2: Le langage ordinaire entre la pensée et la contre pensée.

Comme on peut le constater, tous les textes qui traitent des démarches de la méthode expérimentale ont – du moins en ce qui concerne la problématique du langage ordinaire –, quelques points en commun.

  1. Tous les auteurs se veulent interpellateurs de faits.
  2. Ils incitent tous à une didactique de l'ouverture sur les faits, via le principe de la relation synthétique : rupture-continuité.
  3. Dans leurs écrits, les auteurs pensent des manières à cultiver les exceptions qui sont aussi bien propres aux hommes qu'aux objets.
  4. Pour la quasi-totalité des textes traitant de la méthodologie expérimentale, tous les faits palpitent du sens. Par conséquent, l'expérimentation dans son omniprésence peut s'étendre – par le biais du principe de l'ouverture – à tous les domaines du vivant.

De toutes ces considérations, découle une conséquence d'ordre général que nous pouvons formuler sous forme de questions : l'homme est-il une chose parmi les choses ? est-il un animal ?

Pour répondre à ces questions nous avons pensé à la discussion du poids du langage ordinaire. A vrai dire, ce langage dit : ordinaire, peut en réalité devenir extra-ordinaire, et ce à deux conditions :

  1. Si l'on en reconnaît d'abord la spécificité en tant qu'état d'exception, car il est un langage impressionnant puisqu'il contribue parfois à apporter des merveilles au langage savant et complexe.
  2. Si l'on admet que ce même langage fut le premier venu avant le langage systémique, conventionnel, sachant bien (comme Hegel le pensait déjà) que la parole est d'abord aux faits.

De ce fait, le langage ordinaire est donc un fait en soi, un invariant fonctionnel aussi bien pour l'homme que pour les choses. Mais la question qui reste posée dans cette perspective est de savoir en fait s'il est une pensée aidant à l'évolution des connaissances et des savoirs, ou au contraire, une contre pensée, un handicap pour l'évolution de la pensée scientifique. S'il est ainsi alors il demeure par là même un obstacle pour le progrès et la progression des vraies connaissances déstabilisatrices de l'ordre établi ou admis.

A nous maintenir au schéma expérimental, dont témoigne le débat implicite mené entre les différents auteurs que nous venons d'exposer, on s'aperçoit que le statut de la problématique de l'ouverture et de l'achèvement à l'égard du langage ordinaire n'est pas clairement tranchée. Autrement dit, dans la pratique du schéma expérimental, on ne sait pas ce qui est une pratique ordinaire de ce qui ne l'est pas ! On ne sait pas si l'on doit classer le langage ordinaire du côté de l'utilité ou du côté de la nécessité !

La teneur conceptuelle du langage ordinaire entre pensée (achèvement) et contre pensée (ouverture), renvoie à une question purement philosophique qui peut se traduire généralement par la formulation : qu'est-ce qu'une connaissance métaphysique ? Car l'enjeu qui se dissimule derrière les concepts de l'ouverture et de l'achèvement en langage ordinaire, est de savoir ce qui réside au-delà de l'être-commun des idées, au-delà de l'être-commun des faits. C'est cette raison qui nous a mis sur le chemin de ce qu'il convient d'appeler : la philosophie de l'éducation. Car il s'agit pour nous de prouver et de questionner la légitimité et l'illégitimité de ce langage ordinaire. Le seul chemin pour le faire est donc celui de l'interrogation philosophique, une interrogation portant sur le pourquoi de la chose. Cette manière de poser le problème peut par la suite nous aider à discerner le sens du langage ordinaire qui se présente sous forme de tâche, à laquelle, l'homme seul est désormais soumis.

Lorsque Claude Bernard disait que “ l'hypothèse est d'abord une idée qui valide les faits ”, il a voulu par là, mettre fin à sa tentation qui à l'origine, se laissait aller avec les faits, avec ce qui est de l'ordre de l'ordinaire. Il a voulu mettre fin à sa technique du départ, qui fut un jeu de rôle qui n'était rien d'autre que de “ se jeter à travers champs ”! Ce recul de Claude Bernard par rapport à la facticité des faits, est légitimé par ce que représente les idées d'un homme qui se veut lui-même un homme d'exception : un auteur qui ne part pas des mêmes résultats, des mêmes faits que les autres. Claude Bernard dirons-nous, fut un homme d'exception qui se traçait sa propre méthode qui ne fut pas habituelle, ordinaire, mais exceptionnelle et extra-ordinaire. Il y a dans ce recule bernardien, un dépassement du langage ordinaire, un dépassement de la technique de l'ouverture aux choses.

Dans la postérité de cette technique, on va assister (aussi bien dans le texte de la vulgarisation de la transposition didactique d'Antoine Léon, que dans celui de la transposition didactique de Paul Fraïsse) au maintient de ce même recule avancé et pratiqué par Claude Bernard. Par conséquent sur ce point précis il ne peut donc y avoir d'altération et d'infirmation des résultats lors du processus du passage du savoir savant au savoir à être enseigné. A nous maintenir donc à cette ironie, à ce recule, on peut dire que le langage ordinaire est une contre pensée. Il est une opinion sur laquelle on ne peut rien bâtir puisque l'opinion est elle-même soumise (d'une manière perpétuelle) aux changements et aux différentes modifications dans le temps et dans l'espace.

En effet, pour Antoine Léon, l'accent doit être désormais portée – non pas sur le poids des choses-ci : des faits, mais sur le poids des idées et des théories. L'hypothèse disait Antoine Léon, doit valider la théorie, d'autant plus qu'elle doit être déduite d'une théorie explicite quant à ses présupposés qui sont confrontés à des faits dans la situation expérimentale. C'est donc l'hypothèse émanant ou déduite des faits, qui, dans la situation expérimentale doit valider – non pas un fait – mais une théorie. Il y a ici un renversement tout à fait extra-ordinaire qui témoigne de la contradiction d'un texte. Cette contradiction qui met en évidence les théories au lieu des faits, ne doit pas être soumise à l'évacuation, mais à la gestion et à l'orientation. Car dans le domaine de l'homme il s'agit en effet de gérer les différences et d'orienter les contradictions, les apories et les antinomies, pour envisager enfin des solutions possibles.

Dire qu'il faut contribuer à la gestion des différences et des contradictions signifie en fait que l'expérimentation dans le domaine des sciences humaines est de l'ordre de la fiction. Car dans ce domaine tout est falsifiable, rien n'est donné, tout est construit. Ce qu'il faut en tout cas distinguer dans la relation de la continuité à l'égard du langage ordinaire, est le principe philosophique : la relation de la connexion nécessaire, qui est d'une teneur conceptuelle non négligeable. Elle est un concept avancé par D. Hume, repris par K. Popper pour illustrer aussi bien le sens du langage ordinaire que son poids et sa valeur. Ce principe philosophique raisonne fortement à travers les textes que nous avons jusqu'ici présentés et qui traitent du sens de la méthodologie expérimentale dans le domaine des sciences humaines.

Au sujet de ce principe, on retient avec Claude Bernard, que la connexion nécessaire en tant que relation, doit être établie entre les idées et les faits. Alors que pour Antoine Léon, elle doit s'effectuer entre la présentation théorique et la théorie. Autrement dit, pour Antoine Léon, il n'y a pas de distinction entre théorie et présentation théorique, ou position théorique. Ce langage est formulé autrement par Paul Fraïsse. Pour ce dernier, la relation de connexion nécessaire doit en effet s'établir entre la variable (P) Personnalité du sujet et l'hypothèse théorique. Cela signifie en fait que le vrai langage ordinaire sur lequel on doit désormais s'ouvrir, est celui qui témoigne de la manière d'être, de faire ou de dire des apprenants. Celle-ci n'est rien d'autre qu'un comportement. On peut certainement donner raison à Paul Fraïsse si l'on se réfère à ce procédé nietzschéen qui consiste en l'appréciation de la manière de faire des choses, de la manière d'accéder à notre paysage qui nous fait réfléchir comme François Guéry le laisse penser. Cela qui est avancé par Paul Fraïsse, n'est rien d'autre que la reprise du propos de Nietzsche : ‘“ La manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran’ ”.

La première remarque qui surgit de cette nouvelle comparaison, porte sur le désaccord qui réside entre le texte "originaire" de Claude Bernard et celui d'Antoine Léon, un texte auquel on attribut désormais une nouvelle qualification à savoir celle du dérivé du dérivé. Nous le décrivons ainsi, car il se réfère à la fois à Claude Bernard et à Paul Fraïsse. De ce désaccord on retient (pour ce qui est d'Antoine Léon) que “ la position théorique est en soi une théorie ”. Cela veut dire (en terme philosophique), que si l'action ou la conduite peuvent être prises comme oeuvre d'art, elles sont en fait susceptibles d'être considérées comme un comportement, car toute oeuvre d'art est en elle-même un comportement. En plus pour Antoine Léon – comme pour Paul Fraïsse – la relation entre la variable (P) : personnalité et l'hypothèse théorique est une relation de continuité et d'ouverture. Mais si l'on se réfère à la conception bernardienne (à laquelle tous les auteurs se réfèrent), alors se pose le problème de la négation de la négation. Ce qu'il faut en effet retenir de cet auteur (Claude Bernard) est que depuis le commencement de sa réflexion "philosophique", le principe de la connexion nécessaire incarne une relation qui s'établit entre l'idée et le fait. Cette relation n'est pas celle qui se produit entre l'idée et les manières de voir ou d'être. Ainsi on peut laisser penser que le passage de l'idée au fait, ne se présente pas de la même manière lorsqu'on tente de passer de :

De ces différentes relations surgit la possibilité de la mise en place d'une méthodologie qui nous aide à nous retourner contre le langage ordinaire : contre le monde du ouï-dire et du sens commun. Elle est une méthode qui nous met sur la voie d'un autre langage à savoir celui des manières d'être, de faire ou de voir. Ce langage est extra-ordinaire. Il est un passage d'une logique de la découverte à celle de la psychologie de la recherche. En plus de cette considération du rapport entre l’utilité et la nécessité qui animent la problématique du langage ordinaire entre pensée et contre pensée, il y a aussi la prise en compte du statut de l'état du chercheur : son comportement vis à vis de la connaissance immédiate des objets. La question qui se pose est celle de savoir si le chercheur doit rester silencieux à l'égard des objets, à l'égard des faits qui s'imposent d'eux-mêmes sans chercher à les appréhender, à les prendre comme modèle, ou au contraire il doit être un pédagogue bavard au sens où il doit – non pas s'effacer devant ce qu'il aperçoit – mais au contraire, le faire parler. C'est à partir de ces questions, que l'on rencontre le problème philosophique de la relation qui réside entre la connaissance métaphysique et la connaissance physique.

De ces comparaisons nous devons extraire deux niveaux de la relation de la connexion nécessaire.

Au premier, est lié la relation qui s'établit au niveau des idées, au niveau de l'être-commun des êtres humains, au niveau d'un idéal rationnel des êtres-communs qui agissent spontanément suivant leurs intentions, leurs dispositions morales fondamentales qui sont une sorte de toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Dire que ce qui lie les êtres humains est la capacité d'établir des idées spontanées en vue de l'autonomie ou de l'autosuffisance, est en soi un principe qui renvoie à penser que n'importe quelle idée scientifique est de l'ordre de ce qui est éprouvée, de ce qui est acquis par et dans les idées des sujets pensant. Il en va de même pour la connaissance scientifique. Le savant en tant que personnalité, éprouve aussi des craintes, des ambitions quant à la production de son savoir. Parfois le savant éprouve de la peine ou de la joie à la maîtrise ou à la perte de sa chose.

Au second, est lié la relation qui s'établit entre les faits factices, chargés de sens qui anime la relation de la liaison logique reconnue dans les choses. Cette liaisons nous montre que toutes les hypothèses scientifiques sont susceptibles d'être prouvées. Elles se construisent suite à la logique de la découverte scientifique chère à K. Popper, et non pas suite à la psychologie de la recherche scientifique : un principe propre à Th. Kuhn.

De cette divergence on doit retenir que le langage ordinaire est à la fois une pensée comme il peut aussi être une contre pensée. Cela dépend du point de vue épistémologique dans lequel on se situe. Il est vrai que ce langage ordinaire pourrait être pour Th. Kuhn, une contre pensée, car il est en perpétuel changement, il ne peut pas incarner le statut de la connaissance scientifique qui, elle, ne peut être considérée comme un état, mais un processus complexe. Alors que du point de vue de K. Popper et d'Austin, le langage ordinaire peut éclairer la pensée scientifique puisqu'il subsiste et il s'impose à nous comme état d'impression, tout en étant le premier venu par rapport à tout autre langage conventionnel ou arbitraire.

A nous maintenir à notre comparaison qui nous intéresse ici en premier lieu, on remarque que le désaccord entre Claude Bernard, Paul Fraïsse et Antoine Léon, porte sur le principe de la connexion nécessaire, qui est un principe épistémologique implicite, commun à tous les textes que nous étudions. Ce désaccord est au fond un désaccord principiel, car le sens de la relation de la connexion nécessaire varie d'un texte à l'autre. Pour Claude Bernard, il n'y a pas de faits dans les idées. Ce sont celles-ci qui doivent interroger les faits factices. Cette manière de concevoir ce concept relationnel n'est pas la même pour Paul Fraïsse et pour Antoine Léon. En effet pour l'un comme pour l'autre, ce sont les idées, les interprétants, qui sont des signes, des manières de voir, de faire et d'être, qui sont à l'origine de toute conduite. Ces états et ces manières – si l'on en croit ces auteurs – ce sont eux qui doivent être pris en compte. A vrai dire, si une ouverture possible doit se produire, elle doit s'effectuer et s'exercer sur ces constantes. De ce fait, le silence comme technique pédagogique ou didactique, ne doit pas se pratiquer à l'égard des faits. L'observateur-expérimentateur doit au contraire se tracer le principe de l'intervention permanente, qui ne laisse même pas l'occasion de réfléchir à la mise en place de ce que Antoine Léon appelle : la technique de l'auto-observation, car dans le domaine de la pédagogie et de la relation éducative ou didactique, il n'y a pas de place à l'auto-observation. On ne doit pas laisser l'élève ou l'apprenant ou même l'étudiant s'auto-observer. Il y a bien un temps d'évaluation de toute acquisition des connaissances et des savoirs. Cependant, on doit donc penser à réconcilier ce que Ph. Meirieu nomme le principe du : “ Dire trop mais pas assez ”. Le fait de se taire à temps, est une technique qui marque l'attente. Or dans le domaine didactique, cela est en réalité contraire au principe de l'éducation et de la formation permanente. La formation, l'éducation permanente ne valent rien dans un milieu où le maître (en tant que pensée réflexive et travaillante) s'efface devant ses auditoires présumés apprenants.

