogique), on doit avoir présent à l'esprit deux processus tout à fait distincts :

1 : le processus de la distanciation, qui engage l'achèvement des concepts et des notions.

2 : le processus de la répétition qui engage la reconnaissance de l'imperfection et de l'inachèvement formel.

Pour saisir ces deux niveaux, tenons donc à produire deux schémas descriptifs des différentes relations de leurs paramètres. Ces schémas témoignent respectivement de la relation de connexion nécessaire entre le processus de la transposition didactique et celui de la transposition pédagogique.

Le premier nous proposons de l'intituler:

La transposition didactique entre le processus de la perfection et celui de l'inachèvement formel.

Quant au second nous l'intitulons:

Les pratiques didactiques entre l'état de la perfection et celui de l'inachèvement. C'est la différence entre les faits en tant qu'état et les faits en tant que processus, qui détermine la divergence entre la transposition didactique et la transmission pédagogique.

Nous voulons faire comprendre à travers ces relations les difficultés et les ambiguïtés relationnelles qui animent la transposition didactique et la transmission pédagogique. Autrement dit, ces relations ont pour finalité de mentionner les difficultés sémantiques et pratiques qui résident au niveau de la détermination du sens des savoirs, entre le faire et le dire : entre ce qu'on peut appeler le savoir-pur, marqué par la haute densité discursive des concepts, et le savoir-pour...., celui de la basse densité discursive qu'engendre le processus d'altération, issue de l'effort pédagogique.

A la transposition didactique est lié le processus de la transmission, qui est définie en terme d'invention, sous une forme fictive ou réelle des procédés d'enseignements qui, eux, témoignent de ce qu'il est convenu d'appeler : paradigme herméneutique qui s'astreint à la recherche du sens, suivant des réinventions permanentes, et des questionnements perpétuels. Quant à la transposition pédagogique est lié aussi le processus de la transmission, un processus défini comme étant une simple découverte dont témoigne ce que certains appellent : le paradigme nomothétique. Ce dernier a pour but la recherche de la preuve, la recherche d'une relation entre le déjà-là et le toujours-déjà, entre le savoir arbitraire et le savoir conventionnel. Cette relation finalise le procès de recherche aussi bien pour l'élève que pour la maître.

l.

Meirieu (Ph.), op, cit, p : 92 & 93.

li.

Le processus de la taxonomisation des savoirs en transposition didactique signifie en fait que les savoirs sont très divers. Dans le sillage de nos recherches et de nos tâtonnements, nous avons pu relever huit catégories qui sont celles de la recherche de leur mise en mouvement. Avant de mentionner ceux qui sont adéquats pour l'extension du pouvoir cognitif, nous tenons à les mentionner selon l'ordre de leur simplicité, jusqu'à celui de leur complexité.

1) les savoirs abstraits.

2) les savoirs systématiques.

3) les savoirs ésotériques.

4) les savoirs totaux.

5) les savoirs réversibles.

6) les savoirs personnels.

7) les savoirs aristocratiques.

8) les savoirs empiriques.

Cette classification des savoirs consiste en réalité à mentionner ceux qui sont d'une part, l'objet de ce que nous venons d'appeler : la transmission didactique, et d'autre part ceux qui sont l'objet de la transposition didactique et pédagogique. Ce langage classificatoire doit être – à nos yeux – celui du langage descriptif de toute transposition didactique réussie.

1 : Les savoirs que nous avons qualifié d'abstraits sont ceux qui se rattachent aux différents types de raisonnements en séquence d'apprentissage. Ils sont abstraits car ils répondent à cette chronothèse du sens dont on ne connaît pas les motifs et les degrés d'implications qui, eux, peuvent traduire l'ordre de l'imprévu et de l'inédit. Ces savoirs abstraits servent à concevoir des notions et des concepts indépendamment du lieu duquel on les a tiré. Dans cette perspective, ils peuvent être considérés comme des signifiés ayant une relation avec le référent plus qu'avec le signifiant. Ces types de savoirs contribuent à la liberté spéculative de l'apprenant, puisque celui-ci, cherche à lier ses idées entre elles, via le principe de la disposition, et ce après avoir inventé une idée quant à un sujet donné, auquel il apporte prématurément un jugement hypothétique. Cette abstraction, est d'essence psychologique et non pas logique. Il y a là une raison de plus pour pousser le pédagogue à chercher à s'ouvrir sur ce qui se passe dans la tête des sujets pensant. Car tout pédagogue conçoit aussi bien les sujets que la pensée, comme étant des choses pensantes. L'apprenant dans cet état de fait (lors du jugement hypothétique), dispose d'un imaginaire profond que nous traduisons simplement par l'extension du pouvoir cognitif. Dans la démarche psychologique (qui est celle de l'ouverture sur le toujours-déjà), les savoirs abstraits sont soumis à un mouvement dans lequel on part du concrets pour arriver à l'abstrait, du complexe pour arriver au simple. Aux yeux de cette démarche psychologique, les principes sont distincts des concepts et que ces derniers (les concepts) sont au-delà des principes. Par conséquent, l'abstraction sert à former et à reformuler de nouveaux concepts. Les savoirs abstraits peuvent aisément servir à la critique puisqu'ils font acception de tout les individus. Ils semblent fournir des critères à celui qui veut se retourner contre l'ordre établi. Par delà, la fonction linguistique de dénotation ou de connotation qu'ils peuvent remplir en s'interrogeant sur des activités, les savoirs abstraits peuvent aller même à rénover que conserver.

2 : Les savoirs systématiques sont ceux qui dépendent d'une totalité qui donne sens à toutes les parties. En réalité, ce sont des savoirs qui font l'éloge de la conception de la Gestaltthéorie, nommée d'habitude : théorie de la forme, qui pense que lors de la perception, le sujet aperçoit le tout avant ses parties. De cette conception, on peut déduire que les parties n'ont donc de sens qu'en relation avec le Tout. Cela veut dire au fond, que l'importance et l'émancipation doivent se diriger vers la libération du Tout, et non pas uniquement vers celle de la partie. De même en didactique, l'ouverture sur l'apprenant doit être celle de l'ouverture sur le système duquel il est issue. Pour comprendre un savoir systématique, il est nécessaire de saisir l'unité systématique qui gouverne le Tout. Cette tâche est aussi celle de la transposition didactique qui s'intéresse à l'écologie des savoirs, mais pour réaliser ce but de l'ouverture sur la chose la plus décisive, qui gouverne toutes les parties d'un tout, la temporalité didactique doit emprunter l'enseignement de Rousseau : le temps en éducation il vaut mieux en perdre que d'en gagner. Le savoir systématique est animé par une difficulté qui le rend de plus en plus inaccessible, car il est par essence marqué par des hiérarchies : il peut renfermé des savoirs dits utiles, d'autres nécessaires, certains d'autres peuvent être faux, et d'autres peuvent au contraire être vrais. D'une manière générale, on peut qualifier les savoirs systématiques comme étant ceux qu'on pourrait découvrir à travers une étude qui consistera à découvrir les différentes combinaisons qui régissent le système. Tout système en effet, est par essence une combinatoire. Par conséquent, l'approche systémique nous permet, de la même manière qu'elle a permis aux acteurs du système, d'y insérer ou d'en éliminer des faits nouveaux.

3 : Les savoirs ésotériques sont des savoirs réservés. Ils sont ceux des spécialistes. Etants difficiles d'accès, ils échappent par là -même à la publicité. Ces savoirs préconisent la théorie contre la pratique. Ils pensent que pour innover, il faut d'abord chercher à trop comprendre, à trop construire, à bien penser, car – comme disait Bachelard (G) – rien n'est donné tout est construit. Ces savoirs, ne se laissent pas impressionner par l'ordre qui peut (par hasard ou par nécessité) résider dans le désordre naturel ; mais au contraire, ils expérimentent la théorie dans des espaces possibles. Le savant, est qualifié d'ésotérique lorsqu'il cherche à expérimenter des espaces possibles tout en appliquant sa théorie au réel malgré lui. Du point de vue didactique, dire qu'il faut chercher à expérimenter des théories dans la pratique, signifie au fond, que le praticien n'est jamais praticien d'un rien ; au contraire, "nous sommes – souligne J. Houssaye – praticien d'une théorie". (Cf : Hossaye (J.), Le triangle pédagogique, op cit, p : 17 à 19).

