3: L'attitude Critique :

Cette attitude ressort de la conception nietzschéenne du temps. Puisqu'il n'y a d'après Nietzsche qu'un seul temps : le présent du passé, le présent du présent et le présent de l'avenir, alors ce temps là (comme étant un état-là), doit être un moyen pour comprendre le passé. Le fait de chercher à comprendre ce temps signifie en réalité son emplacement devant le tribunal non pas de la raison, mais du présent comme Raison. Par conséquent, l'autre moment opposé du souvenir à savoir : l'oubli doit être mis en évidence et en pratique. La formulation de l'aphorisme de l'affirmation de la vie sera ainsi :

Si vous voulez vivre ayez le courage d'oublier. C'est dans cette même perspective que Heidegger incite à cesser de penser, car à ses yeux plus on pense plus on se fatigue. Cet oubli doit être actif : il doit avoir pour mission de rompre avec le passé on le condamnant. Heidegger n'a t-il pas suivi l'enseignement nietzschéen en présentant ses excuses à Madame Husserl après la mort du Husserl "l’intellect crucifié", que Heidegger a écarté de la fonction publique "faute" de ses convictions religieuses ?.

Le danger de cette attitude critique repose sur la condamnation totale du passé comme si celui-ci n'est rien d'autre qu'une somme d'erreurs. Il y a ici une vision nietzschéenne bien précise : un appel à une taxonomie des faits passés, car on ne peut pas réduire les faits et les circonstances de la vie à la perfection et à l'absence d'erreur. Dire que la vie est possible sans erreurs cela est une illusion.

Comme on peut le constater à travers ces digressions philosophiques, le fait humain est une chose parmi les choses. Il est ordinaire et extraordinaire à la fois. Car si l'on en croit Emile DurKhein ainsi que ces deux philosophes (Nietzsche et Heidegger) on peut dire (en annonçant une autre caractéristique proprement durKheimienne) que les faits éducatifs et sociaux, 5: ont leur place dans la réalité sociale, qu'ils ouvrent par là-même une autre histoire, car 6: Les faits éducatifs étudient les systèmes éducatifs en vue de les connaître sans pour autant porter un jugement de valeur sur eux.

On peut dire à partir de ce qui vient de précéder, que l'avant dernière caractéristique correspond à ce que Heidegger nomme l'historialité des faits et des comportements. Quant à la dernière caractéristique, elle correspond à l'attitude heideggerienne de l'effacement du sujet devant ce qu'il aperçoit. Dans le domaine de l'éducation, DurKheim pense la dynamique sociale en terme de problématique, en terme de tâche et en terme d'activité artistique. Son souci fondamental est la recherche du sens des faits éducatifs. C'est pour cette raison qu'il propose de les observer avec mesure, avec beaucoup de vigilance épistémologique. Les propositions qu'il a avancé à travers les caractéristiques précédantes, sont un exemple probant.

Mais le fait de mettre en évidence l'approche sociologique pour l'étude des faits éducatifs n'était seulement qu'une question de temps favorable. Car à partir de 1913, la dimension psychologique dans la compréhension des faits éducatifs a fait de nouveau un retour en force. Avec Cellerier, l'initiation psychologique est devenue nécessaire pour venir en aide aux travaux des pédagogues, pour que ceux-ci puissent comprendre les manifestations des esprits des apprenants. C'est ainsi que Cellerier souligne : ‘La psychologie est pour la pédagogie ce que sont pour le médecin l'anatomie et la physiologie’  ” 567 . Ce rapport d'analogie entre ces disciplines reflète une ressemblance des rapports, qui trouve son fondement dans une relation de réciprocité entre théorie et pratique. C'est la raison pour laquelle nous avons défini la transposition didactique comme méthode qui s'astreint à la pratique d'une théorie et la théorisation d'une pratique. Pour Cellerier, ce qui manque au pédagogue, c'est la connaissance des manifestations de l'esprit c’est-à-dire l'initiation psychologique. Cette relation de réciprocité, de va et vient entre psychologie et pédagogie a laissé Ferrière en 1920 admettre que l'éducation est une sorte de psychologie appliquée. La relation entre psychologie et pédagogie ne fut pas toujours une relation d'ouverture, d'altérité radicale, de discussion emphatique et rationnelle. En effet, s'agissant des processus supérieurs de la personnalité, certains penseurs se sont opposés ouvertement à la déduction automatique des conduites éducatives et pédagogiques des faits psychologiques. Parmi ce chercheurs, W. James qui dès 1908, a écrit la causerie pédagogique : une forme ironique pour laisser entendre que le discours sur l’éducation n’est rien d’autre qu’une causerie pédagogique. Cela peut être vrai si l’on maintient avec Freud que l’enseignement (l’art d’éduquer les hommes) à côté de la poltique (l’art de gouverner) et de l’analyse (l’art de la réflexion), est l’un des métiers impossibles. C'est ainsi que W James va plus loin pour dire que : ‘“ Ce que le pédagogue devrait savoir à propos de la science psychologique pourrait s'écrire sur la paume de la main, et qu'on se tromperait fort si l'on estimait pouvoir déduire de la psychologie, science des lois régissant l'esprit, des théories et des méthodes directement applicables dans la salle d'étude’ 568 . ”.

