1:L'attitude monumentale

L'homme aime la destinée qui est – comme le pense Heidegger après Nietzsche – un toujours-déjà œuvrée dans L'il y a de l'homme. Ce dernier, aime se référer à son histoire, à son passé. Cette attitude fait de lui un chercheur d'exemples dans le passé pour les tenir comme modèles dans l'avenir. Une oeuvre d'art est une oeuvre qui était. Elle est vouée à apporter un message pour les générations futures. Ainsi les faits éducatifs sont ceux des hommes qui ont laissé des traces pour témoigner de ce que Nietzsche, appelle : le souvenir de la promesse que l'on en a faite ou que l'on en a prescrite dans le passé. Cela ne signifie pas une prise en considération d'un fait pour marquer uniquement le souvenir en vue de l'oubli, il est un souvenir en vue de susciter le réveil de la mémoire.

Se souvenir de la promesse que l'on a faite dans le passé, c'est l'engagement envers soi-même à la tenir dans le passé, dans le présent, mais aussi dans l'avenir. Cet engagement est un éternel retour de notre passé qui ne passe pas et qui ne peut même pas être dépassé. C'est ce que Heidegger nommera plus tard: le (DASEIN), c'est-à-dire un être toujours en mouvement, un être empruntant la méthode du "Saut" pour aller de l'arrière envers l'avant.

Cette attitude est une modalité du rapport au passé qui reste ouverte à l'avenir. De ce fait, l'unité du genre humain se solde par la spécificité et sa particularité. Le fait éducatif est aussi particulier, car il témoigne de cet oeil de l'énonciation, qui est la manière à travers laquelle l'homme met le réel en forme. L'homme est riche en ce qu'il est singulier, diffèrent ; il peut tout échanger avec l'autre sauf sa manière d'exister. Cette manière, il peut la faire valoir avec différents moyens, soit par l'attitude du contacter pour contracter, soit par celle du dépassement lorsqu'il devient impitoyable envers soi même et envers ce qui tend l'arc 555 . Nietzsche disait d'ailleurs dans cette même perspective que l'acte éducatif est d'abord dressage et sélection et ensuite, une action du sujet qui vise la liberté tout en étant impitoyable envers soi même et envers ce qui tend l'arc. Car ‘“ La manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran ”’. disait Nietzsche.

Pourquoi ce retour au passé ? Que signifie t-il ? qu'est-ce qui le légitime ? Telles sont les questions qui s'imposent.

La raison repose sur le sens qu'on peut attribuer à l'homme. Ce dernier ne peut en aucun cas penser d'une manière anhistorique. En effet, l'homme est le seul être raisonnable susceptible de se référer à quelque chose qui lui est d'une singularité propre. Cette chose-ci (qui l'habite comme un toujours-déjà), lui donne la possibilité de vivre dans la nostalgie permanente, dans une algie : quelque chose qui fait mal et qui est vouée à revenir éternellement. Cette algie, est un phénomène qui met l'histoire en mouvement. A titre d'exemple, on peut citer la Néoténie : une forme de développement de l'homme qui préserve les formes juvéniles comme principes fondateurs de “ l'adolescence permanente ” 556 . En éducation, cela peut se traduire en neuropédagogie par les rythmes scolaires d'assimilation des contenus, car la particularité des faits éducatifs est aussi celle de la constitution biologique des sujets. Cette "algie", fait de l'homme un être pensant à son passé, à son présent et à son avenir. Elle est un La, un “ ici là, un ici là-bas ” favorable. Elle n'a de sens que pour l'homme. Elle n'est pas un simple caché, un simple dit-inter. Elle se manifeste dans l'action artistique. Chez les grecs, par exemple, elle n'a pas manquée à se mettre en forme et en valeur. Elle n'a pas cessée de ce dévoiler à tous les niveaux du comportement. WincKelmann, a rapporté au sujet du dévoilement de la vérité en tant que comportement, les femmes grecques qui exposaient leur beauté naturelle en se laissant désirer par leur beauté corporelle échangée et partagée par les regards attentifs et appréciatifs. C'est l'une des raisons pour laquelle on peut penser que l'oeuvre d'art est en elle-même un comportement, qui se veut factice de la vérité, d'une vérité en tant qu'apparence. Ainsi l'être-apparent devenu l'être-réalité, témoigne de l'avènement d'une nulle dichotomie entre le couple philosophique (apparence / réalité).

L'invariant fonctionnel de toute civilisation réside dans ce qu'elle a marquée comme premier pas nécessaire pour être dans le passé. Une oeuvre d'art est une oeuvre qui était, qui a marquée son temps dans le passé. Ce dernier, doit être pour les générations futures l'effet d'un modèle de référence. Cet enseignement nietzschéen est d'un grand l'intérêt. Il nous aide à tirer du passé un enseignement didactique : une attitude qui permet de comprendre la raison et le motif de toute action humaine. Elle nous permet aussi d'être en contact permanent avec ceux qui ont met en forme les savoirs et les connaissances scientifiques, comme elle nous permet aussi de comprendre les raisons pour lesquelles une connaissance à connue l'apogée ou le déclin à telle époque donnée. Malgré tout cela elle peut néanmoins – si l'on en croît Nietzsche – comporter un risque qui laissera sa signification en pleine ambiguïté. L'abîme repose sur la prise du passé comme modèle de référence. Ainsi faire du passé une sorte d'idéal qui disqualifierait tout à la fois le présent et les possibilités d'avenir, est un abîme qui comporte en tout cas – selon Nietzsche – le risque de voir naître une situation où "les morts enterrent les vivants".

Notes
555.

Citation de Nietzsche avancée par Olivier Reboul in Nietzsche critique de Kant, op cit.

556.

Proposition de Georges Lapasssade, in : L'entrée dans la vie , op cit.