1.2. Le niveau publicitaire pratique.

On doit d'abord retenir de l'origine historique de la publicité de la théorie deux enseignements. Le premier, porte sur le souci méthodologie qui (dans la postérité du développement de la psychologie expérimentale française), n'a pas été perdu de vue. En effet, les promoteurs 546 de cette science dès 1889 ont gardé le souci de l'étude et de la compréhension des processus supérieurs de la personnalité. Cela prouve leur fidélité à l'aspect humaniste qui fut dès le départ la tâche de cette science.

Quant au deuxième enseignement, on doit avoir une pensée pour les travaux des vulgarisateurs qui ont cherché (surtout en France), à réhabiliter l'étude et l'explication des processus supérieurs de la personnalité. Cette réhabilitation a donnée naissance à une discipline qu'il faut chercher à faire évoluer qui est nommée : la psycho-physique-subjective 547 . Mais le travail publicitaire ne s'arrête pas là. Il a été poursuivie dans le domaine de la pratique tout en donnant naissance à deux autres disciplines à savoir la pédagogie expérimentale, et la psychopédagogie qu'il faut aussi chercher à faire évoluer.

Ce niveau dit publicitaire pratique a donné naissance à une extension des processus supérieurs de la personnalité à d'autres domaines de recherche. Ainsi on peut déjà penser que la mise en mouvement du savoir d'une discipline à une autre permet l'avancée et l'enrichissement des concepts, des méthodes et des notions. Etants en relation avec le pour-autre-chose, les actions, les concepts peuvent prendre un autre sens opposé qui permettra enfin de comprendre la raison d'être de l'un et de l'autre, la raison d'être de l'originaire et du dérivé. Pour ce qui est par exemple des processus supérieurs de la personnalité qui puisent leurs sens dans la méthodologie expérimentale, ils deviennent de plus en plus discutables, incompréhensibles et insaisissables. Ils peuvent être aussi nécessaires lorsqu'ils sont repris par d'autres domaines que la psychologie expérimentale. En effet, leur sens varie de la pédagogie expérimentale, à la psychologie génétique, de la psychosociologie à la psychopédagogie etc.

La pratique expérimentale des processus supérieurs de la personnalité a pratiquement commencée dès 1865. A travers cette date en effet, l'expérimentation en pédagogie a commencée par l'intérêt que Claude Bernard portait à l'expérimentation dans le milieu médical. A cette période, Claude Bernard avait déjà évoqué l'impossibilité de la détermination du sens de la maladie. En effet, tomber malade est pour lui quelque chose d'autre que le diagnostic de la maladie. Lorsqu'il a remplacé dans sa copie problème médical par problème pédagogique, il pensait en effet à l'instauration d'une psychosociologie médicale qui permettra aussi de comprendre le sens de ce que signifie : tomber malade.

Pour Claude Bernard, le problème médical est devenu un problème non seulement thérapeutique, mais aussi didactique 548 . Autrement dit, la pédagogie médicale doit prendre en charge une autre souffrance qui anime le psychisme des individus, et ce pour trouver des diagnostics aux pathologies dont les psychogènes constituent les caractéristiques.