Pour mieux comprendre le sens du schéma expérimental dans sa relation avec le langage ordinaire comme étant à la fois une pensée et une contre pensée, nous préférons mener un débat purement philosophique, un débat qui nous permettra de bien comprendre les enjeux cachés derrière toute affirmation quant à cette problématique du langage ordinaire entre pensée et contre pensée, qui est au fond une problématique délicate.

Lorsque G. M. Drazen veut expliquer le sens de l'action de Claude Bernard, il cite à titre d'exemple Kant. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘(...) Bref, les principes de Bernard sont des catégories Kantiennes de la connaissance. Le premier principe des sciences expérimentales est pour Claude Bernard le déterminisme absolu. Aucune expérience ne peut jamais le mettre en doute, car il est la condition même du raisonnement expérimental’ ” 591 . La référence à la philosophie Kantienne – est plus précisément aux catégories Kantiennes de la connaissance – ne doit pas être prise d'une manière fortuite. Comme on le sait, c'est à partir de la Critique de la Raison Pure que Kant a mis l'accent sur la possibilité des jugements synthétiques a priori en mathématiques. Il a aussi donné une importance capitale aux principes dynamiques : physiques, dans la Critique de la Raison Pratique. Ces principes dynamiques sont (aux yeux de Kant) d'une part absolus, et d'autre part a priori. Dire avec Kant que ces principes sont absolus et synthétique a priori, est une manière de penser leur universalité : qu'ils existent dans leur totalité chez tous les êtres humains vivants. Ainsi, s'il y a une ouverture possible, c'est d'abord sur ces mêmes principes immuables qu'elle doit s'effectuer. Par contre lorsqu'il s'agit de punir quand quelque chose est faite, on doit agir non pas sur l'intériorité des consciences, mais sur l'extériorité des actions de celles-ci. C'est à partir de là, que l'on arrive à distinguer l'acte d'éduquer, de l'acte de punir et de manipuler.

Le souci philosophique de Kant, repose sur le sens attribué à la conscience, à l'intention et à l'acte du connaître. Ce sens sera – comme pour Heidegger plus tard – celui du principe de la causalité, qui anime le "je" sujet. Ce "je" est intentionnel du fait qu'il aspire à la projection d'actions possibles. Le "je" Kantien sera interprété par Heidegger comme une sorte d'agir permanent qui pose le sens dans le monde des choses factices, tout en étant lui-même posé en vertu de ce a été posé en lui. Ainsi le sujet Heideggerien est un sujet purement factice, car il met le monde en forme et ouvre une histoire possible déjà ouverte. Cette histoire est celle que le "je" sujet ne fait que de prolonger dans sa facticité. Cela va avoir chez Heidegger surtout dans sa Conférence sur l'origine de l'oeuvre d'art un sens proche de l'historialité de la chose-sujet. Celle-ci signifie en fait, la possibilité que possède le sujet pensant pour prolonger le toujous-déjà-fait, dans le déjà-là-disponible. Du point de vue didactique cela est si proche de notre thèse qui consiste en l'instauration d'une pédagogie et d'une didactique de la continuité à l'égard de la facticité de l'action subjective du sujet, qui, lui, possède un pouvoir d'énonciation. On doit dire que pour les deux philosophes (Kant et Heidegger), le langage que l'on peut qualifier d'ordinaire ou d'extra-ordinaire, est celui de la conscience humaine. Dans la conception des deux philosophies, l'homme est le seul être raisonnable à pouvoir se retourner contre sa propre loi, à pouvoir obéir à une autre loi que la sienne. L'homme est le seul être qui demeure responsable. Il est le seul sur lequel pèse la tâche de son passé, de son présent et de son devenir. C'est sur lui que pèse la tâche métaphysique de son propre existence. L'homme aux yeux de Kant, est ouvert à sa manière d'être mais aussi à la causalité sensible dont il réalise ses actions et ses projets. Il est ouvert à la causalité sensible, par le biais de sa disposition morale fondamentale comme étant un toujours-déjà qui a des effets dans le déjà-là. Cette causalité libre qui lui permet d'agir à n'importe quel moment dont-il décide de son action, lorsqu'il agit en vue de sa mise en forme (en tant que projet projeté, à travers un oeil qui la détermine), est en elle-même expérimentale. De ce fait, l'homme s'ouvre aux choses et aux faits, non pas pour les imiter, (car l'art n'est pas une simple imitation du réel), mais pour imposer aux choses cet idéal rationnel de l'être-commun, qui n'est rien d'autre que l'acte de penser et de questionner en leur direction. Cet acte, ce geste est un acte d'arraisonnement (dont nous venons de dire avec Heidegger) qu'il est partagé par tous les hommes. Il est un acte qui pénètre les choses de l'intérieur tout en les transcendant en vue d'y pratiquer (comme le pense Antoine Léon pour le texte pédagogique), des expériences-pour-voir. De ce fait, le langage extra-ordinaire est celui qui surgit de l'ordinaire compris au sens de l'universalité de l'acte de penser, un acte qui est en rapport avec le souvenir, car l'acte d'apprendre – comme nous l'avons déjà mentionné avec ChomsKy dans notre introduction – n'est rien d'autre que se souvenir.

Cette digression philosophique explique fort bien que le langage ordinaire dont témoignent les corps et les objets factices, n'est pas toujours un exemple privilégié pour l'ériger en modèle précieux. Car comme Platon l'a laissé entendre : “ Le corps est un tombeau ” ! Cette manière de concevoir le statut du langage ordinaire engage une perspective d'ordre didactique qui n'est pas celle de se laisser aller avec les vulgaires, les ordinaires (comme la technique de la vulgarisation scientifique tente de le faire), mais de l'interroger pour lui imposer notre liberté d'apprendre, de voir et d'apercevoir. Ces actes ne sont rien d'autre que l'expérience que l'homme fait de sa propre liberté. Ainsi lorsque l'homme met celle-ci en forme, cette dernière ne devient plus une simple intuition subjective. Car si elle est ainsi : pratiquée dans le monde des choses-en soi elle ne signifiera rien. Elle n'existera pas concrètement. Cependant, pour qu'il ait un développement véritable, l'émancipation des idées en est la seule garantie durable. Cette liberté incarne celle du droit d'apprendre, qui (en tant que liberté), devient proche d'une action qui émerge de l'essaie et de l'erreur que commettent les apprenants en réalisant leurs propres projets. L'important ce n'est donc pas le fait apparent, mais le plus important est le paraître : la manière dont l'apparence est apparue ou réalisée.

A travers la comparaison des différentes étapes de la méthodologie expérimentale dont témoigne notre tableaux-texte, ce qui est déterminant dans une relation entre ce qui apparaît ordinaire, et ce qui est extraordinaire, ce ne sont pas les principes seuls mais aussi les faits. Car comme Claude Bernard l'a laissé entendre, tout est basé sur la présence d'un fait aussi bien idéel qu'empirique. C'est à partir de l'exposé d'un fait que la problématique de l'ouverture et de l'achèvement se complique davantage. Dire qu'il faut s'ouvrir sur le fait, incarne en soi un sens particulier de la métaphysique comprise comme une sorte de physique incommensurable et calculable. Ainsi, de l'extension du pouvoir physique surgit l'extension du pouvoir cognitif. Le langage ordinaire (dans son sens métaphysique du terme) est un point de vue : la visée de tout individu. Ce point de vue est une intention nécessaire et immanente, puisqu'elle transcende et pénètre les faits de la causalité interne. Cependant, il peut (en tant que point de vue) renfermer en lui du frisson du sens tout en témoignant des idées factices et plus hautes d'un sujet.

Pour mieux débattre de la problématique du rapport entre l'ordinaire et l'extraordinaire, nous avons pensé à répondre d'une manière discursive à la question : qu'est-ce que la connaissance métaphysique d'un fait ? Pour parvenir à une réponse exhaustive, claire et précise, nous avons préféré une analyse philosophique de cette question qui est en rapport avec le sens de l'être-apparent et de l'être-réalité des choses de l'apprentissage et de l'éducation. C'est en effet à partir d'une réponse à la question : qu'est-ce qu'une connaissance métaphysique ? que l'on peut mieux comprendre le poids philosophique de la place du langage ordinaire entre pensée et contre pensée.

De prime abord, la question : qu'est-ce qu'une connaissance métaphysique ? est une question purement métaphysique au sens où la métaphysique dans certains systèmes philosophiques est définie comme une recherche d'un au-delà qui n'est pas compatible à ce que l'on aperçoit 592 . Cette définition est d'un grand intérêt si l'on cherche à la transposer dans le domaine didactique et éducatif. Car ce qui est visé derrière le concept de l'ouverture en éducation est l'au-delà de l'être de ceux qui ne savent pas encore. C'est cet au-delà qui constitue un obstacle, une entrave épistémologique de la connaissance en didactique puisqu'il est largement méconnu dans la littérature des Sciences de l'Éducation. Cette littérature qui se veut ouverte sur les obstacles, reste en elle-même un obstacle du moment que l'École à ciel ouvert qu'elle préconise n'est pas encore à l'ordre du jour. En plus, les paraphrases, les altérations positives et négatives que subit le savoir dérivé au savoir dit originaire et source, sont des états de la connaissance dite métaphysique en éducation. Car toutes ces altérations visent un au-delà du concept dont on ne maîtrise même pas le sens. C'est d'ailleurs ce que nous avons remarqué avec le sens de la méthodologie expérimentale en psychologie puisque à un certain moment nous n'étions plus en mesure d'en maîtriser un seul sens. Il y a eu un passage de la monosémisation du concept à sa polysémisation. Ce passage enrichit la discussion quant à cette méthodologie, de la même manière qu'elle l'altère.

Le sens de la connaissance métaphysique en éducation ne peut être posé clairement que si l'on admet qu'en éducation et en pédagogie, toute situation d'apprentissage, est soumise à des limites qu'il faut chercher à repenser, à atteindre, car il existe des faits, des séquences qui échappent au maître. Les limites assignées, imposées par des facteurs divers doivent être affranchies. D'ailleurs et comme Kant l'a laissé entendre, la liberté du maître doit affranchir toute limite assignée. C'est ce que nous avons pensé en terme d'opposition à la notion de service. Le maître se réserve le droit de ne pas remplir cette fonction de serviteur où la fonction de service et de l'assistanat se laissent sentir à tout moment par les auditoires-apprenants. L'enseignement en effet, peut venir en aide à l'ordre établi, tout en se retournant contre celui-ci. Parfois en effet, l'obstacle pédagogique est méconnue en éducation et en formation, car les jeux de rôles du maître et de l'élève sont finis et délimités par ce qu'on pourrait appeler avec Heidegger le "Da", le "La". C'est-à-dire la culture systémique de chaque sujet en situation d'apprentissage. D'ailleurs Gaston Bachelard dans la formation de l'esprit scientifique 593 n'a pas ignoré cet obstacle, à travers lequel le manque d'ouverture aux choses de l'éducation et de la formation marque la crise du sens de la pratique éducative et didactique. A partir de là, on peut dire que le sens de la question : qu'est-ce qu'une connaissance métaphysique ? doit nécessairement renvoyer à la recherche de l'essence des choses tout en procédant par l'évacuation des faits-obstacles qui luttent contre la maîtrise du sens d'un bon concept. On peut se demander si cette méthode ne tombe pas dans l'infirmation des faits et par là même, dans leur métamorphose. En tout cas et du point de vue philosophique, cette question est dépourvue de sens, car en philosophie ce n'est pas le : qu'est-ce que ? qui détermine le sens de la discussion, mais c'est au contraire la question que formule Gilles Deleuze sous l'expression : “ qu'est-ce que .....et la métaphysique 594  ? ”

Il est vrai qu'en philosophie, contrairement à beaucoup d'autres domaines, l'importance de la question n'est pas de savoir ce que c'est que ceci ou cela, mais la question qui a toujours préoccupée l'esprit philosophique est celle du : pourquoi ceci, et pourquoi pas cela ? Ou encore pourquoi cela et ceci en même temps ? Ces deux questions sont aussi à l'oeuvre de l'éducation, car la question : qu'est-ce que apprendre ? est une question qui est définie non seulement en terme de problématique, – comme Kant l'a laissé entendre – , mais aussi en terme de tâche. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont laissé Olivier Reboul dire dans : Qu'est-ce qu'apprendre ? Pour une philosophie de l'enseignement, que cette question lorsqu'elle est ainsi posée nous renvoie à la question : qu'est-ce que l'homme ? qui elle-même nous transporte dans des antinomies latentes et dans des problèmes philosophiques les plus obscurs. En éducation ce qui génère le travail du didacticien est de savoir ce qui est à l'origine d'une formulation conceptuelle. Son travail est similaire à celui du savant qui, en réalité se pose aussi la question du : "qu'est-ce que ?". Cette dernière question on le sait est une question qui relève du travail du savant. A supposer que le savant médite l'eau, il dira que celui-ci est un constituant de deux produits chimiques H2O, c'est-à-dire une atome d'hydrogène et deux atomes d'oxygène. Mais le philosophe, en plus de la description, il va plus loin pour poser la question du pourquoi ? A nous maintenir à l'eau, il dira : – comme Thalès l'avait laissé entendre –, qu'il est aussi bien à l'origine de la vie que le prolongement de celle-ci. 595

Pour mieux comprendre le sens de la question, et pour l'appliquer au domaine didactique et éducatif, l'important, n'est pas de décrire les différentes connaissances possibles de la métaphysique, mais de se demander : pourquoi réellement existe t-il une connaissance décrite ainsi ? Pourquoi concrètement des apprenants apprennent des formulations sans pour autant comprendre ce qu'elles signifient. La seule réponse que l'on puisse adopter est celle que Gaston Bachelard avait déjà avancé tout en laissant penser que la métaphysique de la connaissance doit être repensée en terme d'ouverture sur les acquis antérieurs de ceux qui apprennent, car ces acquis sont en réalité des obstacles physiques qui luttent contre ce que les apprenants doivent en réalité connaître et savoir. Ainsi du point de vue de la connaissance métaphysique, la question de l'au-delà est une question proprement cognitive. Elle nous interpelle à une redéfinition, à une revalorisation des différentes formulations et reformulations possibles du langage éducatif, pédagogique et didactique. Cette redéfinition doit emprunter la méthodologie herméneutique en vue de déterminer le sens d'une proposition en la comparant avec ce qui lui est opposé. Cette manière de poser la question peut être légitimée par le procédé qui laisse entendre que rien n'a de sens qu'en relation avec son opposé, et que toute chose n'étant égale que par ailleurs. Pour parvenir, à une mise en place d'une problématique d'ordre générale, nous avons pensé à une construction chiasmatique, à travers laquelle on s'est intéressé au sens de la relation qui réside entre la métaphysique et la physique. La structure chiasmatique 596 s'annonce comme suit : de la physique de la métaphysique, à la métaphysique de la physique. Cette construction veut simplement marquer aussi bien un rapprochement qu'une différence entre le déjà-là et le toujours-déjà des apprenants : entre le pôle des informations et celui de la formation, entre l'École dite parallèle, ou à ciel ouvert et l'École dite programmatrice des connaissances et des savoirs, car cette dernière nous dit-on, est ouverte sur le système dont elle fait partie intégrante.

