2.2.2. L'explication et la signification, deux techniques appliquées au processus social pour la transformation des savoirs sociaux de référence en savoirs à être enseignés.

Dans la définition que propose G. Vergnaud pour la transposition didactique, on peut laisser penser que l'expression, “ processus social ” peut désigner la nécessité d'une appréhension et d'une compréhension des différentes relations traduisant des tendances qui témoignent de l'avènement d'un comportement observé. Cette méthode qui est commode à la transposition didactique, ne doit pas dissocier l'explication de la signification. A la première est lié le paradigme nomothétique, un paradigme organisé autour du possible, autour de la preuve et autour du faisable. Celui-ci repose (dans la plupart des cas) sur une argumentation quasi-logique dont l'argument est la définition normative. (voir à titre d'exemple le deuxième paragraphe du texte précédent de J. C Milner).

A travers la méthode normative qui est l'oeuvre du pédagogue et non du didacticien, on peut dire que le premier s'astreint à nommer des notions, des contenus (définition nominale). Il se donne le temps de décrire des séquences de travail, les étapes d'une démarche (définition descriptive). Quant à la méthode significative du second, est lié le paradigme qui nous préoccupe le plus dans cette recherche à savoir l'herméneutique. Il est un paradigme organisé autour du sens. Il existe un autre paradigme pour la recherche en didactique, nommé : le paradigme pragmatique. Il est organisé autour de la preuve, il est à l'opposé du paradigme nomothétique qui est organisé seulement autour du possible.

Le pragmatique fait aussi partie intégrante du domaine de l'action. De même qu'il existe des possibilités représentant des stocKs de concepts et de formulations, de même qu'il existe des possibilités d'actions déterminant des relations pédagogiques diverses. Dans l'action pédagogique, le paradigme possède une vision à savoir l'intérêt qu'il porte aux buts et aux finalités éducatives et pédagogiques. Autrement dit, il n'interroge pas les finalités préétablies, il les classes dans l'ordre de l'éthique. Mais l'enseignement n'est pas un simple respect de l'ordre éthico-politique, il est au contraire un renversement de l'ordre établi. Avec Adorno le sens de ce renversement trouve son fondement à travers sa formulation qui laisse entendre que : ‘“ le vrai art est celui qui se retourne contre l'ordre établi’ ” 477 . Puisque la pédagogie est en soi un art, elle ne doit pas finaliser les fins, mais les renverser, car comme le pense K. Popper, les hypothèses doivent être soumises à une croyance qui n'est pas dogmatique. C'est ainsi qu'il laisse entendre que l'on doit continuer à croire que toutes nos hypothèses sont susceptibles d'être renversées.

Pour renforcer son argumentation gouvernée par l'argument du distinguo, fondée sur la structure du réelle, le paradigme pragmatique suffit à faire croître ses preuves. Or on peut lui poser malgré tout une question de droit, qui demeure légitime. Est ce que tout ce qui est valable pour une classe, pour une société, pour un individu ou pour un groupe vaut aussi pour d'autres ? La réponse à cette question est négative. Elle nous renvoie à nouveau au paradigme herméneutique. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on pense que ce paradigme englobe les autres paradigmes de la recherche en didactique.

La méthodologie de la transposition didactique est attentive aux explications plus qu'aux significations. Elle cherche les raisons davantage que le sens. Si Ph. Meirieu définit le chemin didactique comme étant le seul moyen “ de faire échapper l'apprentissage à l'aléatoire de rencontres et concordances fortuites ” 478 , alors on ne peut parler en ce sens que de transposition didactique, dont le souci méthodologique est la recherche de la signification avant l'explication, la recherche de l'Apprendre pour comprendre, et non pas celle de l'Apprendre pour connaître. Cette science qui devrait être attentive aux significations plus qu'aux explications trouve son sens chez M. Tardy (l'un de nos maîtres) , pour qui la sémiologie de la scolarité serait une science voisine aux autres sciences qui constituent ce pluriel-singulier : les sciences de l'éducation. C'est ainsi qu'il souligne : “‘ On rêve d'une science qui s'occuperait enfin des laissés-pour-compte de la science. D'une science qui serait de la signification avant d'être de l'explication, et qui pourrait s'appeler sémiologie de la scolarité’. ” 479 .

Cette science pourrait avoir un but double. Elle pourrait servir d'étude du sens des concepts didactiques et pédagogiques. Elle permettrait le passage d'un savoir acquis, difficile d'accès, à un savoir à acquérir considéré comme vrai. L'art d'enseigner repose sur plusieurs facteurs, qui rendent cet acte (comme Heidegger l'a déjà laissé entendre) plus difficile que celui d'apprendre. Cet acte ne peut être réussi que s'il privilégie davantage la recherche du sens et des significations plus que la recherche des raisons et des explications. Sans la recherche des classifications, sans la taxonomie des sens des propositions, on ne pourrait pas passer aux objectifs voulus par la taxinomie. Ce deuxième mouvement de la transposition didactique est aux yeux de G. Vergnaud : “ ‘Le passage sous les effets du processus social, des savoirs sociaux au savoirs effectivement enseignés dans le système éducatif’ ” 480 . Mais l'important est de savoir les formes sous lesquelles les savoirs sont effectivement enseignés. En tout cas l'une des méthodes de ces formes dites de la simplification est celle que l'on trouve dans des manuels didactiques. L'acte d'enseigner avant qu'il soit un passage à l'acte, il est d'abord réfléchi et étudié. Pour emprunter une formulation à Coménius, on dira que cet acte est “ programmé ”. Lors du passage des procédés de classifications à ceux des objectifs, de la taxonomie à la taxinomie, surgit la méthodologie de la transposition didactique qui est par essence la recherche de la signification plus que celle de l'explication.

Le but de la comparaison que nous proposons du texte didactique dérivé et du texte scientifique originaire, témoigne du sens qu'on peut attribuer au concept de transposition didactique. A partir de cette comparaison, l'écart sémantique entre le texte originaire et le dérivé peut être illustré lorsqu'on s'aperçoit que la méthodologie de la transposition didactique s'inspire de la méthodologie de la discipline correspondante. Cette relation entre la taxonomie et la taxinomie, reflète le paradigme pragmatique, un paradigme chèr à la recherche en didactique.

Notes
477.

Adorno (T.W.), Théorie Esthétique op cit. p : 16.

478.

Meirieu (Ph.), Apprendre oui...., mais comment , op cit.

479.

Trady (M.), Sciences de l'Éducation Considérations épistémologiques , C. N. D. P, C.R.D.P. Collection Sciences de l'Éducation n°2. Strasbourg 1984, p : 10.

480.

Vergnaud (G.), op cit.