L'une des spécificités de ces savoirs, est de se présenter sous forme d'irruption structurale, c'est-à-dire, ils peuvent témoigner des idées les plus hautes de ceux qui les ont mis en forme à savoir les savant, et les spécialistes. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui poussera P Fraïsse – comme on le verra dans les prochains chapitres – à penser que dans le domaine scientifique, parfois – sinon dans la plupart des cas – les hypothèses sont éprouvées. Ces savoirs en tout cas, ne reflètent pas d'irruption thématique. A ce propos, Geneviève Jacquinot souligne : “ La structuration du monde présentée ne se réfère plus aux mêmes données sensibles et concrètes que dans le cas du monde mondain (...), elle se réfère à des données abstraites, construites par une analyse antérieure ”. (Cf : Jacquinot (J), Image et pédagogie, Edit. P. U. F, 1977, pp : 64 & 65).

Cela laisse entendre que le savoir des spécialistes est marqué par une absence de données immédiates, d'un mode de référence. Cette même rupture réalise ce que par exemple Max Egly, rapporté par Jacquinot (G.) appelle : "la rupture diégétique", c'est-à-dire, la rupture à l'égard du monde de l'apparence qui n'est pas celui de l'apparaître. Cette distinction trouve son sens philosophique dans la distinction entre l'Etre apparent et l'Etre réalité.

En didactique ces savoirs complexes, difficiles d'accès, intéressent tous les spécialistes de la transmission, car lorsque dans le désert de l'ignorance d'un grand public, on se heurte à l'incompréhension, la traduction des grandes oeuvres s'impose pour éclairer le public, afin de l'instruire, de l'informer et de le former. Voilà pourquoi d'habitude le processus de la transposition didactique est défini en terme de passage de l'ésotérique à l'exotérique : un passage qui reflète un problème politique plus qu'un problème de connaissance.

4 : Les savoirs totaux, quant à eux, ils sont à l'opposé des précédants (les systématiques), puisque d'une part, ils s'opposent à l'analyse, raison pour laquelle on peut les qualifier de savoirs dogmatiques. Et d'autres part, ces mêmes savoirs sont animés par des contradictions et des incompatibilités de telle sorte qu'on est contraint de les appréhender tels qu'ils se présentent. Mais si l'on s'astreint à chercher la provenance de leur pouvoir, on s'aperçoit aisément qu'ils le doivent à leur utilité dogmatique. La difficulté pour la transposition didactique lorsqu'elle se heurte à ce genre de savoir est celle d'affranchir la limite cognitive imposée et prescrite par ces mêmes savoirs. Il est vrai que lorsque un dire, ou un cours, ou une pratique scientifique digne d'intérêt ne passe pas, l'inquiétude, l'angoisse du savant didacticien le pousse à emprunter le chemin de la falsification ou de la vulgarisation pour tenter – ne se risque que d'une manière ironique – de dépasser toutes les limites assignées, qui traduisent la difficulté de la compréhension de ce que Gaston Bachelard appelle : l'obstacle de l'expérience première. Cet obstacle est difficile de le renverser et de le comprendre, car parfois il porte en lui des imprévus et des inédits, bref des impressions sensibles qui peuvent (comme le pense Pierre Erny dans sa méthode Ethnologique issue de son observation du vécu ordinaire de la vie Africaine), “ Faire rougir des savants et des adultes Occidentaux ”.

5 : Quant aux savoirs réversibles, ils sont ceux qui animent une intelligence tout à fait particulières. En effet, si la réversibilité signifie le retour éternel du mémoriel, alors ces mêmes savoirs, on peut les définir en terme de tâche, en terme de nostalgie : une algie qui fait mal, et qui est susceptible de revenir éternellement. Dire qu'il existe une nostalgie lorsqu'on parle des savoirs réversibles, cela signifie au fond qu'il pourrait exister un ordre englobant toutes les natures, qu'on pourrait qualifier de la nostalgie du naturel. L'important pour nous en sciences humaines et en particulier en sciences de l'éducation en est la nostalgie du naturel de l'homme. On peut désormais dire que celui-ci est d'abord un être du souvenir, et ensuite un être de l'oubli. L'homme se heurte à ce rapport contradictoire, qui incarne une relation à caractère de structure chiasmatique entre le souvenir et l'oubli. L'homme peut parfois en effet, ne plus oublier, qu'il peut se souvenir de son passé qui, lui, ne passe pas ; mais il peut aussi, oublier son souvenir, son passé, et de ce fait on peut dire qu'il est un être qui dépasse son passé. En tout état de cause, les savoirs dits réversibles, sont ceux de "l'intelligence du coeur", dont Pascal a laissé entendre que “ Le coeur à ses raisons que la raison n'en a point ”. Cette intelligence peut se traduire au niveau psychologique par le sentiment, la sensation ou même la perception.

Dans le domaine de la didactique, on peut laisser penser que le fait de comprendre par réversibilité, s'oppose au fait d'apprendre par essai et erreur. Si la réversibilité est le pouvoir de remonter de l'àprès vers l'avant, de l'effet à la cause, (comme en mathématiques là où l'on se sert des conséquences et des conclusions pour remonter au principes et aux prémisses), alors ce genre d'apprentissage est très fréquent dans le domaine de la formation d'adultes : un domaine où l'apprenant adulte n'est pas toujours prêt à faire le deuil de sa culture originaire. Cela nous permet enfin de penser que la méthode de la réversibilité est plus synthétique qu'analytique.

6 : Les savoirs personnels quant à eux, sont ceux qui sont en lien intime avec leurs personnes. C'est ainsi que Chaïm Perelman, les a pensé en terme de lien entre la personne et ses actes. Ce lien est consubstantiel. Dire en fait que les savoirs personnels sont liés à la personne consubstantiellement, signifie que les personnes sont en elles-mêmes insubstituables à autre chose que ce qui les délimitent. Par conséquent, chaque personne possède un oeil bien déterminé à travers lequel elle met en forme le réel. L'homme en effet, dispose – disons-nous – d'une chronothèse du sens qui lui est propre. Ainsi, en transposition didactique, ce qui doit nécessairement s'inscrire dans toute pratique didactique est, d'une part, la reconnaissance des différentiations des goûts ; et d'autres part, la prise en compte des différentes capacités cognitives lors de tout apprentissage. Mais les savoirs personnels sont en réalité une copie conforme au travail aussi bien de la main que de la pensée de ceux qui en use, car après tout la personne apprend comme elle sait apprendre. Elles sont rares – nous dit-on – les situations, les institutions, où l'on apprend à savoir apprendre, où l'on apprend ce que l'être de-la-main est capable de mettre en forme : des expériences pour-voir.

C'est pour cette raison (la diversité des techniques et des approches) que la relation en pédagogie et en didactique, n'est pas singulière. Elle est un pluriel-singulier, car (nous dit-on) les sciences de l'éducation doivent se conformer à la réalité intrinsèque : la diversité des sujets et des disciplines, qui les constitue. Pour résumer, on doit donc dire que c'est la diversité entre les personnes (qui possèdent des manières d'être analogues à leurs manières d'exister), qui rend les savoirs personnels proprement subjectifs et objectivés. D'ailleurs, Lévinas aussi bien dans son ouvrage : Le Temps et l'Autre que dans : Difficile Liberté, a incité tout (en paraphrasant Heidegger) à la poursuite de l'existence de ce genre de savoir et ce en laissant entendre qu'on pourrait tout échanger avec l'autre sauf la manière d'exister. De ce fait, on peut donc laisser penser que le savoir personnalisé en soi, est en relation de connexion nécessaire avec la personnalité. Il est un savoir qui émane de la variable (P) (personnalité) de l'individu, qui est par essence différente d'un individu à l'autre et d'un milieu à l'autre. Cette personnalité, elle aussi médiatise la relation éducative, d'autant plus qu'elle fait partie intégrante de l'ordre de l'éthique.

La compréhension et l'accès à ce genre de savoir devraient aussi être l'objet de la transposition didactique ; mais la difficulté qui réside lorsqu'on tente de s'ouvrir à ce genre de savoir, est que la personne n'est pas toujours une variable dépendante accessible à l'expérimentation. C'est pour cette même raison que M. Tardy dira que lors d'une telle ouverture, on ne fait ni de l'expérience pour-voir, ni de l'expérience proprement dite, mais simplement de l'expérience en trompe-l'oeil, car la personne n'est jamais donnée d'avance et que même la variable (P) est en elle-même incommensurable, voire insaisissable dans la plupart des cas. C'est pour cette raison que les doctrines didactiques et pédagogiques échouent mutuellement lorsqu'elles s'astreignent à s'ouvrir sur le déjà-là des apprenants. Car d'une part, l'enseignant ne peut rien y changer, et d'autre part, le temps des études, qui est un temps donnée d'avance dont il faut chercher à en gagner des occasions plus que d'en perdre, ne permet pas la réalisation d'un tel rêve. Puisqu'on demande trop à l'Ecole, cela est alors l'une des raisons qui ont laissé J. Houssaye penser qu'elle est malade, qu'elle fait étendre sa pathologie à d'autres domaines de la vie éducative, pédagogique et didactique.