A nous lire quant à cette formulation, le lecteur de cette thèse s'aperçoit que ce jeu de mot, n'a aucun sens puisqu'il n'est pas si bien expliqué. A fin de relever toute ambiguïté, nous dirons que le chiasme est d'abord une figure de construction de sens, une figure de répétition qui crée soit une opposition en reversant l'ordre des termes répétés, soit une relation profonde entre ces mêmes termes. Dans notre pensée Occidentale, ce genre de formulation n'est pas étranger. Ainsi par exemple celui de Marx sur la liberté d'expression, sans laquelle on a plus qu'un duel entre les principes sans pouvoir et un pouvoir sans principe. Ce même débat sur la liberté a connu aussi une forme à caractère chiasmatique entre Marx et Proudhon, où le débat entre les deux hommes a donné naissance à une structure chiasmatique qui a mis en évidence l'aspect misérable de l'acte du penser. L'un en fait parlait de la misère de la philosophie, l'autre lui répliqua par philosophie de la misère.

Pour mettre fin à notre tentation de laisser filer les différentes formes de structure chiasmatique qui ont marqué notre pensée Occidentale, nous proposons de nous restreindre uniquement à ces exemples significatifs pour justifier notre démarche appliquée à la discussion que nous tenons à mener dans cette comparaison entre une physique de la connaissance qui s'astreint à la maîtrise et à l'ouverture sur le déjà-là, et la métaphysique du connaître qui au contraire pense l'ouverture sur le toujours-déjà, qui, lui, reflète quelque chose que l'on pourrait qualifier avec Adorno de factice de la non-facticité. Notre discussion s'interroge sur les rapports possibles entre métaphysique et physique comme étant deux notions qui relèvent et si l’on en croit Schopenhauer- 597 aussi bien du champs de la science que de celui de la philosophie. Qu'en est-il donc de cette relation dans le domaine didactique et éducatif ? Est-elle une relation de continuité, d'ouverture, d'interdépendance ? ou au contraire, une relation d'indépendance, de rupture et d'achèvement ?

Pour problématiser notre problématique relationnelle, qui se présente sous forme de questionnement multiples, l'anticipation d'une réponse partielle à la question du pourquoi la connaissance métaphysique ? nous impose une thèse, une direction de pensée, d'analyse pour affirmer – ne se risque que d'une manière provisoire – , qu'une connaissance métaphysique est possible, car elle est un outil utile pour mettre en forme des concepts, des idées, des vérités comme étant des toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Cela n'est rien d'autre qu'un passage de l'idée d'un idéal rationnel de l'être-commun (gemeines-wesen), à l'être commun (gemeinswesen) 598 . La connaissance métaphysique définie en terme d'ouverture sur l'au-delà des concepts et des pratiques, est légitime pour marquer une continuité de ces mêmes idées pour les générations futures, afin d'éviter l'oubli, le souvenir de la mémoire événementielle. Car dans le domaine de l'homme, bien que le passé puisse être parfois dépassé, il n'empêche qu'il ne peut pas toujours être dépassé. Cela qui est posé philosophiquement, peut se traduire en didactique et en pédagogie par ce que Philippe Meirieu a déjà laissé penser en disant : “ ‘S'appuyer sur ce que les élèves savent et savent faire et suggérer, à partir de là ce qu'ils pourraient savoir...’ ”. Cela n'est rien d'autre qu'un aspect du sens de l'humanisation des connaissances et des savoirs.

De ce fait, si le passé ne passe pas, alors la connaissance métaphysique devient légitime pour mettre en place par le biais des stimuli physiques, des principes acquis, déjà connus. C'est à partir de là que la vie des objets et des choses, devient – comme Adorno le laisse entendre – factices de la non facticité 599 . C'est-à-dire des objets objectivés, mis en forme par un oeil, un comportement qui les détermine. Ces même objets physiques peuvent témoigner pour les générations futures de ce que Hegel pensait déjà aussi bien sous l'idée du “ frisson du sens ” que sous l'expression : “ l'esprit du peuple ” (VolKsgeist). A ce sujet, Hegel a souligné que : “ C'est dans l'art que le peuple a déposé ses idées les plus hautes ”. Cela étant donc la spécificité de la raison en tant que rusée : qui use du sensible pour se manifester. En didactique et en éducation cela peut se traduire par la malice didactique, par le jeu de rôle : un comportement où la personnalité du maître ne se réalise guère. Elle est une action qui s'astreint à la reformulation des concepts et des contenus difficiles d'accès et ce en vue de réaliser des expériences-pour-voir. C'est-à-dire une extension du pouvoir cognitif par le biais de la falsification, et ce pour montrer justement que tout est susceptible d'être renversé, reformulé et repensé, car dans l'acte de créer (en tant qu'art de la pratique et de la formulation des concepts et des contenus), réside une grande part d'anonymat. Du point de vue de la connaissance métaphysique définie en terme d'ouverture sur les concepts, on peut laisser penser que les concepts sont toujours mis en forme à travers les choses, et que toute ouverture sur les concepts et les contenus doit d'abord être une ouverture sur la facticité des choses. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui nous ont conduit à nous poser la question heideggerienne du qu'est-ce qu'une chose ? En plus de leur objectivité, les objets communiquent en effet un sens pour l'homme, qui, lui, ne cesse de les interroger pour en extraire des formes, cachées sous le principe de la combinatoire et de l'imitation.

En guise de réponse à la question de la relation qui réside entre connaissance physique et connaissance métaphysique, on dira que : la connaissance métaphysique est une physique qui témoigne des idées acquises, par le sujet dans un toujours-déjà. Cette thèse, nous incite à maintenir la nécessité de la description des manières dont usent les connaissances métaphysiques pour se manifester à travers la vie des objets physiques. Elle nous renvoie aussi à un autre problème digne d'intérêt, celui de l'appréciation. Que faut-il donc apprécier dans ce passage de la métaphysique à la physique ? est ce les idées de la raison : les intentions apodictiques propres à l'homme, à son caractère ? Ces idées qui incarnent une action définie en terme de fait de la raison en tant que loi de la liberté, ont en effet un poids historique. Doit-on de ce fait apprécier en elles les choses factices, combinées et organisées ? surtout lorsque celles-ci sont devenues concepts indiscernables, incommensurables et calculables ? Cela est possible puisque ces idées définies ainsi reflètent un avenir possible qui ouvre une histoire qui est déjà oeuvrée dans l'ouvert : dans la manière d'être et de voir du sujet chose pensante. Si l'on considère les choses sous ce dernier aspect, alors celles-ci ne sont plus historiques, mais historiales. Elles fondent une histoire qui témoigne d'un avenir possible.

Comme on le voit clairement maintenant, à la notre question posée d'en haut, le besoin de la taxonomisation (classification) se laisse sentir. C'est ainsi que l'on propose de tracer deux tendances qui vont faire l'objet de deux parties de notre analyse comparative des deux connaissances : physique et métaphysique. D'une part, il existe une connaissance métaphysique que véhicule un courant de pensée philosophique, qui se propose de se restreindre aux choses-ci : organisées en séries, pour remonter aux idées et aux principes immuables de la raison tout en admettant que les choses, les corps n'ont de sens qu'en relation avec les principes et les idées premières qui les déterminent, qui les ont mis en forme. L'autre aspect de cette connaissance, pense la métaphysique en relation de connexion nécessaire avec la physique qu'elle considère comme pure métaphysique. D'où le sens de la liaison : la métaphysique est une physique.

A l'opposé de la relation de la dépendance dans l'interdépendance, une relation qui montre que la connaissance métaphysique et la connaissance physique sont marquées par une ouverture réciproque possible, vient le sens d'une relation de connexion nécessaire entre la physique qui est en elle-même une métaphysique, non pas au sens de l'au-delà de l'être, mais au sens d'une incommensurabilité de la physique qui véhicule des modèles, des exemples et des illustrations. A la première est lié le sens de la relation qui réside entre l'extension du pouvoir cognitif, et l'extension du pouvoir physique. A la seconde, est lié le rapport inverse : de l'extension du pouvoir physique à l'extension du pouvoir cognitif. Que faut-il apprécier dans cette nouvelle structure chiasmatique qui s'impose d'elle même ?

Faute d'être dogmatique, on doit d'abord argumenter en faveur de notre thèse du départ, et ensuite contre argumenter à travers une antithèse. Enfin pour procéder à une légitimité d'existence séparée de l'une et de l'autre, on dira (tout en adoptant le procédé schopenhauerien) que la physique et la métaphysique sont devenues la forme des antagonismes qui animent les explications des phénomènes humains et physiques. Ces explications sont acquises par l'accroissement des spécialisations et des approches pluridisciplinaires qui ne cessent d'évoluer. Cette nécessité d'une vie séparée, est légitime, car cette vie séparée permettra d'arraisonner les savoirs, et les connaissances que véhiculent aussi bien la physique que la métaphysique. Cet arraisonnement aura en vue l'appréciation de la légitimité, de l'illégitimité, de l'utilité, de la faisabilité et de la nécessité de toutes les actions cognitives.

Depuis Aristote, le sens de la métaphysique n'était pas en tout cas analogue à l'idée de l'étude d'un au-delà de l'être. Ce sens de l'étude d'un au-delà de l'être apparent des choses, est dû à une description qu'on attribuât aux écrits postérieurs aux écrits physiques d'Aristote. 600 Cette distinction apparente s'inscrivait chez Aristote dans une logique de continuité des écrits physiques et des écrits métaphysiques. Chose dont certains historiens n'ont a pas tenu compte dans l'histoire de la philosophe 601 . Pour s'en expliquer commençons donc par soutenir partiellement la thèse : la métaphysique est une physique.

Cette thèse doit être comprise en deux sens. La physique à vrai dire est incommensurable et calculable. Elle montre que l'inconnu réside dans le connu, que l'ordre (comme le pense la théorie du chaos) peut animer le désordre. Le vrai peut en effet envelopper le faux. L'apparence elle aussi peut être une réalité, puisqu'elle témoigne dans la plupart des cas de ce qu'on peut appeler avec Chaïm Perelman : une liaison logique reconnue dans les choses. De ce fait, il n'y a pas lieu de se tracer une ouverture sur le toujours-déjà, dont on ne comprend pas le sens des divers processus qui ont déclenché l'action. Par conséquent une telle action d'ouverture sur le toujours-déjà des sujets, ne serait qu'une perte de temps. L'important serait donc de se restreindre au déjà-là, à l'être en tant qu'être. Pour parler le langage de Heidegger on dira, qu'il n'y a de l'être que celui de l'Etant ou encore celui de l'étantité de l'étant. C'est ainsi que Heidegger souligne : ‘“ l'Etre réside dans l'existence, l'être réside dans la substance, l'être réside dans L'IL y a (...) en quel Etant pourrait-on lire le sens de l'être? (...), l'être là relativement à son être ’”. Ainsi, ce déjà-là est une donnée accessible aussi bien à la raison spéculative qu'au travail-de-la-main.

Quant à la seconde signification de la formulation : la métaphysique est une physique, elle repose sur une action qui consiste à aller de la physique pour arriver aux idées déjà-connues, et ce en vue de prolonger celles-ci dans le monde sensible, pour enfin soutenir l'idée qui consiste à penser que c'est à partir des choses factices que l'on rencontre le poids et la valeur de l'imaginaire. Dans le langage de l'épistémologie constructiviste, cela se traduit par l'utilité des informations recueillies dans le monde du ouï-dire et du sens commun. Ces informations ne peuvent en aucun cas être une déformation, mais une formation. Par contre l'autre sens opposé qui traduit une antithèse à prendre en considération, est un point de vue qui pense que la métaphysique en tant que science de l'au-delà de l'être doit constituer un lien de coexistence et de substitution avec la physique. En effet, et à en croire Perelman, la métaphysique au sens transcendantal du terme, use des arguments non pas de laissons de successions logiques reconnues dans les choses qui fondent la structure du réel, mais de principes, d'arguments fondant la structure du réel, qui émanent non pas des choses, mais de principes arbitraires imposés aux choses du monde sensible, malgré elles. De ce fait, la physique qui explique les phénomènes par une relation de cause à effet, possède une limite. Elle ne prend pas en compte les motifs, les intentions qui ont mis en forme un fait. Elle ne s'intéresse pas à la critique de la provenance des objets. Pour mieux délimiter ses sujets et ses analyses, la physique – si l'on en croît Schopenhauer – se réfère à la métaphysique tout en s'appuyant sur elle dès lors qu'il s'agit d'explications de phénomènes ou de faits divers.

