1.1. La philosophie grecque transmise dans le monde arabe : transmission, paraphrase ou transposition de Platon et d'Aristote ? (différents sens de l'âme et du corps)

Averroès nous dit-on est un infatigable commentateur d'Aristote. Son esprit d'ouverture et d'altérité radicale à l'égard des connaissances et des savoirs étrangers à sa propre culture "arabo-islamique" ont fait de lui le philosophe d'un rationalisme contesté. La contestation dirigée à l'encontre de sa vision "philosophique" ou "théosophique" se traduit au niveau des contradictions auxquelles il a été confronté. Bien que sa pensé (comme philosophe infatigable commentateur d'Aristote) présente une unité incontestable, il n'empêche qu'il a donné – dans le cadre d'un "système de pensée logique" –, des avis, des opinions si différents sur certains points de l'oeuvre d'Aristote. Cette différenciation est due à sa propre conception de l'acte du philosopher. En effet, si nous le lisons et nous le comprenons bien, on peut alors laisser penser qu'il a (à partir de son inspiration de la méthode logique du penseur grec) cherché à concilier des structures logiques différentes de la même manière que le faisait Al Farabi, ou même Hegel qui cherchera plus tard à concilier des différences et des antagonismes : “ Identité absolue comme étant identité de l'identité et de la non-identité ”, disait-il. Cette reconnaissance de la logique de la combinatoire qui reconnaît que les connaissances se construisent dans la rencontre, le rendez-vous, est une logique purement aristotélicienne. Elle aura ses échos dans la philosophie hégélienne. En effet, Hegel avait déjà laissé entendre que tout produit intellectuel que nous produisons dans l'instant du maintenant provient de ce que nous tenons du cercle le plus ou moins porche de nos amis et de nos propres connaissances. Cette idée a été travaillée par Averroès qui croyait au progrès des connaissances de générations en générations, un progrès qui puise à ses yeux son fondement dans l'ouverture inachevée aux choses de la pensée qui hérite d'elle-même, du signe et d'autres pensées. Au sujet de cette combinaison des idées au cours des générations, Averroès a d'ailleurs insisté sur l'altérité radicale de la présente pensée à l'égard de celle du passé. C'est ainsi qu'il commente un passage de la Métaphysique (a, 993, b, 15....) en disant : “ ‘Les Anciens ont par rapport aux Modernes la place qu'ont les pères par rapport aux fils, sauf que l'acte générateur des Anciens est plus noble que celui des pères. En effet, nos pères ont engendré nos corps , tandis que les savants anciens ont engendré nos âmes. Nous leur devons plus de remerciements qu'à nos pères (...) et il est plus juste de les imiter’ ”. 142 Cette idée de l'ouverture aux choses de la pensée de nos ancêtres prouve – comme on le verra – la vison philosophique d'Averroès qui pensait que l'art du philosopher réside dans l'imitation raisonnable d'opinions philosophiques de ceux qui nous ont précédé à savoir les Grecs. C'est pour cette raison qu'il a incité à imiter Aristote qu'il qualifia de "premier maître". La qualification prend en effet un sens lorsqu'on examine de près les méthodes des deux hommes quant à leurs rapports aux choses de la nature. Si Aristote avait introduit la méthode de l'arraisonnement des choses tout en expliquant les phénomènes naturels sans rien laisser sous silence, alors on peut laisser penser qu'Averroès a retenu cette leçon lorsqu'il a introduit à l'étude de la philosophie de la nature, tout en se référant à des phénomènes naturels pour légitimer par exemple le passage d'une philosophie première spéculative à une philosophie vraie qui s'astreint à s'adresser aux hommes tout en leur parlant de ce qu'ils connaissent. Voilà la raison pour laquelle Roger Arnaldez rapporte que Averroès dans son commentaire du livre de la Génération des animaux pensait que le climat tempéré de Cordoue avait une influence sur les cheveux, sur la laine des moutons et sur les tempéraments. Du point de vue de la transposition didactique cela – comme on le verra plus loin et dans d'autres recherches – se traduit actuellement par l'écologie du savoir. Ce concept nouveau signifie que chaque peuple, chaque nation, chaque individu est fils de son entourage écologique, qu'il finit tôt ou tard, peu ou prou par se comporter selon les exigences que lui impute le milieu dans lequel il vit. Une étude de Pierre Erny, cet Ethnologue (qui fut notre maître), montre que l'enfant dans le milieu d'Afrique Noire, ne traverse pas les mêmes étapes que traverse l'enfant occidental. C'est ainsi qu'il laisse entendre que “ ‘l'enfant d'Afrique Noire peut parfois apporter des merveilles qui feront rougir d'adulte occidental ’” 143 . Cela est due en effet à la relation de connexion nécessaire que l'enfant établi à l'égard de la dureté de la nature sensible qui l'éduque, qui l'instruit et qui le forme.

Ce que l'on peut constater dans la quasi-totalité de ces études est que la méthodologie de l'ouverture inachevée à l'égard des choses de la nature qui fut chère pour Aristote est encore d'actualité. Si Aristote avait parlé de la méthodologie expérimentale comme étant celle que poursuit un questionneur à l'égard de son répondant, alors on peut dire qu'Averroès a retenu aussi cet enseignement surtout lorsqu'il a observé des phénomènes sociaux qui se transforment selon les influences qu'ont les espaces sur le mouvement des populations d'un lieu à un autre. Voilà par exemple ce qu'il a écrit dans son commentaires des Météorologiques en disant : “ ‘C'est ainsi qu'il arrive que les descendants des Arabes et des Berbères fixés sur la terre d'Espagne se transforment et acquiert la nature des autochtones’ ”. La question qui se pose dans cette perspective est celle de savoir si vraiment Averroès à travers ces remarques tout à fait personnelles a donné naissance à une méthodologie scientifique fondée sur l'observation rigoureuse à l'instar de celle avancée par Paul Fraïsse qui distinguera plus tard l'observation fortuite, de l'observation systématique et de l'organisée. Selon Roger Arnaldez, “ ‘ces remarques personnelles qui sont appelées par le commentaire ne peuvent être considérées comme des observations au sens scientifique du mot’ ” 144 . Evidemment, nous ne partagerons pas cette vision, car – comme on le verra à travers la comparaison des textes des Topiques et de ceux du Discours décisif, la méthode aristotélicienne n'était pas toujours altérée négativement par Averroès. Si Platon fut tourné vers les mathématiques et la géométrie tout en expliquant le monde essentiellement par des relations numériques et des proportions, alors Aristote ne l'a pas suivit dans cette voie, car pour lui toute explication des choses de la nature ne peut être adéquate que par l'arraisonnement du trèsfond de la nature pour ne rien laisser sous silence. De ce fait, on peut laisser penser que Aristote est plutôt un philosophe-observateur de la nature. Cette caractéristique n'a pas été altérée par Averroès qui s'est jeté à travers champs tout en observant la nature en vue de légitimer d'une part la valeur des expériences, et d'autre part la place de l'évidence de la nature sensible qui n'a pas échappée à certains versets coraniques. Le souci permanent d'Averroès à travers le Discours Décisif que nous tenons à comparer aux Topiques est celui de légitimer la méthodologie de l'ouverture inachevée à l'égard des choses de la nature en vue d'en comprendre le trèsfond. Ce n'est rien d'autre que les débuts d'un empirisme qui cherchait à prouver une religion naturelle qui puise son fondement dans ce que Averroès a appelé : “ l'adventicité-étérnelle ”. Ce concept est une transposition didactique de la conciliation de deux systèmes philosophiques à savoir celui de Platon et celui d'Aristote qui sont tout à fait opposés.

Les raisons de la conciliation entre Platon et Aristote, entre philosophie et religion sont multiples. D'une part Averroès se veut un didacticien accompli comme Al Farabi parce qu'il a essayé de mettre en place une transposition didactique du philosopher. Il a tenté une ouverture sur la philosophie grecque pour chercher et prouver la Vérité. Car à cette époque le sens de la didactique était celui d'une dispute rationnelle des diverses notions, une dispute qui trouvât son fondement dans une rencontre ouverte entre les pairs et le public. La vraie philosophie à en croire Averroès, est celle qui se construit dans le dialogue aussi bien que dans l'affrontement. Chose qu'il a tenté de faire en ouvrant le débat avec Aristote.

Cette ouverture est en soi achevée. La place qu'attribue Averroès à la transposition didactique du philosopher est d'abord une place rationnelle. En effet, par la méthode de l'inspiration et du dépassement, il a essayé de discuter l'idée d'un transfert du savoir philosophique en partant d'une culture à savoir celle de la pensée grecque qui lui fût étrangère. Dans cette ouverture on assiste à une dépersonnalisation du savoir philosophique aussi bien qu'à sa naturalisation. Alors que dans le retour aux principes fondamentaux de la culture originaire du savoir à transmettre, on assiste aussi (lors de cette paraphrase d'Aristote par Averroès), à la decontextualisation et à la falsification du savoir philosophique dans son authenticité qu'est la Grèce. En plus, même le savoir religieux dans sa purification que lui assigne “ la logique ” de la religion Islamique, fut aussi altéré. Cela montre en effet, que la conciliation des structures contradictoires peut mener à des contradictions insurmontables. En effet, l'ambiguïté d'Averroès surgit dès le départ quand il a voulu une conciliation entre philosophie et religion sur la base de la rupture. Comment alors peut-il y avoir une conciliation conçue sur la base de la continuité dans la rupture entre deux structures opposée ? Ce constat méthodique a fait d'Averroès un théosophe au lieu d'un philosophe. Un résultat terrible qui lui a fait perdre les plus hauts principes de l'acte du philosopher à savoir, la conséquence et la cohérence. Un constat qui l'a forcé à s'exiler.

Pour illustrer ces propos tenons à présenter un bref aperçu sur la relation de l'averroïsme avec la pensée occidentale antique que représentait Platon et Aristote, tout en étudiant les enjeux du passage d'un savoir philosophique originaire, doctrinaire à un savoir théosophique, naissant et dérivé. Il faut au passage signaler la teneur existentielle de cette transmission dont le but voulu par Averroès était de réaliser (à travers cette démarche) un enseignement de la vertu, un enseignement adéquat qui trouve son sens dans le rationalisme philosophique tel qu'il a été pratiqué et connu chez les anciens pour lesquels Averroès tenait une admiration et une inspiration.

Revenons pour illustrer cette transposition à la fois typique et atypique, sur deux problèmes fondamentaux, à savoir l'âme qui représente le contenu de la pensée aussi bien philosophique que religieuse, et la logique qui, incarne la méthode de la transposition didactique de ce même contenu.

Dans la pensée philosophique grecque, l'enseignement de l'âme était si bien connu, si bien étudié. L'âme en elle-même avait une définition descriptive : on décrivait ce qu'elle en était. La logique quant à elle, était soit démonstrative, soit argumentative. Mais lorsque Averroès à ouvert le débat avec ces principes philosophiques : l'âme et la logique, il a posé un postulat qu'est la non opposition des vérités : “ une vérité n'en contredit pas une autre... ”. En réalité il y a deux vérités qui sont visées : celle qu'il faut connaître (qui émerge de la pensée philosophique) et celle qu'il faut faire connaître c'est-à-dire la vérité divine (qui s'impose à l'homme par le biais du divin : le récit Coranique). Que dit Averroès à propos des deux vérités ainsi qu'à propos de la transposition didactique de la Vertu ? La réponse se dégage de l'affirmation d'Averroès qui se réfère implicitement à la pensée aristotélicienne : “ ‘Nous savons définitivement que l'investigation démonstrative ne diffère pas de ce que nous a donné la révélation, parce qu'une vérité n'en contredit pas une autre mais plutôt s'accorde avec elle et lui rend témoignage’ ” 145 , disait-il. Parler de méthode démonstrative est une allusion à Aristote et notamment à sa méthode qui se dégage de son projet éducatif de la transposition didactique de la Vertu, dont témoigne l'Ethique à Nicomaque. Aristote lui-même illustre plus qu'il ne prouve. Ainsi, et à en croire aussi bien Aristote qu'Averroès, ce que nous nommons aujourd'hui : la vulgarisation scientifique, ne se distingue en rien de la transposition didactique. Car bien que la méthode se différencie d'un pôle à l'autre, le but qu'est l'extension du pouvoir cognitif et l'humanisation de la connaissance est toujours le même.

Selon Averroès, la leçon à retenir d'Aristote est que la philosophie est en soi un savoir positif qu'il faut diffuser. Car même la religion islamique ne s'y oppose pas ; d'ailleurs Averroès cite le verset Coranique qui en approuve cela. Puisque la vérité philosophique ne contredit pas la vérité divine, alors la synthèse des deux vérités est possible. Car Aristote et Platon ont eux-mêmes assigné à l'âme le rôle de l'harmonie qui ne peut être garantie que par la reconnaissance d'un moteur immobile que Platon nomme : le il est Toujours et qu'Aristote baptise le : il est Maintenant. On sait que Platon a décrit un modèle intelligible dont on disait seulement : qu'il est. Autrement dit on ne dira jamais : qu'il a été ou qu'il sera. On ne dira jamais : qu'il venait à l'existence à un moment donné. Comme on ne peut pas non plus dire : qu'il est venu à l'existence maintenant. Car tous ces termes – d'après Platon ne conviennent que pour décrire le temps qui imite l'éternité. Ainsi il faut penser que lorsque Platon emploie le terme : “ Toujours ” 146 , il le fait uniquement pour décrire l'existence intelligible. Cela signifie que le modèle est toujours dans le même état.

Nous évoquons cette digression car elle est nécessaire pour mieux comprendre la transposition didactique du contenu de l'âme et de la méthode de la logique, que Averroès a tenté de mettre en forme dans un milieu auquel ces mêmes principes étaient encore méconnus. En effet le récit Coranique lui-même, n'a pas donné de réponse décisive quant à la question du sort de l'Esprit de l'âme. Il a laissé la question suspendue, bien que l'âme est pour lui quelque chose qui corrompe. Cela est une manière de marquer la limite de l'esprit humain quant au discernement du sens de cette faculté qu'est l'Esprit de l'âme. Alors que dans la pensée grecque – comme nous sommes en train de le montrer –, le problème est tranché, discuté par le biais d'une clarté discursive dont témoigne la contradiction qui émerge des débats des différents philosophes de l'époque.

Pour Platon le : “ toujours ”, caractérise indifféremment aussi bien l'être que le devenir. Le premier, c'est-à-dire : l'être, il est toujours, car il n'a aucun devenir. Le second : le devenir, puisqu'il est toujours soumis lui-même au devenir, alors il n'est jamais. Par conséquent comment opposer le temps à l'éternité comme une temporelle à l'absence de toute durée ? Si le terme : “ Toujours ”, caractérise les deux termes de cette opposition, comment d'un être exempt de toute durée, dira t-on qu'il est toujours ? Cette ambiguïté ressort de l'emploi par Platon du terme “ perpétuel ” 147 , “ aidios ” 148 terme qui désigne les dieux visibles, ou encore les corps célestes : les astres. Or dans l'optique de Platon, ce n'est plus le sensible qui est “ aidios ”, mais c'est au contraire l'intelligible qui est lui aussi perpétuel. D'où, le perpétuel et le toujours ne font qu'un. Mais alors comment se fait-il ou comment peut-il y avoir une unité de deux composantes tout à fait contradictoires : d'un côté le sensible et de l'autre côté l’intelligible ? Autrement dit, comment les deux peuvent-ils être des perpétuels ? Cette question a travaillée Kant mais aussi Averroès. Pour le premier, c'est le principe de la relation de connexion nécessaire (qui s'opère par simple nature) qui réalise la synthèse entre le sensible et l'intelligible. Le souverain bien en tant que limite nous interpelle à la connaissance. De ce fait, on peut dire que le souverain bien est donc une finitude illimité. Quant à l'idée d'Averroès concernant le poids de l'action de ce souverain bien, elle ressort de sa transposition didactique du sens de l'homonymie, sens avancé par Aristote. En effet, si pour Aristote l'Etre se prend en plusieurs acceptions qu'il n'est pas une simple homonymie, alors pour Averroès l'homonymie est bien présente en toutes choses y compris chez l'homme. Descartes dira plus tard qu'elle anime aussi bien le relatif que l'absolue.

La recherche du sens de l'il est toujours, est tranchée chez Platon en faveur de l'intelligible. Que l'intelligible n'est pas seulement “ aidios ” c’est-à-dire : “ perpétuel ”, mais aussi : “ aionios ” 149 , ce qui veut dire : “ éternel ”. Ainsi le terme “ perpétuel ” comme le “ toujours ” devient un élément commun au deux membres de l'opposition : Temps et Eternité. Dans la reprise platonicienne de l'opposition parménidienne entre temps et éternité, modèle et image, la définition que donne Platon du modèle est bien précise : “ le modèle est étant pour toute l'éternité, alors que le ciel en tant qu'image, pour tout le temps, était, est, et sera ” 150 . Ainsi, la logique existentielle de Platon met l'accent sur l'intelligibilité du modèle intelligible. Le modèle est étranger au temps, c’est-à-dire il n'est pas soumis à la succession temporelle qui caractérise son image, qui elle, “ était ” “ est ” et “ sera ”. Peut-on conclure que l'expression : “ pour toute l'éternité ” 151 , implique une durée qui ne serait plus temporelle ? Platon pense qu'il n'y a pas d'opposition entre durée temporelle et durée intemporelle, car une durée intemporelle serait une contradiction dans les termes. Mais alors qu'en est-il de l'éternité ? Est-elle conçue en tant qu'absence de durée ? Platon pense que “ ‘l'éternité doit être conçue sous un rapport réciproque du temps et de la durée : la durée implique le temps comme le temps implique la durée’ ” 152 .

Cette proposition platonicienne reste un présupposé seulement, car la durée s'oppose à l'absence de durée.

Etant donné l'importance de ces propos que Averroès n'a pas ignoré, celui-ci va procéder à un enseignement, à une transposition didactique, de la méthodologie philosophique, à travers laquelle il a cherché à accéder à la signification de l'âme, à la signification de la logique démonstrative et argumentative. Dans ce transfert du savoir on considère qu'il y a eu transposition didactique, car à l'époque d'Averroès la tâche fût en effet le commentaire, la traduction, l'organisation, la taxonomisation et le développement de certains grands principes de la philosophie grecque. L'éducation philosophique n'avait à cette époque là que le commentaire comme instrument pour la mise en mouvement des connaissances et des savoirs.

Bien que le commentaire soit porté sur des questions à caractère anthropologique et sociologique, il n'empêche qu'Averroès n'a pas pu sortir de la temporalité circulaire : “ ‘toute théologie est une philosophie et toute philosophie est une théologie ’”. Cette temporalité circulaire asphyxie l'acte du philosopher. Car la philosophie en elle-même n'est pas toujours une légitimation du divin, pas même une légitimation d'un culte, d'une norme ou d'une culture. Elle est une interrogation sur les fins des finalités. C'est d'ailleurs ce que pense Jacques Dérrida 153 dans sa critique implicite dirigée à l'encontre de Heidegger, lorsqu'il montre que le temps n'est pas simplement un prolongement d'une norme historial déjà acquise, déjà vécue en vue de marquer par exemple l'historialité d'une oeuvre, mais le temps est au contraire ce cercle dans lequel on vit, que l'on brise parfois, et que l'on réifie. A partir de là, si l'on en croit J. Dérrida, on peut alors penser que la transposition didactique du sens de la temporalité circulaire est du côté de l'action. Car comme Dérrida le laisse entendre, le fait de chercher à donner le temps est en soi un geste en vue de prendre quelque chose d'autre. Ce quelque chose que le sujet cherche à prendre tout en instaurant ce que Nietzsche pense en terme de lente lecture, est en réalité l'extension du pouvoir physique aussi bien de la vie que de l'apprendre ...à... Si comme disait Nietzsche l'âme noble est celle qui donne comme elle prend, alors, le fait de donner le temps n'a de sens que lorsqu'on est en mesure de prendre quelque chose d'autre que nous favorise le temps lui-même. Ce que l'on apprend dans une situation d'apprentissage et de remaniement des choses est d'abord l'envie d'en savoir davantage, car rien n'est donné tout est construit et que plus on sait plus on désire savoir. Ce n'est rien d'autre que l'acquisition de la liberté.

Le projet global d'Averrroès pour l'Éducation fut similaire à celui de Platon. Les deux hommes avaient en effet une tendance à programmer l'enseignement et l'éducation pour un grand public large afin qu'il puisse vivre un certain bien. En empruntant le concept moderne de l'éducation, on peut qualifier les deux hommes (Platon et Averroès) comme des instaurateurs du principe de l'éducabilité de l'intelligence. Cette comparaison ressort des intentions d'Averroès à vouloir éduquer les femmes de la même manière que les hommes. En effet, sa considération pour l'éducation de la femme ressort de son commentaire de la citation qu'on retrouve dans la République de Platon où il va plus loin (de la même manière que Platon) à penser la possibilité qu’à la femme à devenir philosophe. A partire de là c’est le mythe de la pensée grecque et de la pensée arabe de la période dite du paganisme, qui est ébranlé et dépassé.

La citation de Platon dont Averroès parlait du statut de la femme a fait de lui un philosophe de l'ouverture. Cette citation souligne : “ ‘Si la nature de l'homme et de la femme est identique et que toute constitution de même type doit déboucher sur une activité sociale précise, il est alors évident que, dans cette société, la femme, doit accomplir les mêmes tâches que l'homme (...) Quand certaines femmes ont reçu une excellente instruction et montrent des dispositions remarquables, il n'est pas impossible qu'elles deviennent philosophes ou dirigeantes’ ” 154 . On peut se demander dans cette perspective si le rapport entre l'éternité, la temporalité et l'éducation de la femme, n'est pas légitimé en faveur du principe de l'éducation et de la formation permanente pour contribuer activement à l'extension du pouvoir physique du bonheur du connaître. Certains poètes arabes de la période moderne et contemporaine, vont plus loin dans cette comparaison pour impliquer le sexe féminin dans le devenir de l'éducation, puisque c'est sur lui que repose la tâche primaire de l'éducation qu'est l'amour de la lecture et de l'écriture. Car étant en contact permanent avec l'enfant, le sexe féminin peut contribuer à la création chez le sujet, de situations motivantes.

On remarque donc à travers ce passage qui redonne une considération à la femme, que le projet éducatif qui avait pour tâche l'instruction pour lutter contre ce qu'Averroès lui-même appelle : “ l'intelligence du vulgaire ” 155 , était un projet global pour faire répandre le rationalisme dans le milieu social, et contribuer par là-même à l'extension du pouvoir du connaître et de gouverner. Ce pouvoir de connaître tient sa place de l'implication d'Averroès et d'Avicenne dans l'ouverture sur la pensée philosophique grecque et surtout sur ce que cette pensée tenait quant à l'essence de l'âme. En tout cas, Avicenne et Averroès se sont trouvés devant deux solutions possibles pour trancher la question de l'âme qui est proche et propre à l'homme et que nous qualifions aujourd'hui par la psyché (psychologie expérimentale, comparée, clinique etc.).