7 : Les savoirs aristocratiques, sont des savoirs nominaux. Ils imposent des normes universelles. Ils sont inhérents à des pratiques politiques ou à des théories idéologiques. On les qualifient de savoirs incarnant des définissons normatives car ils s'astreignent à imposer, à prescrire l'usage d'une proposition ou d'un mot. Le paradigme nomothétique leur est favorable. Ces savoirs proposent d'admettre des propositions communes qu'on doit admettre du moment que l'on n'a pas encore prouvé le contraire de ce qu'elles mettent en valeur. La preuve incombe à celui qui en refuse la confiance. Par exemple, le cri apostrophé de Rousseau : "Oh Hommes soyez humain", peut être considéré comme étant un savoir aristocratique, puisqu'il nous propose une élévation d'esprit en vue d'un dépassement des divergences culturelles ou cultuelles qui peuvent poser obstacle à la rencontre et au rendez-vous. Ainsi, bien que les présomptions puisent varier d'un auditoire à l'autre, d'une idéologie à l'autre, en peut malgré tout – et à en croire Perelman (Ch.) – en mentionner trois types :

1 : les présomptions dites conservatrices : par exemple pour elles la coutume n'a pas à être justifiée, c'est au contraire le changement qui doit l'être.

2 : les présomptions dites libérales : pour elles, la liberté n'a pas à être justifiée, mais c'est bien la contrainte qui doit l'être.

3 : les présomptions socialistes : pour elles, l'égalité n'a pas à être justifiée, c'est l'inégalité qui doit l'être.

Comme on peut le remarquer, par delà son argumentation fondée sur la structure du réel, le savoir aristocratique s'astreint à imposer des sens dans le réel, mais aussi des valeurs qu'il juge préférable. De ce fait, on peut dire que l'argumentation du savoir aristocratique est d'ordre pragmatique. Elle repose sur l'appréciation d'un acte ou d'un événement ayant des conséquences favorables ou défavorables. Le savoir aristocratique aspire une confiance présumée, les normes universelles qu'il impoce sont d'ordre coutumières, libérales, ou égalitaires.

Dans le domaine de la didactique, ces savoirs intéressent aussi les sciences de l'éducation, car ils tracent une perspective humaine lors de l'évaluation de toute situation éducative. On peut même aller plus loin pour dire qu'ils intéressent la philosophie de l'éducation du fait que l'humanisation de la connaissance et des savoirs est en elle-même un concept problématique et énigmatique. Après tout on peut se demander à travers le cri de Rousseau qui vient de précéder, ce que le mot : "Hommes" pourrait signifier, tout en cherchant aussi le sens ou les sens de l'expression : "soyez humain" ? C'est la philosophie de l'éducation qui s'intéresse à ce genre de questionnement. De ce fait, ces savoirs sont séduisant pour le philosophe, qui est par nature aristocratique d'esprit.

La difficulté qui anime ces savoirs, est que d'une part ils ne sont pas à la portée d'un grand public, et d'autre part, ils sont animés par un effort de relation dialectique entre le domaine du possible et celui du réel.

8 : les savoirs empiriques. Ils sont si difficiles. Cela est une raison pour laquelle on les a classé en dernier. Comme on peut le remarquer, on vient de respecter à certains égards seulement la même classification qu'Auguste Comte avait avancé pour la sociologie, qui est à l'en croire, si complexe du moment qu'elle a occupée la dernière place dans sa classification. Cette complexité de la sociologie en tant que discipline qui se veut autonome est due à la diversité de la dynamique sociale qui anime les peuples et les individus. Pour comprendre cette dynamique, Auguste Comte avait proposé une ouverture sur toutes les disciplines. De ce fait, – et à en croire cet auteur – c'est donc en sociologie – en tant que discipline si complexe – que se réalise le savoir absolue. Avant de procéder de la même manière pour ce que nous appelons : les savoirs empiriques, rappelons brièvement cette classification des sciences, avancée par Auguste Comte. Pour ce dernier, l'histoire de l'humanité a traversée des étapes incarnant les activités scientifiques savantes :

1 : Les sciences mathématiques.

2 : Les sciences astronomiques.

3 : Les sciences physiques.

4 : Les sciences chimiques.

5 : Les sciences biologiques.

6 : Les sciences sociologiques.

A travers cette classification on remarque deux choses :

La première est que la psychologie en tant que science qui se voulait autonome, n'est pas mentionnée dans cette classification. Cela signifie que cette science n'a pas d'objet d'étude. Elle se constitue son propre objet tout en empruntant ses études et ses approches à la Sociologie et à la Biologie.

La deuxième, est que la Sociologie est le lieu de l'achèvement de toutes les sciences. Cet achèvement doit être compris en terme d'ouverture sur toutes les autres sciences, du moment que la sociologie – comme Comte l'a laissé entendre – est la science de l'humanité. Par conséquent, les savoirs empiriques que nous venons de classer à la fin de la liste des savoirs, ne sont pas si simple qu'on pourrait l'imaginer puisque, du connu peut se dégager l'inconnu, et que l'art – comme nous l'avons déjà avancé – est là où l'on ne se rend pas compte. Le souci de la classification n'était pas simplement celui de Comte, ni même le nôtre, J. Piaget lui a aussi consacré presque toute sa vie. En effet, la classification piagetienne est d'un intérêt considérable, car elle diffère de celle de Comte puisqu'elle n'est pas définitive et que Piaget lui a voulu la perspective de l'ouverture. Pour lui, en effet, on peut passer des sciences logico-mathématiques au sciences psychosociologiques et inversement. Par conséquent sa classification des sciences n'était pas chargée de perspective idéologique, mais de perspective humaine et logique. La classification des sciences qu'il fourni se présente comme suivant :

1 : les sciences logico-mathématiques.

2 : les sciences physiques.

3 : les sciences biologiques.

4 : les sciences psychosociologiques.

On peut laisser entendre que Piaget a donné un sens, une définition nouvelle aux sciences humaines puisque celles-ci ne sont plus considérées à ses yeux, comme des sciences qui influencent des réalités. Elles peuvent en revanche être influencées. Enfin ce que nous devons retenir de l'enseignement piagetien, est que d'une part, il a donné un sens nouveau à la classification et à la taxonomisation des savoirs des sciences, car pour lui les classifications précédantes, n'ont pas reflété la réalité de la vérité scientifique, qui est par essence marquée par la complémentarité. D'autant plus, les classifications précédantes ont été aux yeux de Piaget, soit statiques, soit linéaires. Autrement dit, la science qui a précédée dans le temps doit nécessairement (comme si c'était une nécessité historique) influencer les sciences antérieures, non seulement du point de vue méthodologique, mais aussi du point de vue de l'objet d'étude. En réalité, aux yeux de Piaget, cette conception de la classification linéaire ou statique, n'est pas adéquate avec la réalité scientifique. Car l'état des activités des savoirs scientifiques témoigne du contraire, puisque les sciences dans leurs diversités sont condamnées (comme elles l'ont toujours été), à vivre en pleine ouverture, en pleine interaction qu'elles sont interchangeables. Ainsi si l'on applique aux sciences cette classification piagetienne, la classification devienne autre qu'elle aura des perspectives diverses au lieu d'avoir simplement une perspective statique ou linéaire.

Le second enseignement, qui reflète un autre problème et qu'on peut retenir de cette calcification de Piaget, est que la relation que les sciences humaines ont avec les autres sciences et les autres connaissances, se diversifie selon le domaine dont on part. Ainsi Piaget pense qu'il existe quatre domaines desquels on peut partir :

1 : le domaine matériel, objectif, et empirique, qui signifie au fond la matière, ou l'objet d'étude de la science : un objet qui s'impose à elle.

2 : le domaine conceptuel, qui signifie l'ensemble des différents concepts de la discipline spécialisée dans un domaine de recherche particulière.

3 : le domaine de l'épistémologie spéciale qui signifie l'étude de l'ensemble des théories dont témoigne chaque domaine de recherche.

4 : le domaine de l'épistémologie générale, dont les résultats ne s'appliquent pas simplement à une science particulière ayant un domaine de recherche particulier, mais qui s'intéresse à l'ensemble des connaissances et des sciences humaines ou naturelles.