L'intérêt de la physique par rapport à la métaphysique porte sur la légitimation de l'en deçà de la chose, sur l'exploitation de son extension, alors que celui de la métaphysique, porte sur la légitimation de l'au-delà de la chose, sur la recherche de l'explication au lieu de la signification. La question qui s'impose est celle de savoir pourquoi parfois on se retourne envers les choses pour d'une part créer un lien d'ouverture à leur égard, et pour d'autre part les faire parler ? Les réponses à cette question peuvent être diverses. Mais on peut en donner quelques une qui vont valider notre thèse de départ. D'une manière générale, l'homme se retourne envers les choses, parce qu'on peut parfois en extraire des modèles de vie, on peut aussi les prendre à titre d'exemple ou d'illustration pour mettre en forme des valeurs cognitives concrètes. Du fait que les choses sont parfois impressionnantes, qu'elles palpitent de la vie et du sens, l'homme est le seul être raisonnable à pouvoir en discerner le sens tout en en donnant davantage d'autres aux divers faits véhiculés d'une manière fortuite. Pour donner un exemple de la nécessité, de cet intérêt à vouloir chercher du sens dans le pôle de l'information, qui, lui, peut donner naissance à une sorte d'École à ciel ouvert (qui libère le savoir et la connaissance de l'aspect de l'administrabilité qui n'est rien d'autre au fond qu'une asphyxiante culture qui ne met pas en mouvement les connaissances véhiculées par les choses du monde), on doit rappeler que la parole est d'abord aux faits. Même la parole divine que l'on qualifie d'habitude de sacrée véhicule des faits factices dont elle témoigne. Dire que la parole est d'abord aux faits, est une légitimation d'un acte qui fait parler les choses. Le sens de la connaissance métaphysique, comme étant une ouverture aux choses de l'être de la vie, est une tâche que seul l'homme peut étendre à autre chose. L'homme peut en effet contribuer à la réutilisation, à la modification, à la rematérialisation des choses, par la voie de l'invention et de la réinventions d'outils nécessaires et utiles pour l'extension de son pouvoir physique, un pouvoir qui témoigne de la capacité qu'à l'homme à pouvoir réfléchir et manipuler les choses et les objets.

Il existe une autre raison qui est proprement politique pour laquelle la nécessité de s'ouvrir aux choses pour les faire parler, est une nécessité qui s'impose. En effet, lorsque devant des "oreilles innocentes" qui, (sous les effets de l'endoctrinement ou de la manipulation), ne veulent pas écouter quelques paroles savantes, l'ironie (en vue de marquer le recule quant à des pratiques sociales de références), devient une tâche de la connaissance métaphysique qui surgit de la physique. Cet intérêt est considérable pour sauver ce qu'il reste à sauver d'une vraie connaissance sujette à l'extension, à la transmission, à la transposition et à la popularisation. Cette connaissance digne d'intérêt, qui est malgré tout ennuyeuse et déstabilisatrice, pour la faire passer, l'homme use d'un langage persuasif, amplificateur et falsificateur tout en faisant parler la chose via la prosopopée. Ainsi Socrate dans les Lois d'Athènes. Celui-ci en faisant parler ces Lois, il ne faisait que remplir la tâche de l'acte du philosopher qui n'est rien d'autre que le fait de se retourner contre – non pas les choses admises –, mais contre les opinions spontanées. C'est ainsi que G. Bachelard dira plus tard, qu'on ne peut rien fonder sur l'opinion.

A travers cette voie, Socrate a inauguré une sorte de philosophie en acte qui n'a pas été suivie par ses disciples notamment par Platon.

S'appuyer sur le déjà-là qui est au fond une démarche inhérente à la physique est en soi un geste métaphysique. Car cet acte a tendance à prendre d'une part les choses comme témoins du désastre, et d'autre part à marquer une certaine autophagie, une rétorsion pour retourner un argument contre son auteur pour lui affirmer que ses idées, ses actes ne sont en aucun cas compatibles avec les faits, avec les réalités apparentes dans l'être-apparent-réalité.

L'important dans cette ouverture au niveau de la connaissance est la facticité des choses. Celles-ci sont toujours là pour remplir une fonction. Cette dernière n'est rien d'autre que ce que Karl Popper appellera plus tard : la logique de la découverte scientifique. Au sujet de cette logique, il existe une relation de connexion nécessaire entre les concepts que dévoilent les choses, et les idées dont elles témoignent. Ainsi notre thèse est validée en faveur d'une seule idée que nous retenons de Schopenhauer qui disait “ ‘que toute chose physique est également par un autre côté une chose métaphysique’ ”. L'intéressant est de savoir en quoi réellement toute chose physique est par essence métaphysique ? A cette question, Schopenhauer est resté prisonnier de la tradition Kantienne, car il a cherché une légitimation d'une force extra-naturelle pour expliquer les phénomènes physiques tel que par exemple ce qu'il a lui-même mentionné sous l'idée de l'élasticité, la pesanteur, la solidité, la force d'impulsion, la chaleur, et l'électricité etc. Pour Schopenhauer, ces phénomènes physiques sont des postulats que l'on pose à titre d'illustration sans pouvoir les expliquer. Mais l'erreur fondamentale de ce philosophe que Nietzsche a surnommé l’éducateur, est de ne pas avoir donné une importance à l'idée du contour de l'objet physique, idée dont Aristote parlait déjà pour légitimer l'équivalence entre le contour physique de l'objet et l'objet lui-même. Car si l'on en croît Aristote, les propriétés et les relations spatio-temporelles se ramènent à des relations entre les choses et les événements.

Du point de vue éducatif et didactique cela peut se traduire en terme d'ouverture sur le contour, l'entourage des apprenants, un contour auquel Yves Chevallard donne une nouvelle formulation : l'écologie du savoir. Paul Fraïsse reprend cette idée pour repenser la variable personnalité du sujet agissant. Cette personnalité est un champs d'investigation loin d'être épuisé. Dire que l'ouverture est par essence un contour incontournable, signifie au fond que toutes les institutions programmatrices des connaissances et des savoirs sont ouvertes sur des contours que l'on qualifie de système. Celui-ci détermine ce qui est connaissable, scolarisable et gnosiologiqement maîtrisable. A vai dire c'est le système qui est doté d'un contour qui règle ce que l'on peut dire. Car il y a bien des situations, des endroits où l'on ne peut pas dire ce que l'on veut comme on le veut.

Cette relation du rapport du savoir au contour qui détermine l'essence des choses est une relation qui a échappée à Shopenhauer. Le constat schopenhauerien sur la science physique est néfaste. Il aura fallu attendre la critique fulgurante de Nietzsche, (son disciple) pour montrer que les choses physiques doivent être comprises en relation de connexion nécessaire aussi bien avec l'espace qu'avec le temps, et ce pour en apprécier la métamorphose : la manière dont laquelle l'autre sort du même. Cette manière témoigne de l'extension du pouvoir physique, qui, lui, doit être étudié, étendu à d'autres domaines. Voilà la raison pour laquelle Nietzsche (comme nous l'avons déjà mentionné) avait déjà dit : “ Apprenons de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir ”. Au sujet de cet étendu du monde physique qui appelle une connaissance et une étude organisée, Schopenhauer a cherché des explications extra-physiques qui témoignent de son incapacité à faire le lien entre les accroissements de l'énergie physique, et les accroissements de l'énergie mentale. Au lieu de contribuer à l'extension du pouvoir cognitif par le biais de la compréhension de l'extension du pouvoir physique, Schopenhauer a été plus loin pour souligner l'échec des tentatives de l'homme et de l'esprit savant à faire de la physique une métaphysique au sens transcendant du terme. Il a aussi rappelé ouvertement l'impossibilité pour l'homme d'arraisonner (de pénétrer de l'intérieur) les choses physiques pour en discerner les sens. Cela ressort fortement de sa critique ouverte à l'égard du progrès scientifique. C'est ainsi qu'il a laissé entendre que tout progrès n'est pas de la progression. Filons pour renforcer notre propos cette phrase (loin de tous commentaires) où il souligne : ‘Plus les progrès de la physique seront grands, plus vivement ils feront sentir le besoin d'une métaphysique’  ” 602 . Cette phrase a préparée à l'émergence d'un nouvel esprit critique, anti-scientiste où les ennemis de la société industrielle vont trouver un prétexte pour affirmer que tout progrès n'est pas toujours de la progression. Ainsi Adorno, dira que ‘“ tout élargissement des possibilités est en soi un rétrécissement’  ”. Le poids de la métaphysique dans cette perspective, est légitimé en faveur non pas du sens positif de la technique, mais de la recherche de son essence, de sa destinée. Car elle est (si l'on en croît cet esprit) une forme d'aliénation de l'homme du fait qu'elle peut venir en aide à celui-ci tout en se retournant contre les intérêts vitaux de l'homme. Ainsi la technique est une création subjective puisque l'homme sait d'avance que l'objet crée a été destiné pour des fins connus d'avance 603 . A partir de là, l'auteur (Lacoue-Labarthe notre maître) se force de diriger une critique implicite à l'encontre de la technique comme moyen d'extermination des masses. Car il laisse entendre à propos de ce qu'il appelle : “ la solution finale ” que c'est pour la première fois que l'extermination fut par le biais de moyens techniques et non pas par l'intermédiaire de rencontre d'homme à homme. Ce courant de pensée anti-scientiste qui avance des arguments convainquants en faveur d'une possibilité de la connaissance métaphysique qui aura pour objet le poids et la valeur objective de la connaissance physique elle-même, est un courant philosophique qui a trahit une part de l'enseignement aristotélicien. Car au lieu de penser la taxonoimisasion (classification) des intérêts de la technique entre l'utilité et la nécessité, il juge la technique du point de vue métaphysique, pour mettre fin à l'acte de créer, à l'acte d'inventer de penser dans les signes et avec les signes. Mais ce courant philosophique reste fidèle au principe anthropologique connu depuis Aristote sous l'idée du bonheur de la rencontre, du contacter pour contracter en vue de contribuer au bonheur du vivre ensemble. Le côté de la trahison de la pensée aristotélicienne se révèle à partir de la passivité de l'esprit à l'égard des choses. Cette passivité se traduit par la contemplation des choses de la nature, au lieu d'en étudier les strates, d'en programmer l'étendu par l'intermédiaire de la technique. L'effort physique d'Aristote est si riche d'aspects métaphysiques au sens immanent du terme.

A plusieurs endroits des écrits d'Aristote, celui que l'on nomma avec Averroès : le premier maître, a conçu la physique à titre de moyen non pas de fin. Il a pris les choses, non pas pour chercher leurs fondements ou leurs essences, mais au contraire leurs sens. De ce fait on doit dire qu'Aristote a cherché à illustrer plus qu'à prouver des faits. A nous maintenir à notre thèse qui repose sur la reconnaissance du surgissement de la métaphysique, de la connaissance qui se déploie à travers les choses physiques, on doit rappeler trois métaphores aristotéliciennes qui témoignent de trois sortes de syllogismes, à travers lesquels Aristote avait l'intention d'illustrer des connaissances abstraites difficiles d'accès. Cette manière purement aristotélicienne, est en soi une technique didactique : un passage de l'ésotérique à l'exotérique en vue de transposer, pour vulgariser un savoir ésotérique tout en marquant ce que Heidegger appellera plus tard : le principe de l'accéité. C'est-à-dire que les connaissances doivent (en vue de leur humanisation), être accessibles au grand public. Pour marquer l'extension du pouvoir cognitif, Aristote a contribué à cela à travers le langage, qui fût une réciprocité entre les catégories de pensées et les catégories de langues. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle E. Benveniste a fait remarquer que Aristote ne faisait que de penser dans les catégories de langue dans laquelle il pensait déjà. Parmi ces catégories que Benveniste ne mentionne pas, il y a cette fonction phatique, centrée sur l'acte du langage aristotélicien qui fût un langage ouvert sur la parole qui fut (dans la conception d'Aristote), d'abord aux faits. Comment donc Aristote a t-il réalisé le lien associatif entre physique et métaphysique ? Et pourquoi cette relation de connexion nécessaire avait-elle eu lieu ?

Comme nous venons de le voir, l'effort d'Aristote repose sur l'illustration plus que sur la probation. Mais s'il s'agit d'illustrer, on est en droit de chercher le sens de la chose sur laquelle doit porter toute illustration. Cela est ce donc une difficulté logique ? une vertu ? ou une action ?

En tout cas, le fait de dire qu'Aristote illustre plus qu'il ne prouve, cela signifie au fond, que celui-ci veut renforcer l'adhésion à une opinion admise, d'où l'effort de la connaissance métaphysique qui use de la physique pour mettre en forme non pas des opinions admises, mais une règle déjà connue. De ce fait, Aristote à travers son langage simpliste, vulgaire, et ordinaire, avait certainement l'intention de rendre bienveillant les auditoires à la nécessité d'adhérer à une règle, connue et admise. Cette règle n'est rien d'autre qu'un acte virtuel. Platon avait déjà évoqué des questions premières lorsqu'il se demandait dans le Ménon si la vertu s'enseigne. L'acte d'éduquer n'équivaut-il pas à une transmission, à une communication "des contenus", de ce qui est connu ? Et que savons-nous, sinon ce que nous considérons comme vrai ? Aristote, ne s'est pas demandé de pareilles questions. Il a agit en faveur de l'extension du pouvoir cognitif, tout en s'appuyant sur l'extension du pouvoir physique. Il n'a rien laissé sous silence. Pour faciliter l'accès à la compréhension de règles générales, Aristote a cherché des chemins pour éclairer les énoncés généraux tout en renforçant leur présence dans la conscience des auditoires. Cette méthode aristotélicienne est appelée : la méthode syllogistique. Elle traduit des apories logiques et philosophiques dont on ne peut que mentionner la diversité des notions qui ressortent de cette citation où Aristote avait laissé penser que : ‘“ l'Etre se prend on plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie ’”. Cela signifie que la connaissance métaphysique de l'être doit se restreindre à l'être lui même. On ne doit pas chercher le sens des propositions ni au long de là, ni au long deçà, mais au sein de l'être des choses. Au sujet de cette recherche, on peut affirmer à partir des démarches aristotéliciennes que l'art est là où l'on ne se rend pas compte.

Pour ce qui est du syllogisme, celui-ci varie selon la variation des auditoires et des publics auquel on s'adresse. Pour mieux démontrer cela, revenons-en à nos trois citations dont le caractère métaphorique incarne trois sortes de syllogismes. Le rappel de cette taxonomie, n'est pas un simple hasard, ni même une répétition. Il est né d'une tâche consciente, d'une taxinomie à travers laquelle Aristote voulait que sa méthode syllogistique soit un simple raisonnement à travers lequel des conclusions auxquelles on aspirent sont déjà admises dans les prémisses, qui sont intrinsèquement vraies. Dans ce cas le syllogisme est dit soit scientifique, soit démonstratif. Mais lorsque les prémisses sont partagées par tous les hommes ou par presque tous, le syllogisme dans ce cas est dit : dialectique.

Pour traiter conjointement aussi bien de l'extension du pouvoir physique que du pouvoir cognitif, Aristote va procéder par l'emploi d'un véritable langage, qui liera les paroles aux faits. Ce langage est celui de la continuité et de l'ouverture à l'égard des choses. Il est un langage qui ne fait pas simplement parler les choses, mais qui les prend à titre d'illustration. Ainsi la connaissance métaphysique dans son usage des choses physiques procède (pour se faire valoir), par ce que l'on peut appeler : l'argumentation fondée sur la structure du réel, dont l'argument de l'analogie desservie par la métaphore est le support de la connaissance métaphysique définie en terme de transmission de la vérité d'un toujours-déjà-connu. Pour former, informer et éduquer, Aristote use du sensible pour illustrer des connaissances déjà admises, et non pas pour les prouver.