A partir de cette vison de W. James, on peut laisser penser que la pédagogie n'est pas déductible seulement de la psychologie, et ce pour la simple raison : la psychologie est une science, or que la pédagogie est un art. Par conséquent, les sciences ne font jamais naître les arts directement d'elles mêmes. C'est par le canal - disait W James - d'un esprit ingénieux mettant en oeuvre son originalité que ce fait l'orientation de la science.

Si l'on s'en tient à cet bref exposé aperçu sur les rapports de l'agir humain avec les différentes disciplines qui l'ont étudié, alors on peut extraire deux courants de pensée qui sont optimistes mais à des degrés différents. L'un qui est idéaliste, pense que l'institution psychologique est indispensable pour comprendre et étudier les faits éducatifs et pédagogiques ; tandis que l'autre matérialiste, pense que l'optimisme repose sur la confiance accordée aux faits pédagogiques et éducatifs qui sont autonomes, qu'ils faut étudier suivant cette même autonomie. Il n'est donc pas utile ni même nécessaire de chercher à aller au-delà des faits pour leurs trouver un sens et une signification. Le premier courant pense que les faits jugent avec un jugement, quant au second pense qu'ils jugent sans jugement. Dans les deux perspectives le temps de l'éducation et des études n'est pas le même, il varie selon le sens de l'institution scolaire, un sens qui est pour le premier celui de l'ouverture sur l'histoire personnalisée des sujets pensant, et pour le second celui de l'ouverture sur les actions performées des apprenants qui agissent au sein d'une sphère organisée qui est l'École programmatrice de savoirs et des connaissances. Si avec Rousseau par exemple le temps de l'éducation il vaut mieux en perdre que d'en gagner, alors il n'en va pas de même pour W. James qui s'oppose à cette initiation car elle peut renfermer l'enseignant dans une situation chaotiques. A ce sujet, W. James souligne : ‘“ Nos instituteurs sont déjà surmenés et quiconque sans nécessité ajoute le moindre poids à leur fardeau, est un ennemi de l'éducation. Or une mauvaise conscience augmente le poids de tous les fardeaux, et je sais que l'étude de l'enfant comme celle d'autres parties de la psychologie, a jeté dans plus d'une poitrine innocente le trouble d'une conscience inquiète’ 569 . ”

Ces deux courants (matérialiste et idéaliste) subsistent encore dans la pensée éducatives moderne et contemporaine. S'agissant par exemple du processus supérieur de la personnalité qui est la perception, son sens varie d'un courant de pensé à un autre. Ainsi, le courant matérialiste, qui s'astreint à l’étude des objets éducatifs et pédagogiques (qui sont représentés par les gestes et les actions des apprenants), pense que les réponses perceptives sont en relation mécanique avec les stimuli. Par conséquent, lorsqu'il y a un stimulus quelconque, il y a automatiquement une réponse correspondante, d’où le schéma : S
R. Or ce schéma n'est plus un modèle pour l'étude et la compréhension de la perception, car pour le courant idéaliste, qui cherche à aller au-delà des faits apparents (pour comprendre l'état de l'apparaître), pense que le schéma adéquat pour l'étude et la compréhension de la perception est celui de l'introduction de la variable (P) Personnalité comme variable intermédiaire entre le stimulus et la réponse. En effet, je ne peux pas répondre si je ne suis pas affecté, impliqué dans la situation en cause, d'où l'initiation psychologique qui s'impose comme manière de voir pour comprendre d'autres manières d'être et d'agir. Par conséquent on passe du schéma : S
R.au schéma : S
P
R.

C'est à partir de 1924, avec Th. Simon, jusqu'à 1969, avec J. Piaget, que l'initiation psychologique dans l'étude de la compréhension des faits pédagogiques et éducatifs est devenue une réalité mise hors de cause. Le premier a laissé penser qu'à ‘ L'étude des faits pédagogiques la pédagogie expérimentale devra appliquer les méthodes scientifiques ordinaires’ . ” 570 . Quant au second, il a pensé que “ ‘l'esprit général des recherches psychologiques et, souvent aussi les méthodes même d'observation qui, en passant du champs de la science pure à celui de l'expérimentation scolaire, ont vivifié la pédagogie’ 571  ”.