C'est à travers cette perspective classificatoire que J. Piaget trace la question de la relation entre les sciences, en terme de problématique, puisque par exemple pour lui, l'histoire ne peut en aucun cas être une science humaine. De ce fait, Piaget arrive à éliminer certaines sciences du champs des sciences humaines tout en admettant d'autre. Pour lui, les sciences humaines qui sont digne de ce nom sont celles qui cherchent à déterminer les lois qui gouvernent les phénomènes humains. De ce fait, l'histoire à ses yeux, n'est pas une science humaine car il est impossible d'y découvrir avec exactitude les lois qui gouvernent et qui déterminent la destinée de l'histoire. Mais c'est bien l'étude de l'histoire avec ses rapports socio-économique qui seule peut donner à l'histoire une perspective ou une dimension humaine. C'est ainsi que Piaget écarte les sciences juridiques puisque celles-ci sont aussi à ses yeux loin des lois naturelles, autrement dit : elles ne sont pas déterminées par elles. Car les lois sont posées pour organiser la sociétés, et c'est pour cette même raison que les lois sont différentes d'une société à une autre, en plus ce qui les détermine en général c'est bien l'ordre de l'éthique, l'ordre des représentations et non pas celui des lois de la nature. A côté du rejet piagetien de la scientificité de l'histoire et du droit, on peut dire que la logique de l'interaction entre les sciences auxquelles il a fait l'éloge, reste un facteur prédominant dans sa classification des sciences, ce facteur a fait de lui le co-fondateur de l'épistémologie constructiviste : une épistémologie qui s'intéresse à la genèse et la construction des savoirs, et à la relation qui anime les tensions essentielles des traditions et des innovations scientifiques.

Ayant fait un parcours historique de l'histoire des efforts classificatoires des savoirs, et des sciences, reste maintenant à chercher la raison pour laquelle nous tenons absolument à qualifier et à classer à notre tour de la même manière qu'Auguste Compte et J Piaget – les savoirs empiriques parmi les savoirs les plus complexes.

Puisque les savoirs empiriques sont des déjà-là, alors ils devraient être qualifiés de simple savoirs, car la raison "ne fournie" aucun effort pour les construire et les mettre en forme du moment qu'ils sont donnés. Or ce n'est pas si simple que nous l'imaginons, puisque dans les faits, le principe de la combinatoire montre bien que tout ce qui est connu demeure a priori inconnu. En effet, dans le domaine de l'éducation par exemple, un comportement affectif ou intellectuel en tant qu'action sont des acquis que les individus acquièrent sans pour autant savoir comment et quand ils les ont acquis. Dans le domaine de l'homme il y a un prolongement des acquis antérieurs, avec des acceptions nouvelles dont on arrive difficilement à déceler ce qui est de l'ordre de l'historique ou de l'historial. Pour être concret on peut prendre l'exemple de la transposition didactique à travers lequel on ne comprend pas si l'ouverture aux choses, la programmation des connaissances et des savoirs, (chères au concept), sont en fait des conceptions nouvelles ou des opinions philosophiques vieilles comme le monde des choses.

Le savoir empirique est animé par ce qu'il est convenu d'appeler avec Heidegger : l'extension du pouvoir physique, mais aussi d'une combinaison, à travers laquelle se mêlent l'historique et l'historial, c’est-à-dire le passé d'une conduite ainsi que sa destinée et son avenir. Si parfois des communautés, s'opposent à la rematérialisation, à la désacralisation, à la reformulation et à la réification de leur chef-d'oeuvre, c'est parce qu'elles ont un goût, un degré d'implication lors de la perception de leurs lieux aussi bien communs ou uniques. Voilà la raison pour laquelle R. Barthes a laissé entendre que : “ Bien que toute création est nécessairement une combinatoire, la société en vertu du vieux mythe romantique ne supporte pas qu'on le lui dise ! ”. Cela signifie au fond que d'une part, le principe de la combinatoire dans toute oeuvre d'art est un principe immanent ; et d'autre part, la communauté éthico-polique use de ce principe pour chercher ce qui distingue les comportements affectifs et intellectuels. Ces comportements sont (aussi bien par hasard que par nécessité) déposés dans l'oeuvre. La recherche du lieu de l'unité au sein même du lieu commun, est un principe qui émerge de l'empirique. Cela laisse le droit aux empiristes de penser que les savoirs philosophiques complexes peuvent être déduits, d'une rencontre avec les choses, qui, elles, au lieu d'être objectives sont d'emblée considérées comme objectivées.

Pour finir cette longue note, le problème qui reste posé maintenant est celui de la taxonomisation de la taxonomisation : la classification des savoirs qui sont ceux que privilégie la transposition didactique en tant que concept problématique. On peut laisser entendre que les sciences de l'éducation en tant que pluriel-singulier ne négligent aucune forme de ces savoirs. En réalité, cette réponse est trop prématurée, trop lapidaire, car elle fuit l'analyse et la réflexion qui sont deux démarches propres à la transposition didactique en tant que méthode d'interrogation en direction des savoirs. Si l'on maintien la définition de M. Verret quant à ce concept problématique, alors on peut dire que la transposition didactique distingue les savoirs gnosiologiquement non-scolarisable : ceux qui n'ont aucun intérêt pour le public initié, de ceux qui sont connaissables susceptibles d'être mis en oeuvre. Les premier qui ne peuvent être soumis à la scolarisation, peuvent être (dans le cadre de la temporalité éducative) animés parce que R. Barthes a appelé : la polysémie, la monosémie, l'asémie, et la pansémie. Repris par M. Verret, cette classification sera maintenue et même enrichie, puisqu'en éducation l'important est de distinguer ce qui est transmissible et non transposable, ce qui est socialement non scolarisable, mais gnosiologiqement connaissable. A nos yeux, nous pensons que les savoirs empiriques sont ceux qui englobent tout les autres savoirs, car en eux tout est donné, il suffit simplement d'interroger en direction des choses, comme le faisait aussi bien Socrate, Aristote, Heidegger, et même les Ecritures dites Sainte. Interroger en direction de la chose, ce n'est pas simplement l'éloge d'une école à ciel ouvert, mais c'est au contraire, la ruse de la raison qui manifeste ses capacités à pouvoir rendre compréhensible l'interaction entre le connu et l'inconnu, entre le possible et le réel, bref entre l'être apparent et l'être réalité.

lii.

Lapassade (G.), L'entrée dans la vie, Edit, Minuit, 1963.

liii.

Repris par Olivier Reboul, in : La philosophie de l'éducation, (op, cit), sur un point précis à savoir celui de la formation permanente, que seul – à ses yeux – le pôle de l'enseignement, est capable de réaliser. Ainsi on peut construire une analogie entre le développement corporel (des organes du corps par exemple), et celui des idées de l'âme (l'extension du pouvoir cognitif qu'elles procurent), et ce pour laisser entendre que : le développement (extension du pouvoir physique) est à la nature physique, ce que l'extension du pouvoir cognitif est à la nature de l'âme (nature humaine). Cela revient en dernier ressort à penser que l'homme est simplement un être naturel, avant d'être un animal parlant, pensant et souriant. La ressemblance des rapports entre ces deux natures peut être fondée sur plusieurs aspects. Et pour n'en citer qu'un (qui est à nos yeux important et qui montre bien que parfois la nature peut nous donner des modèles de vie), on dira que l'étendue, l'élargissement des possibilités et l'extension des multiples pouvoirs, sont des formes communes aux deux natures.

Bachelard (G.), La formation de l'esprit scientifique, op, cit.

liv.

Benveniste (E.), Problèmes de linguistique générale, T. I et II. Edit, Gallimard, 1981.

lv.

Cette citation est de Nietzsche, nous l'avons retenue chez O Reboul, à deux endroits de ses écrits :

1 : in, Nietzsche Critique de Kant , P. U. F. 1974, et 2 ; in Qu’est-ce qu'apprendre, Pour une philosophie de l'enseignement ? P. U. F, 1983. En tout cas cette approche d'ouverture aux choses en vue de les faire parler est proprement aristotélicienne, puisque chez Aristote la relation pédagogique et didactique est une relation de connexion nécessaire à l'égard des choses mêmes. De ce fait le langage de la méthodologie expérimentale et de la transposition didactique est un langage qui, doit désormais – et à en croire Aristote et Nietzsche – chercher à synthétiser deux approches tout à fait différentes : celle de l'imitation, et celle de l'inspiration. Par conséquent, l'éducation en tant qu'art défini – comme Kant l'avait laissé entendre – en terme de problématique, puise son sens aussi bien dans l'imitation que dans l'inspiration. C'est pour cette même raison qu'Olivier Reboul a cherché la synthèse du pôle de l'information et celui de la formation. D'ailleurs le manque de cette synthèse nous dit-on est l'une des crises de l'éducation depuis quelques décades. (Voir ce qu'en souligne Hubert Hannoun in , L'Attitude non-directive de Carl Rogers. Paris. Édit. E.S.F. 1972) . .

