1: L'ouverture et l'achèvement en expérimentation :

L'idée de l'ouverture appliquée à la psychologie expérimentale, est une idée qui ressort du précédant schéma O.H.E.R.I.C expérimental. Celle-ci nous oblige à penser que l'histoire des sciences n'est rien d'autre qu'un ensemble d'opinions réunies, c'est-à-dire un processus et non un état. A ce sujet, Claude Bernard souligne : “ ‘C'est moi qui fonde la médecine expérimentale dans son vrai sens scientifique ; voilà ma prétention’ ” 584 . A partir de là, on peut alors penser que cette même prétention laisse une possibilité à l'inspiration, à la recherche du travail en groupe. Ce travail fonde la définition de la pratique scientifique qui est par essence un travail collectif. La méthode expérimentale est donc une méthode qui puise son sens dans ce que nous avons appelé avec Gaston Bachelard : la critique de la provenance, et avec Aristote, le contacter pour contracter. Car ce genre de rapport (aussi bien à l'histoire des idées qu'à la facticité des faits), marque l'esprit d'ouverture, qui est le lieu de la provenance de la démarche expérimentale, dont témoignent tous les textes des auteurs que nous venons de présenter. Cette ouverture privilégie le principe de l'inspiration à celui de l'imitation. Car et si l'on en croît Claude Bernard ainsi que les autres auteurs qui s'y réfèrent, se sont donc les faits factices de la nature sensible qui nous inspirent. Cette inspiration n'est pas pour autant une occasion pour chercher à imiter la facticité des faits. Ces auteurs (qui forment ce que Michel Tardy appelle : le patronage de Claude Bernard), ont contribué à un débat d'idées. Cela signifie que la pensée hérite à la fois de la pensée et du signe, mais jamais le signe n'hérite du signe.

Dans cette perspective de la prétention, on est face à l'argument hégélien qui traduit la pédagogie de la rencontre et du rendez-vous. Cette dernière, est fondée sur une argumentation à travers laquelle Claude Bernard voulait renforcer l'idée chère à Hegel, qui a pensé que tout ce que nous produisons dans l'instant du maintenant provient de ce que nous tenons du cercle le plus ou moins proche de nos amis et de celui de nos propres connaissances. Par ces démarches de l'ouverture et de l'inspiration, la méthodologie expérimentale (aussi bien en médecine qu'en psychologie) prolonge le souci qui a déjà animé les anciens. Ce souci était en fait celui de l'accompagnement pour remédier aux maux de la société et des individus. Un souci dont témoigne le texte du Gorgias de Platon.

L'ouverture sur les autres tout en leur communiquant un sens, n'est rien d'autre que l'amour de la vie de la rencontre, l'amour de l'extension du pouvoir physique de la connaissance et de l'espérance de la vie.

Ce qu'il faut noter dans la perspective du texte scientifique de Claude Bernard, est que le mot : prétention, n'est pas employé d'une manière fortuite. Par cet emploi, l'auteur laisse aussi une ouverture à son schéma O. H. E. R. I. C. Il incite en fait (d'une manière indirecte) le chercheur à contribuer à son évolution. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles on a considéré que nos auteurs n'ont pas raté leur rendez-vous, qu'ils ont tous entendu l'appel de Bernard, qui a lui-même entendu celui de Platon et d'Aristote. Cet appel se dissimule à travers une apostrophe : une figure rhétorique à travers laquelle on s'adresse à un absent qui doit désormais, être présent. Dire en effet avec Claude Bernard que l'expérimentaliste doit être un homme d'exception, qu'il doit se jeter à travers champs, revient enfin de compte à penser aussi avec Paul Fraïsse et avec Antoine Léon que l'expérimentaliste doit voir sans être vu, doit tester ses idées en vue de l'administration de la preuve. A partir de là, on peut dire que l'homme est capable de faire évoluer l'expérimentation dans le domaine des sciences humaines, un domaine favorable à l'accompagnement et à l'ouverture, en tant que techniques qui peuvent aussi rendre service à l'apprenant et à celui qui est à l'agonie de sa vie. A titre d'exemple filons cette expérience d'Olivier Reboul (notre maître), qui fut fidèle à son esprit de la rencontre et du rendez-vous et à l'expérimentation d'espaces possibles. A la fin de sa vie, sur le lit de sa mort, il a contribué (en publiant ses derniers écrits disparates), à un apprentissage de la mort. Parler de “ l'apprendre à mourir ” est une technique didactique qui n'incite guère à mettre fin à la vie, mais qui au contraire incite à l'apprentissage permanent “ pour arracher à la mort sa victoire ” 585 . Cette attitude ne peut être accomplie que par l'accompagnement, une technique que nous enseigne une discipline à savoir la psychosociologie de la médecine : une science (dont on rêve l'évolution) qui pourrait se tracer le but de la communicabilité en vue de l'éducabilité.