Ces solutions, sont d'une part philosophiques, et d'autre part religieuses ou divines. Pour la première, elle trouve son sens chez Platon et chez Aristote qui ont longuement discuté et défini le sens et l'essence de l'âme. Quant à la seconde, elle trouve sa réponse dans une solution métaphysique qui marque la limite et l'incapacité de l'homme à discerner le sens de l'Esprit et de l'âme (Rouh et Annafs). Cette incapacité est annoncée par ce verset coranique clair-précis, qui n'est pas ressemblant. Ce verset est repris par Averroès, qui souligne : “ ‘Ils t'interrogent au sujet de l'esprit. Dis :  l'esprit est fait de mon seigneur ; et il ne vous a été donné que peu de science’. ” 156 Cela étant la traduction du verset : “ oi yasâlounaKa ani arrouhi Koul min amri rabi ”, si nous la voulons mot à mot, on dira ‘: “Ils t’interrogeront : qu'en est-il de l'Esprit (ARROUH) ? dit (ou répond) : son ressort (son destin) est du sort de mon seigneur ’”. Cette traduction, comme on le constate est proche de celle d'Alain de Libera. Le Coran, n'a pas donné de réponse significative quant au sens de l'Esprit. Par contre en ce qui concerne celui de l'âme, il pense qu'elle est éternelle tout en étant corrompue. C'est pour cette raison que les approches psychologiques et psychanalytiques prennent en considération ce qui se passe dans l'âme du sujet lors de toute action, en vue de le transporter d'un état de moindre équilibre à un état d'équilibre supérieur.

Distinguer l'âme de l'Esprit, est une difficulté, qui se dissimule du verset ci-dessus. Elle se pose même aujourd'hui pour ceux qui traitent de l'éducabilité de intelligence, de la recherche de la manière de l'action du sujet pensant. La légitimité qui nous renvoie au traitement de cette question, repose sur le fait que l'âme est immortelle. En plus si dans l'agir de l'âme les imprévus multiplient les imprévus, alors cela est une raison de plus pour s'y intéresser tout en ayant présent à l'esprit cette distinction entre, l'Esprit qui est insaisissable et inconnaissable, et l'âme qui est animée par l'ambivalence entre l'amour et l'agressivité. Le Coran a en effet, tranché dans cette détermination de l'éternité de l'âme en disant : “ ‘O âme tranquillisée, retourne vers ton seigneur, agréante, agréée ; entre donc parmi mes esclaves, et entre dans mon paradis ! ’”. (notre traduction mot à mot du verset).

Malgré toutes ces précisions avancées d'une manière fortuite, Avicenne et Averroès n'ont pas choisi la solution divine : la coranique, pour expliquer la teneur et le sort de l'âme. Cela s'explique par le souci de la conséquence qui les a animé. Car s'ils avaient cherché à légitimer de prime abord le divin, ils ne seront pas traités de philosophes mais de théosophes. La philosophie en effet, n'est pas soumise à des prémisses divines ou religieuses. Mais la question est de savoir si vraiment Averroès et Avicenne ont-ils réussi cette transposition didactique de la vertu, de l'âme et de la logique ? Pour répondre à cette question il faut avoir présent à l'esprit ce que Platon et Aristote ont souligné quant aux idées de l'âme et de la logique, et puis ce qu'en pensèrent Avicenne et Averroès. Ce qu'il faut à nos yeux retenir de ce passage et de cette transposition, est que l'idéalisme grec fût un idéalisme objectif, alors que celui des philosophes arabes était un idéalisme subjectif. Il y a eu donc au cours de la dépersonnalisation du savoir philosophique, une decontextualisation, un passage de l'idéalisme objectif à l'idéalisme subjectif, un passage de la philosophie à la théosophie puis à la pansophie. On peut même dire qu'il y a eu un passage de la philosophie première à la philosophie vraie. L'articulation de la logique démonstrative et argumentative qui surgit de la difficulté à distinguer avec Averroès la place de la méthode dialectique, démonstrative, rhétorique, sophistique et argumentative, est illégitime et injustifiable. En plus, les philosophes arabes ont trahi aussi bien le savoir philosophique que le savoir religieux, trahison dont les conséquences ne manquèrent pas de nuire à l'authentique, qu'est l'acte du philosopher qui fut une mission proprement grecque.

Avant d'apprécier la légitimité ou l'illégitimité des démarches et des paraphrases d'Aristote par Avicenne et d'Averroès, tenons à expliquer et à analyser davantage le passage de la philosophie à la théosophie. Et pour mieux comprendre la variable commune aussi bien à la philosophie grecque qu'à la pensée philosophique islamique, nous proposons la discussion du sens de la transposition didactique de l'âme et de son immortalité.

Chez Avicenne, la théorie de l'âme trouve son sens dans ce qu'il en a écrit dans : la Guérison 157 . En réalité la comparaison entre ces écrits et ceux de Platon et d'Aristote est en elle même une transposition didactique de la vertu. Cela signifie au fond que pour transmettre et transposer un savoir il faut d'abord s'adresser à l'âme, à l'esprit et au coeur, car comme Pascal le laisse entendre le coeur a ses raisons que la raison n'en n'a point. Dans les contes arabes, le vrai savoir et la vraie science sont toujours retenus dans le coeur. Autrement dit, ce n'est pas la raison de l'esprit qui retient mais c'est celle du coeur. Nietzsche dira plus tard que l'art de retenir est le propre du génie qui est le génie du coeur, qui se souvient de toutes les promesses qu'on lui a faites dans le passée, qu'il retient dans le présent pour en faire oeuvre dans l'avenir 158 .

L'apprentissage par coeur, peut donc être légitimé en faveur de la conservation de la mémoire et de la lutte contre l'oubli. On ne sait pas encore si ce constat est prouvé scientifiquement. Il reste malgré tout, sujet des différents débats. Si l'on étudie de près ce que Avicenne a écrit soit dans le “ Schifâ ” (la Guérison), soit dans “ le Najat ” (le Salut), soit dans : “ Al icharat oi tanbih ” (Les signes et les rappels) 159 , on s'aperçoit que la quasi-totalité de ces écrits, sont une transposition didactique d'un vieil acte virtuel à savoir l'acquisition des connaissances par la voie de la méthode de l'organon, connue depuis Platon et les Stoïciens. Avicenne est parti de la question suivante : l'instrument de la connaissance qu'est la logique est-il un instrument ou une partie de la philosophie ? En réalité cette question rappelle la polémique qui opposa Péripatéticiens et Stoïciens. Avicenne adopte une position conciliatrice en intégrant la philosophie dans la logique et la logique dans la philosophie et ce sous certaines conditions. C'est ainsi qu'il pense que : “ ‘la logique peut devenir un instrument aussi bien qu'une philosophie et cela dépend du point de vue dans lequel on se place : si l'on considère que l'objet de la logique est certains étants envisagés selon un certain mode, qui permet de passer du connu à l'inconnu, la logique par là-même tombe sous la définition de la philosophie qui est “ la science des étants, quels qu'ils soient ” et elle en est une partie’. ” 160 . Puisqu'elle est la science d'un étant caractérisé d'une certaine manière, la logique est alors une connaissance qui aide à l'acquisition d'une autre connaissance. Elle est par là-même un instrument et un organon. La logique en tant que connaissance auxiliaire n'est pas une matière pour la connaissance-but. Elle est au contraire auxiliaire en tant que “ balance ”, du fait qu'elle n'est pas seulement une partie intégrante de l'opération de la pensée. Qu'en est-il donc de la logique du sens de l'âme dans cette même perspective ? La réponse à cette question trouve son sens dans le De Anima (Traité de l'âme d'Avicenne) qui est en lui-même un transfert des connaissances philosophiques acquises dans le De Anima d'Aristote.

Pour comprendre les enjeux de la transposition didactique de ce type du philosopher, l'exposé des grandes idées philosophiques des différents auteurs est pour nous une chose tout à fait évidente. Puisque le projet d'une telle comparaison est vaste, alors une transposition didactique de la transposition didactique à caractère simpliste s'impose d'emblée pour résumer les idées des deux philosophes quant à la logique du sens de l'âme, qui nous a conduit à ce débat. En effet, pour Aristote aussi bien que pour Platon, l'âme est immortelle. Cette idée va être reprise chez Avicenne et commentée ensuite par Averroès.

Puisque l'âme aux yeux d'Avicenne ne disparaît pas avec la disparition et la transformation du corps, alors cela est une raison de plus pour chercher à la cultiver, à s'ouvrir sur elle. Car étant donné qu'elle est un mystère, elle peut en cacher d'autres. Les imprévus qui ne cessent de multiplier les imprévus, sont une spécificité de l'âme des sujets pensants. Marx a laissé entendre en effet que dans le domaine de l'homme des imprévus peuvent en cacher d'autres. Cela n'est rien d'autre qu'une allusion, (non déclarée ouvertement) à ce mystère qu'est l'âme dont les philosophes, et même Dieu pour la pensée islamique n'ont pas donné d'explications précises, si ce n'est que son aspiration à l'éternité.

Pour Platon l'âme et le corps sont nettement séparés l'un de l'autre. A vrai dire et pour celui-ci, c'est bien l'âme qui domine le corps. Au sujet de celle-ci, Platon a réunit ses arguments quant à son immortalité. C'est ainsi qu'il souligne : ‘“ Ce qui est divin immortel, intelligible, ce qui est indissoluble et possède toujours en même façon son identité à soi même, voilà à quoi l'âme ressemble le plus’ ” 161 . Il en est de même à quelques exceptions près pour Aristote. En plus de sa classification des différents états de l'âme : végétative, sensible et l'âme raison ou esprit, Aristote annonce que l'âme est le principe formel de tous les corps. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Aussi l'âme est-elle l'entéléchie première d'un corps naturel possédant la vie en puissance : tel est le cas de tout corps organisé’ ” 162 . L'immortalité de l'âme, ressort de la conception aristotélicienne du temps du mouvement de l'âme. Cette dernière est parmi les êtres qui sont comme dit Aristote : des “ eKei ” c'est-à-dire des êtres là-bas, que le temps ne fait pas vieillir. Exempté de tout changement, de toute altération de toute passivité, ils jouissent de la meilleure vie la plus indépendante et ils continuent ainsi et pendant toute l'éternité. Ce sont ces êtres qu'Aristote nomme : “ aion ” à savoir les perpétuels et les éternels dont l'âme en fait partie. Or on sait que cette expression a déjà été employée par Platon. Et c'est sur cet emploi que les philosophes arabo-islamique vont revenir. C'est à partir d'elle qu'ils ont vécu un glissement que je peux traduire par, la falsification des concepts et des notions philosophiques. En effet, penser la conciliation entre Platon et Aristote en faisant référence à l'existence – chez les deux philosophes – d'une même terminologie philosophique, est en soi du non sens. Car comme nous venons de le voir avec Gaston Bachelard qu'un même concept désigne et explique à la fois, la désignation est la même mais l'explication est différente. Nous voilà enfin, en plein problème de la signification. Aristote par exemple a donné à l'expression platonicienne : “ aion ” un sens qui n'est pas celui que Platon lui attribua. Il précise que l'aion, le perpétuel ou l'éternel, est en soi visible qu'il est équivalent à “ télos ”, de tout le ciel. Par conséquent, l'univers visible embarrasse tout le temps ainsi que son infinité. Cela veut dire enfin de compte que l'idée, le sens de l'âme est quelque chose d'omniprésent, et que l'esprit agissant n'est pas lié au corps. Il est au contraire immortel.

Nous insistons sur ces considérations d'ordre philosophique générale pour deux raisons. D'une part pour renforcer notre idée du départ, qui consiste à dire que pour faire agir, pour sensibiliser et mobiliser, il faut que l'éducateur, le maître et l'enseignant puissent travailler sur la création de situations motivantes. Et d'autre part, ce même travail doit être non pas celui de la purification de l'âme, mais celui de son implication dans la recherche et dans la lecture. Par conséquent, “ sensibiliser pour mobiliser ” devient proche d'une action qui s'astreint à “ responsabiliser pour économiser l'effort didactique ”. C'est d'ailleurs ce que fera Aristote dans l'Ethique à Nicomaque, lorsqu'il a cherché à inculquer un savoir simpliste à ses auditoires tout en employant des procédés métaphoriques, allégoriques et rhétoriques.

revenir à la transposition didactique de la logique du sens de l'âme chez Avicenne, on doit avant tout penser la place du Traité de l'âme d'Aristote qui a donné lieu au Traité de l'âme d'Avicenne. En analysant le rapport d'Avicenne à Aristote quant aux idées de l'âme, Ahmed Hasnaoui souligne : “ Avicenne reprend ici pour le traité de l'âme dans son rapport aux écrits biologiques, ce qui a été dit par Aristote pour la physique dans son rapport aux écrits “ physiques ” 163 . On a l'impression à lire les propos de cet auteur, qu'Avicenne n'a fait que de paraphraser Aristote et Platon. Cela est si bien vrai, surtout lorsqu'on examine de près les contradictions dont Avicenne fût tombé à la fois vis à vis de la religion islamique et vis à vis de la philosophie. Lorsque Avicenne parle des “ intentions intélligées premières ”, comme étant des concepts du premier ordre, et “ des intentions intélligées secondes ” 164 pour désigner les concepts de second ordre, il falsifie le sens aristotélicien de la logique de l'âme. Ce sens que nous venons d'exposer n'est rien d'autre que la relation de connexion nécessaire entre l'âme et les corps où la seule composante qu'est l'esprit, (l'esprit en tant que premier moteur immobile), jouit d'une autonomie et d'une éternité. L'un des aspects de la decontextualisation qui émerge de cette transposition didactique du philosopher, est que l'âme d'après Aristote est en relation avec l'idée de la temporalité, alors que chez Avicenne elle ne l'est pas, car à côté de la syllogistique catégorique d'Aristote qui ressort des états d'âme et de ses catégories, Avicenne développe une syllogistique hypothétique d'où la différence du sens de l'âme qui, chez Aristote avait un sens catégoriel que Aristote a cherché à déterminer par le biais de la syllogistique catégorique. Ce sens devient chez Avicenne hypothétique. Il est posé comme un simple postulat dont il faut simplement croire. Ce postulat étant posé, explique la place de la variable personnalité du philosophe, qui est au fond d'inspiration religieuse. Le plus important chez lui est que cette croyance ne trouve pas son sens dans la référence du moins ouvertement aux écrits coraniques qui en discerne ce même sens, mais au contraire dans sa référence à une science qu'est les mathématiques, science qualifiée à l'époque de modèle. Ce même modèle va trouver son écho chez Leibniz et même chez Descartes qui l'un et l'autre vont prouver l'existence de Dieu tout en usant des mathématiques comme le modèle rationnel qui permet d'accéder à la vérité.

Le lien qu'Avicenne cherche à établir entre la pensée platonicienne de l'émanation et la doctrine aristotélicienne de l'intellect, prouve l'influence qu'Al Farabi a eu sur lui. Ce lien témoigne aussi de la curiosité philosophique d'une pensée qui hérite d'une autre pensée via l'inspiration et qui donne lieu à l'émergence de la transposition didactique du philosopher. Il est vrai que l'ouverture sur l'autre ne garantie en rien la maîtrise des cadres conceptuelles de sa pensée encore moins ceux de l'écologie de son savoir. L'ouverture en transposition didactique du philosopher est en elle-même une aventure qui peut engendrer aussi bien des élargissements des possibilités que des rétrécissements. Cette situation fut le vécu des philosophes arabo-islamique, que nous venons (à tord ou à raison) de qualifier de théosophes et de philosophes de l'ouverture.

Avicenne a cherché à établir un lien entre la théorie de l'émanation avancée par Plotin et la doctrine de l'intellect retenue par Aristote. Le fondement de ce lien repose sur le fait que puisque pour Aristote, l'Un se suffit à lui-même, qu'il n'a pas de pluralité en soi, alors il existe nécessairement. Avicenne va reprendre le problème de la nécessité au sens d'Al Farabi, qui s'est inspiré de la théorie de l'émanation de Plotin, pour enfin laisser penser que la nécessité a pour essence la liberté qui ne peut être que productive. Et puisque c'est en l'Un qu'essence et existence sont liées, alors il ne peut émaner de lui qu'une intelligence première qui va exister nécessairement : librement. Cette intelligence première, témoignera de l'existence éternelle de l'Un. La création hiérarchisée du monde provient donc (si l'on en croît Al Farabi et Avicenne) de l'activité spirituelle de la première intelligence créée. Alors qu'à la limite inférieure va naître ce qu'Avicenne nomme : l'intellect actif qui a pour fonction d'illuminer l'intellect passif de l'homme et de fournir des formes à la matière terrestre. Mais alors ce lien ne serait-il pas une sorte de contradiction ? Que l'intellect actif et l'intellect passif vont se trouver en relation de connexion nécessaire, car puisqu'ils ont nécessairement la même origine : l'intelligence première, alors l'un illumine l'autre. Cette syllogistique hypothétique est en soit “ ‘une logique des propositions’ ” qui nous rappelle celle des Stoïciens pour qui “ ‘les propositions de l'esprit peuvent être valables pour le raisonnement ’” 165 . D'ailleurs pour les Stoïciens dieu (Zues) est en soi une raison. Cependant dans l'optique de ceux-ci, penser avec sa raison c'est aussi penser avec dieu.

En ce qui concerne maintenant la question de la falsification des notions philosophiques, on doit s'en tenir à quelques unes qui sont en rapport avec l'âme, le statut de l'Un, et la notion du mouvement des corps.

Commençons par la dernière qui va nous éclairer sur la première et sur la seconde. La définition aristotélicienne du mouvement est en effet dans une large relation avec celle du temps. En effet Aristote définit “ ‘le temps comme le nombre ou encore la mesure du mouvement ou la mesure du changement’ ” 166 . De cette définition découle une conséquence à savoir que l'absence du nombre comme l'absence du changement, implique l'absence du temps. Cela signifie que l'absence du temps soumet les êtres qui sont toujours, à ne pas être dans le temps du fait qu'ils sont toujours. Dans une telle situation on ne peut pas donc concevoir ni un temps plus long, ni un nombre plus grand qui les embarrasse. Le commentaire d'Avicenne quant au mouvement est d'une importance considérable malgré sa falsification. D'abord comme on peut le constater, Aristote pense l'absence du mouvement. Dans la temporalité spirituelle chrétienne, l'autorité spirituelle a certainement trouvée dans cet absence une légitimation de la mort de Copérnic qui fut condamné pour l'idée même du mouvement de la terre. L'Eglise en effet n'a admis sa faute criminelle que tardivement. Avicienne inspirée par “ l'Ecriture Sainte ”, sans l'exprimer ouvertement va partir d'une idée, dont le verset coranique disait : “ Oi Koulon fi falaKin yasbahoun ” que nous proposons de traduire par : “ ‘Tout se meut (baigne), en orbite dans un corps céleste’ ”. Ce point du départ n'est pas affirmé (de la part d'Avicenne) d'une manière explicite. Il est en fait renvoyé. A partir de là, il y a lieu dans le cadre de la transposition didactique, de soutenir l'idée qui consiste à dire que : “ ‘le passé ne passe pas, et que le patrimoine réside dans l'inconscient structurel des individus et des masses’ ” 167 . La variable P (personnalité) d'un chercheur ou même d'un philosophe, finit peu ou prou tôt ou tard par se manifester à travers ses écrits, et ses travaux. Ce n'est rien d'autre que la relation de connexion nécessaire entre le savoir et son écologie. Parfois on a tendance à penser que l'évacuation de la subjectivité en vue de la mise en forme de l'objectivation, est une solution pour ne pas tomber dans la métamorphose des résultats. Cela n'est pas toujours vrai. Le renvoi implicite, a certainement rendu service à la science, car lorsque l'ouverture s'impose, c'est en vue de chercher ce qui se cache au-delà des faits, des actions, et des expressions diverses. Lorsque Emile DurKheim disait qu'il “ n'y a d'une science que du caché ”, cela est une légitimation pour penser à chercher et à construire le sens. Car rien n'est donné tout est construit. Cette approche est une raison pour penser que la vraie philosophie est celle qui se construit dans la rencontre, le rendez-vous, la combinatoire et l'inspiration, des sujets les uns des autres. Elle est une démarche à travers laquelle les sujets mettent à l'oeuvre ce qui les anime comme étant un toujours-déjà qui a des effets dans le déjà-là. Ce n'est rien d'autre que la personnalité du sujet mise en forme. Ce n'est rien d'autre que la subjectivité en pratique.

Pour détailler la question du mouvement et du vrai de l'Un, une question qui nous aidera l'étude de la transposition didactique du sens du corps, je propose sans tarder de débattre du rapport d'Avicenne à Aristote, ainsi que du dépassement du second par le premier, et ce tout en analysant le problème de l'impétus 168 . Cette démarche permettra de comprendre le sens de la transposition didactique des objets de savoir de la méthodologie de la psychologie expérimentale en tant que discipline autonome au cours de laquelle nous traiterons de la perception et de la sensation.

La théorie de l'impetus est destinée à expliquer la persistance du mouvement d'un projectile, l'idée d'espace absolu, ou celle de substance matérielle réduite à une extension tridimensionnelle, qui est une nouvelle formule de la chute des corps. La théorie de l'impetus, peut résumer les attaques dirigées contre l'éther qui est le cinquième élément chez Aristote. On sait que ce dernier pour expliquer le mouvement d'un projectile, a fait un recours à la notion d'un milieu propulseur. L'idée principale d'Aristote ressort du grand intérêt qu'il portait à l'espace et à la notion de milieu. En effet pour lui, il y a toujours une proportionnalité entre le temps que met un corps dans son mouvement naturel à travers des milieux différents et les densités de ces milieux. Nous verrons dans les prochains chapitres que cette même idée avait des échos dans la transposition didactique de la méthodologie de la psychologie expérimentale et en particulier chez Fechner et chez P. Fraïsse, qui penseront que lorsque la densité physique accroît, on assiste aussi à l'accroissement de densité psychique. Telle est la Loi dite : Loi de Fechner.