La question qui surgit de ce procédé nietzschéen est celle de savoir si les informations que nous recevons, que nous retenons dans notre vie quotidiennes sont-elles des formations ou des déformations ? Dans l'optique nietzschéenne, on peut considérer les informations comme utiles et commodes pour vivre la vie et la dominer, sachant bien que Nietzsche à plusieurs reprises n'a pas cessé d'inciter à un bon apprentissage de la pensée. Cet apprentissage repose sur une pédagogie de la continuité et de l'ouverture aux choses de l'Etre-là. Ce n'est rien d'autre qu'une conception qui puise son sens dans la formulation : “ Apprenons de l'animal et de la plante ce qui c'est que s'épanouir! ”. Nietzsche, op, cit.

Dans un travail collectif intitulé : Les concepts scientifiques invention et pouvoir , Paris, Strasbourg, Edit, la Découverte, UNESCO, Conseil de l'Europe, 1989, deux femmes (J. SCHLLINGERS et I. STENGERS tentent – dans une perspective nietzschéenne – de faire parler la plante : le Maïs – à l'instar d'un Socrate qui faisait parler ce qui ne parle pas à savoir les Lois. Ce procédé rhétorique – déjà évoqué – est nommé : la prosopopée. L'important à noter quant à ces références, est la manière de s'approprier les faits. Cette manière est anthropomorphique par excellence. Elle veut en réalité renforcer son argumentation fondée sur la liaison logique reconnue dans les choses de la structure du réelle pour nous pousser – malgré nous – à adhérer à une philosophie du Corps pour qui tout Corps est "un Corps réfléchi" qu'il peut par là-même nous donner un modèle de vie. Si l'on en croît cette philosophie, alors on peut dire que toute information est une formation. Mais il n'empêche que dans le sillage de ce débat les opinions philosophiques n'ont pas cessées d'accroître de divergences. Depuis Descartes en tout cas, passant par Kant et arrivant à Pascal, cette démarche philosophique a été beaucoup critiquée. A titre de rappel historique, Descartes n'a pas été claire quant à l'aspect didactique des objectifs de l'information. Tantôt il regrettait de ne pas avoir utilisé sa raison depuis son enfance et tantôt il affirmait – en corrigent ses jugements critiques à l'égard de l'information – : voilà ce qui m'est utile pour vivre ! Spinoza a aussi parler de cette utilité de l'information lorsqu'il a évoqué l'aspect constructif de ce qu'il a appelé "le l'ouï-dire" : ce qui va de bouche à oreille. Il y a là je crois un enseignement à retenir. Il n'est rien d'autre qu'une incitation à l'élaboration d'une science nouvelle que je baptiserai : la médiologie qui est une étude critique de ce qui se dit et de ce qui s'entend à travers le pouvoir publicitaire et médiatique.

Les critiques qui peuvent être dirigées à l'encontre de l'aspect positif de l'information, tournent en général autour de leur intérêt didactique et pédagogique. La pensée des limites récuse l'attitude du troisième homme chargé d'un Continuum : d'une continuité avec le déjà-là, avec l'histoire personnalisée du sujet. Car ceci n'est ni possible ni faisable d'autant plus qu'il engage un temps et une attitude relationnelle fondée sur l'empathie et l'ouverture voire sur la mise en place d'un autre type d'école à savoir ce que nous venons d'appeler : "l'École à ciel ouvert". A en croire cette idée deM Verrêt, Le Temps des études doit être un temps à la fois celui de la taxonomie et de la distance : une distance à élaborer avec la sphère de l'information qui, bien qu'elle soit commode, elle n'est pas toujours valable. Car elle porte des risques et parmi ces risques cette enseignement pascalien qui incite à ne pas comparer l'homme à la nature d'un rousseau : “ l'homme est un roseau le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant ”. Cette phrase récuse à la foisl'enseignement heideggerien (l'effacement de l'homme-sujet devant les objets), mais aussi celui de Nietzsche qui pense que l'homme doit apprendre à bien penser dans ses rapports avec la nature et avec la sphère de l'information.

Les rapports que veut Nietzsche, ne sont pas des rapports d'hommes à d'autres hommes différents ce sont des rapports d'exception : d'hommes à la nature et d'homme à lui-même. C'est dans cette même et vieille perspective que Nietzsche souligne : “ Le semblable connaît le semblable. On doit montrer de quelle manière toute grande intelligence littéraire fait retour aux grands génies qui lui sont apparentés – ce qui fournirait une preuve remarquable du pitoyable état de l'intellect commun. Celui-ci ne peut en aucun cas créer une grande oeuvre : à plus forte raison n'est-il au grand jamais à même d'en reconnaître une (...) l'existence des grands esprits est "nécessaire", c'est à-dire que non seulement elle peut être expliquée par l'époque et l'influence du milieu, mais que bien plus elle en est le résultat nécessaire ”. (Cf : FRIEDRICH NIETZSCHE, SUR DEMOCRITE Fragments inédits. Traduit de l'allemand et présenté par Philippe DUCAT Postface de Jean -Luc NANCY Edit, Métailié, 1990, p : 28 à 41 et Suiv.

La technique qui fait parler les choses qui ne parlent pas surgit aussi de cette formulation : “ L'égoïsme des étoiles ” proprement nietzschéenne. Celle-ci est métaphorique, son sens est à chercher ailleurs. Nietzsche veut nous faire comprendre à travers cette citation que celui qui écrit pour lui-même écrit pour un public immorteletque dans l'égoïsme, résident le bien et le mal qui ont leur rôle respectif à jouer dans l'évolution moral des hommes. Car si le bien apparaît à tous comme la finalité de toutes nos actions, le mal comme stade de douleur est assimilé à une sorte de stage tragique nécessaire à tous développement social. Cela est l'une des raisons qui laisse Nietzsche penser que l'éducation – en tant que bien –, est dressage et sélection. Si l'on cherche le sens du bonheur universel alors pour Nietzsche, il n'y a pas d'erreur plus évidente que celle d'une doctrine du bonheur universel. Ce bonheur du troupeau ne peut être crédible : “ Nous qui pensons exactement le contraire, nous qui avons ouvert les yeux et nos consciences et qui savons où et comment la plante " Homme" a poussée le plus vigoureusement, nous qui croyons que cet épanouissement s'est toujours produit dans des conditions diamétralement opposées que la "préconité" de notre situation a dû devenir extrême, notre invention et notre dissimulation (notre esprit) se développer dans le sens de la finesse et de l'audace, notre volonté de vivre s'intensifier jusqu'à devenir volonté de puissance absolue ; nous croyons que la dureté, la violence, l'esclavage le danger dans la rue et dans les coeurs, le secret, le stoïcisme, la tension et les diablesses de toutes sortes, que tout ce qui est mauvais terrible, tyrannique en l'homme, ce qui tient en lui du fauve et du serpent, sert aussi bien de l'espèce "homme" que son contraire   ”. Repris in, La philosophie politique de Nietzsche, Thèse de troisième cycle sous la direction de Bernard Bourgeois, soutenue à la faculté de philosophie de l'Université Jean Moulin Lyon III. Année Universitaire, 1983 – 1984.

lvi.

Cette même ouverture aux choses, surgit du sens que Ph. Meirieu veut pour le bon concept. Voir Apprendre..oui, mais comment, op cit. p : 27.

lvii.