L'année 1879, fut aussi une date importante pour l'avancée de l'extension du pouvoir cognitif de l'étude des processus supérieurs de la personnalité, puisque à cette date un nouvel effort fût apparu : celui de la recherche qui a conduit les chercheurs à s'entendre sur une relation possible entre psychologie et pédagogie. Si l'on en croît Bain, alors : ‘“ Le travail le plus important dans les sciences de l'éducation doit être celui de l'étude de toutes les lois psychologiques qui ont un rapport directe avec l'action acquisitive de l'intelligence ”’ ‘ 549 ’ ‘.’ Comme on peut donc le constater, le message est clair pour tracer la lignée qui est aujourd'hui celle de l'éducabilité de l'intelligence. Puisque à cette époque la psychologie de l'enfant a connue un développement, alors des chercheurs ont souhaité que se constituât une science de l'éducation, qui fut encore l'oeuvre d'un pur hasard. Cette préférence avait en fait pour but d'étendre le schéma expérimental pour chercher à l'enrichir lors de son passage de la psychologie (en tant que science devenue exacte), à l'éducation en tant que science cherchant encore son objet avec exactitude. A partir de là et plus précisément en 1898 comme le souligne Compayré ‘“ pédagogie et psychologie sont désormais deux termes inséparables comme la conséquence et le principe ”’ ‘ 550 ’ ‘.’ Mais c'est à partir de 1911, avec A. Binet et E. DurKheim que la méthode expérimentale a commencée à préciser ses modalités en éducation, et ce pour devenir avec A. Binet proche du sens de ‘“ la mesure du degré d'instruction’  ”, et avec E. DurKheim, l'ouverture sur la chose de l'éducation. C’est-à-dire que celle-ci est un fait parmi d'autre, elle possède un aspect dit chosiste. Pour A. Binet, on doit faire remarquer que l'expérimentation en pédagogie se manifeste à travers une ouverture d'altérité radicale à l'égard des sujets. C'est ainsi qu'il posait des questions organisées et rigoureuses (dans l'absence des moyens techniques d'enregistrement que l'on connaît à notre époque) à la manière socratique non pas pour faire tromper les répondants-sujets, mais pour comprendre ce qui se passait dans leur tête. Cette technique, se présentait sous forme de questions dont la teneur fut inévitable et dont la difficulté fut dosée. C'est ainsi que Binet pense que ‘“ Le degré d'instruction atteint par un enfant, ne saurait être mesuré scientifiquement que par le résultat de ce système de question en le comparant au degré d'instruction de la moyenne d'enfants de même âge et de même condition sociale qui fréquentent les mêmes écoles ”’ ‘ 551 ’ ‘.’ La difficulté d'une synthèse, d'une compréhension de ces paramètres relationnels qui au fond sont complexes et difficiles à comprendre. Ils constituent (en plus de la didactique et de la pédagogie) une activité artistique définie déjà par Kant en terme de problématique. Ainsi pour comprendre ce qui se passe dans la tête des sujets, les deux didactiques (celle de l'immanence et celle de la transcendance) sont amenées à coïncider puisque les propos d'Alfred Binet laissent entendre cette possibilité. En effet, le résultat correspond au travail autonome de l'apprenant : à l'immanence, déjà-là ; quant aux autres paramètres qu'il faut chercher à arraisonner, correspondent à la transcendance, c'est-à-dire à ce qui pénètre l'apprenant de l'intérieur et biaise l'extension de son pouvoir cognitif. Dans l'optique d'Alfred Binet, les problèmes pédagogiques et didactiques ne sont pas simplement des déjà-là, mais aussi des toujours-déjà. La relation de connexion réciproque entre pédagogie et psychologie, contribue à gommer l'écart qui pourrait existe entre le savoir fraîchement acquis par les psychologues, et la pratique parfois routinière des pédagogues. La pratique de l'expérimentation elle seule peut réduire cet écart qui ne cesse de se creuser.

Il en va de même par exemple en ce concerne ce qu'il est convenu d'appeler : le laboratoire de formation philosophique, qui éclate dans toutes les écoles et les instituts de formation des maîtres à penser de la philosophie. Les élèves dans leur formation initiale ne peuvent être admis et reconnus comme étant capables d'assumer la fonction de professeur de philosophie que lorsqu'ils ont acquis une expérience à travers les exercices de l'art de la dissertation et de l'art des cours magistraux. Toutes ces pratiques s'acquièrent par l'expérience, par essais et erreurs.