L'idée aristotélicienne de l'équivalence proportionnelle entre temps et espace a été critiquée par Philopon chez qui Avicienne va trouver quelques réponses décisives quant à ses préoccupations : l'immortalité et l'immatérialité de l'âme ainsi que l'infinité existentielle de l'Un. L'idée de Philopon repose sur un transfert du rôle essentiel de l'impétus. A l'en croire sur ce point précis, il existe en effet une sorte d'élan, de variable personnalisée, communiqués par le projecteur ou le lanceur à l'objet lancé. Au cours de ce mouvement, l'impétus se corrompt de lui-même quand il est lancé, car il dégage une énergie à travers son contact avec les autres corps, et même lorsqu'il se meut sur lui-même dans le vide. Cela explique son usure. Avicenne reprend cette idée, en ajoutant que lors du mouvement, la prise en considération du milieu est évidente. On pourra à partir de là, laisser penser qu'Avicenne est encore aristotélicien. Mais il n'en n'est pas davantage, car pour lui, la prise en compte de la force acquise par l'impetus est évidente. Mais qu’est-ce que la force acquise ? Avicenne pense qu'elle est celle de la consommation. Pour lui, il faut prendre en considération et la résistance du milieu et la gravité du corps mû, qui interviennent dans l'impértus. Avicenne va s'éloigner de l'idée de Philopon 169 tout en prenant en considération la notion de milieu, et par là-même il se rapproche d'Aristote. Cette prise en compte du milieu se fait de manière différente. Pour ce qui est du mouvement forcé, le milieu intervient chez Avicenne, conjointement à l'inclination naturelle du mobile et ce pour expliquer l'arrêt du mouvement qui, sans cela continuerait à exister indéfiniment. Alors que chez Philopon, qui considère le cas d'un mouvement forcé ayant lieu hypothétiquement dans le vide, l'impétus et par conséquent le mouvement, s'exténueraient d'eux-mêmes. Dans le cas du mouvement naturel, en revanche, le milieu joue un rôle de condition nécessaire du mouvement chez Avicenne, de résistance retardatrice seulement chez Philopon, de sorte que, là aussi, on peut concevoir un mouvement naturel ayant lieu hypothétiquement dans le vide. Ainsi on retrouve chez Avicenne le principe aristotélicien de la conception de l'espace comme étant un lieu définit comme : “ ‘la limite immédiate immobile de ce qui enveloppe le corps’ ” 170 .

A partir de là, Avicenne va réfuter l'existence possible du vide toute en refusant en même temps l'idée de l'étendue spatiale, une conception chère à Philopon. En effet, bien qu'il ne croie pas à l'existence actuelle du vide, Philopon considère que le fait d'être occupé par un corps n'est pas une caractéristique essentielle de la notion d'espace : le vide considéré en lui-même pourrait subsister sans corps. Ce refus par Avicenne de l'étendu aussi bien que du vide, incarne une fidélité non déclarée au principe du mouvement qui anime toutes les choses du Cosmos, principe déclaré ouvertement par le verset coranique : “ oi Kulun fi falaKin yasbahoun ” que nous traduisons par : “ ‘(...) Et chacun en orbite dans un corps céleste’ ”.

A partir de cette discussion des idées du mouvement et du temps, Avicenne va passer à la discussion du vrai de l'Un et à son immuabilité. Il va procéder de la même manière qu'Al Farabi à la recherche de la manière dont laquelle se fait la procession des êtres à partir du principe premier. Son inspiration des idées plotinnienne repose sur la critique que Plotin adressa à d'Aristote. Cette critique repose à son tour sur la privation du statut du premier, pour ce qu'Aristote nomme “ le premier moteur immobile ”, qui se pense lui-même. Aux yeux de Plotin, Aristote le prive par là même du statut du premier. La critique de Plotin consiste à dire que “ l'idée du bien est au-delà de l'intelligence et au-delà de l'être ”. Plotin reproche également à Aristote d'avoir admis “ ‘plusieurs intelligibles, autant qu'il y a de sphères célestes ’”. Avicenne va trouver dans ces deux traits, un fondement pour sa théorie de l'émanation, il n'a fait que de répéter ce qu'en pensait Al Farabi et Plotin avant lui.

Les conséquences métaphysiques de cette reprice sont très graves et c'est l'une des raisons qui nous pousse à considérer cette transposition didactique illégitime. Avicenne en effet, altère Aristote en le paraphrasant. Cette altération ressort de sa proposition hypothétique qui place au sommet du système des intelligences motrices dont parlait déjà Aristote dans sa métaphysique, un être qui est à la fois l'un, absolu et une intelligence. En plus il introduit une relation de causalité efficiente entre lui et les autres intelligences. Ce qui pose problème dans ce principe premier, c'est qu'on ne sait pas s'il est nécessaire ou contingent. Car dans la logique d'Aristote, le principe du premier n'est pas associé à un orbe céleste, alors qu'il l'est pour Al Farabi et pour Avicenne. Pour Aristote le premier moteur se suffit à lui-même il n'a pas à intervenir dans le mouvement du monde, il est – dit Aristote –, immobile. Cela n'est donc pas le cas pour les philosophes arabes devenus théosophes. Ils pensent que le premier moteur (le vrai de l'Un) a au contraire une responsabilité dans tout ce qui arrive, dans tout ce qu'il y a de commun dans les divers mouvements des orbes célestes, c’est-à-dire qu’il est responsable à la fois sur leur caractère circulaire et éternel.

Le problème métaphysique dont les réponses d'Avicenne incarnent des conséquences très graves, est celui de l'idée qui a dirigée son travail du début jusqu'à la fin. La question maîtresse qu'il s'est posé comme tout autre théosophe, est comment le multiple surgit-il de l'un ? Cette question n'est pas à l'instar de celle que Goethe s'est posé en cherchant comment l'autre sort du même, qui est au fond une question métaphysique qui surgit de la physique. Le propos de Goethe traduit un renversement de la tâche de la métaphysique, un renversement qui se rapproche de celui de Schopenhauer, qui a laissé penser que : “ ‘toute chose physique est par essence métaphysique’ ” 171 . La manière dont Avicenne aborde le problème est une question qui a piégée des philosophes avant lui (Al Farabi), et après lui, Ibn Rusch (Averroès). Cette question de la détermination de l'Un, de son pouvoir, est en elle même politique, car à cette même époque tout se jugeait au non de la théocratie. Celui qui a eu le courage de s'opposer à la religion fût égorgé ou exilé. Il est vrai que parfois il ne faut croire – comme le disait Pascal – que l'histoire dont les témoins furent égorgés. Ainsi et par crainte de ce sort qui fût réservé à tous ce qui usaient de la logique pour réfuter des opinions admises, Avicenne fût tombé dans des contradictions et dans des antinomies latentes restées sans réponses. Par conséquent, ces philosophes-théosophes ont falsifié le vrai rapport à l'acte du philosopher. Comment ont-ils eu l'audace de concilier à la fois Plotin, Platon et Aristote ? Sachant bien que ces systèmes philosophiques ne sont pas homogènes, qu'ils n'ont rien de commun si ce n'est que l'écologie du savoir ! La conception de l'âme est donc falsifiée. On ne sait pas qui est-il éternel ? Qui est-il perpétuel ? Qui est-il immortel ? Est ce les intelligences ? Et dans ce cas de quelle intelligence s'agit-il ? de celle de l'âme ou de celle du premier moteur ? Sachant bien qu'Avicenne refuse l'idée de Dieu et celle de l'intelligence de l'homme en tant qu'esprit pensant, comme des objets d'études propres à la métaphysique générale. Par contre et pour sortir de cet embarras, Avicenne annonce que l'âme peut faire l'objet d'une métaphysique spéciale dont “‘ les objets seront séparés de la matière, dans leur subsistance et leur définition ’” 172 . Cette séparation est fondée sur l'incompatibilité des principes de l'Etant et de ceux de la causalité libre opéré par simple nature. C'est ainsi que Avicenne souligne : “ ‘On ne saurait établir dans la métaphysique les principes des étants, car pour un étant pris dans sa nature d'étant d'être un principe, n'en étant ni constitutif ni exclu, et par là-même une affection accidentelle ; il en est en outre une affection propre, puisqu'il n'est ni plus général ni plus particulier que l'étant ; le principe, en second lieu, n'est pas principe de la totalité de l'étant, mais seulement de l'étant causé, de sorte que l'on n'enfreint pas la règle alléguée ’” 173 . La métaphysique doit donc chercher un autre sujet qui sera séparé de la matière. Ce sujet est celui dont : “ ‘l'être de la substance en tant que simplement substance – dit Avicenne –, ne dépend pas de la matière, car sinon il n'y aurait de substance que la substance sensible’ ” 174 . Il est donc claire que la non conséquence d'Avicenne est légitimée par ce qu'on peut nommer avec J. T. Desanti : la philosophie silencieuse 175 , qui porte la crainte du pouvoir. Après tout vaut-il vraiment la peine d'être victime de ses propres principes ? Avicenne n'a pas fait ce choix comme l'avait fait Socrate avec courage, ou encore certains MoutaKalimin comme les Mouâatazilâa (rhéteurs, orateurs et dialecticiens, équivalents aux sophistes pour la pensée grecque).

Bien qu'Avicenne ne fasse que paraphraser Aristote et le néoplatonisme, en mettant au premier plan les concepts d'être nécessaire, et en introduisant l'idée de causalité efficiente, une causalité créatrice d'être, développant sa théorie de l'essence et de la triple considération de l'essence, il a par là même ouvert une véritable voie pour une autre transposition didactique du philosopher qui trouvera son sens dans une synthèse entre aristotélisme et néoplatonisme, et c'est à partir de là qu'une étape nouvelle va naître dans l'histoire de la philosophie, de la métaphysique et de la transposition didactique du philosopher. Cette étape trouvera son extension dans l'occident musulman avec l'Averroès latin qui transposera en priorité Aristote qui deviendra arabisé.

Cette situation fût en elle même une transposition didactique, car elle tenta de mettre en place une manière de philosopher qui n'était rien d'autre que l'éloge du rationalisme. A t-elle réussi dans cette mission qu'on peut qualifier en terme de tâche ? La réponse à cette question peut tenir l'objet d'une recherche à part entière. Pour n'en donner que quelques éléments de réponse, on doit simplement nous restreindre à ce qui va nous servir dans cette recherche portant sur la transposition didactique des notions propres à la méthodologie de l'ouverture et de l'achèvement en psychologie expérimentale et en linguistique structurale, problématique qui nous préoccupe depuis le début de cette recherche jusqu'à sa fin.

Il est vrai que le destin de la philosophie d'Averroès est d'abord un destin qui touche plus sa personnalité intellectuelle qui embrassa un destin historique, que son engagement religieux comme on peut souvent le croire. Averroès commenta Aristote et deviendra didacticien plus qu'un philosophe. Son problème fût celui d'accéder à un savoir philosophique vrai. Sans entrer dans des considérations philosophiques qui nous éloignerons du sujet didactique de cette recherche, nous avons préféré de développer le rapport d'Averroès à Aristote quant à deux points bien précis : l'essence de l'âme, et le sens de l'éducation. Pour ce qui est de la première, on a préféré de parler de la logique de la science de l'âme, dont le sujet est honorable, car comme Averroès le souligne en faisant allusion à Aristote : “ ‘les choses des sciences théorétiques sont les plus élevées et les plus remarquables’ ” 176 . Quant à la seconde, on a choisi de partir de la manière dont Averroès lisait les Topiques d'Aristote mais aussi de la conception aristotélicienne de l'éducation dans l'Ethique à Nicomaque, une conception qui a eu des répercussions sur la visée averroècienne de l'éducation. Dans cette perspective, la transposition didactique fût d'abord une transposition éducative, car il était question de mettre en place un nouveau type d'enseignement, celui de la rigueur démonstrative “ WathaiK al-bourhan ” qu'Averroès a appelé de ses voeux. Cet enseignement ressort de cette même rigueur qu'on va essayer de questionner pour enfin annoncer la légitimité ou l'illégitimité de ce qu'il faut appeler : la transposition éducative. La recherche du sens des propositions déjà articulées, était le souci commun aux deux maîtres : Aristote et Averroès. C'est ainsi que OcKham souligne : “ ‘qu'Averroès, interprète d'Aristote, dit dans la physique que la dialectique est l'instrument permettant de distinguer le vrai du faux. En effet, elle lève tous ces doutes, résout et éclaire toutes les difficultés des écritures ’” 177 . Cette citation nous laisse penser que le sens de la transposition didactique du philosopher ne peut être que celui de l'herméneutique qu'est la recherche du sens d'une proposition par la voie de la méthode dialectique qui, elle, peut aider à distinguer le vrai du faux. La dialectique, est le bon sens qui n'est pas du tout partagé par tout le monde mais que seuls des philosophes peuvent enfin de compte penser à mettre en oeuvre par le biais d'une méthode argumentative et rhétorique bien précise. Il faut rappeler qu'Aristote, à travers l'Ethique à Nicomaque ou l'Ethique à Eudème, faisait une transposition éducative de l'acte du philosopher tout en prouvant des notions par l'illustration. Cependant, on peut donc dire avec Olivier Reboul “ ‘qu'Aristote illustre des valeurs éducatives plus qu'il n'en prouve ’ 178  ”. Dans la transmission de la philosophie grecque par Averroès dans l'occident musulman, on va assister à un dédoublement de la transposition didactique de l'acte d'éduquer en philosophant. Car il s'agira d'une transposition didactique de la transposition didactique aristotélicienne. Autrement dit, il y a eu un passage de l'éthique et de la politique d'Aristote, à un commentaire et à des paraphrases du même Aristote par Averroès. On doit rappeler que toutes ces paraphrases et tous ces commentaires, ont un but bien précis qu'est la légitimation du divin, la légitimation de la religion islamique d'une manière rationnelle. Ce but est en soi une contradiction dans les termes, car la philosophie et la religion n'ont rien de commun sauf l'attitude morale qu'est le respect. En effet, si la religion prétend livrer la vérité, la philosophie au contraire s'astreint d'une manière permanente à la recherche de celle-ci. Néanmoins, ce que Averroès a hérité d'Aristote est cet effort argumentatif rigoureux qui embrassa aussi bien l'argumentation que la démonstration de son époque. Pour la première, il s'agit de partir comme Aristote, des opinions admises, tout on se retournant contre elle. Ce constat ressort de cette citation d'un commentateur d'Averroès qui souligne : “ ‘Averroès ne pouvait accepter de raisonner sur la base des opinions admises dans un milieu où la discussion était limité à une élite de l'élite, milieu monothéiste où ce qui est admis ou réputé peut se trouver en différence de catégorie avec ce qu'un philosophe peut admettre ’”. 179 Cela signifie au fond que le fait de raisonner sur la base des opinions admises, par le souci du respect de la majorité ou des masses (souci politique), n'est pas toujours l'esprit du caractère scientifique. Car parfois il vaut mieux cultiver l'exception non pas de la majorité mais d'une minorité. Par contre en ce qui concerne la logique démonstrative, elle joue (aux yeux d'Averroès) sur le passage de la polysémisation à la monosémisation. Bien qu'il existe dans la pratique, dans les faits, des vérités qui sont en apparence contradictoires, il n'empêche qu'en réalité une “ ‘vérité n'en contredit pas une autre mais plutôt s'accorde avec elle et lui rend témoignage’ ” 180 . Chez Averroès il n'y a aucune distinction entre l'argumentation et la démonstration. Passer de la polysémisation à la monosémisation, du ressemblant au clair-précis, est une méthode avancée par le texte sacré qui est le Coran. De ce fait, certains orientalistes qui pensent qu'Averroès est un "FaKih" : un théosophe au lieu d'être un philosophe, ne se sont pas totalement trompés. Reste à savoir si l'Islam en tant que croyance encourage ou décourage t-il l'acte du philosopher ? Telle était d'ailleurs la question débattue par Averroès avec énergie.

Pour débattre de toutes les caractéristiques du rapport de la philosophie arabe à l'égard de la philosophie grecque, il est évidement difficile d'exposer tous les différents aspects du rapports entre les deux philosophes dans ce chapitre préliminaire, qui ne fait que d'introduire à la définition du sens de la transposition didactique du philosopher à travers l'histoire. Mais on peut malgré tout, relever aussi bien les traits qui lient les deux philosophes que ceux qui les distinguent. S'agissant par exemple de l'âme, pour Averroès, toutes les âmes humaines doivent être éduquées, être formées, car l'éducation est un devoir pour l'homme. Cela peut d'ailleurs ressortir du Discours Décisif d'Averroès, là où celui-ci reprend les arguments d'Aristote qui tournent autour de la démonstration de l'illustration. En effet, on peut lire par exemple dans ce que Averroès nomme : ‘“ Façl Almaqual fima bayna al hiKma oi charià mina attissal’ ”, que nous proposons de traduire par : (De la rupture du discours, dans la relation entre la sagesse et la Loi), qu'il existe dans la société une “ hiérarchie ” 181 (taratoub) dans la méthode d'accéder à la connaissance et à la croyance. Ces méthodes bien qu'elles soient différentes, elles sont par là-même convergentes autour d'un but. Il y a donc ceux qui croient en employant le chemin ou la méthode (Almanhaj) du syllogisme démonstratif, ceux-là Averroès les nomme : les croyants qui empruntent “ les dires démonstratifs ” (Al Aquaouil al bourhania) ; les dialecticiens qu'il nomme : (les MoutaKalimin) emploient le syllogisme dialectique, et enfin ceux qui emploient le syllogisme argumentatif et rhétorique, qui n'ont que le chemin de la raison du coeur pour accéder à la vérité et à la croyance, qu'il nomme “ Alaoim ” (les populaires les hommes du ouï-dire et du sens commun). En réalité cette triple dichotomie n'est pas admise par Averroès et ce pour la simple raison : la religion et en particulier la “ Charria ” : la Loi islamique est destinée à tout le monde, sans exception, d'où la nécessité d'une méthode et d'un langage qui doit toucher la sensibilité de tous les individus dans la société. Ce langage universel est donc celui qui concilie toutes les méthodes et toutes les démarches tout en reconnaissant les différenciations et la pensée divergente. C'est donc la raison pour laquelle Averroès joue sur la polysémisation de la notion de Vérité pour passer par là-même à sa monosémisation et ce pour dire simplement qu' : ‘“ une vérité n'en contredit pas une autre, mais plutôt s'accorde avec elle et lui rend témoignage’ ”. Voilà donc la manière dont Averroès pense l'ouverture sur l'autre et, est le processus qui l'accompagne. Mais quelle relation cette démarche avait-elle de commun avec celle d'Aristote ? Et qu'en était-il de la place de l'âme ? Car à travers cette conciliation (des croyances des gens) visée par Averroès il y a une unité des âmes qui doivent être éduquées et formées vue le principe de l'humanisation de la connaissance et du savoir. Cette unité est à vrai dire héritée de Plotin, elle trouvera son sens chez Leibniz plus tard, sous le principe du monopsychisme.

La relation de la pensée d'Averroès avec celle d'Aristote ressort à plusieurs endroits des écrits d'Averroès. D'abord on doit nous restreindre à deux citations d'Aristote qui vont bien illustrer le rapport entre vulgarisation scientifique et transposition didactique. Ces deux citations l'une se trouve dans Métaphysique et l'autre dans Ethique à Nicomaque. Toutes les deux ont quelque chose en commun à savoir l'ouverture du savoir et sa relation avec le pour-autre-chose. Cela n'est rien d'autre qu'une ouverture qui émerge du rapport avec la chose qui possède en elle-même son propre mouvement à la fois dynamique et stable. La chose a en effet quelques particularités sur les quelles elle s'appuie pour continuer à tenir debout. Parmi ces particularités on peut citer d'une part les liaisons logiques qu'elle recouvre et d'autre part, l'idée suprême d'un peuple , d'une nation, dont elle témoigne. Le déjà-là de la nature est donc une composante du savoir et du sens.

Ces deux citations que nous allons avancer, montrent en tout cas que la nature peut nous donner des modèles de vie : éducative, morale, éthique ou politique. La nature, où la vie des objets ne sont toujours pas des données fortuites. La nature peut aussi témoigner d'un transfert des catégories éducatives et pédagogiques, un transfert qui part de la chose concrète et qui arrive à la nature sensible de l'homme comme être pensant, capable d'interpréter ce qu'il observe d'une manière fortuite. La chose fortuite peut être génératrice de sens et d'excellentes formes artistiques. Car l'art est là où l'on ne se rend pas compte.

Pour illustrer le rapport d'Averroès à Aristote ainsi que son dépassement nous allons partir de deux composantes de leur philosophie éducative. La première composante, est celle du passage de l'Ethique à Nicomaque, aux commentaires et aux paraphrases qu'Averroès en en a fait soit dans le Discours décisif soit dans sa lecture des Topiques d'Aristote. La deuxième composante, consiste à émerger les différences entre les deux transpositions didactiques de l'acte du philosopher et ce à partir de la distinction de leur point de vue quant à ce qu'on peut appeler la logique du sens, qui ressort de la méthodologie de l'ouverture et de l'achèvement qui s'interroge sur les différentes relations possibles entre le questionneur et le répondant. Partons d'abord des propos d'Aristote quant à l'éducation du grand nombre, et quant à la transposition didactique de la Vertu.