Le problème de la traduction est un problème que nous évoquons à titre de remarque seulement sans le traiter exhaustivement et rigoureusement dans ce travail. Bien que la traduction soit actuellement une "discipline" qui existe dans ses formes diverses et ses institutions, il n'empêche que l'espace et le paysage intellectuel français souffre du manque d'un Laboratoire de Traductions Philosophiques et Pédagogiques. La mise en place d'un tel Laboratoire, permettra de centrer les efforts sur la transposition et la mise en forme du sens des propositions, tout en comparant et en étudiant la haute densité discursive des différents sens clairs-précis ou ressemblant. Traduire, sans trahir, et traduire tout en orientant des écrits spécifiques vers un but recherché (qui se distingue ou qui prolonge leur tâche originelle), est aussi une tâche que se trace la transposition didactique dans sa mise en mouvement des connaissances et des savoirs. Cette mise en mouvement correspond à la mise en forme d'un motif, d'un degré d'implication qui puise son fondement dans la liberté expressif recherchée par un auteur, qui s'inspire d'un autre auteur dont il prolonge non seulement la visée des contenu, mais aussi la vie. De ce fait, la mort n'a aucun sens dès lors que l'on fait revivre les écrits d'un auteur. Faire revivre, est un acte qui en aucun cas n'altère l'amour de la vie. Il n'est pas la négation du vouloir vire. Il est l'affirmation de la vie. Voici par exemple ce qui est proposé pour la traduction de la célèbre maxime anglaise : To be or not to be that is a question ! Certains traduisent cela par : Etre ou ne pas être telle est la question ! D'autres par : vivre ou ne pas vire telle est la question. D'autres enfin vont plus loin dans la traduction pour affirmer le sens de cette maxime dans la vie de l'homme, pour dire : vivre ou ne pas vivre, telle est la question de l'homme ! Pour mieux avoir plus de précisions sur le sens de ces considérations qu'engendre le processus de la traduction, nous devons attendre la publication des actes du colloques : La traduction philosophique, Actualité de Nietzsche , organisé par la Faculté de Philosophie de l'Université Jean Moulin de Lyon III, le 4 et le 5 novembre 1999, prolongé par une soirée animée par des intervenants à la Villa Gillet, le Vendredi 5 Novembre, sur le Thème : Actualité de Nietzsche et la traduction philosophique.

La traduction contribue donc à la polysémiasation plus qu'à la monosimisation, qui impose l'usage d'un mot. Elle est chargée d'un effort où l'on peut dire que rien ne se perd, rien ne se gagne tout se reformule, se transforme y compris l'écologie du savoir que l'on traduit. Bien que l'on traduise parfaitement un auteur, la partie est loin d'être gagnée, car toute traduction reste ouverte à d'autres formes de reformulation et d'interprétation, d'où l'ouverture que nous nous traçons pour la transposition didactique en tant que pratique ouverte à d'autres domaines de possibilités.

lviii.

Revue française de Pédagogie, N° 103, I N R P 1993. Article intitulé : Trois paradigmes pour les recherches en didactiques, par J P Astolfi p : 5 à 17.

lix.

Eco (U.), L'oeuvre ouverte. Collection points, Edit. Seuil, 1965. Traduit de l'Italien par Chantal Roux de Bézieux avec le concours d'André Boucourechlier. Voir aussi La Structure absente, Edit. Mercure de France 1972.

L'important à retenir de ces deux ouvrages d'Umberto Eco, est la place de la méthodologie de l'ouverture à la quelle il a tenté de soumettre le processus de la signification. Les idées maîtresses qu'on peut retenir par exemple de la première référence, est que l'ambiguïté d'un comportement didactique ou pédagogique, qu'on pourrait qualifier d'action artistique, est d'abord une ambiguïté issue d'une pluralité de signifiés qui, eux, coexistent en un seul signifiant. Cette fin explicite de l'oeuvre active, elle aussi est ambiguë car elle est due à la pratique des acteurs-artistes, qui dans la plupart des cas font recours à l'informel, au hasard, au désordre, à la fiction et à l'indétermination des résultats. Voilà pourquoi la relation dialectique entre forme d'une part et ouverture d'autre part, elle seule peut déterminer la limite de l'oeuvre active, car une oeuvre ne peut accentuer son ambiguïté qu'à partir d'une intervention active du spectateur sans pour autant qu'elle puisse perdre sa qualité d'oeuvre. Par oeuvre, Umberto Eco suggère un objet qui sera doté de propriétés structurales qui permettent de coordonner la succession des interprétations en vue de faire évoluer des perspectives.

En transposition didactique cela est significatif. Il permet de donner un sens à l'action didactique et pédagogique en tant qu'activités artistiques. Ce sens est en fait celui que nous avons tenu à exprimer sous le concept problématique : extension du pouvoir cognitif. De cette première référence on doit retenir – du point de vue didactique – que le sens d'un concept, d'une proposition bref d'un contenu qualifié d'oeuvre ouverte, ne doivent pas constituer des messages achevés et définis, des formes déterminées une fois pour toute, mais ils doivent au contraire être repensés et revécus dans une direction structurale donnée, qui n'est rien d'autre que celle de l'École programmatrice des connaissances et des savoirs. Cela permettra enfin à l'interprète-apprenant d'en accomplir l'arraisonnement au moment même où il en assume la médiation. A nous maintenir à cette première référence d'Umberto Eco, on peut dire que l'interprète-apprenant est soumis à deux tendances. La première est celle de l'ouverture, à travers laquelle il s'astreint à la recherche d'une forme originelle d'un concept déjà connu, déjà entendu dans un espace-temps donné. Cette forme ne laisse pas l'interprétant-apprenant indifférent. Celui-ci va au contraire chercher à donner un sens au différentes configurations, aux différentes représentations qu'exercent sur lui les différents échos de la conceptualisation. Le sens de l'achèvement du point de vue philosophique doit être compris ici en terme d'impact qu'exerce l'intelligence d'un artiste-formateur sur la sensibilité des apprenants-consomateurs. Cette forme achevée que crée l'artiste-formateur, témoigne aussi bien de son degré d'implication que de l'oeil qui est le sien à travers lesquels il tente de mettre en forme le réel. L'artiste-formateur cherche à faire parler les manières de vivre, à les faire partager, à les faire comprendre, bref à les faire valoir, tel qu'il les a voulu pour un grand public. Ce n'est rien d'autre que sa liberté mise en pratique. Cet achèvement n'a en réalité de sens que lorsque la seconde tendance : celle de l'ouverture est aussi, mise en pratique. Le sens de celle-ci, doit être recherché du côté de la variable personnalité de l'apprenant-consomateur du savoir. Ce dernier en effet, lorsqu'il se trouve face à une situation problème, face à des contenus artistiques ou esthétiques, use (pendant les moments de sa consommation) des contenus des différentes approches pour mettre en pratique les différents degrés de son implication dans l'exercice de la consommation. Il exerce en effet, sur les contenus, sa sensibilité personnelle, qui se manifeste à travers le choix d'un contenu plutôt que d'autres, à travers sa manière d'être affecté par certains problèmes et non par d'autres. Il exerce une culture déterminée, des goûts, des tendances, et des préjugés qui orientent sa jouissance dans une perspective qui lui est propre. Tout cela, donne en fait au chemin et à la sentence didactique un sens très proche de celui du concept esthétique de l'oeuvre ouverte, un concept qui rend le sens de l'ouverture très proche de la formation permanente qui, elle, favorise des différentes perspectives pour appréhender la forme et l'état de la consommation des savoirs. A partir de là, on peut laisser entendre que l'extension du pouvoir cognitif qui surgit de la consommation des concepts, qui, eux, passent d'une discipline à une autre, à travers des formes différentes (transposition didactique ou vulgarisation scientifique) n'a de sens que lorsque les concepts favorisent chez l'interprète-apprenant-consommateur, des actes de liberté de conscience, tout en faisant de lui le centre actif d'un réseau inépuisable de relations parmi lesquelles, il élabore sa propre conception des concepts et des contenus. Cette situation n'altère pas le sens originaire et l'organisation paradigmatique ou syntagmatique de toute proposition.