Nous avons déjà souligné cela à travers la métaphore que nous avons retenu dans Métaphysique. Cette métaphore traduit l'analogie suivante :

‘“ De même que les yeux des chauve-souris sont éblouis par la lumière du jour, ainsi l'intelligence de notre âme est éblouie par les choses les plus naturellement évidentes ” (Cf.: Aristote Métaphysique,A, 993, b, In Traité de l'argumentation par Perelman (Ch) Ibid. P: 501).’

Puisque l'analogie est la ressemblance des rapports entre les éléments du phore et ceux du thème, alors elle est susceptible d'être construite. Chemin faisant, on peut donc laisser entendre que “ A est à B ce que C est à D ” : L'intelligence est aux choses les plus évidentes, ce que la lumière du jour est aux yeux des chauves-souris.

Le rapport entre A et B est semblable au rapport entre C et D. Ce rapport est celui de l'éblouissement. Ces propos métaphoriques que signifient-ils ? En réalité, à travers eux, Aristote veut attirer notre attention à la nécessité de l'extension du pouvoir du connaître, qui peut trouver son sens dans le domaine de la pratique. Cette idée est celle du concept : lumineux ou Lumière (AfKlärung), une idée qui sera développée dans la pensée des Lumières ou dans la pensée moderne qui a été tracée depuis Aristote. Car comme on peut le constater à travers les autres métaphores qui vont suivre , Aristote avait l'intention de développer un projet éducatif pour l'extension du pouvoir cognitif par le biais de l'accroissement de l'enseignement. Ce syllogisme et dit dialectique, car, il part d'une connotation, d'une opinions, d'une situation ou d'un état admis, pour arriver à une situation fortuite qui est organisée.

Le sens de ces métaphores est à nos yeux à chercher ailleurs. En effet, et si l'on se réfère à l'idée de la liberté qui a travaillée par exemple Kant, on peut constater que celui-ci a laissé entendre dans le texte : Qu'est-ce que les Lumières ? que le développement, le progrès ne peuvent se concrétiser qu'à travers la mise en forme d'idées émancipatrices. La vraie liberté est l'extension du pouvoir des idées. L’idée signifie au sens Kantien du terme la mise en forme de projets. Aristote avait des projets et parmi ceux-ci il y a celui qui éclate de cette seconde métaphore qui représente un syllogisme poétique. Elle témoigne de l'ambition qu'avait Aristote pour contribuer à l'extension du pouvoir cognitif tout en s'intéressant à l'avenir des établissements scolaires ou d'enseignement. Cela n'a pas échappé à Nietzsche qui a cherché dans l'ouverture aux choses 604 , une reconnaissance de la valeur objective de la vérité. Aristote ainsi que Nietzsche ont interrogé – chacun à sa manière – les choses pour en extraire des modèles de vie éducatives, morales et politiques. Puisqu'il est question d'Aristote et de son syllogisme poétique, alors on peut comprendre son action en terme de tâche, de la même manière que Heidegger 605 définissait l'Etre. C'est à travers la métaphore qui va suivre que l'apparence-réalité est définie en terme de tâche. A ce propos, Aristote souligne : ‘“ Une hirondelle ne fait pas le printemps ni même un seul bonjour, et ainsi la félicité et le bonheur ne sont d'avantage pas l'oeuvre d'une seule journée, ni même un bref espace de temps !’  ” 606

Pour comprendre le sens de cette analogie, l'important est de la construire. Ainsi on dira donc que l'hirondelle est au printemps, ce que la joie est au bonheur. Il y a un même rapport entre l'hirondelle et le printemps qu'entre l'instant et la vie. Ce rapport est un rapport de partie au tout. Cette ressemblance est double. Elle incarne une allégorie : une suite cohérente de métaphore, mais aussi une ressemblance terme à terme entre les parties du thème et celles du phore. Si le printemps évoque le bonheur, alors l'hirondelle évoque la promesse. Il y a donc à travers l'emploi de l'allégorie une illustration de l'abstrait par le concret. Cette démarche influencera plus tard Kant lorsque celui-ci dans ses Réflexions sur l'Éducation attachera une grande importance à l'expérience et au sensible. Dans la dernière métaphore, Aristote prouve le préférable par la coexistence, mais aussi il veut marquer un autre type de syllogisme à savoir le syllogisme éristique. Celui-ci marque une liaison de nécessité entre les prémisses et la conclusion. Cette nécessité est simplement apparente, elle est nécessaire sans l'être vraiment. A ce propos Aristote souligne : “ ‘Ce qui appartient à l'être le meilleur est préférable ; par exemple ce qui appartient à un dieu est préférable à ce qui appartient à un homme ; ce qui appartient à l'âme à ce qui appartient au corps’ ”. (IV, 116)

L'argumentation sous jasante est celle de la double hiérarchie. Elle part d'une hiérarchie admise pour arriver à prouver une autre que l'on veut faire admettre. Ainsi et pour mieux saisir cela, on doit construire cette double hiérarchie qu’on peut schématiser comme suit :

La première hiérarchie sert donc à valoriser un terme de la seconde. On peut dire donc que l'âme est aux corps ce que la joie est aux plaisirs. La ressemblance des rapports est fondée sur la liberté et sur le dynamisme du mouvement.

Le but de ces exemples est double. D'abord on veut à travers eux, mettre l'accent sur l'intérêt qu'Aristote attachait à l'être. Cela du point de vu métaphysique est significatif, car ce n'est pas l'extension du pouvoir physique qui est seul ici mis en considération, mais c'est aussi celui de l'extension de la connaissance issue de celui-ci. 607 .

Du point de vue métaphysique, la connaissance doit réaliser un rapport, qui n'est rien d'autre qu'un jeu sans cesse inachevé entre les choses et les idées qu'on en fait. Autrement dit, l'esprit, la raison ne doivent pas s'effacer devant ce qu'ils aperçoivent. Ils doivent au contraire les interpréter, car l'homme est un interprétant, il est en lui-même un signe, capable d'interpréter des signes qu'il rencontre ici et là-bas. Aristote a parlé déjà des êtres las-bàs pour qualifier la sphère céleste, qui jouit à ses yeux d'une vie factice que le philosophe en tant qu'homme de raison cherchait à comprendre et à expliquer. Du point de vue métaphysique, Kant pensera que même si la liberté a des limites, il n'empêche que celle-ci peut affranchir toute limite assignée. Cela signifie que la pensée des limites, est en elle-même une pensée qui s'oppose à toute limite assignée. Car la liberté ne se donne pas. Elle se construit. C'est d'ailleurs ce que G. Bachelard, a laissé entendre dans la formation de l'esprit scientifique. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit’ ”. Cela étant la même idée qu'Emile DurKheim a soutenu tout en disant qu'il n'y a d'une science que du caché.

Ces affirmations, ces propos nous mènent à un autre problème propre à la connaissance métaphysique : celui de l'incapacité qu'à l'homme à ne pas s'effacer facilement devant ce qu'il aperçoit. Pourquoi, le sujet pensant ne peut-il pas donc s'effacer devant ce qu'il aperçoit ? quel intérêt y aura t-il si cette tâche de l'effacement se réalise ?

Il y a donc deux courants dans la connaissance métaphysique comprise sous forme de relation de connexion nécessaire à l'égard de l'objet. L'un qui incite à penser l'objet dans l'ouverture totale, c'est-à-dire sans chercher sa possible relation avec les mots, avec les idées. Il incite à l'effacement du sujet devant ce qu'il aperçoit. L'autre au contraire, fait l'éloge du sujet, il considère celui-ci en relation (de près ou de loin) avec les choses. En tout cas, ces querelles inachevées trouvent leur fondement dans le domaine de l'art. Elles se traduisent sous forme de deux esthétiques, une dite : sans le sujet pensant, et l'autre à l'inverse, elle voit dans tout objet d'art, le primat de l'artiste sur son oeuvre.

Pour ce qui est du sens de la connaissance métaphysique comprise en terme d'une relation de connexion nécessaire à l'égard des objets, l'esthétique sans le sujet pensant – (comme l'a pensé Karl Popper sous l'expression d'une connaissance sans le sujet), rejoint les idées des sceptiques quant au pouvoir trompeur des idées, quant au fanatisme intellectuel qu'elles peuvent traduire au niveau de ce que l'on peut appeler : la jouissance artistique. Ce sentiment n'est rien d'autre qu'une sorte d'asphyxiante culture qui enferme l'art dans le conservatisme qui émane de l'instinct de la conservation de l'authenticité 608 . Dire que les objets d'arts sont factices et porteurs de principes d'identités, qu'ils témoignent de quelque chose qu'il faut à tout près préserver, porte en soi une attitude fanatique, qui ignore le principe de Wöfflin à savoir l'anonymat dans l'art.

La jouissance artistique est la pire des formes qui peuvent asphyxier et anéantir l'art. Elle est un principe qu'il faut à tout prix détruire et critiquer, car il peut – et comme Nietzsche l'a laissé entendre – porter en lui le risque de voir les morts enterrer les vivants. Dire qu'il faut s'opposer à la jouissance artistique, est en soi un principe que Hegel a défendu en mettant l'accent sur l'anonymat dans l'art. C'est ainsi qu'il a souligné : “ ‘Ce que nous voyons représenté et reproduit sur les tableaux à la science ou ailleurs, nous le trouvons déjà dans ce que nous tenons du cercle plus ou moins étroit de nos amis et de nos propres connaissances’ 609  ”. Dans une perspective didactique et pédagogique, on doit traduire cela en terme de pratique artistique, oeuvre de la pédagogie et de la didactique. Toutes les deux cherchent en effet non pas à jouir devant les connaissances arbitraires acquises par des apprenants et des élèves en vue de leur rendre service, mais à mettre en forme des finalités conceptuelles et pratiques en vue de mobiliser les sujets à l'inédit, à des nouvelles connaissances, que l'on acquiert dans la rencontre, le rendez-vous et dans le travail en groupe. Dans les pratiques didactiques et pédagogiques, le principe de la jouissance artistique hasardeuse doit être totalement absent de l'esprit et du maître et de l'élève. Car si le premier se refuse à créer le second à son image, alors ce dernier étant en phase d'apprentissage, sa propre liberté d'agir n'aura de sens que dans une prise de conscience d'une possibilité d'apprendre par essaie et erreur, tout en admettant que plus il sait plus il doit savoir davantage. Mais la jouissance artistique en pédagogie et en didactique se pose lorsque l'on parle du bon élève, lorsque l'on avance des jugements de valeur quant à des situations didactiques et pédagogiques vécues par les apprenants. Ainsi le bon élève est-il par exemple celui qui s'implique dans un engagement à l'égard d'une maîtrise aussi bien du système que du processus qui accompagne toute structure cognitive ? Peut-on dire qu’il est aussi celui qui apprend des contenus comme étant déjà-connus ? En réalité le bon élève n'existe pas. Cette description n'est qu'un mythe, car il n'y a que des tentatives d'apprendre par essais et erreurs. Le bon élève comme la bonne leçon du CAPES qui (aux yeux des membres du jury), n'existe pas. La jouissance artistique dans le domaine éducatif peut malgré tout être parfois tolérable lorsqu'il s'agit de la réussite d'une démonstration point par point, de l'acquisition d'un savoir-dire, ou être, ou faire. A travers ce constat, le maître et l'élève peuvent jouir mutuellement de la réussite de l'acquisition des savoirs et des connaissances et par là-même de la réminiscence, puisque l'un et l'autre agissent en fonction des représentations, du souvenir à travers lesquelles ils jugent, et évaluent le travail et les efforts acquis dans la rencontre et le rendez-vous avec des états de faits et des processus cognitifs. Lorsque le maître et l'élève décident de se restreindre à des états de faits, cela signifie enfin de compte que la connaissance métaphysique est une pure restriction à l'objet-sujet qui se présente comme un fait factice dont on ne doit pas chercher la provenance. Car ce retour au passé, cette ouverture, sur ce qui se passe dans la tête des sujets, est d'une part – si l'on en croît Paul Langevin – du temps perdu, et d'autre part, elle ne signifie rien puisqu'elle témoigne de l'universalité de la connaissance humaine, qui est incommensurable, insaisissable voire indiscernable. Ce passé auquel on s'ouvre est aussi l'oeuvre de la combinatoire et de l'inspiration. Mais puisque cette ouverture est conçue ainsi, cela est une raison pour repenser la connaissance métaphysique sous un autre aspect qui est proche de l'ouverture sur l'histoire d'un fait, sur l'au-delà du fait factice. Par conséquent l'autre sens de la métaphysique de la connaissance, trouve (dans le retour à l'histoire passée de l'objet), une occasion privilégiée pour penser une esthétique du sujet pensant. Pour cette approche historiciste l'art témoigne des idées projetées par des hommes d'exception. Voilà la raison pour laquelle le concept de l'humanisation de la connaissance a été pensé dans une perspective didactique et pédagogique par Gaston Bachelard en terme de prise en considération de la culture acquise dans l'expérience première des apprenants. Cette expérience est celle que l'on qualifie avec Gaston Bachelard d'obstacle, sur laquelle se produit le travail de la réification. Cet acquis bien qu'il soit une sorte d’obstacle, il doit être valorisé en vue d'une maîtrise de l'erreur de la vérité. Cette maîtrise nous aide à lutter contre les seuils qui luttent contre la mise en forme des contenus déjà connus comme vrais. La valorisation de l'ordinaire est simplement relative puisqu'elle permet uniquement de nous éclairer sur la manière de voir et d'être des sujets. Ces manières sont indissociables des pratiques dites savantes. Cet acquis en tant que passé, Nietzsche (malgré son opposition à l'aspect de la valeur en art), l'avait déjà pensé positivement. C'est ainsi qu'il souligne à son propos : ‘“ Se souvenir de la promesse qu'on a faite dans le passé c'est l'engagement envers soi-même à la tenir dans le passé, dans le présent, mais aussi dans l'avenir’ 610  ”.