Une citation rendue célèbre par Olivier Reboul et que Jean Tricot s'est forcé de traduire, explique la tâche de la mise en forme des connaissances et des savoirs par le biais de l'ouverture aux choses. La traduction de cette citation pose un simple problème qui n'altère pas le sens de la transposition didactique qu'en voulait Aristote. En effet, pour les deux hommes (Reboul et Tricot dont on salue les mémoires puisqu'ils étaient nos deux maîtres à penser avec lesquels nous avions partagé des discussions et des débats), on remarque qu'il y a aussi bien une entente qu'une opposition quant à la citation d'Aristote qui dit : ‘“ Une hirondelle ne fait pas le printemps ni même un seul jour ; et ainsi la félicité et le bonheur ne sont d'avantage pas l'oeuvre d'une seule journée, ni même un bref espace de temps’  ” 182 . Cette citation a été modifiée par Olivier Reboul à deux endroits différents : dans sa Rhétorique , un Que sais-je ? mais aussi dans un Cours de D .E .A intitulé : Transposition didactique et Rhétorique. Dans ces deux endroits, la formulation : “ un seul jour ” de Jean Tricot, est devenue chez Olivier Reboul : “ un seul bonjour ”. En tout état de cause, au cours de ces reformulations, la formulation aristotélicienne n'est pas tout à fait altérée, car ce que voulait Aristote est la mise au claire les principes de l'éducation à savoir la clarté discursive et esthétique. Esthétique dans l'Ethique à Nicomaque, et discursive dans les Topiques.La différence entre la formulation, le jour et le bonjour, n'est pas trop nette. Car même dans la nuit on ne peut pas saluer et dire bonjour à quelqu'un, faute de l'obscurité et de la peur qui nous embrasse dans la nuit. Cette citation met donc l'accent sur la manière d'échapper à la nuit, à la clarté de l'obscurité. Une hirondelle ne fait pas le printemps ni même un seul bonjour ou un seul jour, est en soi une transposition didactique d'une action virtuelle que tout homme, que tout apprenant doit avoir présent à l'esprit : il doit s'en rappeler pas uniquement dans l'instant présent, mais aussi dans l'instant du présent du passé, du présent du présent et du présent de l'avenir. Penser dans cette perspective un seul temps qu'est le présent, est une manière de penser l'acte éducatif qui doit être centré non pas sur le passé des apprenants, sur leur expérience première préétablie, dont nous venons de faire l'éloge avec l'épistémologie de l'ouverture de Gaston Bachelard, mais c'est aussi une occasion privilégiée de penser ce que ces apprenants doivent réellement connaître et savoir. Si l'on en croit la perspective aristotélicienne qui surgit de cette citation de l'Ethique à Nicomaque, on peut penser à l'argumentation fondée sur l'analogie, qui n'est rien d'autre qu'une ressemblance des rapports entre le thème, (ce qu'il faut comprendre), et le phore, (ce qui est dit, et permet de détailler le raisonnement). Dans cette citation d'Aristote, le phore est exprimé d'une manière allégorique : il y a exagération. Pourquoi dirons nous qu'une hirondelle ne fait pas le printemps ? Simplement c'est pour annoncer le sens du temps présent dont nous venons de souligner avec Aristote la caractéristique de l'étendu et du perpétuel. Autrement dit, ce que Aristote se force de transposer d'une manière vulgaire à Nicomaque, est simplement une part de ses catégories de la connaissance : celle du temps de la liberté, celle du temps de l'exception. Cela signifie en fait qu'un seul instant de bonheur ne garantie en aucun cas le bonheur pour toute la vie, et que l'être apparent n'est pas toujours de l'être réalité. Cela ressort en fait d'une double comparaison qui transforme la métaphore en suite cohérentes de métaphore annonçant par là même une nouvelle figure rhétorique : l'allégorie. Ainsi si l'hirondelle évoque la promesse, alors le printemps va évoquer le bonheur. On peut aussi penser à la transposition didactique d'un acte tout à fait virtuel qu'on peut faire passer à nos auditoires présumés en vue de les éduquer. En effet on peut les inciter à ce lieu du préférable qui ressort de cette métaphore tout en les encouragent à aimer le durable, le préférable au lieu du précaire. Que fait Aristote à travers ce langage de la continuité avec les opinions admises, avec le pôle de ce qu'on pourrait appeler aujourd'hui, le pôle de l'information, du ouï-dire et du sens commun ? En réalité, il ne fait qu'éduquer pour former et pour informer. Cela prouve enfin la non opposition entre les objectifs de formation et ceux de l'information. Ce que faisait Aristote était la diffusion et la transposition de son savoir philosophique dont il fut conscient qu'il fallait l'humaniser à travers le passage de ce que nous venons d'appeler : le passage de l'ésotérique à l'exotérique.

Le fondement de ce passage, est à chercher ailleurs : dans le fondement de tout le système philosophique aristotélicien qui est en réalité animé par la méthode du syllogisme traduisant des apories logiques et philosophiques dont on ne peut que mentionner la diversité des notions, une diversité qui ressort de la citation à travers laquelle Aristote a laissé penser que : “ ‘l'être se prend on plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie’ ”. Le conseil d'Aristote à Nicomaque, n'est pas aussi banale qu'on pourrait le penser. Il incarne le sens de la diversité de la notion du temps qui n'est rien d'autre qu'une différence d'impression que l'homme se fait quant à sa calculabilité, quant au jugement qu'il porte sur lui, sans pour autant penser qu'il est une composante interchangeable. On oublie souvent que le temps est là, comme étant un laps qui échappe à la notion de mesure. Ce qu'il faut certainement rappeler, est son éternité perpétuelle qui éclate de ces propos de Ronsard :

‘Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame
Las! le temps non, mais nous nous allons... 183

Il semble donc que dans la philosophie grecque, notamment dans celle de Platon et d'Aristote, la notion du temps embrasse l'éternel et le perpétuel. Que vont donc faire les philosophes-théosophes arabo-islamique, de cette même idée lors de leur transposition didactique du philosopher ? Sachant bien que le temps dans la perspective islamique n'est pas toujours éternel, bien qu'un verset coranique fixe la création en l'espace de six jours ? Qu'en est-il donc (dans l'optique de ces théosophes), de la proposition aristotélicienne qui consiste à dire, que la nature sensible peut nous donner des modèles de vie ? D'ailleurs Nietzsche a repris cette invariant fonctionnel qu'est l'éternité de la matière qui est chère à la pensée grecque et Heidegger après lui, le reprit aussi pour marquer sa nostalgie à l'égard de cette pensée. En effet lorsque Nietzsche disait : “ ‘Apprenons de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir ’” 184 , il voulait simplement par là même rester fidèle à l'acte philosophique aristotélicien qu'est celui de l'ouverture aux choses. C'est la même idée que développera Heidegger en laissant entendre la continuité et l'historialité des choses sensibles et factices. La chose est notre chose et nulle autre, disait-il.

Avant de répondre aux questions de la relation entre philosophie et théosophie, que nous venons d'avancer d'en haut, et qui touchent le problème de la transposition didactique du philosopher, revenant d'abord sur l'autre citation d'Aristote qui se trouve dans sa Métaphysique. La première remarque que l'on peut faire est que cette citation est en parfait accord avec celle de l'Ethique à Nicomaque, puisque toutes les deux incitent à la possibilité d'une inspiration de notre pensée réflexive et analytique, des analogies de l'expérience, des ressemblances des rapports qui peuvent exister entre les hommes, le monde de la formation et le monde des informations. Cette citation commence par : “ ‘De même que les yeux de la chauve-souris sont éblouis par la lumière du jour, ainsi l'intelligence de notre âme est éblouie par les choses les plus naturellement évidentes’ ” 185 . Il est question ici d'un autre mode de transposition didactique. Aristote s'astreint en effet à situer l'homme d'après sa valeur. Il a cependant tendance à situer l'espèce humaine par rapport à l'ensemble de la nature. Si dans la première métaphore où le temps est avancé comme celui du temps de l'éducation, Aristote tente de mettre en garde Nicomaque l'apprenant, de la différence qui pourrait exister entre l'être-apparent et l'être-réalité, alors dans cette seconde citation, on a l'impression qu'il est en train de faire le contraire. Arisote veut en effet affirmer que l'être-apparent est aussi de l'être-réalité. C'est peut être cette même raison qui a poussée Averroès à penser l'incohérence et l'inconséquence d'Aristote. Dans la deuxième métaphore on revient non pas sur le problème physique, mais sur le problème métaphysique, qui, lui, peut surgir de la métaphysique définie ici en terme de relation de connexion réciproque de l'homme pensant et agissant à l'égard des choses. Voilà pourquoi du point de vue épistémologique, on peut dire que l'observation ordinaire incarne un problème métaphysique. Car les choses sont factices et porteuses du sens. Elles ne sont pas – comme le pense Adorno – factice de la non-facticité. Schopenhauer au sujet de cette relation de connexion nécessaire entre physique et métaphysique, a laissé entendre que l'extension du pouvoir physique de la chose est un fait successible d'être cultivé. Pour lui, “ Toute chose physique est par essence métaphysique ” 186 . Comme tout autre philosophes, Schopenhaeur a hérité quelque chose d'Aristote. En effet, l'extension du pouvoir physique est à ses yeux celui d'une ouverture de la pensée aux choses. C'est ainsi que Nietzsche note à propos de la méthode de son maître : “ ‘Il ne pouvait y avoir pour lui qu'une tâche unique et cent mille moyens de l'accomplir, un contenu unique et d'innombrables hiéroglyphes pour l'exprimer’. ” 187 .

Le problème de la transposition didactique en tant que méthode, nous force à penser dans les signes, à nous ouvrir aux choses de la même manière qu'Aristote l'avait suggéré à travers les précédents propos philosophiques. Mais du point de vue didactique, la moralisation des objets d'arts par exemple, pose le problème de l'humanisation de leur connaissance et de leur rematérialisation. Qu'on nous permettes de prendre un exemple d'actualité à travers lequel – sans chercher ni à polémiquer, ni à politiser la discussion et le débat dans ce travail –, car la situation impose d'emprunter ce genre d'exemple. On veut parler du litige qui oppose certains confessions religieuses quant au statut des objets d'arts. L'actualité politique nous montre que "la judaïsation" des oeuvres d'arts est une nécessité pour que les autres nations reconnaissent l'État d'Israël comme étant souverain, prospère et réel. Alors que ces mêmes oeuvres d'arts qu'on peut retrouver dans les différentes villes palestiniennes aussi bien autonomes qu'occupées, leur “ islamisation ” reste un rêve politique à réaliser puisque tout le monde aspire à ce que l'esprit du peuple au sens hégélien du terme puise connaître un jour l'extension du pouvoir physique de la connaissance et de la reconnaissance des oeuvres. De quoi s'agit-il au juste du point de vue de la transposition didactique ? Il est question d'un problème philosophique et éducatif propre au sens de l'objet, à la pratique didactique qui use des objets, des corps, des cristaux, et du pastiche pour mettre en forme des Ecoles à ciel ouvert ou programmées. Dans les deux cas d'exemples avancés ci-dessus, la sacralisation des oeuvres d'arts est un péché qui n'est pas originaire mais original. Il vient de naître pour penser la question nationale au même titre que le nazisme pensait le national-socialisme sur la base du national-esthétisme. Il vient de naître avec la naissance des Etats terroristes et terrorisants. Ce sont les Etats politiques qui cherchent la mise en forme de la conservation des oeuvres et de l'asphyxiante culture que Dubuffet n'a pas hésité à critiquer en mentionnant les conséquences fâcheuses de la valorisation des oeuvres d'art. L'art, en tant que cristal, en tant que chose est au-delà de toute autre valeur. Il est en soi une valeur, car il juge sans jugement. L'art en tant qu'objet, en tant que cristal soumet au mouvement, à l'usure à travers le temps et l'espace devrait être défini non pas par des invariants religieux, éthiques ou morales, mais par un mouvement qui constitue sa loi formel, un mouvement aspirant à la liberté et au partage fondés sur une discussion rationnelle quant à la destinée de l'art (amour de la destinée), une destinée qui n'est rien d'autre que sa libre circulation. Cette liberté trouve son fondement dans l'autonomie acquise par les oeuvres dans leur rapport avec l'autre et est le processus qui l'accompagne. Car l'art doit témoigner de quelque chose qui lui est propre tout en s'auto-détérminant dans l'indépendance totale à l'égard du fanatisme intellectuel, cultuel et cultuel qui le menacent. Les Etats, les hommes de la liberté sont en vérité ceux qui agissent dans le bon sens, sur les choses de la vie présente et non sur celles du passé. Ils agissent ainsi en vue de marquer la paix l'extension du pouvoir physique du toucher et de la connaissance en tant qu'activités artistiques. Car comme le disait Aristote connaître c'est toucher et ignorer c'est de ne pas toucher du tout. Les conservateurs qui sacralisent les objets d'arts doivent en réalité agir sur ceux-ci pour en créer d'autres oeuvres libératrices et libérantes qui, elles, peuvent peut être un jour témoigner de leurs idées les plus hautes. Se mettre au travail comme le disait Heidegger, est la seule possibilité pour échapper à l'asphyxiante culture et au conservatisme qui aliènent (sous les effets de l'organisation et de l'administration des oeuvres), la liberté de créer.

Le problème d'Aristote dans son rapport aux objets comme étant des entités susceptibles de se mettre en forme et en mouvement, ne fut pas seulment celui de la recherche du sens de ce qui apparaît, mais ce fut aussi le problème de la communication des oeuvres. En effet, lorsque Aridtote a pris dans La Politique, l'exemple des statues de Dédales (que les Grecs attachaient sous peine de les voir se sauver), il voulait par là-même montrer et critiquer (ne se risque que d'une manière indirecte) la pensée grecque dont laquelle nous avons déjà dit qu'elle a ratée quelque chose dans son histoire. Ce conservatisme, cette peur de voir les oeuvres partir ailleurs, explique fort bien l'aspect incohérent de la pensée grecque, qui au lieu de se soucier de la création, de la production, et au lieu de se soumettre au travail réflexif, elle s'est donnée la perte du temps pour conserver. Cela réside encore dans notre culture moderne et contemporaine qui cherche à conserver, le cristal au lieu de se soucier de l'homme pensant et agissant.

Lorsque Aristote pense dans le langage ordinaire et avec le langage ordinaire il illustre plus qu'il ne prouve. C'est d'ailleurs à partir de la deuxième métaphore précédente qui marque la ressemblance des rapports entre la pensée (nature humaine), et la perception fortuite (nature animale), qu'on pourrait affirmer que la nature sensible peut faire l'effet d'un modèle. Cette ressemblance des rapports est fondée sur l'éblouissement qui est propre à toutes les créatures. Autrement dit, l'éblouissement est "une nature naturée", une nature à prendre comme l'effet d'un modèle. Car comme le pense François Dagognet “ toute chose palpite de la vie ” 188 . La vie du sens, est au sein des choses.

Lorsque Averroès s'efforce de paraphraser, de commenter, ou de traduire la quasi-totalité des écrits d'Aristote, il va se heurter à des problèmes majeurs. Parmi ceux-ci, il y a en effet l'éducation des masses. Cette éducation se révèle absente chez le grand commentateurs d'Aristote, surtout à partir de sa stratégie à savoir sa prise en considération des opinions de l'élite, opinions admissibles comme vérités universelles. Cela était une opinion qu'il s'est tracé au lieu de partir des opinions qui sont admises chez les masses. Son rejet de l'idée de l'éternité du temps pose problème à l'unicité de Dieu, qui est pour Averroès en tant que théosophe, l'invariant fonctionnel du principe de base de la création. Le temps pour les philosophes arabo-islamiques, n'est pas éternel, car une telle affirmation les met dans un embarra, à savoir l'éternité de Dieu d'un côté, et l'éternité du monde temporel de l'autre. Cela renforce en effet la visée de certains orientalistes qui ont pensé Averroès (le philosophe de l'occident musulman) comme étant un théosophe au lieu d'être philosophe. Car il est resté enfermé dans le milieu des élites qui cherchaient avec force la légitimation de La loi et du pouvoir.

L'autre point de vue philosophique qui est en relation avec la psychologie expérimentale, est celui qui est discuté à travers les conceptions d’Averroès portant sur le sens de l'âme, son destin et son sort. Dans la perspective d'une transposition didactique des différentes idées de l'âme telles qu'elles ont été exposé par Aristote dans son Traité de l'âme, Averroès va partir d'un essai qui aura pour but non pas la simple paraphrase des idées d'Aristote, mais l'explication de l'obscurité de certaines passages du Traité au profit d'une théorie des deux intellects. C'est ainsi que Averroès souligne à propos de l'unité de l'intellect : “ ‘Celui qui est affecté par l'intelligence, comme le sens est affecté par le sensible, et celui qui a produit la connaissance en agissant sur les formes recueillies dans l'imagination, qui sont éternelles unique pour tous les hommes, c’est-à-dire pour toute l'espèce’ ” 189 . A partir de ce procédé d'Averroès, on peut déduire plusieurs conséquences. D'une part, Averroès nous fait comprendre que la chose du monde la mieux partagée, est l'usage de notre faculté imaginative et créatrice de sens. Elle est la mieux partagée et se trouve en sa totalité chez tous les hommes nés normaux. Et d'autre part, cette même manière nous fait comprendre que l'unité du genre humain n'est pas une unité substantielle, car si c'était le cas il y aurait finitude entre les êtres humains. Averroès veut nous faire comprendre par là qu'il n'y a aucune finitude entre les hommes, surtout lorsqu'il s'agit du respect. Comme il ne peut y avoir aussi de différence lorsqu'il s'agit de la mise en forme de leurs âmes, de leurs facultés de connaître qui puisent leur origine dans la raison qui est unique pour tous les hommes lorsqu'il s'agit d'accéder à la connaissance. Même s'il y a une hiérarchie dans la société et même s'il y a une différence de méthode, cette différence se dissout lorsqu'il s'agit de la faculté de connaître qu'est l'âme. Celle-ci est immortelle. Elle est une composante de l'espèce humaine. Cela revient à dire enfin de compte d'une manière implicite et indirecte, que l'espèce humaine est immortelle. Cette manière de concevoir l'âme est un tournant dans l'histoire de la philosophie, c'est la raison pour laquelle nous venons de dire que le destin de la philosophie d'Averroès concerne plus sa propre personnalité que sa philosophie. Car le milieu (l'occident musulman) où il vivait, a fait de lui un philosophe de l'ouverture, pour qui, l'acte du philosopher fût défini en terme de tâche (souci de connaissance).

Dire que l'âme humaine est immortelle, n'est rien d'autre que de tracer une ligne de conduite philosophique qui trouvera ses échos plus tard sous la formulation : “ toute théologie est une anthropologie renversée ”. Cette formulation laisse encore ses traces dans l'appréhension du sacré. En effet si l'homme est aujourd'hui pour certaines visions philosophiques, devenu quelque chose de sacré, c'est lui dont il est question puisqu'il s'agit de le sauver, d'autant plus qu'il est en tant qu'espèce, immortel. On sait maintenant que bien qu'il y ait disparition des genres humain il peut y avoir subsistance de l'espèce. Cette même idée éclate aujourd'hui dans ces propos de Michel Serres qui souligne : “ ‘Une immortalité très nouvelle : non plus celle imaginaire ou transcendante, des individus, de leur renommée, ou de leur âme, mais l'autre, collective, si ancienne, qui au-delà de l'histoire, elle nous relie, de génération en génération à notre origine : celle de l'espèce’. ” 190 . Il est important de trouver dans l'histoire des idées, des modèles de transposition didactique du sens de l'idée de l'âme. Il est aussi d'un intérêt considérable de penser à cet universel à savoir l'expérience que l'homme fait de son âme et de sa liberté, une tâche qui a occupée la pensée humaine depuis son origine. Cette expérience se traduit à partir de la reconnaissance de ce que Leibniz appelle : le monopsychisme qui n'est rien d'autre qu'une sorte de raison subjective où l'élan de l'humanité ne cesse de penser à travers l'unité de ses âmes innombrables. Plotin disait déjà que les âmes de tous les Hommes sont uniques.

A partir de ces conceptions qui s'inscrivent aussi bien dans le dépassement que dans le prolongement des idées d'Aristote, Averroès va passer à l'enseignement du sens de la vie et de la mort. On doit rappeler qu'il fût non pas un enseignant mais plus encore, un "Kadi", c'est-à-dire, un juge, un expert, bref un jurisconsulte. Il a donc rempli une fonction qui lui a permis de prendre des décisions, de dicter des lois, de travailler à la mise en forme de valeurs étatiques. Pour lui, les hommes ne cessent de penser singulièrement, d'autant plus qu'ils sont les réalisations locales d'un processus qui leur est collectivement inhérent. Ce processus que traduit l'âme du monde des humains la mieux partagée, est une composante qui réalise à l'âme les buts suivant :

  • Elle se joint à l'intellect agent ;
  • Elle actualise la puissance qui est propre à l'homme : la pensée qui réside dans toute âme humaine.

A ces conséquences on n'hésitera pas de rappeler que l'acte du bien penser qui est fondé sur le contact, la rencontre et le rendez-vous, qui sont des aspirations chères à la philosophie politique d'Aristote, sont des actes qui avaient manifestement occupés l'esprit d'Averroès. En effet dans Le Discours décisif, il faisait l'éloge de l'ouverture sur ce que les Anciens avaient écrit, sur ce qu'ils nous ont laissé. C'est ainsi qu'il a laissé entendre qu'il faudrait puiser dans leur philosophie (en faisant allusion surtout à Aristote), pour en sortir le vrai sens des propositions et des notions. L'homme pour Averroès n'est pas si faible qu'on le croit, surtout lorsqu'il s'agit de sa volonté d'ouverture sur l'autre et sur le processus qui l'accompagne. C'est ainsi qu'il s'est opposé ouvertement et d'une manière partielle au verset coranique qui souligne : “ ‘Et l'homme est crée faible’ ”. 191 . Bien que cette faiblesse soit mentionnée, il n'empêche que lorsqu'il s'agit du contacter pour contracter la force de la volonté humaine ne peut aux yeux d'Averroès être altérée. Cela nous rappel en effet la citation de Pascal, qui dira plus tard que “ ‘l'homme est un roseau le plus faible de la nature mais c'est un roseau pensant’ ” 192 , un propos qui veut dire en fait, que bien que l'homme soit décrit de faiblesse, c'est à partir de cette provocation qu'il prend sa force, qu'il continue à penser, à mettre en forme un pouvoir concret. Ce pouvoir n'est rien d'autre que la mise en forme de ses idées, des fonctions expressives de son discours.

Dans cet ordre d'idées, la vie par excellence est donc une continuité de penser. Elle est l'émancipation des idées. La mort – et à en croire Averroès – n'est rien d'autre que cette interruption de cet effort de pensée, car mourir signifie dans les faits, d'après lui :

  • ne plus penser, ne plus enregistrer, ne plus se souvenir, ne plus imaginer et ne plus créer ;
  • se disjoindre de l'intellect agent, qui illumine notre intelligence.

A partir de là, on a l'impression de retrouver les fondements du rationalisme du Machrecq, qu'on vient de voir avec Avicenne sous la théorie illuminissioniste héritée de la théorie immanasionniste d'Al Farabi et de Plotin.

La mort pour ces théosophes est en tout cas se disjoindre de l'intellect agent, tandis que la vie la plus élevée, consiste à se joindre à lui, se joindre à l'intellectualité continûment créatrice de souvenir et de savoir. Il semble que la thèse de l'altération de la philosophie d'Aristote est de plus en plus probante. Car c'est du côté de Platon que ce penche aussi le rationalisme du Maghreb qui se trouve en parfaite continuité avec celui du Machrecq, qui fut mystique.

Mais malgré tout, on doit évoquer l'état d'exception qu'incarne Averroès. Cet état ressort en effet de son sens qu'il a voulu pour la religion. A ce propos il souligne : ‘“ Les religions sont un excellent instrument de morale, surtout par les principes qui leur sont communs à toutes, et qu'elles tiennent de la religion naturelle... Les religions... ne sont composées exclusivement ni de raison, ni de prophétie, mais de l'une et de l'autre dans des propositions diverses. La partie figurée et matérielle de leur dogmes doit s'expliquer dans un sens spirituel. Le sage ne permet aucune parole contre la religion établi. Il évite toutefois de parler de Dieu à la manière équivoque du vulgaire’ ” 193 . Ce qui est intéressant dans la pensée d'Averroès, est la place du vulgaire, de l'homme populaire, une place qu'il a hérité de la pensée d'Aristote plus que de celle de Platon. Qu'en est il donc de l'éducation, de la diffusion et du transfert du savoir dans le milieu des vulgaires et des masses populaires d'après Averroès ?

La réponse à cette question va faire ressortir la contradiction qui animait l'esprit de cette philosophie, mais aussi la difficulté du projet qu'est l'éducation des masses par la voie de la vulgarisation scientifique.