Dans la seconde référence : La Structure absente, Umbeto Eco, engage la sémiotique dans une perspective d'ouverture achevée et radicale. Il pense en effet, que tous les éléments de notre culture ne sont rien d'autre qu'une incitation à concevoir, à sentir et finalement à voir le monde suivant la catégorie de la possibilité. Cela signifie au font que dès qu'il est possible pour le sujet de reformuler des propositions ou des cris, et de rematérialiser des corps et des objets, celui-ci ne doit pas hésiter à mettre en évidence ses pratiques libératrices des sens asphyxiés par des pratiques d'enfermement. C'est pour cette raison qu'Umberto Eco pense la forme en terme d'informel : comme étant l'oeuvre ouverte par excellence, qui ne conduit pas le consommateur lors de sa consommation du sens, à proclamer la mort de la forme, mais à en forger une notion plus souple : à concevoir la forme comme un champs de possibilité. Il en va de même en didactique : l'apprenant consommateur du sens, cherche à acquérir les possibilités de l'art de l'invention, rendues accessibles par le formateur-artiste. A comparer les deux références d'Umberto Eco, on a l'impression, que le concept de la transposition didactique, se problématise de plus en plus. Ainsi, lorsque U. Eco, pense dans la structure absente que le lecteur (qui est par essence un apprenant) échappe dans sa lecture d'une oeuvre au contrôle de l'oeuvre de même que celle-ci, semble à un moment donné échapper à tout contrôle, même à celui de l'auteur qui la contemple. Cela nous pose alors un problème puisque le sens de la transposition didactique que nous voulons est très proche de celui du programme et du contrôle des connaissances et des savoirs. Ce sens n'est pas celui de la vulgarisation scientifique qui privilégie le paradigme de l'information à celui de la signification. Mais lorsqu'on progresse dans la lecture de La Structure absente, on s'aperçoit que l'auteur est conscient du rôle que peut accomplir le principe de l'organisation et de la programmation qui puise leur sens dans l'École de la transposition didactique. En effet, Umbeto Ecco a laissé entendre que même si le statut aussi bien de l'auteur que de l'oeuvre échappe à tout contrôle, alors il n'empêche qu'il en subsiste malgré tout quelque chose qui pourrait être soit de l'ordre de l'instinct, de l'originaire et de l'indéterminé à l'état pur. Seule la méthodologie de la transposition didactique tel que M. Verrêt l'avait défini en terme de taxonomisation des différents sens des propositions et en terme de questionnement perpétuel, peut déceler ce qui subsiste lors de toute réification. Il faut désormais (dans la perspective structuraliste) baptiser cela  : l'inconscient structurel des propositions au-dessous desquelles il existe de cris.

lx.

En didactique et en éducation c'est bien le lieu commun qui est privilégié. Car on n'apprend jamais seul. D'autant plus, même le praticien est toujours praticien d'une théorie. Pour cette raison le travail de groupe peut marquer la perfection d'une oeuvre, car une oeuvre travaillée par plusieurs, n'est jamais achevée. Elle se laisse appréhender par une pluralité d'individus qui lui donnent vie et continuité. C'est ainsi qu'on doit maintenant réfuter le procédé de Descartes qui a laissé entendre qu'il n'y a de perfection que dans les oeuvres sur lesquelles un travaillé, pour enfin soutenir le principe de l'ouverture et de l'inspiration tout en maintenant que la perfection est du côté de la satisfaction d'un grand public large. Cette satisfaction se produit à travers la différenciation des formes relationnelles incarnant des processus et des états qui ne commencent ni ne finissent mais qui ne font que semblant ! Dire qu'il n'y a de perfection que dans les oeuvres sur lesquelles plusieurs ont travaillé, est un principe qui marque l'anonymat dans l'art. Voilà pourquoi l'Éducation en tant qu'art, doit être à la portée d'un grand public pour contribuer à l'extension de l'éducabilité. Il faut quand même rappeler que cette idée a été réfutée par Nietzsche qui (tout en s'opposant au lieu commun), a souligné :

“ Seul l'individu singulier (der Einzelne) peut produire une grande pensée et que les convictions des masses ont toujours quelque chose d'imparfait et de flou. Par contre les pulsions de la masce sont plus puissante que celles de l'individu ”. (Cf : Ducat (Ph.), op cit. Dans cette perspective Nietzsche – on le voit bien – est contre le Lieu Commun, contre l'indifférence, mais il est pour le Lieu de l'unité : celui de la différence, d'où une vision philosophique qui tente de faire de lui un "philosophe de la liberté".

lxi.

KANT (E.), Critique de la raison pratique, op, cit, p : 23.

lxii.

Tardy (M.), Sciences de l'éducation, considérations épistémologiques, Collection sciences de l'éducation N° 2 C.N.D.P, C.R.D.P. Strasbourg 1984 p : 1.

lxiii.

Burloud. Cours de philosophie : psychologie, Hachette 1948 p : 299 & 300.

lxiv.

Le principe de l'anonymat dans l'art selon Wöfflin, rejoint celui de l'ouverture dont parle Umberto Eco. L'ouverture et l'anonymat sont deux principes de l'ouverture en Education. Le premier permet en effet, d'informer et de former un public destiné à devenir spécialiste des questions à problème ; l'autre permet en fait de penser l'éducation en terme d'éducabilité des intelligences, en vue de contribuer activement à ce que nous appelons ici : l'extension du pouvoir cognitif.

lxv.

Tardy (M.), op. cit. p : 10.

lxvi.

Pour mieux comprendre le sens de la relation entre l'acte du penser dans le signe, et l'acte du penser avec le signe, nous suggérons de procéder à une approche comparative des propos de Charles Peirce et de ceux de Leibniz. Pour le premier en effet, il existe une différence entre l'homme et le mot : “ l'homme est conscient, or que le mot ne l'est pas ”, disait-il. Cela renvoie en fait à la chronothèse du sens que nous venons de mentionner et à laquelle le didacticien, le pédagogue et le formateur doivent s'ouvrir pour comprendre les raisons pour lesquelles des contenus fort intéressants ne passent pas. Dire que l'homme est un interprétant du signe, signifie au fond qu'il est en lui-même un signe dont lequel il faut chercher à établir des distinctions. Au sujet de ces distinctions Charles Peirce a justement cherché à établir la distinction qui existe entre l'homme d'une part, et le mot de l'autre. Laissons filer le texte qui va suivre pour mieux comprendre le sens de ces distinctions : “ Et qu’est-ce qui distingue l'homme du mot ? Il y a une distinction sans aucun doute. Les qualités matérielles, les forces qui constituent la pure application dénotative et la signification du signe qu'est l'homme sont toutes extrêmement compliquées en comparaison de celles du mot. Mais ces différences ne sont que relatives. Qu'y a t -il d'autre ? On peut dire que l'homme est conscient et que le mot ne l'est pas. Mais conscience est un terme très vague. Il peut signifier l'émotion qui accompagne la réflexion d'avoir une vie animale. Cette conscience s'obscurcit quand la vie animale diminue dans la vieillesse ou le sommeil, mais elle ne s'obscurcit pas quand la vie de l'esprit diminue ; elle est plus active quand l'homme est plus animal. C'est une sensation que nous n'attribuons pas aux mots parce que nous avons tout lieu de croire qu'elle dépend de la possession d'un corps animal. Mais c'est une conscience qui, étant une simple sensation, n'est qu'une partie de la qualité matérielle de l'homme-signe. On emploie aussi parfois le mot conscience pour signifier le je pense, c'est-à-dire l'unité dans la pensée ; mais cette unité n'est rien d'autre que la cohérence ou la reconnaissance de cette cohérence. La cohérence appartient à tout signe, dans la mesure où il est un signe ainsi donc, tout signe, puisqu'il signifie principalement qu'il est un signe, signifie sa propre cohérence. L'homme-signe acquiert de l'information et en arrive à signifier toujours plus qu'il ne signifiait auparavant. Mais il en va de même des mots. L'électricité ne signifie t-elle pas plus aujourd'hui qu'au temps de FranKlin ? L'homme fabrique le mot, et le mot ne signifie rien que l'homme ne lui ait pas fait signifier, et cela à cet homme seulement. Mais puisque l'homme ne peut penser qu'au moyen de mot ou d'autre symbole externes , ceux-ci pourraient se retourner et dire : “ vous ne signifiez rien que nous ne vous ayons pas appris et encore seulement dans la mesure où vous utilisez un mot comme l'interprétant de votre pensée ”. Ainsi donc, les hommes et les mots s'instruisent réciproquement ; chaque acquisition d'information d'un homme comprend une acquisition correspondante d'information d'un mot et vice versa ”. (Cf : Charles Peirce ; Collected Papers ; 5.313. Ce texte est de 1868, extrait du "Journal of Speculative Philosophy". L'importance de ce texte est sa teneur philosophique, puisqu'il met l'accent sur la distance qui sépare l'homme du mot. Pour Peirce – comme on peut le remarquer – l'homme est un signe animé par une conscience que les mots ne possèdent pas. Il est aussi un état de fait : habité par une conscience, des émotions qui s'obscurcissent et d'autres au contraire le préparent à se familiariser avec les états de faits. Cela veut dire en fait – et du point de vue philosophique comme Kant l'avait déjà laissé entendre – que l'homme est le seul être raisonnable à pouvoir aussi bien se retourner contre des lois, ou d'obéir à d'autres, comme il peut aussi se retourner contre ses propres lois. De ce fait, l'homme-signe, acquiert de l'information tout en lui donnant sens. Voilà pourquoi du point de vue de la transposition didactique et pédagogique, les propos de Charles Peirce restent importants, puisqu'ils nous incitent ouvertement à cette ouverture aux choses de l'apprenant, qui, elles peuvent nous aider à progresser dans la distinction entre le sens des différents actes de paroles et du langage. Voilà la raison pour laquelle certains ont aussi laissé penser que le langage est un comportement. On doit dire sans chercher pour autant à reproduire ici le texte d'Umberto Eco, que c'est à ce dernier que revient le mérite d'avoir distinguer deux sens, deux définitions du signe. La première incarne ce que U. Eco appelle : la théorie de la signification ; tandis que la seconde, celle de la communication. C'est ainsi qu'il souligne : “ Un signe tient lieu de quelque chose pour l'idée qu'il produit ou modifie... Ce dont il tient lieu est son objet, ce qu'il communique est sa signification, et l'idée à laquelle il donne naissance est son interprétant ”. (Première définition). “ Un signe ou representamen est quelque chose qui tient lieu, pour quelqu'un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre : il s'adresse à quelqu'un, c'est-à-dire crée dans l'esprit de cette personne un signe équivalent ou peut être un signe plus développé. Ce signe qu'il crée, je l'appelle l'interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d'idée que j'ai appelée quelquefois "le fondement du representamen ”. (Seconde définition). (Cf : Umberto Eco. Peirce et la sémantique Contemporaine, deux définitions du signe ; in LANGAGE Juin, 1980).