Du point du vu esthétique, Nietzsche en tant que philosophe, en tant qu'éducateur a tenu sa promesse. Son engagement à l'égard du passé grec est un exemple probant. Pour lui en effet, l'art grec est d'une suprématie incontournable. A partir de là, l'ouverture sur le passé des hommes nous montre que l'art n'est pas une simple imitation de la nature, mais une imitation de ce que les grands hommes nous ont laissé. Les Grecs – aux yeux de Nietzsche – sont des grands hommes qui, dans leur chaleur imaginative et dans leur volonté, ont eu le mérite d'un désir de construction de leur histoire et de leur civilisation. Si chaque civilisation se traduit par son art, alors pour marquer l'exception de la civilisation européenne, Nietzsche faisait l'éloge de la civilisation hellénique, et de la raison historique de cette civilisation pour la construction d'un monde nouveau. Pour lui, “ ‘La juste échelle de valeur est en ce qui concerne l'Antiquité ’”, disait-il.

A lire Nietzsche sur ce point précis, on constate qu'il est encore hégélien, car c'est Hegel qui a déclaré que c'est dans l'art que l'homme a déposé ses idées les plus hautes. De ce fait, la connaissance métaphysique, du point de vue esthétique, trouve son sens dans ce retour au passé dont nous venons de dire en introduction qu'il ne passe pas. Pour rompre avec cette conception passéiste de la connaissance, il aura fallu, attendre le positivisme objectiviste pour dépasser le sens de la métaphysique transcendantale comprise en terme de l'au-delà de l'être des choses. Le positivisme objectiviste pense la connaissance en terme de logique de la découverte. C'est donc à Heidegger, à d'Avid Hume et à Karl Popper que revient le mérite d'avoir souligné la nécessité de l'apport empirique. Ils ont compris que cette même histoire est incommensurable, insaisissable puisqu'elle est transmise aussi bien dans la rupture que dans la continuité à l’égad des opinions admises. Voilà la raison pour laquelle (tout en tournant le dos à l'histoire personnalisée des objets et des faits physiques), le positivisme incarnant une objectivité scientifique, juge sur des faits et non pas sur des intentions. Car à travers l'histoire d'un fait, le savoir et la connaissance scientifique ont certes connu des innovations, mais ils ont aussi connus des situations d'usure dont on ne maîtrise pas totalement les circonstances. Cette maîtrise ne peut s'accomplir que lorsqu'on se donne le temps d'une ouverture d'altérité radicale à l’égard de la mémoire factice et événementielle d'un fait. En réalité ce sont les faits déjà-là que l'on doit considérer. C'est à eux que l'on doit appliquer le principe de la connaissance permanente. Car ils sont créateurs d'espaces possibles. Lorsqu'on se heurte à eux, plus on sait ce qu'ils sont plus on désire savoir ce qu'ils doivent devenir, surtout lorsque l'on prend l'initiative de les rematérialiser. Dans les faits factices en effet, il y a une infinité d'information. D'ailleurs même les savants parlent aujourd'hui de l'extension du pouvoir physique de la matière. Du point de vue métaphysique, cette logique de la découverte scientifique, est à la fois utile et nécessaire, car lors de la mise en place des concepts scientifiques (tels que par exemple l'invention et le pouvoir), on s'aperçoit à plusieurs égards, que les révolutions scientifiques émanent d'une attitude des savants à pouvoir se jeter à travers champs. De ce fait, les inventions scientifiques sont pour la plupart des savants, des états bruts, qui se réalisent à ciel ouvert : en dehors des institutions scolaires et universitaires. Dire qu'elles sont un état, nous renvoie à nier qu'elle sont de simples processus. Cela se contredit avec les avancées des savants qui font l'éloge de la psychologie de la recherche.

A partir de là, on peut laisser penser (du point de vue philosophique, pédagogique et métaphysique), que toute information est aussi une formation. Cependant, on ne peut que rappeler la correction du jugement de Descartes quant au procédé des informations, et ce en vue d'affirmer que toute information est une formation par son caractère d'utilité. Et comme Descartes l'a laissé entendre cela m'est nécessaire pour vivre.

Le sens de la métaphysique de la connaissance est ici très spécifique. En effet pour réaliser le développement et le progrès, on doit – du point de vue de la relation de connexion nécessaire à l'égard des objets – , réduire la parole à des signes conventionnels pour communiquer avec des nations lointaines, car c'est dans ce procédé que l'on s'écarte de la pensée obscure, tout en maintenant à l'esprit un fait vérifiable. Or si l'on s'astreint uniquement à penser alors on s'enferme dans une situation où l'on serait animé par la fatigue. Car si l'on en croît Heidegger plus on pense plus on se fatigue. L'important serait donc de tourner le dos à toute pensée obscure, à l'acte de penser lui même. Car la pennée est obscure par elle-même 611 . De ce fait, et pour contribuer à la réalisation de l'extension du pouvoir cognitif, il serait important comme disait Heidegger, “ de regarder sous ses pieds avant de tomber dans un puits aux regards du rire d'une quelconque servante ” 612 . Puisque l'on vient d'évoquer Heidegger, il serait donc important de commenter davantage le contenu de sa citation que nous avons retenu dans Etre et Etant. 613 Comme on peut le constater dans la postérité de cette philosophie, ce propos de la relation d'ouverture et de connexion nécessaire à l'égard des faits a laissé ses traces chez différents disciples. (Phillipe-Lacoue-Labarthe François Guéry etc.)

Ce que l'on peut remarquer d'emblée dans cette citation, est qu'il y a d'abord une catégorie de la connaissance, à savoir celle de l'essence qui est gommée volontairement. Cela veut dire pour Heidegger qu'il n'y a pas d'être dans l'essence. Or on peut se poser la question : qu'en est-il de l'IL Y A en tant qu'expression qui fait problème surtout lorsqu'elle peut être repensée en relation aussi bien avec l'historialité qu'avec l'historicité ? La réponse serait certainement analogue au sens que Nietzsche a attribué à L'IL y a : à l'histoire définie en terme de tâche. Pour Heidegger L'IL Y A n'est pas de l'ordre de l'essence, il est de l'ordre de la facticité de la substance, de l'ordre de l'historialité, de l'ordre d'une histoire qui s'est oeuvrée déjà dans l'ouvert, une histoire dont le problème du commencement fut le saut. Cela veut dire dans l'optique de la transposition didactique du sens de l'action philosophique du point de vue de Heidegger, que nos ancêtres : les Grecs, savaient sauter sur ce qui n'est pas nécessaire à rapporter et à connaître. Heidegger veut faire entendre par là, que nos ancêtres notamment les Grecs, savaient non seulement sauter, mais aussi mettre en valeur le progrès et la progression. Cela veut dire que l'art passé n'est pas de l'art. Par conséquent, les Anciens égyptiens ne savaient pas mettre en forme des véritables activités artistiques. Cela n'est pas totalement vrai, car comme le pense Bernard Gras dans Hegel et l'art, les pyramides égyptiennes témoignent d'un mystère que les Grecs n'ont pas rapporté et exposé, du fait que l'esprit grec était occupé par ce qui le travaillait subjectivement. Cet esprit, ignorait l'imitation de la nature et de son gigantisme. D'ailleurs, cette situation est encore présente dans la pensée européenne moderne et contemporaine qui saute sur d'autres pensées comme si pour elle la pensée n'hérite jamais de la pensée. On peut en conséquence (à la lumière de ce que nous retenons des conférences de Heidegger portant sur la question : qu'est qu'une chose ?) nous permettre de lui poser la question : qui sont-ils ces ancêtres ? Sur ce point précis il n'y a pas d'ambiguïté, Heidegger va nous répondre par le Nous. C'est ainsi qu'il laisse penser que la chose de l'être est notre chose et nulle autre! Les ancêtres dont-il est question ici ce ne sont donc pas les Egyptiens, car pour Heidegger l'art du passé (en particulier celui des pyramides égyptiennes) n'est pas de l'art. Malgré leur imitation du gigantisme naturel, le travail des pyramides ne reflète pas l'activité artistique telle que celle dont témoignent le Sphinx et le Temple grec, où l'esprit dans sa subjectivité fut renfermé sur lui-même, loin de toute imitation extérieure. Le Temple et le Sphinx grec sont donc une sorte de métamorphose des dieux qu’ils n’imitent pas la nature physique sensible. D’ailleurs (si l’on en croit Hegel), l’at n’est pas une simple imitation fortuite du réel. (Voir à ce sujet Hegel et le problème de la mémisis (imitation) dans l’art, in Hegel et l’art, par Bernard Gras, op cit).

Cette idée de l'effacement devant les choses du monde du déjà-là, sans la référence au moindre détail de leur provenance, est une technique qui sert à la mise en place de ce que l'on vient d'appeler dans la perspective éducative : la didactique de l'immanence. Pour marquer l'acte du bien penser, cette didactique s'astreint à développer les contenus des choses apparentes qui enferment des liaisons logiques reconnues en elles. Cette position de l'acte de bien penser dans les signes et de l'acte de bien penser avec les signes, nous rappelle l'opposition survenue entre Leibniz et Peirce. Pour le premier, l'important est de chercher à apprendre à bien penser dans le signe. C'est-à-dire à faire du langage humain articulé, une sorte de langue conventionnelle, un nouvel Latin du XXème Siècle. Cette tentative porte sur la possibilité de la calculabilité de toutes les langues. Car pour elle, le fait de penser est un geste qui doit reposer sur le calcul mathématique. Le monde est écrit avec un langage mathématique et celui qui ne connaît pas ce langage ne comprendra jamais le monde. Mais pour Peirce, l'acte de bien penser doit s'effectuer avec les signes, car l'homme est un interprétant. Il est même un signe qu'il parle avec ses signes à lui, qu'il se trouve (comme dit Khatibi) “ trahit par les autres ”.

La connaissance métaphysique comprise sous cette forme avancée précédemment par Heidegger et par Leibniz rejoint celle du premier maître Aristote. C'est a lui que revient le mérite d'avoir pensé à mettre en forme un langage conventionnel à caractère iconographique ou mathématique. C'est lui qui faisait l'éloge d'un apprentissage via les images didactiques. En effet, à maintes reprises Aristote n'a pas cessé de rappeler la possibilité d’un apprentissage via l’image. C’est ainsi qu’il a souligné : “ ‘Il est impossible de penser sans les images, il se passe dans le fait de penser, exactement le même phénomène que dans la construction de figures géométriques où, tout en ne faisant pas entrer en ligne de compte la détermination de la grandeur du triangle, nous ne les traçons pas moins d'une grandeur définie ; pour la pensée, il en est de même : bien que son objet n'ait rien de quantitatif, il est posé devant nos yeux comme une quantité, mais on le pense abstraction faite de toute quantité’ ”. 614

De ce passage, il ressort clairement que l'affirmation d'Aristote n'a rien avoir avec les grandeurs ou la géométrie en particulier. Elle a pour objet d'illustrer, un argument général concernant toute pensée. Cet argument est celui qu'Aristote a avancé dans le De Anima (III 7 431 b 2) en disant : “ ‘Le raisonnement se produit au moyen d'images ou de pensées dans l'âme, comme si celle-ci voyait’ ”. Ainsi, la seule différence essentielle entre l'utilisation des figures dans l'argumentation géométrique est l'emploi inévitable d'images dans toutes pensées est, qu'en général, nous n'avons pas besoin de recourir à la perception sensible : “ ‘Dans la pensée les images remplacent les perceptions’ ”, disait Aristote. La question qui reste posée est celle de savoir : qu'en est-il du sens de la connaissance métaphysique comme étant un au-delà de l'être ? Y a t-il dans ce courant qui fait l'éloge de la relation de connexion nécessaire, une métaphysique comprise en terme de connaissance de l'au-delà de l'être ? Cet au-delà est-il une occasion pour penser la possibilité de la reconnaissance de l'existence d'une unité intelligible qu'on pourrait appeler Dieu?

Pour Aristote en tout cas, il existe des êtres dits : les êtres là-bas. C’est-à-dire que ces êtres attirent en fait la curiosité de l'homme, puisque la limite interpelle l'esprit humain. Avoir un regard sur les limites est donc quelque chose de possible pour l'homme. Car ces êtres dits : là-bas, sont pensés (d'après Aristote dans Le Traité du ciel) en terme de choses factices. Ces choses sont animés par deux sortes de mouvements. D'une part ils s'auto-nomisent dans leurs rapports au contour qu'ils occupent, et d'autre part ils s'auto-suffissent comme cela arrive par exemple à ce que Aristote pense du premier moteur immobile qui n'a rien avoir avec l'être puisqu'il n'intervient pas dans la destinée du monde. Ce moteur est un simple premier moteur dit : immobile. Cette idée va continuer à se déployer dans l'histoire de la pensée philosophique matérialiste. Pour mieux résumer le propos de cette pensée philosophique, je dirais que pour elle, l'important est de renverser l'ordre de la relation verticale en relation horizontale et ce pour marquer l'ambition qui sera plus tard affichée par Feuerbach, qui a laissé entendre que toute théologie doit désormais devenir une anthropologie renversée.

Dans la première relation, on remarque la position debout, la position d'alerte permanente. Cette attitude Nietzsche par exemple l'avait déjà récusé, car pour lui elle peut porter en elle le risque de voir les morts enterrer les vivants. En effet en cette situation l'homme lutte pour une cause métaphysique qu'il est prêt à risquer sa vie pour une cause abstraite. Dans la première position, il y a absence des mots qui expriment le développement, le sous développement, le mouvement vers l'avant et vers l'arrière. Il y a aussi absence des concepts comme le progrès, le déclin, la progression et la régression. La relation en cette situation, est une relation d'en bas vers le haut. Le slogan qui pourra être formulé à son insu est : vive le haut et vive le bas ! Par conséquent, on ne sait pas comment on passe du haut vers le bas et d'en bas vers le haut. Ce passage est renvoyé à l'imagination : l'un des principes de la croyance. Si l'on s'astreint à traduire et à transposer cela au niveau de la pratique politique, on dira que dans un régime féodale pyramidale, théocratique, celui d'en haut décide pour celui d'en bas, celui d'en haut ne sait pas ce que fait celui d'en bas et inversement. Il y a ni accord ni discussion possible entre les hommes formant une “ communauté d'intérêts ”. Le seul langage qui se répand est celui de la persuasion, de la surprise, des promesses illusoires et mensongères, bref de la violence. Le danger auquel l'homme doit chercher à remédier, n'a jamais été et ne saura guère en tout cas, dans la recherche du sens de cette relation. Le danger réside à vrai dire dans l'ignorance des forces de la terre. En effet, comme disait Heidegger, on doit penser à la possibilité du sens du rapprochement de la terre vers soleil car le danger est dans la physis occupée par l'ennemi, par l'extension aussi bien de la misère que de l'ignorance. Ce sont ces états de fait qui constituent les vrais ennemis de l'humanité. Ceux-ci ont toujours été les promoteurs des guerres et des violences.