Pour Averroès toutes les âmes doivent être éduquées et ce sans exception. De ce fait, on peut laisser penser qu'il y avait chez lui une ouverture sur ce qui se passe dans les esprits des sujets. Cela n'est rien d'autre qu'une esquisse de ce qu'on peut nommer aujourd'hui : l'éducabilité de l'intelligence. Cela s'inscrit en fait dans l'optique de l'Islam, qui d'une part incite à la libre circulation de l'information et d'autre part à l'éducation et la formation d'un grand public large. Mais cette éducation ajoute Averroès, elle doit prendre quelques distances à l'égard des opinions admises. Le mieux pour le philosophe de Kourdou, est de respecter le développement psychomoteur et socio-cognitif des vulgaires. En effet il s'opposa dans cette perspective à Aristote, pour qui, l'éducation de Nicomaque qui est le modèle de tous les apprenants, doit être à son image de philosophe. De quel droit Aristote voulait-il créer des individus à son image ? Est ce pour contribuer à l'extension du pouvoir du philosopher ? ou encore, pour ouvrir la voie à un type nouveau d'éducation qui ne se distinguera en rien de la manipulation ? Telle est était donc la question tacite que se posait Averroès.

Pour lui en effet, l'opposition est claire. Son but n'était pas de contribuer activement à l'extension de l'interprétation démonstrative et allégorique dans le milieu des masses vulgaires. Car des arguments rationnels et dialectiques destinés à l'élite, qui éclairent les philosophes qui jouissent de la haute densité discursive du discours philosophique, ne doivent pas être à la portée de tous les individus. Car quand on s'astreint à les répandre dans le milieu des masses sans prendre en considération leurs états d'exceptions, ces mêmes arguments syllogistiques, dialectiques et démonstratifs, "peuvent empoisonner" 194 (le terme est bien d'Averroès) les masses vulgaires. C'est ainsi qu'il souligne clairement : “ ‘lorsqu'une interprétation allégorique est livrée à quelque esprit non préparé à la recevoir – en particulier l'interprétation démonstrative, qui est très étrangère à l'entendement commun – la foi de celui à qui on s'adresse et même de celui qui l'énonce, s'en trouve ébranlée’ ” 195 . A travers cette citation qui se trouve dans les commentaires du De Anima, d'Averroes, on remarque bien l'éloge de ce qu'on peut appeler aujourd'hui : la didactique de la distance, celle qui est définie par Michel Vérrêt en terme d'écart entre le savoir savant et le savoir dérivé, un écart qui se traduit par les fonctions sociales que remplissent des groupes sociaux tout à fait différents. Cela signifie enfin – et à en croire Philippe Roqueplo – que “ ‘le savoir n'est pas toujours apte à être partagé ’” 196 . Les propos avancés par Averroès montrent que tous les savoirs et les types d'arguments que nous venons de mentionner, ne sont pas susceptibles à être diffusés, à être partagés par tous les individus des masses. Il existe donc un problème d'incohérence, d'ambiguïté dans la philosophie d'Averroès qui se donnait comme tâche primordiale, la transposition didactique du philosopher. D'une part, Averroès se veut le promoteur de l'humanisation de la connaissance et des savoirs, il va plus loin pour légitimer la philosophie et l'analyse logique à travers son opposition et son débat qui furent violant, serrés et sévères à l'égard d'Al Gazali. Pour rappeler ce débat tenons à mentionner le livre d'Averroès : Tahâfut al Tahâfut : (Incohérence de l'incohérence). Il est une réplique à la politique d'Al Gazali, qui ressort de son livre Tahâfut al falâsifa : incohérence des philosophes. Dans ce livre Al Gazali s'oppose, d'une manière radicale et farouche à l'emploi des arguments logiques pour accéder à la connaissance et aux vérités des choses, tout en disant ouvertement que : “ man tamantaKa tazandaKa ” : (celui qui use de la logique fait profession d'athéisme). Ce propos montre aisément que la responsabilité de l'extension du désert au sens nietzschéen du terme et de la misère au sens marxiste, dans le monde arabe d'aujourd'hui incombe à cette théosophie qui s'opposait à l'extension du rationalisme et à l'emploi par le grand nombre, des raisonnements logiques.

Il est très important de voir ce débat qui rappelle l'opposition entre Marx et Proudhon. Ainsi de l'incohérence des philosophes à l'incohérence de l'incohérence, on a passé à travers l'histoire de la pensé à la formulation : Philosophie de la misère ou misère de la philosophie. Ce que nous voulons dire par ces oppositions, est que la pensée humaine a quelque chose d'universelle. Il y a eu et il y a encore des problèmes, similaires qui reviennent et qui persistent en terme de tâche. Peut être cela est due au fait que l'humanité n'a pas encore trouvée de solutions miraculeuses à ce genre de tâches. Dans la perspective de la transposition didactique, on se demande s'il faut être platonicien, ou aristotélicien, gazalien ou averroècien etc. En tout état de cause, le débat n'est pas encore tranché quant au sens de l'ouverture de la pensée sur le pour-autre-chose. Voilà par exemple un épistémologue qui règne en plein milieu philosophique devenu gazalien sans qu'il s'en aperçoive. Nous voulons parler encore une fois de François Guéry, qui s'oppose à l'acte de penser, à l'acte de philosopher tout en se traçant cette même perspective (nietscheenne-heideggerienne), et qui consiste à dire que plus on pense plus on se fatigue. Cet auteur a avancé que “ tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde ”. Il y a là une vision proche de celle de Heidegger, qui a incité à l'effacement du sujet devant ce qu'il crée, devant ce qu'il invente, bref à la mort du sujet.

Les propos de François Guéry (notre maître parmi d'autres), nous les retenons à plusieurs endroits de ce qu'il faut appeler, des écritures épistémologiques sans le sujet pensant, dont témoigne la totalité de ses écrits. Dans le premier endroit : Lou Salomé génie de la vie, – qui n'est pas si récent on lit en effet que : “ ‘Tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde ’” 197 . Alors que dans le second lieu : Heidegger rediscuté qui est si récent, on lit : “ Ainsi le paysage nous renvoie à nous-mêmes en tant que modernes et nous oblige, pour peu que nous cherchions à “ penser ” notre monde et notre être, à revenir sur nos modes d'appréhension des choses, devenus des habitudes et des réflexes : calcul et volonté, par exemple. voilà en gros ce qu'on rencontre en se préoccupant d'esthétique paysagère : de quoi “ faire réfléchir ” 198 . L'explication de la teneur philosophique de ces passages est en relation intime avec ce dont nous traitons : la transposition didactique du philosopher, et de la méthodologie de l'ouverture et de l'achèvement en psychologie expérimentale. Ce qui ressort en effet de ce passage est d'abord la place du penser qui prend chez cet auteur un sens tout à fait particulier. Hérité de la philosophie nietzschéenne et heideggerienne, ce sens n'est rien d'autre que celui de l'effacement du sujet et de l'artiste devant ce qu'ils rencontrent, ce qu'ils créent. On peut dans cette perspective rappeler l'argument heideggerien de la chaussure. Pour Heidegger, “ ‘s'il y a chaussures ce n'est pas parce qu'il y a des cordonniers mais s'il y a chaussures c'est parce que possible quelque chose qu'on peut appeler : l'habillement du pieds’ ” 199 . Il en va de même ici dans cette citation de François Guéry. L'acte de penser n'est pas en effet une transcription d'arguments fondant la structure du réel, arguments qui témoignent de nos manières d'être et de voir, mais il est au contraire un acte qu'on doit déduire (si l'on en croit cet auteur), de la noble nature du paysage. Ce ne sont rien d'autre que des arguments fondés sur la structure du réel, arguments qui témoignent de la liaison logique reconnue dans les choses. Dire en fait que “ le paysage nous renvoie à nous mêmes ”, veut en tout cas dire que l'homme ne peut apprendre à bien penser que s'il reconnaît la relation de connexion nécessaire qui le lie aux choses, une relation qui n'est rien d'autre que ce qui est impressionnant, à savoir que la nature, le paysage sont en eux-mêmes un Dasein qui palpite du sens, qui nous donne un modèle de vie : ‘“ Apprenons de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir ’” 200 disait Nietzsche. Nous proposons d'arrêter non pas de penser, mais d'arrêter pour un temps nos considérations d'ordre général quant à l'acte de créer en tant que problématique, qui traduit un ordre relationnel (l'ouverture et l'achèvement) à l'égard de la nature, pour revenir au débat que ces considérations avaient déjà suscité en ce qui concerne le transfert des savoirs et des connaissances à la période du débat entre les deux philosophies grecque et arabe, qui sont tout à fait différentes et qui tentaient de dialoguer à travers des paraphrases, des commentaires et des transferts.

L'idée de l'ouverture sur les masses et sur la nature des choses, est une idée très ancienne. Elle a pris au moyen Âge, le sens de la dispute de diverses notions en public, tout en instaurant une École à ciel ouvert. Cela ressort en effet de la pensée d'Averroès lorsque celui-ci s'adressa (à travers cette apostrophe : “ ‘Si tout cela est bien établi, et que nous, Musulmans, sommes convaincus que etc.’ ” 201 qui reflète l'amour du lieu du préférable) à des foules animées par une forte croyance. Il ressort à partir de là, une sorte de relation directe avec un public spécialisé au discours ésotérique. Si les masses ne doivent pas être éclairées, alors cela signifie en terme du savoir et de connaissance que celles-ci doivent être à l'écart et coupées du monde de l'information et de la formation. Mais l'ambiguïté surgit d'autant plus lorsque le même Averroès avance que le vrai orateur est celui qui s'adresse aux gens tout en leur parlant de ce qu'ils connaissent. Cette dichotomie, cette rupture entre l'ésotérique et l'exotérique, témoigne de l'avènement d'une asphyxiante culture, à propos de laquelle Hassan Hanafi a laissé entendre dans Patrimoine et innovation 202 qu'elle fut l'origine du désert, de la clarté de l'obscurité et de l'extension du pouvoir de la misère et de l'ignorance.

Il est vrai que si l'on s'interroge actuellement sur le sens du temps dans les sociétés arabes, chez les peuples arabes et même chez l'intelligentsia arabe, on s'aperçoit que la notion du mouvement dont sa relation avec l'espace et le temps n'est pas remplie. Voilà la raison pour laquelle Gilles Kepel spécialiste des sociétés arabo-islamique, pense (d'une manière vulgaire mais significative) que la notion du temps est tenue par les jeunes qu'il qualifie de "hétistes" c’est-à-dire qui tiennent désespérément les murs à ne rein faire. Cette absence du mouvement explique en effet l'absence effectif du rôle de ces sociétés dans la destinée de l'histoire contemporaine. Chose qui pousse Anouar AbdelmaleK (tout en mettant en doute l'existence du monde arabe), à penser purement et simplement la négation de leur existence.

A partir de là, surgit à nouveau une incohérence de celui qui critiqua l'incohérence d'Al Gazali. On peut en effet diriger à l'encontre d'Averroès une critique de la critique à l'instar de celle que Nietzsche a dirigé à l'encontre de Kant. Comment faut-il y procéder ? Contrairement à certains, comme par exemple Maïmonide pour la pensée Juive, les masses doivent être éclairées d'une manière tout à fait modérée pour lutter contre l'extension du pouvoir de l'ignorance qui est responsable de l'extension de la misère, de la guerre et des violences. Dans cette perspective, éduquer, informer pour former sont des actions qui doivent être définies en terme de tâche. Ce n'est rien d'autre qu'une situation où l'être en tant qu'être fait l'objet d'un souci permanent de l'acte du philosopher au lieu de celui de l'effacement : une situation où le philosophe prend l'initiative à fouir la réalité. Rappelons en tous cas que la mort de Socrate n'était pas la mort de la philosophie mais la naissance d'une autre, dont nous constituons le prolongement. Car nous avons déjà fait remarquer que la mort de Socrate n'était pas la mort de la philosophie. Le fait de s'opposer à l'effacement de l'acte de penser et de bien penser, incarne le sens de la transposition didactique comme action permanente du travail de la pensée réflexive. En éducation plus on sait plus on désire savoir. De ce fait nous sommes tous des post-socratiques étant donné que nous admettons que toutes nos hypothèses sont successibles d'être renversées. Socrate fut le savant de l'ignorance, puisqu'il savait qu'il ignorait des choses qu'il a cherché à comprendre. Il fût savant de son propre ignorance. Il a accomplit un passage de l'ignorance du savoir (situation qui fut spécifique à la Démocratie athénienne), au savoir de l'ignorance. Socrate a cherché à maîtriser les causes qui biaisent la vérité et les savoirs, chose qui a permis à l'éducation de s'ouvrir sur ce dont use le sujet pensant pour acquérir du sens.

L'art d'éduquer, de former ne sont pas des actions qui s'astreignent à rendre service aux opinions admises, mais ils sont aussi des actions qui se donnent le temps pour se retourner contre ces mêmes opinions tout en leur livrant ce qu'elles n'arrivent pas à reconnaître pour mener la vie pleine. L'important pour assurer la noblesse d'une âme, du comportement d'un sujet, est d'aider ce dernier non pas à rester renfermé sur lui-même, mais à s'ouvrir sur la nature des choses dont il ne connaît pas encore le sens véritable. Cela est une occasion pour le philosophe non pas de venir en aide à l'ordre déjà établi, mais de se retourner contre le conservatisme, le dogmatisme et le pragmatisme. Ce n'est rien d'autre que la définition que nous avons proposé pour l'acte d'enseigner qui s'apparente avec le sens de son étymologie qu'est l'art de faire saigner, l'art de provoquer pour convoquer. Lorsque Heidegger incite (en disant que ‘la choses est notre chose et nulle autre’  ” 203 ), à nous mettre au travail, à nous ouvrir sur les choses, n'y a t-il pas là en fait de sa part une exception à cultiver ? On peut l'affirmer, car dans son commentaire des Règles pour la direction de l'Esprit de Descartes. 204 , il considère que le Je est co-fondateur de la totalité des savoirs. Le Je est désormais pour lui, déterminé en terme de tâche. Ce Je n'est pas abstrait, il est une chose pensante. A partir de là, on remarque fort bien que Heidegger est plus proche des propos de Gassendi que de ceux de Descartes, car pour le premier (comme nous l'avons déjà fait remarquer), le sujet n'est pas autosuffisant. Il est autonome, autodétérminant, c'est-à-dire capable d'agir pour mettre en forme le réel. En réalité, ce qui ressort des ces analyses est que l'homme est si différents des choses. Il est en soi le seul être à pouvoir être éduqué, à pouvoir accepter l'éducation ou à la subir. Il est en plus, le seul être à pouvoir aussi bien obéir à des lois, que de se retourner contre d'autres : les siennes ou encore celles des autres. Dans cette même perspective Platon dans les Lois n'a pas hésité à faire remarquer que ‘“ l'éducation est une formation qui dès l'enfance est orientée vers la vertu et nous fait désirer le temps où, devenu un citoyen accompli, on saura avec justice obéir et se faire obéir ; en ce sens , l'éducation est le premier des plus grands biens qui puisse arriver aux meilleurs des hommes’ 205  ”.

Il est donc claire à partir de ce débat, que l'éducation est la mise en forme des valeurs éducatives par la voie d'un transfert aussi bien modéré que massif (selon les circonstances) des savoirs qui peuvent nous éclairer. Elle est une constante, un invariant fonctionnel de tout acte d'éduquer et de former. Sur ce point précis : l'éclaircissement des masses, la transposition didactique et la vulgarisation scientifique partagent un même but, qu'est l'extension du pouvoir cognitif. Simplement la différence entre les deux méthodologies se situe au niveau de la méthode à suivre pour accomplir cette mission. Pour la transposition didactique, il est question de former un public bien déterminé : celui qui est en phase de formation ou d'apprentissage, ou encore celui qui possède déjà des connaissances acquises dans un domaine bien particulier. Autrement dit, en transposition didactique, l'accord porte sur la connaissance du public auquel on a affaire. Ce public, peut être soit un groupe d'individu, soit des personnes isolées en phase de la recherche ou de l'initiation à celle-ci. Alors qu'en vulgarisation scientifique, on s'astreint à une decontextualisation des savoirs, à une simple diffusion de ceux-ci. La vulgarisation scientifique est une démarche propre à ce qu'il est convenu d'appeler avec François Dagognet la démystification et la désacralisation des connaissances. En cette technique, on ne considère plus les savoirs et les connaissances comme étant le fruit d'activités d'une minorité ésotérique. Car une activité fortuite peut aussi engendrer des pratiques artistiques dignes d'intérêts. Cela signifie dans les faits, que le passage de l'ésotérique à l'exotérique est une légitimation non pas de l'humanisation de la connaissance simplement, mais aussi d'une reconnaissance de ce que Hegel nommera plus tard : “ le frisson de sens ” 206 , c'est-à-dire que l'art est là où l'on ne se rend pas compte.

Le problème qui se pose est celui de la méthode adéquate pour réaliser le transfert, la transmission et la transposition des connaissances ? Est ce que cette ouverture doit-elle faire parler les choses à l'instar d'un Socrate lorsqu'il faisait (à travers la prosopopée) parler les Lois d'Athènes ? ou encore cette ouverture doit-elle s'effectuer tout en falsifiant les connaissances pour les adapter aux besoins politiques et sociales d'un milieu donné ?

Pour répondre, on propose de revenir à la situation que nous sommes en train de penser à savoir le passage de la philosophie grecque à la théosophie arabo-islamique. Dans ce rapport, la transposition didactique du philosopher était en soi un acte de falsification qui s'est manifesté à travers les changements retenus quant à l'essence de l'âme, sa relation avec le corps, son ressort après la mort. On peut ressortir ces idées à travers les divergences qu'on a relevé en ce qui concerne, le vrai de l'Un, c’est-à-dire, la manière dont le composé peut surgir du simple, qui, lui, diffère de toute chose. On peut mentionner lors de cette dépersonnalisation, de cette décontextualisation et de cette falsification du savoir philosophique, un autre aspect à savoir la place de la logique comme méthode scientifique et philosophique, susceptible d'énoncer des vérités immuables.

Pour parvenir à l'élucidation de ce problème, on a préféré comparer les différents types d'arguments repris de chez Aristote et employés par Averroès tout en traitant de la puissance argumentative de la logique spéciale dans la métaphysique d'Averroès.

Dans les Topiques, Aristote nous fait comprendre que seule l'argumentation démonstrative, peut nous donner l'accès à la vraie connaissance scientifique et certaine. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Par démonstration j'entends le syllogisme scientifique et j'appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science.’ ” 207 . Pour marquer une équivalence entre le syllogisme et la démonstration, Aristote avance que “ ‘Le syllogisme est une démonstration quand il part de prémisses vraies et premières, ou encore de prémisses telles que la connaissance que nous en avons prend elle-même son origine dans des prémisses premières et vraies’ 208  ”. Averroès va trouver dans ces approches une légitimation de la méthode démonstrative. Il va travailler à l'opposé d'Aristote qui, – par exemple dans l'Ethique à Nicomaque et dans les Topiques – présente d'autres formes de méthodes à savoir le syllogisme dialectique et éristique à côté du syllogisme démonstratif, pour accéder à la connaissance. Si Aristote a donc mis l'accent sur d'autres formes d'arguments, comme l'Exemple (paradeigma), L'enthymème (enthyméma) et les lieux (topoi) 209 , alors Averroès dans sa paraphrase d'Aristote pour des raisons éthico-poliques, va suivre uniquement l'argumentation démonstrative. Avant de nous en expliquer, tenons à relever la distinction entre : argumentation et démonstration.

En argumentation, on part en général d'opinions admises : d'une convention, qui se déroule entre des personnes physiques qui s'engagent à respecter un accord préalable à toute discussion. En tout cas, en argumentation on doit être d'accord sur un minimum de chose ne se risque que pour être en désaccord. Or il peut arriver qu'il n'y aura pas d'accord du tout. Dans une telle situation, le seul langage possible est celui de la violence. C'est dans cette même perspective que Chaïm Perelman, souligne : “ ‘Pour qu'il y ait argumentation, il faut que, à un moment donné, une communauté des esprits effective se réalise. Il faut, que l'on soit d'accord, tout d'abord et en principe, sur la formation de cette communauté intellectuelle et, ensuite, sur le fait de débattre ensemble une question déterminée : or cela ne va nullement de soi. (...) Il existe des conditions préalables à l'argumentation : il faut se concevoir comme divisé en deux interlocuteurs, au moins, qui participent à la délibération. Et, cette division, rien nous ne autorise à la considérer comme nécessaire’. ” 210 . De ce passage, ressort la démonstration l’autre aspect opposé à l'argumentation qui est une simple délibération avec soi-même. Lors de la démonstration d'un fait ou d'une proposition, on use de l'arbitraire du signe, on impose l'usage d'un mot par la voie d'une définition nominale ou normative. Dans cette manière de mettre en forme le réel, on devient libre de dire ce qu'on pense : on porte la parole aux faits, on met en place une méthode de recherche qui n'est rien d'autres que : “ ‘la recherche de l'univocité indiscutable’ ” 211 , qui nous conduit ensuite à la “ ‘construction des systèmes où l'on ne se préoccupe pas du sens des expressions ’” 212 . Voilà la raison pour laquelle Chaïm Perelman définit l'acte de démontrer comme étant : “ ‘Une proposition, dont il suffit d'indiquer à l'aide de quels procédés elle peut être obtenue comme dernière expression d'une suite déductive dont les premiers éléments sont fournis par celui qui a construit le système axiomatique à l'intérieur duquel on effectue la démonstration. D'où viennent ces éléments ? Il sont ceux des vérités impersonnelles, des pensées divines, des résultats d'expérience ou des postulats propres à l'auteur’. ” 213 .

Cette distinction entre argumentation et démonstration se trouve analysée d'une manière concise chez Olivier Reboul, qui reprend l'analyse de Ch. Perelman tout en traitant des différents arguments et principes de la persuasion. Il s'est posé une question qui l'a toujours préoccupée : Qu’est-ce qui distingue l'argumentation de la démonstration ? La réponse qu'il en a donné est en elle-même celle de Perelman. Olivier Reboul a toujours fait référence – soit dans ses Cours soit dans ses écrits – à Perelman, mais aussi à la possibilité d'une philosophie du dialogue et de la rencontre. Dans la réponse à la question que Fechner s'est posée quant à cette distinction, il a évoqué cinq traits spécifiques de la distinction entre argumentation et démonstration. Ces mêmes traits sont ceux de Perelman à qui, il tenait une grande admiration : “ ‘On se contentera dans cette distinction (entre argumentation et démonstration) de reprendre ici les analyses de Chaïm Perelman’ ”, disait-il. Et parmi ces analyses on peut citer :

  1. “ l'argumentation s'adresse toujours à quelqu'un – interlocuteur, public, lecteur etc – dont elle prend en compte le caractère, les habitudes de pensée, les émotions les croyances. (...) ; la démonstration au contraire est valable pour n'importe qui, du moins dans l'idéal ; elle s'adresse à un auditoire universel.
  2. L'argumentation s'appuie sur des prémisses qui ne sont pas nécessairement prouvées, ou évidentes, mais simplement vraisemblables, c’est-à-dire admises par la plupart, ou par les gens compétents, en tout cas par l'auditoire.
  3. l'argumentation utilise “ la langue naturelle ”, par opposition aux langues artificielles, comme l'algèbre. Ses propositions sont donc très souvent vagues ou ambiguës.
  4. Dans l'argumentation, le lien logique n'est pas contraignant, il est seulement plus ou moins fort.
  5. Il en résulte qu'une argumentation est rarement invincible, qu'elle peut être réfutée par une autre argumentation, celle du procureur par celle de l'avocat. Cela ne signifie en rien que toutes se valent, mais seulement qu'une argumentation est plus ou moins valable, sans qu'aucune le soit absolument ”. Et Olivier Reboul ajoute que cette “ quasi-logique de l'argumentation peut paraître bien décevante. Je rappelle pourtant que c'est la nôtre, celle de la plupart de nos propos du moment qu'ils ne sont pas purement scientifiques ” Reboul (O.) La Rhétorique, op cit..