La médecine d'aujourd'hui – comme tout autre science – a ses limites. Parmi celle à laquelle se heurte notre médecine, on peut citer la faiblesse dans les moyens à remédier aux pathologies engendrées par ce que l'on a appelé : les psychogènes. Puisque tous les textes de nos auteurs tournent autour de la problématique de l'ouverture et de l'achèvement en psychologie expérimentale, alors dans leur ouverture sur la psychogenèse du sujet, les propos de nos auteurs (dont nous étudions la transposition didactique) forment par là-même une unité paradigmatique. La conscience en effet de Claude Bernard, de Fraïsse, de Léon et de nos autres auteurs vulgarisateurs du schéma expérimentaliste, ont une même tâche analogue à celle de Platon et d'Aristote que certains philosophes arabess ont cherché à concilier. Car suite à leur technique du : “ se jeter à travers champs ”, du vivre en amant du hasard, ils ont tous tracé par là-même la nécessité de mettre en forme ce qui est exceptionnel. Ce n'est rien d'autre qu'un lieu du préférable. Un lieu unique que l'on aimera pour toute l'éternité. A la fin de sa vie, Olivier Reboul l'a en effet préféré. Pour lui, ce lieu qui est l'amour de l'apprentissage, (un lieu commun à tous les êtres humains) est un lieu que l'on ne verra qu'une seule fois. Il est vrai que l'esprit de la rencontre et du rendez-vous ne se passent qu'une seule fois avec les êtres humains, avec la nature humaine que l'on vie une seule fois. Car même si l'on rapporte avec les Ecritures dites Saintes qu'une autre vie : celle de l'au-delà qui sera celle du jugement dernier (une vie qui est susceptible d'avoir lieu avec un Dieu créateur s'il existe), n'est pas une vie dont on peut garantir ni l'apprendre à....., ni même l'apprendre.... que. Car on en sait rien ! D'où par exemple le cri apostrophé de Rousseau : “ Oh Hommes soyez humain ”! un appel qui laisse entendre une possibilité de tirer profit de l'exception qui anime l'homme en tant qu'être du sens. Au sujet de cette exception Claude Bernard disait :

‘“ Quand on veut juger l'influence qu'un homme a eu sur ses contemporains, ce n'est point à la fin de sa carrière qu'il faut le considérer, lorsque tout le monde pense comme lui, c'est au contraire à son début qu'il faut le voir, quand il pense autrement que les autres ” 586 .’

Ce sont donc les hommes d'exception qui font imposer des règles à l'histoire et à sa destinée. Ils imposent le sens aux choses de la vie quotidienne. Cette démarche a été largement avancée dans les écrits de nos auteurs. Car chacun a tenu à cultiver son exception. Mais Claude Bernard, a tenu à cultiver l'exception de l'exception : à faire parler les choses des champs. Du point de vue didactique, cela est très significatif, car il est fréquent dans l'apprentissage de la main. En effet, un apprenti-menuisier (comme le disait Heidegger), possède l'art de manier le bois, l'art de ressortir des formes vivantes des choses fortuites. L'être sous-la-main (si l'on en croit Heidegger) surgit de la capacité qu’à l'homme à maîtriser l'étendue de l'extension du pouvoir physique de la nature des choses. En effet, si l'observation fortuite d'un maître du paysage montre que l'on ne cultive pas les champs de la plaine de la même manière que ceux d'une montagne, encore moins les terres fertiles que celles qui ne sont pas arables, alors il en va de même pour les hommes qui provient de la terre. Leurs différences en effet, nous laissent penser à la pédagogie différenciée, à une didactique de la convention et de l'exception.