Bien que la méthode expérimentale soit défendue par A. Binet et ses disciples, il n'empêche qu'à la même époque, c'est-à-dire en 1911, Emile DurKheim, s'est donné le temps de la recherche et de la réflexion pour se distinguer, se démarquer de ses contemporains quant au statut des sciences de l'éducation et au statut de l'expérimentation dans le domaine des sciences sociales en général. Pour lui en effet, la science de l'éducation est d'abord un singulier, ce n'est plus un pluriel-singulier. Elle doit (si l'on en croît les propos de DurKheim), étudier les faits observables, tels qu'ils se présentent. Ainsi, elle ne doit plus s'intéresser à l'imaginaire : à ce qui se passe dans la tête des sujets, car ce travail lui suscitera une perte de temps ; elle doit au contraire se préoccuper de la dynamique sociale, d'une totalité de relations complexes entre les faits éducatifs qui se présentent sous forme de système. La science de l'éducation au singulier, aura donc pour objectif de maintenir et de connaître les systèmes éducatifs par le biais d'une satisfaction désintéressée. C'est-à-dire, elle ne doit pas être affectée par les tâches psychologiques des sujets. Mais cette mission n'est en réalité jamais sûre, car le psychologue étant un être humain chargé de sensations d'émotions il peut tôt ou tard peu ou prou tomber dans la continuité affective à l'égard des sujets. Par conséquent, on assistera à la disparition de l'objectivité scientifique. Si donc pour A. Binet, et Th. Simon, la pédagogie expérimentale peut converger avec la psychopédagogie, alors avec E. DurKheim la pédagogie expérimentale ne peut coïncider qu'avec la sociopédagogie. Mais bien qu'il ait une opposition entre les deux conceptions, on peut malgré cela laisser penser que la sociopédagogie s'est instituée par analogie avec la psychopédagogie. Ainsi, la ressemblance des rapports entre l'une et l'autre est fondée sur la facticité des faits éducatifs, de la même manière que la psychologie de la recherche de Th. Khun et la logique de la découverte de K. Popper, ont pensé les faits comme des données à la fois légitimes et aptes à être étudiées scientifiquement. Pour DurKheim, la facticité des faits a un sens spécifique : qu’ils doivent être classés d'après lui en plusieurs catégories. Comme il l'a laissé entendre, les faits sont :

  1. Observables, c'est-à-dire aptes à être observés d'une manière fortuite, systématique ou organisée. A partir de là, on peut dire que l'observation comme processus supérieur de la personnalité est capable de discerner le sens des faits. Averroès (dans la perspective théosophique) avait déjà avancé que l'observation est un processus supérieur de la personnalité humaine car, lorsque le verset divin : “ N'ont-ils point examiné les chameaux, comment ils ont été créés ? Et le ciel, comment il a été élevé ? ou encore : (...) et qu’ils méditent sur la création des cieux et de la terre ”, s'adresse à l'homme pour observer la terre, les cieux et les chameaux et d'autres créatures, n'est rien d'autre qu'un signe pour mettre en évidence la perfection humaine et la capacité qu'à l'homme à donner sens aux faits factices, apparents et fortuits. Cela nous renvoie finalement à laisser penser que le concept de la transposition didactique ne fut pas une simple réflexion spéculative, un dire, à travers lequel Averroès cherchait à discerner les différents sens. La transposition didactique du philosopher fût une pratique, qui dans son ouverture d'altérité radicale fut une tâche vécue par cet infatigable commentateur d'Aristote et des penseurs grecs. Cette mise en forme d'une philosophie en acte était donc à l'instar de celle que Michel Foucoult cherchera plus tard à cultiver. Ainsi ceux qui parlent aujourd'hui du concept de la transposition didactique, ne font que de mener une pédagogie du dire, une approche réflexive et critique des concepts, des pratiques et des notions, alors que ce domaine de recherche est d'abord et avant tout un art qu'il faut chercher à mettre en forme et en valeur. C'est cette École que certains (comme François Guéry, et J. Houssaye) critiquent. Rappelons que le premier avait laissé entendre que tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde, alors que le second avait souligné que l'École est malade qu'elle nous rend malade de sa propre pathologie. Mais ces deux auteurs (qui étaient nos maîtres) pensent qu’il est encore possible d’agir sur ce désert pour le transformer en pays fertile.
  2. Les faits éducatifs présentent entre eux une homogénéité suffisante, ils peuvent être classés dans une même catégorie, c'est-à-dire dans un système. Cela signifie, que l'organisation en vue d'une destinée, est propre aux sciences sociales encore plus aux sciences de l'éducation. En effet, on n'éduque pas à notre guise, on éduque pour une finalité, pour un but. L'homme est le seul être raisonnable à pouvoir aspirer à un avenir possible tout en organisant sa conduite en système de relation. L'homme disait Nietzsche existe pour une destinée qu'il aime, à laquelle il tient. Ainsi dans le domaine de l'éducation, l'organisation peut être celle d'un système politique, éthique ou autre. Pour Nietzsche la conduite humaine ne doit en aucun cas être érigée en système, car cela ne garantira en rien la liberté, mais elle doit par contre être sélectionnée après un long dressage et une lente lecture des faits. Si l'éducation est pour lui dressage et sélection alors la continuité à l'égard des faits est une chose qui s'impose pour classer le sens des actions. C'est ainsi que Nietzsche souligne : “ Prétendre ce que sont le bien et le mal ; c'est non seulement trouver la fausse clefs (monnaie) en morale, mais c'est aussi prétendre savoir pourquoi l'homme existe, connaître sa fin, sa destination, c'est prétendre savoir que l'homme a une fin, une destination ” Nietzsche (F.) La volonté de puissance. T I Edit. Gallimard, Paris 1947 p : 116..