Dans le cade de la transposition didactique des étapes de la méthodologie expérimentale, ce qui nous intéresse est de chercher à valider ou à réfuter cette idée piagetienne, car il existe des situations où cette idée est valable et d'autre au contraire où elle est susceptible d'être rejetée. Piaget fut en réalité celui à qui revient le mérité d'avoir prolongé le schéma expérimental en l'appliquant à l'éducation et à la pédagogie. Dans son ouverture d'altérité radicale à l'égard des apprenants, il a fait une observation qui se présente sous forme d'une conclusion digne d'intérêt, c'est ainsi qu'il a souligné : ‘Ce qui reste des différentes connaissances acquises dans les écoles du premier et de second degré après cinq, dix ou vingt ans chez des représentations des différents milieux de la population ce sont les objets que donne la pédagogie scientifique (...) Il est à peine croyable que sur un terrain aussi accessible à l'expérimentation et où se trouvent en conflits les intérêts divergents de la grammaire traditionnelle et de la linguiste contemporaine, le pédagogue n'organise pas d'expériences suivies et méthodiques et se contente de trouver les questions à coups d'opinions dans le bon sens recouvre en fait plus d'affectivité que de raisons affectives’ . ” 572

Ce recours à l'histoire proche de la problématique de l'ouverture et de l'achèvement dans la méthodologie expérimentale nous a été nécessaire, car nous jugeons qu'il va servir à la compréhension de la manière dont laquelle les liens entre psychologie et pédagogie furent engagés ; comme il permettra aussi de comprendre la transposition didactique des étapes de la méthodologie expérimentale appliquée à la psychologie. Ces étapes qui au fond sont des démarches qui trouvent leurs applications dans le processus méthodique qui se présente désormais sous des formes multiples : la vulgarisation scientifique, la vulgarisation de la transposition didactique et la vulgarisation de la vulgarisation.

Actuellement, le schéma méthodologique OHERIC, décrit d'habitude d'expérimental est devenu l'intérêt de plusieurs chercheurs. Parmi ceux qui l'ont appliquer à leur domaine de recherche on peut citer, P. Fraïsse, M. Reuchlin, et A. Léon. Les trois hommes ont des tâches communes qui portent sur la définition de plusieurs notions propres à la psychologie expérimentale, qui puise son sens dans l'aspect méthodique. En réalité, leurs travaux incarnent une transformation des différents objets de savoir en objets de savoir à être enseigné que réalisent à la fois la transposition didactique et la vulgarisation scientifique. Il y a transposition didactique, parce que le statut de leurs écrits sont destinés à un public spécialisé qui sont les étudiants de D.E.U.G de psychologie. Il y a aussi vulgarisation scientifique, parce que le fait de publier à travers des Que sais-je ? et des manuels didactiques est en soi une techniques pour toucher un public large.

Les deux auteurs, Fraïsse et Reuchlin publient chez un même éditeur à savoir P. U. F. L'objet de savoir du premier est présenté dans un Que-sais-je ?, qui s'intitule : la psychologie expérimentale, ainsi que dans un traité collectif qui s'intitule : Traité de psychologie expérimentale. Tandis que celui du second, est présenté dans un ouvrage qui s'intitule : Guide pratique de l'étudiant en psychologie. Et enfin celui du troisième, dans un Manuel de psychopédagogie expérimentale. La quasi-totalité de ces travaux sont l'oeuvre d'un travail d'équipe. Ils sont tous publiés chez un même éditeur à savoir les Editions de Presse Universitaire de France. Bien que les formulations apparaissent différentes, il n'empêche que les auteurs se placent – à travers leurs écrits qui traitent différemment d'un même contenu de savoir – dans le cadre de la transposition didactique et dans celui de la vulgarisation scientifique et ce pour deux raisons :

  1. Ils parlent d'un objet de savoir (l'expérimentation) qui fut l'intérêt des physiologistes et des biologistes. Ils sont tous d'accord sur la genèse de leurs objets de savoir.
  2. Ils visent à travers leurs écrits à atteindre un public majoritaire. Le plus important désormais est de saisir ce qu'ils font de leurs objets de savoir.
Notes
567.

Cellerier 1913. p 12. Citation reprise par Guy Avanzini in Psychologie et Éducation Collection sciences de l'éducation 1978 Op. Cit. p : 2.

568.

James (W.) 1908 pp.: 12 à 16. Cité par M. Tardy in Sciences de l'éducation . Op. Cit. p : 19.

569.

Cité par Guy Avanzini in Science de l'éducation Op cit. p : 2 et suiv.

570.

Simon (Th.) 1924 p : 22.

571.

Piaget (J.) 1939 p : 226.

572.

Piaget (J.) 1969 pp : 16 à 15 et suiv.