Le fait de chercher à se jeter à travers champs, est une action dont le sens est livré d'une manière métaphorique. Ce sens est employé par Claude Bernard pour penser la classe, l'institution scolaire ou universitaire en terme de champs d'investigation. Ces institutions sont un modèle de l'inspiration d'une didactique différenciée. Cette dernière conçoit l'apprentissage comme un processus : un ensemble d'opinions différenciées et non pas un simple état fortuit. Voilà la raison pour laquelle Claude Bernard souligne : “ ‘Chacun suit sa voie, les uns sont préparés de longues mains et marchent en suivant le sillon qui était tracé. Moi je suis arrivé dans le champs scientifique par des voies détournées et je me suis délivré des règles en me jetant à travers champs ce que d'autres n'auraient peut être pas osé faire. Mais je crois qu'en physiologie cela n'a pas été mauvais parce que cela m'a conduit à des vues nouvelles’ ” 587 .

Mais l'ouverture n'est pas simplement une ouverture sur de simples faits factices. Elle est aussi celle de la prise en considération de l'histoire d'un fait. Qu'en est-il donc du retour au passé de la science ? Cette question en traduit une autre qui est au fond philosophique : le passé peut-il être dépassé ou au contraire ne passe t-il pas ? Les deux questions traduisent en effet le sens que l'on pourrait attribuer à la destinée de l'être humain. A nous maintenir à la psychologie expérimentale, et plus précisément à sa méthodologie expérimentaliste, on dira que nul homme ne peut penser d'une manière anhistorique. C'est donc l'une des raisons qui nous pousse à penser que, d'une part l'intelligence est éducable, et que d'autre part l'ouverture sur ce qui se passe dans la tête des sujets, est une nécessité pour perdre du temps dans l'espoir d'en gagner davantage. C'est en tout cas l'une des logiques de la transposition didactique et de la vulgarisation scientifique qui se donnent le temps et les moyens de paraphraser, de transmettre et de transposer, un même objet du savoir à travers des techniques argumentatives et rhétoriques différentes. Ces techniques ont comme but de marquer l'argument de la répétition pour affirmer (ne se risque que d'une manière indirecte) que la répétition en tant qu'argument peut former – comme le dit un compte arabe – les "ânes et les stupides".

La méthodologie expérimentale dont le souci est d'observer les manières et les conditions du déroulement des processus du savoir scientifique, trouve dans le retour au passé, la clef de voûte de la compréhension de ces processus qui sont la base des vraies connaissances scientifiques. Car la connaissance scientifique n'est pas comme une feuille d'automne, qui tombe par hasard, encore faut-il croire qu'il n'existe pas des conditions, des causes physico-chimiques nécessaires à la chute de celle-ci. La connaissance scientifique est une partie intégrante de tout un processus. Elle n'est pas simplement un état de conscience délibérée. C'est dans cette même perspective que Paul Fraïsse (tout en laissant entendre la possibilité d'un autre type d'observation : la systématique), propose de prendre en considération la totalité du système social. Cette dernière observation appelle à une observation du système social en vue de maîtriser l'environnement du sujet pensant. Il en va de même dans toute situation d'apprentissage. Une transposition didactique est réussie lorsqu'elle conçoit l'École comme un système social ouvert sur la vie des apprenants. Car le même apprenant qui est en situation intra-scolaire est le même qui provient de l'autre situation extra-scolaire. Cette ouverture qui pourrait synthétiser le lien intellectuel et le lien affectif, est une École à ciel ouvert dont on rêve la naissance. Car elle n'est pour l'heure qu'une impression, une intuition qui s'installe dans l'espérance des vulgarisateurs qui travaillent à l'expérimentation dans le domaine éducatif et pédagogique. Cette espérance ne relève pas de l'ordre de l'intuition logique. Ce constat nous l'avons déjà mentionné dans le doute que M. Tardy a exprimé à l'égard de l'expérimentation en sciences pédagogiques.