Lorsque DurKheim pense que les faits éducatifs peuvent être classés, cela signifie au fond que la valeur d'un fait se mesure par le milieu dans laquelle elle s'exerce. Nietzsche avait donc raison lorsqu'il a engagé sa philosophie dans une perspective de la reconnaissance des différences qui animent les individus dans un milieu social. A plusieurs reprises, il a affirmé cela en laissant entendre que : ‘“ Bien ne signifie plus bien dans la bouche du voisin. Et comment y aurait-il un bien commun ? Le mot renferme une contradiction : ce qui peut être commun n'a jamais que peu de valeur. Finalement, il en sera comme il en a toujours été : les grandes choses appartiendront aux grands hommes, les profondeurs aux hommes profonds, le raffinement et le frisson aux hommes raffinés et, en un mot, tout ce qui est rare aux hommes rares’ ‘ 553 ’ ‘ ”. Comme il a laissé dire aussi que : “ la manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran... ”’ ‘ 554 ’ ‘.’

Ces affirmations sont en réalité des opinions philosophiques qui mettent l'accent sur le caractère, loi de la liberté qui s'exerce dans la société aussi bien par les groupes que par les individus. En éducation (et d'une manière empirique et pratique) le loi de la liberté peut traduire le droit à la différenciation didactique. Cette idée va être similaire à celle de DurKheim qui pense que les fait sont :

  1. Des actes qui dépendent de l'usage que l'on en fait, d'autant plus qu'ils ne sont pas indépendants les uns des autres. Cette même remarque était aussi celle de Nietzsche, qui a pensé que les faits sont en relation de connexion nécessaire avec notre manière de voir et d'être.
  2. Les faits éducatifs, sont historiques : ils témoignent des pratiques pédagogiques liées à un même système éducatif, propre à un temps donné et à un espace donné. Nietzsche avait pensé la même idée en laissant entendre que les faits n'existent jamais seuls, qu'ils témoignent d'un passé qui ne peut en aucun cas être dépassé. Ce passé de l'homme, est voué à revenir éternellement. A partir de là, le fait d'admettre que l'éducation est en relation de connexion nécessaire avec la mémoire et le souvenir, nous renvoie donc à classer les différents rapports de l'homme face à son histoire.

Du point de vue philosophique et dans une perspective de taxonomisation des faits historiques de l'homme, trois attitudes doivent être mises en place :

Notes
546.

La psychologie expérimentale française a connue pour la première fois sa création au sein de la psychologie comparée tout en ayant pour but l'étude des processus supérieurs de la personnalité. Le mérite de sa réalisation revient à Th. Ribot, qui fut responsable au Collège de France de ses enseignements tout en ayant présent à l'esprit le souci originaire qui est l'étude de la variable personnalité, qui englobe si l'on en croit Paul Fraïsse tous ces processus.

547.
La formulation est énigmatique. Elle est avancée par Maurice Reuchlin. (Voir : Guide pratique de l'étudiant en psychologie, op cit.). En tant que vulgarisateur des théories psychologiques, l'auteur veut simplement lier à travers cette formulation le stimulus, la réponse et la variable personnalité des individus, et ce pour montrer à travers une formulation englobante la difficulté qui réside dans le schéma tripolaire de Paul Fraisse : S
P
R. A partir de là on peut dire qu'il altère positivement le texte scientifique de Paul Fraïsse.
548.

Citation in Psychologie et éducation par M. Tardy Collection Sciences de l'éducation N°4 C. N. D.P ; C. R. D. P Strasbourg 1984 p : 4.

549.

Citation par Avanzini (G.) op cit. 1987 p: 2 et 3.

550.

Ibid. (L'auteur renvoie à Compayré 1898 p : 10).

551.

Alfred Binet 1911 p : 35. Citation reprise par M. Tardy, in sciences de l'éducation considération épistémologique , op cit. p : 4.

553.

Nietzsche (F.) op cit.

554.

Nietzsche (F.) op cit.