Ces approches d'Umberto Eco, nous posent un problème au niveau du sens de la transposition didactique. Peut-on donc engager ce concept dans la perspective de la signification ou dans celle de la communication ? La réponse d'Umberto Eco est claire. Elle est une réponse qui opte en faveur d'une relation de connexion réciproque entre l'une et l'autre définition. Ce n'est pas le cas pour Leibniz. Si pour Charles Peirce, le processus de la transposition didactique se laisse comprendre en terme d'ouverture sur le toujours-déjà des apprenants, alors il n'en va pas de même pour Leibniz, qui laisse penser que l'important pour l'extension du pouvoir cognitif est de penser dans les signes. Cela est une idée qui rejoint celle de Michel Tardy, qui rêve d'une science de la signification au lieu d'une autre qui est celle des explications. Dire que le projet de la transposition didactique doit être celui du penser dans les signes a un sens très particulier dans le projet ambitieux de Leibniz. Evidemment on ne peut en aucun cas dans cette note exposer les différents aspects de ce projet, mais on peut néanmoins résumer le contenu de certains écrits de Leibniz, tout en montrant leur rapport avec le concept de la transposition didactique dont nous traitons dans ce travail. Le projet de Leibniz, concernant la communication est fondé sur la réduction des symboles à des chiffres et à des lettres. Du point de vue de la transposition didactique du sens, on peut dire que cette tentative si riche soit-elle est d'un grand intérêt, car elle permet de communiquer avec des nations lointaines, comme elle peut contribuer à l'instauration d'un langage universel : une sorte du Latin du XX siècle à l'instar de la tentative de Jean Effel ce dessinateur qui a cherché à instaurer un avant projet pour une écriture universelle. Pour Leibniz, l'emploi des signes se justifie d'une part, par le motif par lequel la pensée se manifeste, et d'autre part, par le fait même de la pensée, qui s'affirme dans le signe qui reste arbitraire et immotivé. Selon Leibniz les signes ne sont pas motivés intrinsèquement, mais ils ont par contre une motivation extrinsèque, qui puise son fondement dans la nature. L'idée qui ressort de certains écrits de Leibniz est celle de la recherche d'une convention. Si à ses yeux, penser signifie désormais calculer, alors, le langage à pour but le dévoilement et la représentation en vue de la présentation de la vérité. Par conséquent si la vérité – comme il le laisse entendre – dépend de la définition, et que la définition dépend du libre arbitre, alors le choix conventionnel du signe, s'impose afin de s'ouvrir sur la nature pour en extraire un modèle de communication en vue de la fabrication d'une langue universelle. Evidemment la divergence avec Charles Peirce est ici marquante, car si pour Peirce, les mots peuvent tourner et dire, qu'ils sont chargés d'émotions et de sensibilités, alors pour Leibniz, la pensée que véhicule les mots est obscure, par elle-même car – comme Heidegger le dira plus tard – plus on pense plus on se fatigue, il serait commode pour apprendre à bien penser de ne plus penser du tout : en un mot d'arrêter de penser. Ainsi si le souci de Peirce était celui de la communication, alors celui de Leibniz fut au contraire celui de la signification. Pour mieux comprendre les propos de Leibniz filons quelques passages de ses écrits : “ C'est le but principal de cette grande science que j'ai accoutumé d'appeler CARACTERISTIQUE, dont ce que nous appelons l'Algèbre, ou l'analyse, n'est qu'une branche fort petite ; puisque c'est elle qui donne les paroles aux langues, les lettres aux paroles, les chiffres à l'Arithmétique, les notes à la Musique ; c'est elle qui nous apprend le secret de fixer le raisonnement, et de l'obliger à laisser comme des traces visibles sur le papier en petit volume, pour estre examiné à loisir : c'est enfin elle, qui nous fait raisonner à peu de frais en mettant des caractères à la place des choses, pour désembarasser l'imagination ”. Leibniz, 1678. De la méthode de l'universalité, Opuscules Inédits, p : 99.

Comme on le constate à travers ce passage, Leibniz se veut un philosophe de la signification, un philosophe de l'extension du pouvoir cognitif, qui trouve son fondement dans l'extension du pouvoir significatif des caractères, des images, qui ont pour but l'instauration d'une langue artificielle, fictive qui pense tout en calculant. Cette science dite : science des caractéristiques a pour fonction d'accomplir la traduction des différents sens à l'aide des caractères, avec des figures, avec des symboles bien choisis et constant pour indiquer le moyen de renvoyer à d'autres symboles. Elle permet en tant que science incarnant la didactique de l'immanence, de transformer le souci de communication en souci de signification. Cette transformation est vécue par le biais d'une méthode qui tente de transcrire les idées par des caractères. Car il vaut mieux pense Leibniz de se fier au signes qu'aux pensées, du moment que d'une part, ceux-ci nous permettent de communiquer avec des nations lointaines, et d'autre part, de raisonner à peu de frais.

Pour avoir une idée claire et distincte de ce projet ambitieux soit-il, et qui est significatif pour le sens de ce que nous appelons : la didactique de l'immanence on a choisi deux textes afin d'achever l'approfondissement de cette note. Le premier qui tourne autour du sens de l'écriture universelle, se présente comme étant un projet pour des bondes autodéssinées où Leibniz souligne : “ Je crois qu'encor d'autres marques pouroient faire cet effort ; on le voit par les caractères des Chinois. Et on pouroit introduire un Caractère Universel fort populaire et meilleur que le leur, si on employoit de petites figures à la place des mots, qui représentassent les choses visibles par leur traits et les invisibles par les visibles qui les accompagnent, y joignant de certaines marques additionnelles, convenables pour faire entendre les flexions et les particules. Cela serviroit d'abord pour communiquer aisément avec des nations éloignées mais si on l'introuduisoit aussi parmy nous sans renoncer pourtant à l'écriture ordinaire l'usage de cette manière d'écrire seroit d'une grande utilité pour enrichir l'imagination et pour donner des pensées moins sourdes et moins verbales, qu'on a maintenant. Il est vray due l'art de dessiner n'estant point connu de tous, il s'ensuit qu'excepté les livres imprimés de cette façon (que tout le monde apprendroit bientost à lire) tout le monde ne pouroit point s'en servir autrement que par une manière d'imprimerie, c’est-à-dire ayant des figures gravées toutes prestes pour les imprimer sur du papier, et y adjoutant par après avec la plume les marques des flexions ou des particules. Mais avec le temps tout le monde apprendroit le dessein dès la jeunesse, pour n'estre point privé de la commodité de ce Caractère figuré, qui parleroit véritablement aux yeux, et qui seroit fort au gré du peuple, comme en effect les paysans ont déjà certains almanacs qui leur disent sans paroles une bonne petite de ce qu'ils demandent ; et je me souviens d'avoir vu des imprimés satyriques en taille douce, qui tenoient un peu de l'Enigme, où il y avoit des figures significantes par elles mêmes, mêlées avec des paroles, au lieu de nos lettres et les caractères Chinois ne sont significatifs que par la volonté des hommes (ex instituto) ” (Cf : Leibniz. Nouveaux essais IV, VI, § 2, p : 37).