Au lieu de souligner l'importance de l'ouverture sur ce qui se passe dans la tête des sujets, il serait adéquat de parler de l'ouverture sur les choses des apprenants. Parmi ces choses-ci, il y a justement "la situation problème" à propos de laquelle quelques causeries pédagogiques ont commencé depuis que W. James a formulé d'une manière ironique sa causerie pédagogique. A l'en croire sur ce point précis, on peut dire que ‘“ le caractère d'un individu n'est autre chose que les formes habituelles de ses associations’ ” 588 . Cela veut dire en fait, que l'idée de la relation de connexion nécessaire à l'égard des choses, nous renvoie d'une part, à la maîtrise de la chose-ci : les obstacles des apprenants par exemple, et d'autre part, elle nous permet de comprendre la manière dont laquelle un fait (qui se présente à nous), peut connaître d'autres explications et engendrer autre chose que l'explication que l'on en fait. C'est donc l'état factice de la conscience qu'il faut chercher à comprendre et à étudier. De ce fait, l'interrogation doit être dirigée en direction de la situation-problème dont témoigne l'extériorité des actions. Elle ne doit pas être dirigée vers une action permanente sur l'intériorité des consciences. Car ces dernières sont par elles-mêmes insaisissables. Cela légitime le propos de W. James. Pour lui, nos facultés sont adaptées d'avance à ce qui se passe dans notre environnement de manière à nous permettre de s'y accorder et de s'y substituer en toute sécurité. Par conséquent, l'effort de l'éducation, doit être porté sur la compréhension de l'extension du pouvoir physique, qui contribue à l'extension du pouvoir du connaître. Mais le maintien de cela est à l'inverse de la thèse de notre thèse qui porte sur le primat de l'extension du pouvoir du connaître sur l'extension du pouvoir physique. A nous maintenir à la transposition didactique dans son sens d'achèvement des concepts 589 on doit alors avouer que la thèse de W. James est difficile à réfuter surtout lorsque l'on s'aperçoit aujourd'hui que l'acte d'enseigner est un acte qui est réduit à la simple prise en compte de l'apprenant comme fait objectif : à la prise en considération de l'apprendre ...à et non pas à la prise en compte de l'apprendre ...que... Cette dernière action, valide l'utilité de l'information, en tant que domaine de l'objectivé. De ce fait, le champ de la conscience par son incommensurabilité et son ambiguïté est un tout complexe. Il reste embarrassé par d'autres faits divers et continus, qu'il n'est même pas faisable de les étudier et de les discerner. De ce fait, W. James a tracé des limites entre l'art d'enseigner qui est propre à la pédagogie, et la pratique scientifique propre par exemple à la psychologie. Pour lui, la psychologie est une science, mais la pédagogie reste un simple art, et que les “ sciences ne font jamais naître les arts directement d'elles mêmes ” 590 . A lire W. James sur ce point précis, on doit donc finir par réfuter toutes les idées du texte de la vulgarisation de la transposition didactique d'Antoine Léon, qui se donne la possibilité d'établir un lien entre la psychologie et pédagogie pour donner naissance à la psychopédagogie en tant que discipline autonome.

De cette remarque on doit donc distinguer dans la technique de l'expérimentation soumise à la démarche de l'ouverture, deux choses. D'une part, il y a ouverture sur les faits concrets qui sont de l'ordre du réel, empiriques, toujours réversibles. Et d'autre part, ceux qui sont de l'ordre du rationnel, de nos idées, qui, elles peuvent – si l'on en croît par exemple Kant –, avoir une relation avec notre conduite. Pour trancher dans la technique de l'expérimentation on doit souligner la préférence de l'ouverture sur le langage ordinaire, dont Austin parlait déjà. Ce langage est celui qui inaugure la possibilité de la mise en place d'un empirisme radical. Pensé par D. Hume en terme de causalité nécessaire, l'ouverture sur celui-ci nous permet de progresser dans la connaissance et dans la maîtrise des choses qui embarrassent aussi bien la connaissance de l'apprenant que celle du maître. Car ce langage est aussi bien une pensée qu'une contre pensée. Il est animé par des relations de connexions nécessaires.

Notes
584.

Bernard (Cl.), Introduction à l’étude de la médecine expérimentale , repris par GrmeK Micro Drazen op cit.

585.

Reboul (O.), Éducation et philosophie , op cit.

586.

GrmeK Micro Drazen, op cit.

587.

GrmeK Micro Drazen, op cit

588.

William (J.), Causeries pédagogiques , cité par Michel Tardy in Sciences de l’éducation  : Considération épistémologique, op cit.

589.

Ce sens est celui que le maître s'astreint à inculquer à ses élèves à travers des pratiques didactiques telles que celles qui se dégagent des manuels didactiques qui ont tendance à mettre en forme un savoir à être enseigné.

590.

Tardy (M.), op cit.