L'important serait donc de repenser l’avenir de l’humanité pour surmonter les conditions de l'extension du pouvoir de la misère et de ceux de l'ignorance, qui causent les guerres et l'absence de la paix. A partir de là, la réponse à la question : la guerre n'est-elle que l'absence de la paix ? est en faveur de l'analyse rigoureuse de la relation qui anime la métaphysique de la misère et la métaphysique de l'ignorance. Le cri nietzschéen : “ Le désert croit malheur à celui qui protège le désert ”, est un exemple qui explique fort bien cette relation. Car si Nietzsche a nommé : “ l'accroissement du désert ”, toutes situations où l'homme est livré à lui-même, sans formation et sans émancipation, alors l'absence de la paix est le résultat de cette relation hasardeuse où l'on agi sans programme et sans destinée. Nietzsche (il faut le rappeler) a toujours préféré l'amour de la destinée, un amour de la possibilité que l'homme peut procurer à la vie aussi bien des objets que de la nature au sens large du terme. Cependant, et si l'on en croît Nietzsche, alors connaître l'homme, c'est connaître d'abord sa fin et sa destinée. Ainsi seule la création d'une communauté de langage, (dont le but est de communiquer avec autrui, avec des Nations lointaines pour contribuer activement à l'accroissement de l'extension du pouvoir cognitif en tant que concept philosophique) peut nous faire sortir de ce désert, où l'on peut être aveuglé par des tempêtes de sables, où encore par des tempêtes de neige glissantes. Ce n'est rien d'autre que le glissement dans le non-sens et l'aveuglement.

Dans la perspective de la recherche de l'extension du pouvoir cognitif, Nietzsche retient de Kant la nécessité de l'éducation, de la formation et de l'émancipation des idées. Cette idée ressort de la comparaison que faisait Nietzsche ente le désert dépourvu d'eau et l'ignorance pour traiter l'Europe du déclin intellectuel et de l’ignorance ; chose que Heidegger a retenu de lui en disant de la même Europe, que celle-ci n'a pas encore appris à bien penser. L'expression de Nietzsche, nous montre fort bien l'influence et l'admiration que Heidegger préconisait à sa philosophie, mais aussi et d'une manière implicite à celle de Kant (même si de la part de Heidegeger cette dernière et dans sa globalité a été vouée à une critique fulgurante). Nietzsche par cette citation, veut (tout en procédant par une argumentation qui part de la structure du réelet quiarriver à une autre qui la fonde), mettre l'accent sur la relation de connéxion nécessaire qui réside entre le pôle de l'information et celui dela formation. Nietzsche en laissant entende que les grands problèmes courent les rues, veut – à la manière d'Aristote –, montrer l'utilité de tout ce que nous observons d'une manière fortuite, pour l'ériger en modèle de la connaissance. “ Le désert croît malheur à celui qui protège le désert ”, est donc une formulation énigmatique. Elle est aussi contradictoire pour la transposition didactique du sens, que Nietzsche tente de véhiculer. A en croire Heidegger dans sa paraphrase de Nietzsche, la pensée humaine – et notamment la pensée Occidentale – n'a pas encore appris à bien penser. A partir de ce douloureux, constat l'exigence qui s'impose d'emblée est la lutte contre la propagation de l'ignorance pour préparer à la prévision d'un meilleur avenir possible pour nos établissements d'enseignement. Mais comment alors peut-on faire ressortir ces explications à partir de cette métaphore nietzschéenne (“ Le désert croît malheur à celui qui protège le désert ”), une citation métaphorique rapportée par Heidegger ?

Dans le désert, il est quasiment vrai que l'on ne trouve ni eau, ni endroit pour nous abriter. Cela signifie (dans une perspective nietzschéenne et heideggerienne) que l'occident à soif à la connaissance et au savoir pour manifester son émancipation et son développement. On peut aussi donner à cette formulation métaphorique et aphoristique un autre sens. En effet, si dans le désert il n'y a que de l'étendu, alors cela veut dire que l'ignorance est en train de se propager et de s'étendre pour faire naître la misère. A partir de là, il y a donc une mise en garde, une alerte à une relation de connexion nécessaire qui existe entre l'ignorance et la misère. Certains (comme Ipandi Jean Claude) ont été plus loin pour souligner quelques convergences entre Nietzsche et Marx puisqu’ils étaient tous les deux fils d’un même siècle : le XIXème européen. Cette connexion entre misère et ingorance (si l’on en croît Heidegger dans sa repise de Nietzsche) pénètre la civilisation occidentale et engendre la barbarie de sa culture et participe à la ruine de ses valeurs supérieures tout en créant des situations où la guerre n'est que le manque de la paix.

Rien de moins Kantien que ces prises de positions par deux philosophes qui marquent la signature d'un courant de pensée philosophique empirique, un courant "opposé" à celui de Kant. Le problème qui reste à résoudre est celui de savoir si vraiment Kant a réussi le pari du reversement de toute théologie en anthropologie renversée. A cette question la réponse est sceptique, car Kant a sacrifié la science au service de la religion. De ce point de vue il avait à mes yeux tord.

La seconde relation : celle de (l’vant
après) que l'on vient d'évoquer, témoigne d'une situation de repos, d'une position qui n'est pas celle de l'alerte permanente. Elle est celle de la paix, d'un sommeil qui sera peut être profond. Car il s'agit en elle, d'une situation de maîtrise de l'action humaine et de celle des choses : on y assiste non pas à la recherche des conditions de grimper vers le haut, ou à des possibilités d'une descente vers le bas, mais à des initiatives d'apprentissage et de compréhension des manières de sauter vers l'avant, et de reculer vers l'arrière. Ce sont les conditions de la connaissance des obstacles de la pensée scientifique qui sont visés dans cette relation, car c'est dans cette situation que l'on cherchera les raisons pour lesquelles une connaissance scientifique (à un moment donné) a connu du déclin ou du progrès. C'est une situation où l'on assistera aussi à ce qu'on peut appeler : l'humanisation de la connaissance. C'est-à-dire une condition qui nous renvoie à être en contact avec ceux qui ont crée la science à savoir les savants. Cet acte, incarne des principes comme par exemple : l'inspiration, l'imitation et la combinatoire, actes propres au sujet connaissant. C'est dans cette relation que l'on comprendra aussi ce que signifie l'acte d'un apprentissage du bien penser. Cela nous ramène à l'idée de l'ouverture, non pas sur les faits et les objets, mais sur les idées. Ce n'est rien d'autre qu'une autre sorte de la connaissance métaphysique, qui conçoit les idées comme étant d'une part des choses pensantes, et d'autres part, de simples idées ayant des effets dans le monde sensible. C'est ce que nous proposons de développer en donnant un sens plus général aux idées.

De ces sens on doit retenir celui de l'action que Descartes a déjà attribué aux idées claires et distinctes. En effet son Cogito ( je pense donc je suis), signifie en fait que lorsque je dis : j'ai une idée ! cela doit se comprendre en terme de méditation, d'autosuffisance ; par contre du point de vue Kantien, cela doit être compris en terme de projet et d'action. De ce fait, on passe du sens de l'idée en tant que composante subjective, autosuffisante, à l'idée en tant qu'autonome dissidente par le seul principe de la liberté. Gassendi, en critiquant Descartes, disait que le "je" sujet est une chose pensante, car et à l'en croire sur ce point précis, je suis pensée et que ma pensée est une chose pensante. Comment peut-on donc analyser cette nouvelle structure chiasmatique qui s'impose d'elle-même ? Comment peut-on admettre le passage du : “ Je pense donc je suis ”, à “ Je suis une pensée ”?

Pour répondre à cette question, on doit d'abord affirmer que les idées claires et distinctes sont celles que l'homme peut rapporter aux choses. Du point de vue de la métaphysique de la connaissance, on dira que l'imagination créatrice est l'oeuvre de la condition humaine, dont les idées ont un pouvoir dans le monde sensible, un pouvoir qui s'astreint non pas à se laisser aller avec le réel, avec le monde de la doxa, du ouï-dire et du sens commun –, mais à imposer à celui-ci des arguments fondant la structure du réel. Ainsi, de la prosopopée qui fait parler les choses, on passe à l'apostrophe dont l'homme use pour communiquer un sens à son semblable. L'homme ne peut que penser avec ses signes propres et dans les signes donnés déjà-là. Lorsque Rousseau s'est adressé à l'homme à travers son célèbre cri : “ Ho Hommes soyez humains ! ”  , il s'adressait à l'homme dans son universalité : à cet homme que voulait Pascal, dont-il disait que bien qu'il soit “ un roseau le plus faible de la nature il est un roseau pensant ”. A cette métaphore, Pascal voulait mettre en oeuvre l'importance de l'imagination créatrice de l'homme.

Du point de vue métaphysique, cela est révélateur de sens. Platon avait en effet déjà annoncé que : “ le corps est un tombeau ”. Les deux métaphores : celle de Platon et celle de Pascal, veulent en tout cas mettre l'accent sur la spécificité qui anime la condition humaine. Cette spécificité n'est rien d'autre que celle du symbolisme, de l'imagination créatrice, qui l'une et l'autre imposent des arguments qui fondent la structure du réel.

Pour construire les analogies qui témoignent de la ressemblance des rapports qu'incarnent les métaphores précédentes, on dira (dans le cas de Platon), que les corps sont à la nature des objets, ce que les tombeaux sont à la nature humaine. On n'est pas certain (comme d'ailleurs Nietzsche l'a laissé entendre) que les objets, les animaux, en particuliers les chiens, sont conscient de la mort. D'ailleurs Nietzsche formulait un aphorisme dans cette direction tout en laissant entendre que si l'on veut vivre heureux, on doit apprendre à oublier : à vivre dans le présent comme font les chiens et les animaux. Nietzsche avait même était plus loin pour inciter à apprendre de l'animal et de la fleur ce que c'est que s'épanouir. Mais c'est le même Nietzsche qui a incité l'homme à l'instauration d'une attitude critique à l'égard de son propre histoire, et ce tout en laissant penser la mise en forme d'une situation de rencontre comme celle où le voyageur et son ombre évite de vivre une situation où l'on verrait les morts enterrer les vivants. Car c'est dans la rencontre, le voyage et les rendez-vous que l'on corrige nos propos, puisque plus on se perd plus on se retrouve. Notre but n'est pas de relever ici les incohérences et les contradictions qui ont laissé la philosophie de Nietzsche si difficile, mais simplement de mentionner que ce philosophe qui suscite encore aujourd'hui des débats, a dépassé l'attitude monumentale, l'attitude antiquaire de l'homme face à son histoire, pour arriver enfin à l'attitude critique.

Mais à nous maintenir aux procédés pascaliens et platoniciens, on n'est pas sûr que l'homme soit prêt à oublier de penser à son rapport à la mort, à sa soumission au tombeau. L'homme n'est pas encore prêt à penser d'une manière anhistorique. Par exemple, (la mort puisqu'elle est là), est donc – comme le pense Spinoza – la seule à laquelle un homme libre pense le plus, et s'il médite, ce n'est pas sur la mort qu'il le fait, mais c'est sur la vie. Ces propos ont été repris et même pratiqués par notre maître Olivier Reboul, qui a médité (il y a quelque temps) sur la mort, en rédigeant ses deniers écrits à travers lesquels il achèvera son oeuvre. A ce propos il a proposé d'“ Apprendre à mourir pour arracher à la mort sa victoire ” 615 . Comme on peut donc le constater, l'homme est le seul être vivant qui est animé du sens de la connaissance métaphysique puisqu'il est capable d'apprendre, de mettre en forme des inédits, qui fascinent et qui impressionnent. Il peut mettre en forme un sens autre que celui que nous rencontrons d'une manière fortuite dans le déjà-là, dans le monde de l'information, dans le pôle de ce que les anciens appelaiten jadis : la doxa.

La ressemblance des rapports, entre la relation de l'homme en situation de tombeau, et celle de l'objet en situation naturelle, est une relation de connexion nécessaire. Mais cette relation possède des degrés différents. Si la première est invisible : renvoyée à l'ordre de ce qui est mystérieux, alors la seconde est prévisible. On peut en effet parler de la programmation de la vie et la mort des objets, de leur rematériatisation, de leur réification, de leur insertion dans le pour-autre-chose etc. Mais on ne peut pas programmer d'une manière délibérée, volontaire, la mort de l'homme, mais on ne peut pas programmer et prévoir notre propre mort non plus, car bien qu'il y ait des hommes qui meurent, il n'empêche qu'il y en a d'autres qui restent et qui naissent. L'important du point de vue anthropologique est de chercher à programmer la vie de l'homme, politiquement. Cela est aussi l'un des problèmes de la transposition didactique du sens de l'action droite en politique, une action qui est pensée en terme d'ouverture et d'achèvement.

Si l'homme doit servir l'État, du fait que ce dernier doit lui garantir la liberté, le but de l'âme est alors de légiférer à l'égard de soi par le respect de la loi étatique, ou encore par la mise en forme d'un idéal rationnel auquel toutes les âmes (en action dans une communauté d'intérêts), doivent obéir. Ce rôle si l'on en croît par exemple Platon et Kant, doit être assigné au philosophe législateur incarnant une aristocratie de l'esprit. Pour comprendre les manières de légiférer, l'ouverture sur les idées et sur les documents écrits ou autres qui nous ont été délégué ou arrivé du passé, est une ouverture nécessaire pour marquer la critique de la provenance dans ses deux niveaux : internaliste et externaliste. Cette ouverture est utile pour la compréhension du sens de la mise en mouvement des doctrines politiques. Car rien n'est donné tout est construit par le biais d'une ouverture sur ce que l'on aperçoit. C'est ainsi que Platon a posé pour la première fois le problème de la métaphysique de la connaissance en terme de tâche mais aussi sous une forme politique. Cette forme est celle où le pouvoir de la coercition se révèle à travers une union et une fusion de l'âme et de l'État (Cité). On peut à partir de là, interroger Platon sur la légitimité et la faisabilité de cette action. Autrement dit, la vraie liberté à laquelle l'homme aspire, trouve t-elle son sens dans la contrainte, la coercition, ou au contraire, elle est celle qui se pratique dans le risque gratuit à vivre dangereusement ? A cette question, le sens de l'État ou de l'ordre de la cité, (polis) (comme oeuvre d'art) n'est rien d'autre – aux yeux de Platon – que cette incitation à la discrimination qui puise son sens dans la pire des formes de coercitions à savoir la mise à l'écart de ce que Platon appelait indirectement les indésirables : les populations marquées par des pathologies susceptibles de contaminer les autres organes (membres) de la Cité que Platon définissait en tant qu'oeuvre d'art.