On voit bien à partir de ces traits caractéristiques, que le rapport entre argumentation et démonstration est défini en terme de tâche. Il est difficile en effet dans un texte de distinguer ce qui est réellement démonstratif de ce qui ne l'est pas. Olivier Reboul a laissé sa philosophie éducative soumise à l'ouverture et à d'autres interprétations.

A la lumière de cette distinction entre argumentation et démonstration, qu'en est-il donc de la transposition didactique des différents types d'arguments lors du passage dans l'acte du philosopher, de la logique aristotélicienne aux écrits théologico-politiques et polémiques d'Averroès ? Et enfin qu'en est-il de la légitimité et de l'illégitimité de ce passage et de cette transposition ?

Le débat entre Aristote et Averroès porte sur le sens que chacun attribue à l'expression philosophique : “ les opinions admises ”. Pour Aristote, “ le raisonnement est dialectique, s'il émane d'opinions généralement admises ”, et que “ ‘la dialectique ne tire pas ses syllogismes des premières prémisses venues (...), mais raisonne sur des sujets qui requièrent une discussion’ ”. Partir d'opinions admises, est une formulation polysémique. En tout cas pour Aristote, elle signifie tout ce qu'un homme énonce. Cet énoncé n'est rien d'autre que ce qui fait partie de l'ordre de la convention : ce qui est déjà connu. C'est ainsi qu'Aristote souligne : “ ‘Nul homme en possession de son bon sens n'avancerait ce qui n'est admis par personne, ni ne poserait en question ce qui est évident pour tout le monde ou pour la majorité des gens’ ” 215 . Cela veut dire et pour traduire Aristote, en se référant à Hegel que, l'acte de créer est une combinatoire d'une infinité de procédés d'informations qui se trouvent déjà dans les opinions admises : “ ‘Tout ce que nous produisons dans l'instant du maintenant provient de ce que nous tenons du cercle de nos amis et de nos propres connaissances’ ” 216 , disait Hegel. Pour transposer les contenus d'Aristote en le paraphrasant, Averroès va procéder à une falsification du sens de la notion : “ les opinions admises ”. C'est ainsi qu'il donne comme exemple d'opinions admises : “ ‘Dieu est Un ”, “ la terre est de forme sphérique’ ”, ou encore la métaphore de la terre pour renforcer l'inégalité entre les hommes, une inégalité qui est de même nature que l'inégalité naturelle. Averroès dans ses paraphrases d'Aristote va accorder une grande importance aux arguments rhétoriques. A ce propos Averroès souligne tout en se référant à Aristote : “ ‘Dans la mesure où l'homme est un être social, il se sert nécessairement d'arguments rhétoriques’ ” 217 . Cela veut dire enfin que la vérité est ce que chacun énonce, car tout énoncé présuppose une énonciation, une manière de dire et de faire des choses. Voilà la raison pour laquelle la chose reste la vérité par excellence, car elle témoigne des idéaux des sujets pensants. Averroès n'a pas hésité à se référer à ce qui se passe dans l'âme des sujets. Il a essayé de chercher le degré d'implication des sujets pensants dans telle ou telle situation. Sur ce degré d'implication, on doit justement retenir ce propos : “ ‘un argument rhétorique, est l'énoncé d'une croyance à laquelle l'âme accorde sa foi tout en sachant que le contraire reste possible’ ” 218 . La différence avec Aristote repose sur le fait d'admettre que les arguments rhétoriques se contentent de prémisses moins certaines que les arguments dialectiques. Pour Averroès, les deux sortes d'arguments : rhétoriques et dialectiques “ ont une fonction politique au sens où ils inspirent une conduite juste ou inculquent des préceptes utiles ” 219 . En terme de transposition didactique, cela se traduit par une incitation à cultiver l'exception, c’est-à-dire, une incitation à la prise en compte de ce que Austin nommera plus tard, la prise en compte du langage ordinaire, qui demeure le premier venant avant le langage systématique, conventionnel et administré. Prendre en considération le langage ordinaire, les fonctions expressives du sujet traduites en actes de paroles, n'est pas une occasion pour se laisser aller avec l'ordre des opinions admises, mais cela est une preuve privilégiée pour admettre les questions, les problèmes qu'il pourrait nous poser. C'est dans cette direction, que le positivisme pragmatique a conçu le sens de l'acte de penser, comme étant une preuve de la reconnaissance de la vérité issue des choses ordinaires et fortuites. Car pour lui, il ne faut chercher ni au-delà, ni en deçà, mais au sein des choses. Le pragmatisme ressort donc de certains propos de François Guéry que nous venons de citer, pour qui l'acte de bien penser doit faire parler les choses par la voie de la figure rhétorique qu'est la prosopopée, au lieu de faire appel à un auditoire universel, par le biais d'une autre figure rhétorique à savoir l'apostrophe. Les deux approches qui interpellent le déjà-là, bien qu'elles soient opposées, elles ressortent de la rencontre avec ce que l'auteur de Heidegger rediscuté nomme : l'esthétique de la paysannerie 220 , dont le paysage aux yeux de cet auteur nous impressionne et nous fait réfléchir 221 . Averroès avait déjà conçu ce rapport dans son analyse et dans ses propos pour faire ressortir de la nature sensible des modèles de vie. Il a même été plus loin pour laisser entendre que le verset coranique qui souligne : “ ‘Le jour où la terre sera changée en autre chose, et de même les cieux... ”,(...), “ stipule dans sons sens obvie que les cieux ont été crées de quelque chose’ ” 222 . Voilà la raison pour laquelle Alain de Libéra souligne à propos du commentaire de ce verset repris par Averroès, que ce dernier fut un aristotélicien converti, puisque pour lui, (comme pour Aristote), le changement, la transformation sont des états permanent de l'être en tant qu'être. Ce verset donne donc une raison supplémentaire à Averroès pour affirmer (ne se risque que d'une manière implicite), que la fin du monde indiquant le jugement dernier, est une transformation du monde et non pas une disparition de celui-ci. Sur ce point précis, l'illégitimité de la transposition didactique du philosopher peut devenir une légitimité, puisque le but caché de toutes les autres altérations, est d'arriver à ce "terrible" constat qui est l'éternité de la matière, qui est en effet l'invariant fonctionnel de la pensée grecque dans son authenticité depuis Démocrite et Héraclite. On remarque à travers ce résultat un passage du ressemblant au clair-précis. Voilà la raison pour laquelle nous proposons de distinguer dans le processus d'altération ce qui est altération positive et ce qui est altération négative. Malgré l'ambiguïté qui anima cette pensée philosophique ou théosophique, (peut importe le sens de la description), le noyau dur de la pensée grecque n'a pas toujours été altéré par les paraphrases d'Aristote par Averroès. Par conséquent on peut dire que ce genre de transposition didactique est difficilement réussi, car il est accompagné d'altérations négatives, dont la cause réside dans une situation interculturelle, où le phénomène d'acculturation posait déjà des contraintes intellectuelles. Parmi celles-ci, on peut citer l'exigence de chercher une méthode à travers laquelle on peut s'ouvrir sur l'autre sans perdre l'identité épistémologique, noyau dur d'un savoir originaire. Ce genre de communication qui s'astreint à l'instauration d'une méthode de la continuité en vue de la rupture, nous l'appelons aujourd'hui avec certain modernes comme par exemple Gregori Batesson : le processus de la continuité en vue de la rupture, un processus qui fonde la nouvelle communication dont le but est de procéder par le biais de la technique de l"in put", dans l'objectif de "l'out put" 223 . C'est-à-dire, une relation où l'on peut être en continuité pour penser la rupture. Ce n'est rien d'autre qu'un jeu sans cesse de connaissance / ignorance, un jeu inachevé qui nécessite le jeu de rôle pour communiquer un sens tout en faisant semblant...

Dans cette perspective d'ouverture, on peut chercher le sens de l'inspiration d'une pensée qui hérite d'une autre pensée. N'y a t-il pas une lecture directe ou indirecte de la philosophie d'Averroès par Hegel et par Heidegger ? Car pour renforcer l'idée de l'inégalité des chances et de l'inégalité entre les individus; Averroès a procédé de la même manière que Hegel 224 lorsque ce dernier dans son texte sur l'Egypte a affirmé l'inégalité des races. Il a procédé aussi de la même manière que Heidegger 225 qui a pensé l'inégalité et la spécificité de la pensée occidentale qui ne reconnaît que les choses à travers lesquelles elle se manifeste. La chose est notre chose est nulle autre, disait Heidegger. Le procédé de cette inégalité repose (pour ce qui est d'Averroès), sur le retour à l'idée de Platon (une idée que Hegel et Heidegger ont paraphrasé) et qui renforce l'inégalité naturelle entre les citoyens. Cette idée surgit d'une parabole platonicienne qui se racontait à tous les citoyens dès leur âge précoce. Cette parabole reprise par Averroès, avance que : “ ‘la terre est la mère commune pour tous les hommes : c'est d'elle qu'ils sont nés. Ainsi les hommes sont-ils frères. Cependant, tout comme la terre contient des métaux de différentes sortes, Dieu a crée des hommes différents. Certains gouverneront, car il a mêlé de l'or à leur nature, d'autres seront gardes ou guerriers, car c'est de l'argent qu'il aura mêlé. D'autres, enfin, seront fermiers, artisans ou marchands, si, dans leur nature, Dieu a mélangé le bronze à l'acier’ 226  ”. A lire cette parabole, on doit pour comprendre son sens et sa visée recherchés par Averroès, nous rapporter (sans hésiter) aux propos politiques de Platon, pour qui l'inégalité naturelle ne peut être expliqué qu'en la rapportant aux différentes fonctions que les hommes occupent au sein d'un Etat. Averroès a cherché à déterminer cette même inégalité tout en la détournant, et ce à l'instar de Heidegger, qui, fera basculer plus tard, l'importance du mouvement de la terre, vers l'importance qu'il a attaché à l'inertie et au statisme qui à ses yeux animent le soleil. Cependant, ce n'est donc plus la révolution copernicienne qui est mise en valeur, mais c'est au contraire la révolution scientifique d'Einstein, qui a accordé un intérêt à la lumière. Ainsi aux yeux de Heidegger, ce qui devrait être pris en considération, ce n'est pas la terre, la “ physis ”, mais le poids de l'AufKlärung, de ce qui est lumineux : notre manière d'être, qui est un invariant fonctionnel. Cette manière d'être trouve son sens dans la visée qu'on en fait quant à la question du patrimoine. Ce dernier comme le pensent Hassan Hanafi et Heidegger n'est rien d'autre qu'un héritage sauvegardé d'une manière “ relique ” dans l'inconscient structurel des masses.

Averroès a procédé de cette même manière, que l'on peut appeler une nouvelle communication avancée. En usant en effet des éléments de la logique aristotélicienne, il a cherché à prouver l'inégalité dont Platon faisait l'éloge. Cela prouve aussi son rapprochement des idées politiques de Platon plus que de celles d'Aristote, comme on pourrait toujours le croire. Puisque aux yeux d'Averroès il y existe une hiérarchie entre les hommes pour accéder à la connaissance, il serait alors inutile d'éclairer les masses et les foules. Car seule l'élite intellectuelle doit composer les philosophes, occupant une place à la tête de l'Etat. Ceux-ci, seront les seuls capables d'appréhender des catégories intellectuelles pour user d'arguments démonstratifs. C'était la même idée que Platon a soutenu. Dans cette perspective on peut dire qu'Averroès fut conséquent, cohérent avec lui-même, car étant donné sa fonction de juge (Kadi), il pensait sauvegarder son statut de législateur et d'exécuteur de Lois. Les deux autres classes d'hommes, à savoir les dialecticiens, que Platon surnommait, les gardes, et les ratissants, fermiers, Averroès les nommait, les vulgaires. Ils ne peuvent – aux yeux de Platon et d'Averroès – , connaître que les catégories de l'imagination. De ce fait, et pour qu'ils puissent dialoguer entre eux, ils ne peuvent faire usage que de leurs facultés respectives.

Dans leur ouverture aux choses, les vulgaires (les hommes du pôle du sens commun et de l'information) doivent aux yeux de Platon et d'Averroès, être soumis à la contrainte et à la pénalisation. Pour qu'ils puissent avoir accès au vrai sens des choses, il serait selon Averroès, illégitime de les fouetter. Mais cette idée n'est soutenue que provisoirement de la part d'Averroès. Car ce dernier n'a pas hésité à choisir lors d'un dialogue avec les gardes, le langage issu de l'argumentation dialectique et persuasive. Cela explique en fait le règne de la crainte chez le pouvoir, qui, lui, avait des gardes du corps. La tyrannie disait Aristote, s'explique dès lors que l'on demande une garde du corps. Nous voilà devant le sens aristotélicien du pouvoir tyrannique athénien qui demandait en effet une garde du corps, et ce comme si l'histoire est répétitive, comme si le passé ne passe pas. Et pour convaincre ou persuader la foule, Averroès préfère l'usage d'arguments rhétoriques et poétiques. C'est ainsi qu'il fut conscient du danger que les foules représentaient sur le pouvoir, et c'est aussi pour cette même raison qu'il proposa d'user d'arguments rhétoriques et poétiques pour dissiper la crainte des masses, une crainte qui a toujours pesée sur les pouvoirs. Car les masses aspirent toujours à la révolte, et c'est la raison pour laquelle des dirigeants y compris les (Kadis) : les juges théoriciens du pouvoir, emploient ce type d'argumentation qui légitime la contrainte, la coercition pour faire croire, et parfois même pour faire rêver tout en manipulant, tout en faisant aux masses des fausses promesses. En revanche pour inculquer des vertus aux masses, Averroès tenait à la persuasion qu'il jugea préférable à la coercition. Car une meilleure vie dans un meilleur État idéal, requiert des vertus intellectuelles et morales.

Or on peut se demander comment peut-on persuader sans punir ? Pour Averroès, l'État en tant qu'oeuvre d'art est celui où seule l'élite intellectuelle peut acquérir le savoir par la voie de la démonstration, tandis que la foule ne peut y former que de simples opinions. C'est ainsi qu'il souligne tout en paraphrasant Platon : “‘ au moyen d'arguments rhétoriques et poétiques (..) Il est bon que chacun puisse atteindre autant de perfection que sa nature lui permet et qu'il a été préparé à recevoir’. ” 227 . On peut se demander avec Averroès, ce qui pourrait garantir un apprentissage successible de permettre l'acquisition des valeurs virtuelles. Dans sa référence à Platon, Averroès accorde à l'État et aux gouvernants, l'usage de la contrainte, de la coercition issues des Lois musulmanes, pour protéger la foule de toutes les croyances fausses et pernicieuses. Comme il exige aussi à ce que cette même foule soit apte à comprendre les vérités théorétiques à travers l'usage seulement d'arguments rhétoriques et poétiques. L'État niveleur et protecteur est donc omniprésent lorsqu'il s'agit de la croyance des masses. En politique, qu'est le domaine de la pratique, on peut dire qu'il y a dans l'ouverture sur les foules une incitation au rêve, puisque l'homme est par essence un rêveur, d'où pour Averroès, l'intérêt est de pousser l'homme à rêver davantage. Ces principes du plaisir du rêve qui sont en fait des principes loin de la réalité par excellence, typiquement religieux, n'incitent pas les masses et les foules à la lecture, à l'extension du pouvoir cognitif comme le demande le premier verset coranique qui incite impérativement à la lecture et qui encourage à l'extension du pouvoir du connaître et à l'éducabilité de toutes les intelligences. Cette noble réalité (qu'est l'extension du pouvoir de connaître) ne sort pas malheureusement de la théosophie d'Averroès. Elle est au contraire renvoyée à l'art de rêver, à l'art de jouer de la musique et des mélodies pour accentuer les rêves des jeunes et des masses. On sait combien de gens ont été et le sont encore nombreux dans le monde arabo-islamique à rêver et à écouter la musique. Faire rêver les jeunes à travers la musique peut être un moyen efficace certes pour dissiper la douleur, mais par contre, cette solution ne procure pas le bonheur le plus durable. En effet, l'art devient éphémère, lorsque le tout de la société devient de plus en plus incertain et tend par là-même à la barbarie issue de sa propre culture. Car la libération d'une partie du tout, ne garantie en rien la libération de la totalité du tout. La liberté en l'art et uniquement en celui-ci, entre en relation avec la non-liberté du tout. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à l'Andalousie musulmane, lorsque la liberté fût uniquement pratiquée dans le domaine de la musique, de la dense. Choses qui ont conduit les masses à l'extension du pouvoir de l'ignorance qui touchait plus la totalité des masses populaire que celle des élites. Ces mêmes masses ne faisaient qu'obéir sans savoir les raisons de leurs obéissances. D'ailleurs le retour à l'histoire peut en tout cas nous renseigner et nous informer du destin final de ce passé.

Pour renforcer son argumentation supposée logique, Averroès va encore une fois procéder à une paraphrase de la philosophie d'Aristote et cette fois-ci tout en décontextualisant son argumentation qui traitait d'une vraie logique qu'est celle des attributs. Cette logique aristotélicienne est celle de la logique des propositions et de la logique des prédicats. Pour marquer un dépassement de cette logique aristotélicienne, Averroès va user d'une argumentation qui est animée d'une puissance argumentative qu'il nomme : la logique spéciale. De quoi s'agit-il au juste ? D'abord, Averroès, emploie l'expression : “ logique spéciale ” pour deux raisons. La première, repose sur l'argument du dépassement, quant à la seconde, sur celui du précédent. Il est vrai que le rapport de la philosophie d'Averroès à celle d'Aristote, pose problème pour le sens de la transposition didactique du philosopher, car on ne connaît pas bien le genre d'argumentation qui y est poursuivie. Parfois on a l'impression qu'Averroès, incite à une argumentation de direction, qu'il nous invite par là même à un sens particulier de la logique. Mais d'un autre côté, on assiste, à une articulation de deux sortes d'argumentations, celle du dépassement et celle du précédent. Sur celle du précédent, Averroès rappelle, la solution aristotélicienne, quant à la question du vrai de l'Un à savoir Dieu, immatériel engendrant la matérialité du monde sensible. Ce problème a travaillé les philosophes grecs aussi bien que les philosophes arabess. Mais pour Averroès, sa solution se trouve uniquement chez Aristote pour qui, le Dieu ainsi que l'intelligence de la plus haute sphère céleste sont en relation de connexion nécessaire. C'est la raison pour laquelle, Averroès a procédé de la même manière qu'Aristote, à faire parler les choses du monde de l'apparence et plus particulièrement le ciel, tout en se référant au verset coranique qui dit : “ ‘N'ont-ils point examiné les chameaux, comment ils ont été créés ? Et le ciel, comment il a été élevé ?; ou encore : (...) et qu'ils méditent sur la création des cieux et de la terre ’” 228 .

Par conséquent, si l'idée de la relation de connexion nécessaire entre l'extension du pouvoir physique et celle du pouvoir cognitif est une idée capitale lors de cette transposition didactique du philosopher, alors cela signifie aussi que l'idée du divin est une idée immanente. Le problème d'Averroès n'était plus un problème de la recherche des manières de l'émanation (une théorie avancée par Al Farabi dans sa paraphrase de Platon et de Plotin), mais au contraire il était celui de la recherche du sens du principe de la causalité agissante. Celle-ci va faire réfléchir plus tard Kant en tant que philosophe de la contradiction, et des antinomies latentes. Pour lui, en effet, l'idée de la causalité agissante est une idée opérée par simple nature. Quoiqu'il en soit, avec Averroès, la question philosophique qui s'inscrit dans la perspective d'une argumentation du précédent va prendre une autre direction argumentative, qu'est celle du dépassement. Désormais, la question n'est plus celle de savoir comment la multiplicité est engendrée par un être Un, mais la question devient pour Averroès celle du : comment un être unique et immatériel peut-il être lié par une relation de causalité au monde des multiples ? La réponse à cette question, surgit de cette citation qu'on retrouve dans le livre : Thafût al Tahafût (incohérence de l'incohérence), où Averroès souligne : “ ‘Le lecteur doit voir pour lui-même, dans les livres des anciens comment ces théories sont démontrées, et pas dans les ouvrages d'Avicenne et des autres...’ ” 229 “ Tout ceci a été démontré dans les oeuvres des philosophes et nous n'énonçons cette proposition ici que de manières très générale ” 230 . Ces déclarations ne signifient rien d'autre que l'encouragement à une didactique du philosopher, qui est au fond une didactique non pas de l'imitation ni même de la limitation, mais elle est celle de l'inspiration. Une telle déclaration peut en tout cas nous laisser penser qu'Averroès connaissait bien les propos d'Aristote et que pour résoudre et comprendre la transposition didactique des idées de l'âme, de la logique et de la vertu, il est préférable de lire Aristote pour mieux comprendre les idées d'Averroès, voire pour mieux comprendre tous les propos coraniques. Cela veut dire en fait que nul chercheur à l'époque d'Averroès et même à notre époque, ne pourrait se dispenser de penser sans la référence aux Grecs. C'est en tout cas ce qui ressort de la référence permanente à Aristote, une référence qui ressort à plusieurs endroits du Discours décisif d'Averroès. Etant donné la question de l'argumentation du précédent qui veut simplement signifier que les idées que nous tenons du passé, ne passent pas, la seule condition, – non pas pour les oublier –, mais pour s'en souvenir, repose sur l'argumentation du dépassement après avoir maîtrisé celle du précédent. C'est dans cette direction qu'on a préféré de traiter du sens de la logique spéciale chez Averroès. Par contre la remarque que nous tenons à faire quant à cette ouverture d'Averroès à l'égard d'Aristote, est qu'il y a chez Aristote une absence de l'argumentation du distinguo qui se dégage d'une substitution de divers arguments et de diverses situations. Au niveau éducatif par exemple, on peut lui reprocher la question du droit : de quel droit faut-il créer son apprenant à son image ? L'argument quasi-logique, tel père tel fils, n'est pas convaincant. De quel droit faut-il s'adresser aux enfants, aux adolescents ou à des jeunes pour les émouvoir et les rendre dociles ? Car d'une part, l'enfance est si facile à être influencée, et d'autre part même la formation de jeunes adultes n'est pas toujours commode, puisque ceux-ci tiennent à leurs valeurs déjà acquises, que leur formation devient chose imprévisible. Or le fait que Aristote, comme Socrate, aient choisis de s'adresser à la jeunesse et aux adultes, est en soi un geste didactique et pédagogique qui marque le processus de la réification des opinions déjà admises. C'est ainsi que l'effort philosophique converge avec l'effort pédagogique qui l'un et l'autre, s'exercent sur des valeurs communes à tous les âges en vue de leur communiquer le langage philosophique, aussi bien par le biais de la parole que par le langage des signaux. Pour faire émouvoir des apprenants devenus auditoires présumés, les rendre bienveillant et dociles, la transposition didactique fut avec Socrate et Aristote, l'oeuvre de la mise en pratique des vertus éthiques. Voilà la raison pour laquelle Aristote comme Socrate, ont cherché à transposer leur savoir philosophique aux jeunes adultes et aux jeunes adolescents dans des mots simples, dans un langage accessible à tous. Le sens de ce geste est à chercher ailleurs. Il est en fait la visée du contenu de ce que la nouvelle communication voulue par G. Batesson, nomme aujourd'hui le "in put" en vue de l'"out put" 231 .

Sur ce point précis qu'est la sensibilisation, Averroès va dépasser Aristote. Car pour lui, l'extension du pouvoir du connaître doit commencer par une sensibilisation des élites à cultiver l'exception du langage philosophique grecque. Chose que les adolescents et les enfants sont incapables de faire. C'est la raison pour laquelle à cette époque, et même avant celle-ci, l'encouragement de la politique de la traduction fût largement poursuivie. Ainsi traduire dans l'optique d'Averroès ne serait trahir qu'à une seule condition : si l'on se donne le temps de travailler à une sensibilisation des masses à l'assimilation (d'une manière fortuite et non préparée) d'un savoir étranger et nouveau qu'est la philosophie grecque. C'est dans cette perspective que la logique spéciale d'Averroès va connaître son extension dans des domaines littéraires bien précis. Elle fût destinée à un public non pas exotérique (comme le voulait Aristote en s'adressant aux opinions admises et en partant du bonheur du vivre ensemble), mais au contraire en s'adressant à l'ésotérique, à des individus capables de se sentir responsable pour contribuer aussi bien à l'extension de la connaissance divine qu'à l'éducation des masses.

Pour traiter de ce problème nous avons été (au cours de nos recherches et nos lectures) attiré par les propos de Rudolf Hoffmann, qui, dans un court commentaire intitulé : “ ‘La puissance argumentative de la logique spéciale dans la métaphysique d'Ibn Rushd ”’ ‘ 232 ’ ‘, pense le philosophe de Kourdou, en terme de théosophe et de théologien, tout en disant à la fin de son article qu'Ibn Rushd (Averroès) : “ (...), a réussi à esquisser une science divine d'un remarquable niveau’ ”‘ 233 ’ ‘. Notre intérêt dans cette recherche n'est pas d'entrer dans un débat qui, sera très vague avec cet auteur, mais de montrer simplement qu'au cours de cette transposition didactique du philosopher, la même logique d'Aristote a été dépassée, renversée et falsifiée. C'est la raison pour laquelle on peut penser les limites et les incapacités cognitives de cette transposition didactique. Sur cette même base qu'est la falsification dans son sens le plus large, Karl Popper pensera plus tard que “ toutes nos hypothèses et tous nos arguments sont susceptibles d'être renversés et falsifiés ’” 234 . En tout cas, les paraphrases d'Aristote par Averroès sont un exemple probant, de la place du renversement et de la falsification de toute pensée admise comme vraie.

De cette falsification et de ce dépassement, on doit retenir plusieurs remarques. Pour n'en mentionner que quelques unes, on doit d'abord définir ce que Averroès entend par : logique spéciale. Pour lui, elle n'est pas une partie de la logique, mais elle est au contraire une partie de la métaphysique. Cela signifie que la métaphysique peut être intégrée dans le patronage de la science. Par contre, Aristote ne s'inscrivait pas dans cette perspective. Pour lui, si le sujet de la métaphysique est vraiment le premier moteur, alors celui-ci dans son immobilisme se suffit à lui-même : il n'a pas besoin d'être connu ou reconnu, puisqu'il jouit d'une autosuffisance. Mais l'autosuffisance, garantie t-elle l'autonomie ? C'est à cette question qu'Averroès va essayer de trouver quelques éléments de réponse.

Lorsqu'il parle de l'usage de la logique dans la métaphysique en tant que science, Averroès souligne : “ ‘toujours quand la logique est utilisée dans cette science, c'est dans le voisinage des propositions correspondantes’ ” 235 . Parler de propositions est en soi ici significatif. Averroès a posé quelques postulats pour légitimer la métaphysique en tant que science et dont la méthode serait à ses yeux celle de la logique spéciale. Le postulat repose sur sa propre visée de la science métaphysique. A propos de cette dernière Averroès souligne : ‘“ Si la métaphysique est la science la plus générale, parce qu'elle considère l'être en soi, alors celui qui s'interroge sur les points de rencontre de la logique et de la métaphysique doit considérer les propositions et les principes premiers et les plus généraux de la logique. Mais la métaphysique n'est pas seulement la science la plus générale, elle étudie en tant qu'être premier à la fois la substance, en tant qu'elle est substance, et ses causes et ses principes ’” 236 . Ainsi, comme on peut le constater, l'usage de la logique en tant que science, en tant que partie de la métaphysique, permet donc la reconnaissance du principe de la causalité qui est prouvée logiquement. Ce propos d'Averroès permet même de penser à l'instar de Schopenhauer plus tard, que toute chose physique est par essence métaphysique. C’est-à-dire que c'est l'extension du pouvoir physique illimité de l'univers, qui impressionne l'homme. Ce dernier cherche à utiliser pour des fins diverses, les outils de l'exploration de l'univers en vue d'en acquérir le sens et la maîtrise. Il ne peut de ce fait, y avoir de réminiscence lorsque l'homme réfléchit sur la mise en forme d'outils d'explorations de l'univers, et au rapport de sa pratique didactique à l'égard d'autrui. De ce fait, on peut donc laisser penser que la pratique de l'homme est plus du côté de l'acquisition que du côté de la réminiscence.

A partir de cette preuve logique, Averroès a tenté de dépasser Aristote, et ce en introduisant ce qu'il a baptisé : la logique spéciale en métaphysique. Cette méthode signifie au fond, une correspondance entre les propositions logiques et les propositions ontologique. Car nous dit-on aujourd'hui que la connaissance de l'être en tant qu'être est ontico-ontologique. Cela veut dire qu'il existe une connaissance qui relève de l'être, et une autre qui relève de l'être de l'étant. Cette correspondance entre ce qui est logique et ce qui est ontologique, a amenée Averroès à mentionner quelques tâches, que la logique spéciale seule est capable d'accomplir. La logique spéciale peut en effet déterminer :

  • la nature et le mode d'approche de la métaphysique en tant que science ;
  • les causes alléguées par cette science ;
  • la réponse aux questions concernant le début et la fin de cette science ;
  • l'application des définitions dans cette science.

A partir de ces caractéristiques, on remarque que la logique spéciale, ne peut être réduite à la logique générale : que l'on n'est pas en droit d'y introduire de nouvelles règles logiques. Autrement dit, la fonction qu'assigne Averroès à la logique, s'inscrit enfin de compte dans la problématique de l'ouverture et l'achèvement que nous venons de mentionner. Ainsi ce qu'il faut retenir avec Averroès est que la logique spéciale en métaphysique, n'est pas une partie de la logique, mais elle fait partie intégrante de la métaphysique. Ce constat nous mène à l'ordonnancement mutuel de la logique et de la métaphysique. Pour Averroès, la dialectique, la sophistique et la philosophie ont un objet commun qui n'est rien d'autre que l'étude de l'être en soi. C'est à partir de là que commence à se poser le problème de la transposition didactique du philosopher qui se traduit au niveau du passage de ce que Aristote pense sous l'expression : philosophie première, à la reformulation : philosophie vraie, avancée par Averroès . De quoi s'agit-il exactement lors du passage de la première formulation à la seconde reformulation ? Le problème qui se pose est donc celui de la limite de la distinction entre les deux expressions.

Pour expliquer et répondre à cette question, partons de la distinction que faisait Averroès entre la dialectique et la philosophie vraie. La distinction entre l'une et l'autre repose sur le mode de leur savoir respectif. En effet, l'approche de la philosophie vraie par rapport à l'être, est de l'ordre de l'approche démonstrative. Tandis que l'approche de la dialectique est de l'ordre de ce qui est généralement admis. Or on sait qu'en logique ce qui est requis sont les conclusions correctes qui émanent de l'ordre du possible, et non pas celles qui émanent de celui du réel. Car la chose sur laquelle ces conclusions reposent est en général la vraisemblance. Cela signifie – et pour reprendre la distinction d'Averroès – qu'en métaphysique seule la preuve démonstrative est admise. Car dans cette science, chaque proposition doit être prouvée, pour que l'on puisse vérifier qu'elle soit conforme à l'être en tant qu'être. Car “‘ le philosophe n'a d'autre but que de reconnaître la vérité ’” 237 disait Averroès. Cela signifie si l'on en croît Averroès, que l'action philosophique véritable n'a pas le droit de chercher la vérité, de la discuter et même de s'y opposer. Quel terrible constat pour l'acte du philosopher !

L'emploi de la formulation : “ reconnaître la vérité ”, veut en tout cas tout dire. Elle est une approche qui inscrit le philosophe dans une perspective théosophique, à savoir que la religion livre la vérité. Alors que la philosophie s'astreint toujours à la recherche et à la remise en cause des vérités en vue d'en chercher d'autres. L'emploi par Averroès du verbe : reconnaître, renforce l'idée de l'ouverture sur les corps, l'idée de la rencontre, mais aussi de la croyance en quelque chose qui est déjà connu, déjà-là, qui s'impose à nous sans pour autant que nous fassions un effort de recherche. A partir de là, ce n'est plus le procédé aristotélicien de l'acquisition qui est visé par Averroès, mais c'est au contraire celui de la réminiscence de Platon. Car ce dernier comme nous venons de le voir disait dans le Ménon que l'enseignement est une action qui s'astreint à livrer et à maîtriser ce qui est déjà-connu, alors que la vérité disait Socrate dans le Gorgias est un La, un déjà-là-connu. La solution est contre toute attente dès lors qu'il est question de l'acquisition du sens : que l'on doit simplement avoir le courage mais aussi l'honnêteté de le reconnaître.

D'après la classification d'Averroès, la hiérarchie dans l'accès à la vérité et à la croyance est un fait. Les hommes dans une société accèdent à la vérité selon des degrés différents, des méthodes différentes. En métaphysique, les individus s'astreignent aussi à une taxonomisation des contraires selon l'ordre de ce qui est généralement admis. Cela signifie enfin de compte que la méthode d'accès à la vérité n'est pas – comme le pensait Aristote – une méthode démonstrative, mais elle est à la fois logique et dialectique. Car “ ‘quiconque connaît l'être le connaît seulement grâce à ses pratiques : logiques et dialectiques et il a besoin de la connaissance de ceux-ci pour connaître l'être ’” 238 , disait Aristote. Ce dernier a d'ailleurs laissé entendre que lorsqu'on dit que tu es blanc ou tu es noir, nous le disons parce que tu l'es, alors puisque c'est ainsi nous disons donc la vérité. C'est la raison pour laquelle Averroès pensera que quiconque étudie les premiers principes de l'être et la substance première, doit aussi enquêter sur les premiers principes logiques de la connaissance de l'être. Ces principes ne seront plus ceux de l'apparence comme pour Aristote, mais ceux de l'apparaître, c’est-à-dire ceux de la manière ainsi que du comportement de chaque individu, qui leur permettent d'accéder à la vérité. Cette idée va trouver plus tard son fondement chez Kant, qui (dans la Critique de la Raison Pure et notamment à la troisième antinomie 239 et sa solution), pensera que la causalité première, qui n'a pas de causes antécédentes, est opérée par simple nature. Ce sens est celui qu'il a cherché à donner à la causalité libre lorsqu'il a exposé le sens de la liberté cosmologique, de la liberté transcendantale et de la liberté pratique de l'homme qui est au-delà de l'être. Cette cause première est indéterminée pour Kant. C'est ainsi qu'il a laissé entendre qu'on ne saura jamais comment la cause produit ses effets dans le monde sensible. Or la première science, qui s'avère possible, si l'on en croit Averroès et Kant, est celle des premiers principes logiques et ontologiques. Elle est plus générale, commune à toutes les sciences. Car l'être peut aussi signifier l'étude des entités logiques.

Parmi les principes logiques que reprend Averroès de chez Aristote, on peut citer le principe de contradiction. Dans la définition aristotélicienne de ce principe on doit retenir cette citation où il souligne : “ ‘il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps au même sujet, et sous le même rapport... Voilà donc le plus ferme de tous les principes.’ ” 240 Cette citation a posée un problème pour la traduction arabe. Cela signifie en fait qu'en transposition didactique le problème linguistique était parmi les obstacles de la diffusion des connaissances et des savoirs, car on ne peut pas toujours dire ce qu'on veut comme on le veut. La langue nous empêche de remplir des fonctions expressives, car du fait que le langage est en soi un comportement, les pratiques du langage divergent d'un individu à l'autre d'un espace donné à un autre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle certains penseurs de la pensée moderne, font l'éloge d'une réification du langage articulé pour le remplacer par le langage significatif, par des caractères mathématiques pour pouvoir instaurer une sorte de latin du XXè siècle et ce pour contribuer à communiquer avec des nations lointaines. Leurs argumentations repose sur le fait que plus on pense davantage dans la langue, plus on se fatigue. Quoiqu'il en soit, ce propos, oubli et ignore que les mots peuvent tourner et dire qu'ils sont chargés d'une sensibilité qui permet de mobiliser en s'adressant à l'âme, l'une des caractéristique de l'être humain. Ce problème du langage a été déjà posé pour Averroès lors de ses paraphrases d'Aristote. Le passage de la formulation : philosophie première, à l'expression : philosophie vraie, en en est un exemple probant. Ce passage relève un problème épistémologique nommé actuellement : les trames conceptuelles 241 . Avant de nous en expliquer, tenons d'abord à avancer le sens de la paraphrase issue de la traduction arabe par Averroès de cette même phrase. A ce propos l’auteur du Discours décisif souligne : ‘“ Il n'est pas possible qu'une chose soit en deux choses en même temps et sous tous rapports’ ” 242 . Pour mieux comprendre la distance et l'écart conceptuel entre les deux formulations, on doit au préalable avoir présent à l'esprit, ce qu'Averroès entend par : le principe de contradiction. En réalité, Averroès, n'a pas été attentif à ce que l'expression aristotélicienne : ‘“ sous tous les rapports’ ”, peut signifier. Il ne savait, ou peut être il ne voulait pas admettre qu'une chose est en soi le lieu où, une chose peut exister en deux choses à la fois. Avec Aristote, il n'est donc pas question de les opposer, comme étant des choses contradictoires. Ainsi “ une chose en deux choses ”, n'est aux yeux d'Averroès qu'une sorte de contradiction. Ce qui ne fut pas le cas pour Aristote. Ce procédé de la reconnaissance d'une chose en deux choses est une tentative pour réfuter le principe logique de la relation de la connexion nécessaire entre les choses, qui, elles peuvent témoigner de ce que David Hume, nommera plus tard, la religion naturelle. Cela fut l'ambiguïté d'Averroès.

Par contre pour Aristote, un être peut exister et résider en acte ou en force dans plusieurs choses à la fois (voir par exemple la même idée de l'âme qui anime tous les êtres à fortiori l'aimant). C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Aristote disait : “ L'être se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie ”. Cela veut dire enfin de compte, que rien ne doit être exclu du sens et que rien ne doit être laissé au fortuit. Car il y a bien des observations fortuites qui peuvent être révélatrices de sens. C'est donc la raison pour laquelle nous avons déjà considéré en nous référons à Hegel que la nature sensible est animée du frisson du sens, et que l'art pourrait exister là où l'on ne se rend pas compte.

A partir de cette interprétation, l'opposition d'Averroès à l'égard d'Aristote est tout à fait claire et ce à partir de la citation du premier et qui est rendue célèbre à travers une étude produite dans Penser avec Aristote où Averroès avance : “ ‘que deux attributs opposés, ne se rencontrent pas simultanément sous le même rapport dans un même et unique sujet ; cette expression est le premier principe plus connu de tous les autres’ ” 243 . Il y a donc un dépassement et une opposition à l'égard de la conception aristotélicienne qui soutient l'approche contraire. Pour Averroès, l'affirmation et la négation sont deux choses tout à fait différentes : “ ‘Il est impossible que rien ne soit changé à ce principe premier, je veut dire que la négation et l'affirmation soient une seule et même chose’ ”- disait-il. Et il ajoute : “ ‘Quiconque affirme cela croit que deux attributs opposés existent en même temps en acte dans le même sujet’. ” 244 La position qui s'inscrit désormais est de savoir comment un principe premier est en fait premier : qu'il se définit à lui-même, connu par soi et évident ? La démonstration d'un principe immuable qui, lui, n'a pas de principe antécédent, ressort d'une logique de la démonstration indirecte. La démonstration aristotélicienne du principe de la contradiction ne satisfaisait guère Averroès. En effet, et à titre d'exemple on peut démontrer cela tout en nous référant à une citation du livre gamma de la Métaphysique où Aristote souligne : “ ‘Il s'ensuit que, pour quiconque niant ce principe, il n'existe aucune argumentation saine et aucune expression capable de prouver ou de réfuter’ ” 245 . De cette citation, surgit un résumé que nous propose Averroès. Ce résumé laisse penser que l'argumentation aristotélicienne n'est pas si convainquante pour la démonstration du principe de la contradiction. C'est la raison pour laquelle Averroès remonte à l'analyse rigoureuse de l'argumentation aristotélicienne pour transposer les propos d'Aristote en les paraphrasant et en les dépersonnalisant. Dans cette direction, l'argumentation d'Averroès est devenue la suivante : “‘ Nous disons qu'il est impossible de démontrer ce principe, pour cette seule raison : si ce principe, qui est le plus connu des principes, était démontré. Et s'il y a une démonstration pour les principes de la démonstration et si chaque démonstration n'est admissible qu'à partir des principes, alors il est nécessaire que, pour chaque démonstration il existe une démonstration et ainsi de suite à l'infini. Et s'il en était ainsi, il n'y aurait absolument aucune démonstration. ’” 246 . On voit bien à partir de là, que la logique démonstrative d'Averroès, est hypothétique. Elle est une argumentation qui admet l'existence de l'indémontrable, l'existence des propositions premières que Kant pensera plus tard sous l'expression : jugement synthétique a priori 247 . Ces propositions ont une valeur de principes pour l'existence des causes finales et des causes formelles, qui, elles, sont immatérielles.

La critique que l'on peut diriger à l'encontre de ce constat, a été déjà avancée par Aristote lui-même, comme si celui-ci prévoyait le destin de sa philosophie. On peut à vraie dire penser que Aristote n'a pas laissé de faille dans son système philosophique. Cette critique on peut l'extraire de celle qu'il a lui-même dirigé à l'encontre de Platon, pour qui l'argumentation se distingue en fait de la démonstration. Pour Aristote, l'erreur fondamentale de Platon est que ce dernier a subordonné la métaphysique à la logique. Platon, si l'on en croît Aristote, a donc parcouru le sens inverse : “‘ parce que les sciences et les définitions ne s'appliquent qu'à des choses universelles, il a cru que ces dernières avaient un être plus parfait que les choses existantes et avaient une préséance sur celles-ci ’” 248 . On constate que cette logique spéciale a pour fonction la légitimation non pas du sensible, mais celle du premier moteur. Si pour Aristote le premier moteur est immobile qu'il se satisfait à lui même, alors il demeure pour Averroès un simple postulat incarnant des propositions à principes d'évidence : il se satisfait à lui-même tout en satisfaisant autre chose. Cette cause première évidente, n'est pas causée. S'il existe donc une cause première pour l'être et la vérité de toute chose évidente, alors l'attribution de l'être et de la vérité, convient plus à cette chose qu'à tout les autres êtres. Car elle est existante pour soi et vraie pour soi. Tous les autres êtres ne sont existant et vrais que par son être et sa vérité. C'est ici qu'Averroès reprend l'argumentation aristotélicienne fondée sur ce qu'on peut appeler : le syllogisme conditionnel qui repose sur plusieurs prémisses. Averroès va maintenir par là-même l'existence d'une cause première pour toutes les choses existantes. Mais la question : qu’est-ce qui prouve l'existence de cette cause première ? que Averroès s'est posé, est digne d'intérêt. La réponse qu’il en a donné est surprenante, révélatrice. Elle nous rappelle l'opposition qui ressort du débat philosophique que nous avons mené entre la philosophie de Schopenhauer et celle de Kant en ce qui concerne le rapport de la physique avec la métaphysique. Ce rapport est celui qui tente de souligner une complémentarité entre physique et métaphysique. Car aux yeux de Schopenhauer – comme pour Kant – toute chose physique est métaphysique 249 . Kant n'a pas sous estimer d'ailleurs les impressions sensibles. Pour Averroès, il n'appartient pas à la philosophie première d'établir ou de rechercher la cause ou l'existence de cette cause première. Celle-ci, ne peut pas déterminer ni les états ni les actions. C'est dans cette même perspective qu'Averroès souligne : ‘“ Il n'y a pas de voie pour établir l'existence d'une substance séparée en dehors de la voie du mouvement, et toutes les voies qu'en dehors de la voie du mouvement on croit capables de conduire à l'existence d'un premier moteur, toutes ces voies sont rhétoriques’ 250  ”. A titre de rappel, ce constat va trouver plus tard son écho de manière directe ou indirecte, chez Schopenhauer pour qui, les choses physiques sont une preuve probante de l'existence de la possibilité d'une métaphysique spéciale : celle qui émerge de la physique. Tel fût le cas dans la perspective d'Averroès pour qui, il n'est donc pas possible de démontrer l'existence des principes des substances mobiles autrement que par ce qui est ontologiquement second, comme ce que la physique étudie. Par conséquent, c'est donc la physique et non la métaphysique qui est bien placer pour parler et pour démontrer le sens ou le non sens de ce qui pourrait être : ‘“ le premier moteur immobile’ ”.

A vrai dire, on est avec Averroès face à un philosophe de la nature. Mais ses preuves physiques commencent à s'infirmer une fois qu'il a commencé à traiter du premier moteur, de son immobilisme et de son immatérialité. La preuve explicite qu'il apporte est loin de tout commentaires : “ ‘Les voies qui partent du postérieur pour conclure à l'antérieur sont des indications’ 251 ”, disait-il. C'est ainsi que Kant procédera de la même manière pour penser que le sensible est une preuve de l'existence du premier moteur qui existe a priori, une preuve d'une liberté qui lie aussi bien la dimension cosmologique que la dimension transcendantal. Cette distinction concorde avec celle des Seconds analytiques, où Aristote distingue la démonstration de l'existence, de celle de la cause. Ainsi et en invoquant les Seconds analytiques, Averroès annonce : “ ‘Nous connaissons la chose avec une connaissance réelle seulement quand nous la connaissons dans sa cause’ ” 252 . Cela est au fond une incitation à la reconnaissance de la relation de connexion nécessaire qui réside dans le rapport des choses entre elles, et par là même, une invitation à une argumentation fondée sur la structure du réel. une argumentation qui reconnaît et qui maintien la liaison logique reconnue dans les choses. C'est une manière enfin de demeurer fidèle à Aristote, qui en parlant de la connaissance de l'Etre, laisse penser – comme Gilbert Dherbey Romeyer le fait remarquer – qu'il ne faut chercher le sens qu'au sein des choses. Ce constat va se prolonger avec Heidegger pour qui “ ‘l'être réside dans l'existence, l'être réside dans la substance, l'être réside dans l'IL y a, en quel étant pourrait-on lire le sens de l'être (...) l'être là, relativement à son être’ ” 253 .

verroès qui a donné le temps de la recherche de la paraphrase d'Aristote, et de la transposition didactique de sa philosophie, s'est heurté à une difficulté. Il voulait prouver l'existence du premier moteur immobile : Dieu, mais il s'est trouvé incapable d'en discerner le sens. C'est ainsi qu'il a laissé entendre que des premiers principes aucune démonstration n'est possible. Kant, en parlant du principe de la causalité nouménale, de la causalité en soi, a laissé entendre dans cette même direction qu'on ne peut en aucun cas comprendre la manière dont laquelle la cause produit ses effets, cela est quelque chose que l'on ne saura jamais.

A lire Averroès sur le sens de la métaphysique spéciale, on comprend que sa tâche fût celle de légitimer l'existence nécessaire du premier moteur immobile, dont parlait déjà Aristote. Mais la différence avec celui-ci, repose sur le sens qu'attribut Aristote à ce même premier moteur. A en croire Aristote, le sens de celui-ci doit être compris comme principe premier, non pas de tous les êtres, mais simplement comme principe premier qui s'auto-détérmine. Ainsi, si avec Aristote, le principe premier est simplement une forme, alors avec Averroès il est à la fois, première forme et première fin. Par conséquent, la métaphysique spéciale d'Averroès est conçue comme étant une science des causes formelles et finales. Le fait de partir de la physique pour légitimer la métaphysique, est en soi pour Averroès un renversement dans l'ordre de l'acte du connaître. Si la physique étudie le mouvement de la substance matérielle et la substance seulement en tant qu'elle est mue, alors elle est d'abord la science qui étudie les causes matérielles et motrices. Elle est la seule science qui pourrait remonter à l'existence des substances premières motrices qui sont immuables. Du point de vue éducatif ce qui est visé derrière cela, est l'action de l'âme. Celle-ci est pour Averroès 254 une composante de tout être humain vivant en communauté, ayant le droit d'accéder à la vérité selon ses capacités cognitives. Voilà la raison pour la quelle on peut aussi interpréter sa formulation : “ ‘une vérité n'en contredit pas une autre mais s'accorde avec elle et lui rend témoignage’ ”, en terme d'omniprésence de la vérité en chacun de nous. Ce n'est rien d'autre que le prolongement de la devise de la philosophie grecque qui concevait la connaissance en terme de continuité à l'égard de ce qui se passe dans les âmes des sujets. “ L'homme est la mesure de toute chose ”, disait Protagoras. La métaphysique va prendre un sens immanent avec Averroès, car elle est pensée surtout dans le Discours décisif dans une perspective d'ouverture anthropologique. Dans cette perspective – et à titre de rappel seulement – les échos de cette philosophie ont raisonné jusqu'à Schopenhauer. Ce dernier a en effet bien posé le problème de la relation entre physique et métaphysique. A le lire sur ce point, on dirait, qu'il est devenu un averroècien nouveau. En effet pour Schopenhauer, il y a bien des principes physiques, qu'on pose sous forme de simples postulats. Que peut-on par exemple, penser de l'élasticité, la pesanteur, l'inertie 255  ? Ils ne sont (répond Shopenhauer), que de simples postulats premiers, posés en termes de causes premières qu'on pourraient comprendre en étudiant leurs effets dans le monde sensible. De cette comparaison, ressort l'idée qui consiste à penser que les deux causes nobles dans l'être, sont la cause finale et la cause formelle, qui, l'une comme l'autre, sont identiques puisqu'elles sont causes motrices.

Pour Rudolf Hoffmann, un commentateur d'Averroès, la philosophie ou encore la logique spéciale d'Averroès, est animée par deux argumentations. L'une comme l'autre démontrent l'identité de la cause formelle comme étant analogue à la première cause motrice. Pour renforcer la légitimation de ce procédé, Rudolf Hoffmann présente deux argumentations. La première s'annonce comme suivant : “ ‘Qu'elle soit temporelle ou éternelle, matérielle ou immatérielle, toute substance en tant que substance est cause motrice, forme et fin. Les principes des substances sont des substances. Donc le premier principe, en tant que premier et substance, n'est pas seulement premier moteur ; il est encore forme première et première fin.’ ” 256 .

Quant à la seconde argumentation qui complète la précédente, elle s'annonce comme suit :

‘“ Tout ce qui d'après son concept, est un et d'après son nombre, multiple, a une matière. Or, en physique, il a été démontré que la cause première n'a pas de matière. Donc la première cause motrice, en tant que première, est aussi la première cause formelle et finale. Et Averroès ajoute : que la confusion s'introduit uniquement, parce que les principes formel, final et moteur ne sont pas numériquement multiples ; bien au contraire, ils sont un, en fait, et trois seulement quant à leur désignation 257  ”.’

Que peut-on enfin retenir de ces passages ? D'abord dire qu'en physique la cause première n'a pas de matière, renvoie en fait, à penser la nature comme étant un lieu où toutes choses palpitent du sens et de la vie et non pas comme étant des choses (comme le disait Adorno) “ ‘factices de la non-facticité’ ” 258 . Du point de vue métaphysique, cela peut signifier que la nature est une preuve manifeste de la volonté du premier moteur créateur, donateur du sens. C'est l'un des propos de certains courants mystiques, fondateurs de la théorie immanationniste dont Al Farabi constitua le promoteur après Plotin, et dont Averroès constituera le prolongement.

Si l'on en croît ce qui vient d'être souligné jusqu’alors il est dès lors clair (en se référant au premier principe), que la puissance démonstrative de la logique spéciale en métaphysique, ne peut être atteinte que par un pont étroit qui relie entre elle physique et métaphysique.

Cette analyse et ces comparaisons nous rapprochent du problème conceptuel à savoir celui de la transposition didactique des processus supérieurs de la personnalité dont nous traitons. Il y a en effet une relation entre les méthodes d'accès à la connaissance et au savoir telles qu'elles sont exposées par Aristote et par Averroès et les méthodes de transposition, du transfert et de la diffusion des connaissances, tels que des auteurs contemporains entendent de les appliquer dans le domaine de la recherche psychologique et psychopédagogique. Avant de nous en expliquer avec Paul Fraïsse, Maurice Reuchlin, et Antoine Léon, nous tenons à discuter (pour finir avec la relation entre la méthode d'Aristote et celle d'Averroès), la légitimité ou l'illégitimité de cette transposition didactique du philosopher.

Notes
142.

Voir Arlandez (R.), Averroès un rationaliste en Islam Edit; Balland. 1998 p : 14.

143.

Pour plus de précision quant aux travaux de cet auteur voir deux ouvrages intéressant:

1 : l'Enfant et son milieu en Afrique Noire , Edit L'Harmattan 1987, surtout le chapitre VIII intitulé : connaissance du monde et savoir faire. p : 128 et suiv.

2 : Les premiers pas dans la vie de l'enfant d'Afrique noire Edit l'Harmattan 1988.

144.

Arlandez (R.), Ibid p : 25.

145.

Ibid.

146.

Revue régionale de publication de Paris édit: C . N. R. S 1985 Numéro consacré à une étude qui s'intitule: Mythe et représentation du temps. Surtout la troisième étude qui porte sur : "Temps et éternité dans la philosophie grecque".

147.

Ibid.

148.

Ibid

149.

Ibid.

150.

Ibid.

151.

Ibid.

152.

Ibid.

153.

Dérrida (J.), Donner le temps La fausse monnaie . Edit galilée 1991. p : 14 à 21, voir aussi : Politiques de l'amitiés suivies de l'oreille de Heidegger , même édition 1994.

154.

Averroès, op cit.

155.

Averroès Discours Décisif op cit.

156.

Coran repris par Averroès in Discours décisif Op Cit. p : 158 & 159.

157.

Le livre : La Guérison est celui d'Avicenne, dans lequel il pense que l'être qui existe nécessairement pour soi et l'être qui existe nécessairement par un autre sont tout à fait différent. L'existence et l'essence sont par contre inséparables lorsqu'il s'agit de la perfection du logos parfait (Dieu). Toute la théorie d'Avicenne prolonge celle qui l'a précédée à savoir celle d'Al Farabi. La différence entre les deux hommes est que là où Al Farabi parle de la théorie de l'émanation, Avicenne parle de la théorie de l'intellect.

158.

C'est ainsi que Nietzsche disait : “ Le génie du coeur tel que le possède ce grand caché, le dieu tentateur le flux ternaire à d'histoires de conscience, dont la voix sait descendre jusqu'au souterrain de l'âme, qui ne prononce pas un nom, ne jette pas un regard ne se dissimule une intention de séduire. Le génie du coeur qui fait taire les brillants et les vaniteux et leur apprend à écouter, qui puni les âmes rudes et leur donne à goûter un désir nouveau celui de demeurer calme comme un miroir afin de refléter la profondeur du ciel. Le génie du coeur, dont nul n'est effleuré qu'il ne se sent plus riche, plein d'espoir encore son nom, plein d'un vouloir et d'un élan nouveau. Moi, le dernier le disciple de Dionysos et son dernier initié, je puis dans mes années vous faire goûter un peu à cette philosophie au moins au temps qu'il m'est permis. A mis voix comme il se doit, car il s'agit bien des choses secrètes : une oeuvre étrange, inquiétante... ”. Enregistrement d’une émission portant sur un débat sur le thème : Nietzsche midi et éternité, un débat qui a eu lieu à la radio France culture, animée par des spécialistes de la philosophie de Nietzsche.

159.

Avicenne pense les signes et les rappels en terme de relation de connexion nécessaire entre les actes de la pensée et ceux du langage, entre l'intellect dit : actif et l'intellect dit : passif.

160.

Avicenne in Penser avec Aristote op. cit.

161.

In Penser avec Aristote, op. cit.

162.

Ibid.

163.

Ibid.

164.

Ibid.

165.

Ibid.

166.

Aristote, Leçons de Physique Livres I et II, Traduction et commentaire de Jules Barthélemy Saint Hiliane, traduction revue par Paul Mathias, Introduction de Jean Louis Poirier. in Collection Agora, dirigée par Olivier Amiel Edit Presses PocKet 1990 p : 295 à 324.

167.

Hassan Hanafi, in Patrimoine et innovation, notre point de vue du patrimoine ancien (notre traduction du texte arabe, in Attourat oi tajdid, maoiKifouna mina attourat alKadim) Editions Dar Attanouir, Liban Bayrouth 1981. Cet auteur est d'abord quelqu'un qui a été formé en Europe, notamment en France. Ses écrits portent sur une vision qui tente de rénover le patrimoine pour le familiariser avec les besoins imposés par la vie moderne, et ce pour le rendre accessible à un grand public large, sans pour autant chercher à désacraliser l'aspect dont il témoigne. Sa tâche est celle de mettre le sacré et le profane dans la vie des hommes, sans pour autant les opposer. Si nous le lisons et si nous le comprenons bien, (puisqu'il fût notre maître entre les années 1983 à 1985), on dira qu'il est dans la lignée de la conception nietzschéenne de l'homme face à son histoire, une conception qu'on pourrait rapprocher de la seconde inactuelle , telle qu'elle a été présentée par François Guéry.

168.

L'impétus est la force qu'exerce un corps. Ce dernier n'exerce une force d'inertie (qui est la force de résistance par laquelle tout corps autant qu'il peut, préserve son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme), que lorsque son état est changé par une autre force qu'on lui imprime ; et il exerce cette force sous différents aspects : celui de résistance et celui d'impétus. Il y a résistance lorsque le corps s'oppose à une force qui lui est imprimée, afin de conserver son état. Il y a en revanche impétus lorsque ce corps en s'opposant avec vigueur à la force de résistance d'un obstacle, s'efforce ainsi de changer l'état de cet obstacle. On assigne communément la résistance aux corps en repos et l'impétus aux corps en mouvement. Mais les concepts vulgaires de repos et de mouvement ne sont déterminés qu'en relation l'un avec l'autre. Car les corps que l'on croît être en repos ne le sont pas toujours véritablement. Tout se meut aussi bien les Hommes que la pierre solide qui procure son mouvement de la solidarité mouvementée à partir des cristaux et des électrons qui la constituent.

169.

Voir Sinaceur (M.A), in, Penser avec Aristote , op cit.

170.

Ibid.

171.

Schopenhauer Le vouloir vivre , op. cit.

172.

Sinaceur (M.A), op, cit

173.

Ibid.

174.

Ibid.

175.

Desanti (J.T.), La Philosophie silencieuse…, Edit. Seuil 1975

176.

Sinaceur (M.A), op cit.

177.

OcKham, article in Penser avec Aristote , op cit.

178.

Reboul (O.), Cours d'argumentation et de rhétorique in Rhétorique et pédagogie op cit.

179.

Voir l'article de Charles E Butterworth, in Penser avec Aristote . Op Cit. : pp : 701 et Suiv.

180.

Discours décisif . Op cit.

181.

Ibid.

182.

Aristote Ethique à Nicomaque 1098a 20. Traduit par Tricot (J) Edit. J. Vrin pp : 58 à 60. Cette citation est reprise par Olivier Reboul à plusieurs endroits de ses écrits : in Rhétorique Que sais-je ? Op cit., in Rhétorique et pédagogie . Op cit.

183.

Reboul (O.), La Rhétorique Que sais-je ? Op cit. p : 52.

184.

Citation reprise par Olivier Reboul in Nietzsche critique de Kant . Op cit.

185.

Cette phrase est d'Aristote. Elle se trouve dans Métaphysique, A, 993, b, reprise par Perelman (Ch), in Traité de l'argumentation. Op cit. p : 501.

186.

Schopenhauer Le vouloir vivre. Op cit.

187.

Citation de Nietzsche reprise in : Jean Granier. Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche . Edit Seuil 1966. p : 20.

188.

Dagognet (F.), Le Vivant op cit.

189.

Voir le chapitre : La philosophie comme science rigoureuse : le point de vue d'Ibn Rushd (Averroès ), articles in Penser avec Aristote . Op ci ; pp : 633 à 725.

190.

Ibid.

191.

Coran.

192.

Reboul (O.), Rhétorique et pédagogie , op cit.

193.

In Penser avec Aristote, op cit.

194.

Libera (A.), Averroès Discours décisif op cit.

195.

Ibid.

196.

Roqueplo (Ph.), Le partage du savoir Science, culture, vulgarisation. Edit. Seuil, 1974.

197.

Guéry (F.), Lou salomé génie de la vie , Edit Calmann Lévy 1978.

198.

Guéry (F.), Hieidegger reduscuté, Nature, technique et philosophie, Edit, Descartes & Cie 1995.

199.

Heidegger (M.), l'origine de l'oeuvre d'art conférence prononcée à la société des sciences de l'art de Fribourg-en-Brisgan le 13 Novembre 1935.

200.

Reboul (O.), Nietzsche critique de Kant , op. cit.

201.

Voir le § 16 du Discours décisif . Traduction inédite d'Alain de Libéra, op cit., p : 117.

202.

Hassan Hanafi. Op cit.

203.

Martin Heidegger. Qu’est-ce qu'une chose  ? Traduction J. Reboul et J. Taminiaux. Edit. Gallimard, p : 108 à 117.

204.

Descartes Oeuvres complète . Edit La Pléiade, op cit.

205.

Platon les Lois, op cit. p : 62.

206.

Khodoss (Cl.), Hegel Esthétique textes choisis op cit.

207.

Brunschwig (J.), Aristote Topiques , Liv. I – IV . Paris 1967.

208.

Cette conception chère aux Seconds analytiques, est si proche d'une autre où Aristote pense le vrai comme étant quelque chose qui est déjà-là. C'est ainsi qu'il a laissé entendre que : “ Tout enseignement donné ou reçu par la voie du raisonnement vient d'une connaissance préexistante. Cela est manifeste quel que soit l'enseignement considéré. (...), Et il est possible qu'une connaissance résulte tant de connaissance antérieur que de connaissances acquises en même temps qu'elle, à savoir les choses singulières qui tombent sous l'universel et dont on possède par là même la connaissance. (...), En fait, il est évident que la connaissance a lieu de la façon suivante :

On connaît universellement, mais au sens absolu on ne connaît pas. Faute de cette distinction, on tombera dans la difficulté soulevée par le Ménon : ou bien on n'apprendra rien, ou on apprendra que ce qu'on connaît ”. (Cf: Aristote : Seconds Analytiques (71a 1-30).

209.

Brunschwig (J.), Aristote Topiques , op cit.

210.

Perelman (Ch.),. Traité de l'argumentation op cit. Chapitre premier p : 87 et suiv.

211.

Ibid.

212.

Ibid.

213.

Ibid.

215.

Aristote Topiques op, cit.

216.

Khodoss (Cl.), op, cit.

217.

La quasi-totalité de ces exemples nous les retenons dans l'ouvrage : Penser avec Aristote , op cit. Voir Chapitre VII : La philosophie comme science rigoureuse.

218.

Ibid.

219.

Ibid.

220.

Guéry (F.) op cit.

221.

Ibid.

222.

Averroès Discours décisif op cit.

223.

Bateson (G.), La Nouvelle communication . Paris Édit. Seuil. 1981.

224.

Hegel (G.W.F.), Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé Paris. Gallimard. 1970.

225.

Heidegger (M.), Qu’est-ce qu'une chose ? op cit.

226.

Passage avancé par M. Mahdi in : Penser avec Aristote, op cit.

227.

Ibid.

228.

Averroès (Ibn'Rushd) Discours décisif op cit. pp : 104 & 105.

229.

Ibid.

230.

Ibid.

231.

Bateson (G.), op cit.

232.

Rudolf Hoffmann, in Penser avec Aristote, op cit.

233.

Ibid.

234.

Popper (K.). La connaissance objective . Traduction intégrale de l'anglais et préfacé par Jean-Jacques Rosat. Edit. Aubier. 1991 p : 76 & 77 et suiv. A cet endroit, Karl Popper souligne : “ je m'aperçus que ce qu'il convenait d'abandonner, c'était la quête d'une justification, au sens d'une justification de la prétention à la vérité d'une théorie. toutes les théories sont des hypothèses ; toutes sont susceptibles d'être renversées ”. Du point de vue de la transposition didactique du sens d'une proposition, des contenus, cela signifie que rien n'est donné tout est construit dans une relation d'ouverture permanente à l'acte de former et d'éduquer. Cet acte est celui à propos duquel nous venons de laisser entendre avec Ph. Meirieu que plus on sait plus on désire savoir...

235.

In Penser avec Aristote op cit.

236.

Ibid.

237.

Voir Discours décisif op cit.

238.

Aristote, Topiques , op cit.

239.

Kant (E.), Critique de la raison pure op cit.

240.

Aristote Topiques op cit.

241.

Develay (M.), La didactique des sciences Collectif . Que sais-je ? N° 2448, P. U. F. 1989.

242.

Averroès Discours décisif, op cit.

243.

Voir Chapitre VII intitulé : La philosophie comme science rigoureuse : le point de vue d'Ibn Rushd , In Penser avec Aristote , op cit.

244.

Ibid.

245.

Ibid.

246.

Ibid.

247.

Kant (E.), Critique de la raison pure , op cit. Pour Kant l'idée synthétique a priori est une idée claire et distincte puisqu'elle est purement mathématique, dynamique ayant des effets dans le monde sensible qu'elle représente.

248.

Voir l'article intitulé : La puissance argumentative de la logique spéciale dans la métaphysique d'Ibn Rushd, par Rudolf Hoffman. In Penser avec Aristote, op cit. p : 667 et suiv.

249.

Voir texte intitulé Physique et métaphysique in Schopenhauer le vouloir vivre, l'art et la sagesse Textes choisis par André Dez, op cit.

250.

Cité par Hoffman, p cit.

251.

Ibid.

252.

Ibid.

253.

Heidegger (M.), Etre et Etant. Collection philosophie et langage, par Michael Gelven. Edit. Pierre Margada 1987 p : 31 et suiv.

254.

Averroès va même aller plus loin tout en évoquant un "terrible constat" en laissant entendre que les âmes savantes, (Annoufous Alâlima) sont vouées à la résurrection, pour rendre des comptes à Dieu le jour du jugement dernier. Chose que les âmes ignorantes ne vont ni subir, ni accomplir. Par là même, il contredit certaines prémisses de l'Islam qui maintien la résurrection de toutes les âmes quelques soient leur degré de connaissance, et il s'aligne (en tant que philosophe rationaliste) implicitement sur le propos de Socrate, qui laisse penser que si l'Homme fait le mal, c'est simplement par ignorance qu'il agit ainsi. Car s'il possédait le savoir, l'Homme ne ferait guère le mal. Le savoir et la science sont une lumière éclairante des vérités et des faussetés, alors que l'ignorance et l'analphabétisme sont la mère des vices, des impuretés, et des vilenies. Parler avec Averroès de Annafs Alâlima (l'âme savante), et de Annafs Achirra (l'âme ignorante) est une dichotomie pratique, à travers laquelle, l'auteur du Discours Décisif , visait la mise en forme d'un rationalisme pratique, qui sera celui de Descartes plus tard, qui a pris le temps de distinguer dans ses Règles pour la direction de l'Esprit les différentes situations dont témoignent sa propre classification des couples philosophiques reflétant des situations concrètes. (Voir à cet égard ce qui va suivre dans notre explication de la Règle VI des Règles pour la Direction de l'Esprit ).

255.

Shopenhauer op cit.

256.

Hoffman (R.) article in Penser avec Aristote , op cit.

257.

Ibid.

258.

Adorno (T.W.), Théorie esthétique , op cit.