La leçon à retenir de Platon, est que celui-ci a inauguré deux types d'anthropologies différentes qui vont traverser toute l'histoire de la pensée philosophique. Ces deux tendances, il aura fallu plus tard penser à les unir. La première est l'anthropologie de l'individu, l'autre celle des groupes. Pour ce qui est de la première (et à la lumière du platonisme), on a pensé l'âme et la conscience humaine – qui aspirent à une existence spirituelle et psychique – comme étant des facultés jouissant d'une autonomie relative. Car bien que l'âme possède une action sur le corps, elle pense celui-ci comme une entrave, comme un obstacle. Pour que l'âme puisse exister dans le corps, elle doit alors (si l'on en croît Platon) être dynamique. Elle doit exister comme un vécu qui reflète un pouvoir étatique concret. La seconde tendance, pense l'homme comme étant susceptible d'être pensé dans l'ensemble cosmique et politique dont-il fait partie. A vrai dire, cette tendance conçoit l'homme d'après sa nature propre, une nature qui n'est rien d'autre que ce que l'homme est réellement : un être qui ne réfléchit pas simplement sur lui-même mais aussi sur l'autre et sur les choses qui l'entourent et qui l'impressionnent en vue de les maîtriser. Ce pouvoir est celui du philosophe-législateur – dont Kant (en disant : “ écoutez les philosophes ! ”) propose l'écoute. Le philosophe possède le pouvoir en tant qu'homme qui a pour exception de cultiver l'exception de cette réalité intérieure (l'âme) de l'homme, qui est en elle-même comme une unité vitale : comme une donnée immanente dont-on peut constater les traits caractéristiques. Ceux-ci sont à vrai dire des faits psychomoteurs ou psychophysiques dont l'invariant fonctionnel est l'attitude de cette âme, de cet oeil à travers lesquels on énonce le réel.

La spécificité de cette composante (l'avoir l'oeil), est pour Platon, l'une des choses du monde la mieux partagée. Elle est l'essence de l'homme puisqu'elle est composée d'autres âmes. C'est là le problème de la pensée platonicienne, car la question : qu'est-ce que l'homme ? est devenue à partir de ce constat, une occasion pour nous pousser à adhérer à des problèmes philosophiques et métaphysiques les plus obscurs ! Comprendre l'homme revient donc à :

  • Penser la réalisation de l'organisation ainsi que l'opération à la fois spirituelle et corporelle de la vie dans la Cité.
  • Comprendre l'image d'ensemble qu'on se fait de la communauté.
  • Interpréter la réalité humaine en la situant dans l'ensemble général de la nature, dans la relation la plus étendue avec le corps.

A partir de là, l'homme (du point de vue métaphysique) se révèle sous deux portées. D'une part il est un être-âme, et d'autre part, il est un être-physique. Cela revient à dire que l'homme se cherche en tant qu'âme, qu'il cherche la voie qui lui permettra de jouir par lui-même (dans son contemplation spirituelle) d’une projection d'états d'âmes dans la vie. Cette projection, donnera naissance à la vie morale. L'âme renvoyée dans l'ensemble cosmique et politique dont elle dépend, permet à l'homme et à lui seul, d'être conçu d'après sa nature propre, une nature qui est capable de mettre en forme des actions qui marquent un pouvoir concret.

D'une manière générale, la leçon à retenir de Platon est l'intérêt qu'il a porté à l'idée, au pouvoir des idées dans le monde sensible.

Dans la postérité de cette philosophie, plusieurs thèmes seront abordés autour de cette conception. On pensera (par exemple avec Machiavel) l'attitude du Prince à l'égard du peuple et du pouvoir, on attachera avec Kant de l'importance à l'émancipation des idées comme condition privilégiée pour le développement et le progrès, on s'intéressera (dans une perspective politique) à la fascination, à la séduction comme formes de pouvoir pour penser et méditer l'imprévu et l'inédit en politique. Et surtout on pensera que la parole est un fait, qu'elle n'est plus une réponse spontanée aux faits, mais au contraire, une mise en forme des acquis de l'expérience intime de l'homme, une expérience qui se révèle dans la pensée par la langue et dans la langue. Toutes ces composantes tournent autour de cette conception platonicienne à savoir que l'homme a le pouvoir des idées, qu'il peut prévoir les événements et mettre en forme des pratiques inédites.

Sous les effets de l'idée, l'homme parfois choisit d'entrer en conflit avec lui-même, avec la nature et avec autrui. Il a toujours été en conflit permanent avec la nature. Il est encore à la recherche d'une maîtrise et d'une protection de la nature puisqu'il y vit. Hobbes n'a t-il pas rappelé que l'état nature de l'homme est un état de guerre de tous contre tous ? Le choix de vivre la vie et de la dominer est d'ailleurs l'une des formes de la liberté humaine. Cette forme s'opère dans la raison par le biais des jugements synthétiques a priori, mais aussi par le choix d'un engagement. Ma liberté est le choix du meilleur, disait Kant. Qu'est-ce que donc ce meilleur si ce n'est que ma faculté de juger qui apporte les paroles et les actions aux faits ! Ainsi ce qui a de typique en l'être humain est sa capacité de montrer, sa capacité disait Heidegger d'être un mons-tre. Disons d'une manière vulgaire, sa capacité “ à penser avec sa tête ”, c'est-à-dire à mettre en valeur (dans le langage et par le langage) ce qui le travaillait : sa capacité de penser indépendamment de la nature. Ce n’est qu’un fait qui s'impose comme un toujours-déjà. Si l'homme est capable de montrer, alors cela est l'une des raisons pour laquelle il faut d'emblée le définir comme un animal politique pensant, parlant, souriant, et à propos duquel Heidegger vient dire qu'il est “ un mon-stre ”. Cela veut dire que l'homme possède une capacité de montrer quelque chose qui lui est propre, qui implique sa "monstruosité", son engagement parce qu'il lui arrive d'être traité de “ monstre ” surtout lorsqu'il s'astreint à montrer et à se montrer. Cette chose intime de l'homme, les philosophes l'ont appelé tantôt l'esprit (Hegel dans Phénoménologie de l'Esprit) ; tantôt, L'IL y a (Heidegger dans Etre et Etant) ; tantôt : la disposition morale fondamentale ; (Kant dans La Critique de la raison pratique) ; tantôt La physiognomonie : un art de reconnaître l'homme à son visage ( Lavater) etc. Voilà pourquoi le sens de la métaphysique dans le champs des sciences sociales est analogue à celui des sciences exactes car même les idées sont marquées par un aspect chosiste, puisque à travers elles, l'homme est perçu comme une chose pensante, car tout ce qui est en lui (comme conflit manifeste) est en soi une traduction du conflit latent.

Le sens de la métaphysique qui est ici porté sur la connaissance de l'homme, est d'une teneur tout à fait symbolique. Si l'homme est le seul être qui aspire à un meilleur devenir possible, alors le fait de le connaître – comme Nietzsche l’a laissé entendre – est une occasion pour savoir sa fin, sa destinée. Car l'homme est en fait le seul être raisonnable à pouvoir être prêt (après éducation et préparation) à accepter le courage du sacrifice. Ce choix est celui qui s'opère dans l'amour de le destinée : une valeur proprement humaine qui vaut la peine d’être vécue quand la vie l’exige.

Toutes ces considérations et ces conceptions mettent en valeur cette attitude qui traduit une métaphysique spéciale de l'agir humain que l'on a qualifié d'avoir-l'oeil. Ce n'est rien d'autre qu'une action pour mettre en forme le réel, une action à travers laquelle l'homme impose ses arguments, ses idéaux et ses opinions dans le monde sensible tout en le fondant.

Toutes ces considérations insistent sur l'expérience de soi de l'esprit. Cette action fait de l'homme un être inachevé qu'il est toujours soumis à la nature et à sa propre nature. L'une et l'autre le condamnent à vivre en ouverture sur l'autre et est le processus qui l'accompagne.

Dans cette relation à autrui, le sens de la connaissance métaphysique est incommensurable suite à l'incommensurabilité des idées acquises dans l'intention de l'homme. En effet, l'homme dans sa relation à un autre homme, peut chercher à le former, à l'informer, à l'éduquer, à le manipuler et à agir sur sa conscience ainsi que sur le processus qui l'accompagne et ce dans le but de marquer toujours un pouvoir. Cette action, ne peut être établie qu'à partir de la mise en forme du langage en tant que comportement. En effet, la pensée se manifeste dans la parole, dans la langue, et par la langue. La fascination, la séduction comme formes de pouvoir, ne peuvent se réaliser qu'à partir d'autres formes différentes qui sont parfois cachées. Parmi ces formes, il y a celle de l'élocution, de l'expression qui s'explique à partir de la parole qui rompe de la bouche de l'homme. A son sujet Léonard de Vinci disait déjà que “ la bouche tue plus que le couteau ”. C'est-à-dire que la dissension est plus dure que la tuerie. Cela signifie au fond que l'homme est un être parlant, un être qui (du point de vue politique) veut soit gouverner soit subir un gouvernement. Dans un cas comme dans l'autre, le pouvoir politique se révèle comme une subordination spectaculaire d'une image grandiose pour enflammer les individus. Cette image est mise en forme par le biais de la théâtralité. Elle s'opère d'abord et avant tout dans un idéal rationnel, qui, du point de vue métaphysique se traduit par le poids et la valeur des idées qui remplissent des fonctions diverses comme par exemple la manipulation, la formation, l'information, la démonstration et l'argumentation etc. Cette idée purement métaphysique, relève de la relation de connexion nécessaire entre la liberté et la nécessité. Du point de vue de la liberté, l'acte de penser en tant que fait factice, incarne les motifs ainsi que les degrés d'implications dans une conduite et dans la mise en forme des séquences dramatiques ou didactiques, car l'homme possède le sens de la valeur des choses : il impose parfois sa propre manière d'être aux choses de la vie tout en proclamant sa liberté pratique qu'il définit en terme de pratique de son propre caractère. Pour l'homme, le mot : valeur a un sens proche de quelque chose qui vaut la peine. Est valeur ce qui vaut la peine, ce à quoi on est prêt à se sacrifier nous disait Olivier Reboul.

Pour gouverner, l'importance est mise sur le discours et plus précisément sur le pouvoir du discours pour accéder au discours du pouvoir. Pour gouverner et dicter des lois il faut en effet au préalable avoir une maîtrise du discours persuasif pour pousser l'autre à adhérer à des conceptions (arbitraires ou conventionnelles) malgré lui. Dans cette situation, la maîtrise du langage porte sur la forme, le contenu, l'omniprésence et l'absence du discours. Il y aussi des situations où le silence est une interpellation du déjà-là. Le poids du discours devient dans cette perspective un art de savoir écouter pour agir. Cet art de choisir les mots, n'est pas simplement celui de chercher à parler mais celui à travers lequel l'homme se force à bien parler. Le vrai langage est donc celui de l'idée mise en forme dans la théâtralité, bien que cette idée soit parfois susceptible non pas d'enseigner ou de renseigner, mais de faire saigner : de semer la merde, car toute provocation est une convocation et que le vrai art, n'est pas celui qui vient en aide à l'ordre établi, mais c'est aussi celui qui se retourne contre celui-ci. D'ailleurs (comme l'un de nos maîtres : François Guéry, l'a laissé penser), “ Tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde ”.

Du point de vue de la métaphysique de la connaissance, on peut laisser penser que les connaissances qui véhiculent des idées progressistes, ne remplissent pas la fonction de service. Elles ne doivent pas rendre service au domaine de la doxa, au domaine du ouï-dire et du sens commun qui sont – comme disait Bachelard – des obstacles à la connaissance et au progrès scientifique. Du point de vue métaphysique, on peut dire que les connaissances (relevant d'idées claires et distinctes) ont toujours été dirigées contre l'ordre établi, qu'elles étaient venues parfois en aide à celui-ci. D'ailleurs Nietzsche (que nous venons de citer) disait déjà que : ‘La manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran’  ”. Cela est une manière de penser la théâtralité langagière comme étant une attitude qui transgresse les normes. Cette attitude du discours (qui est un discours de l'impossible) s'adresse à l'inconscient des individus. S'adressant à cet inconscient (qui ignore la contradiction, la temporalité, la négation, l'impossible, la différence des ethnies même lorsqu'il s'agit du contact implicite de celles-ci), on peut dire qu'il est celui de la théâtralité langagière qui ignore la différence des générations. Le langage de la souffrance en tant que langage de la théâtralité, sert en fait à dissuader, à convaincre ou à persuader. Ainsi le procès de Damien : un résistant dont le corps fut partagé en morceau, est un sacrifice que décrivit M. Foucault, pour élucider la manière dont laquelle le pouvoir de l'époque luttait contre la propagation des idées révolutionnaires. Ce sacrifice mis en forme théâtrale, avait pour but de semer la terreur et la peur, pour agir sur les consciences des individus en vue de faire régner l'ordre déjà établi. Ce n'était rien d'autre qu'un pouvoir qui s'attachait à la continuité et à l'éternité. Le procès de Damien, traduit en effet cette attitude du pouvoir dont l'instrument politique fût le secret de la surprise qui engendra des imprévus et des inédits. Ainsi le fait de persuader, n'est plus une action de convaincre par la voie du langage articulé, mais au contraire il est une action qui fait répandre des situations problèmes ayant la forme de la théâtralité. Par conséquent, le langage en tant que comportement est une preuve de la capacité physique à vivre la vie et à la dominer concrètement ne se risque que par le biais du sacrifice.

En politique cela peut se traduire en “ situation problème ”, qui, dans son sens positif signifie le fait de surmonter les obstacles naturels et parmi ces obstacles, il y a l'état de nature qui est un état de guerre de conflits permanents de tous contre tous. Pour marquer son pouvoir, l'idée va chercher à canaliser et à gérer les degrés d'implications de la personne pour le préparer à se soumettre au mal : à le faire régner pour amener aussi les individus et les groupes au contact et la rencontre en vue de créer des situations motivantes. Ces situations ne seront rien d'autre que la vie de l'acte du contacter pour contracter. Dans cette perspective, le langage est donc un comportement, puisqu'il tente de mettre en forme une situation, qui (du point de vue politique) peut être décrite de pouvoir démocratique. Mais en Démocratie la contrainte et la coercition peuvent-elles trouver leur fondement dans sacrifice et la punition physique ? La réponse est évidemment négative car (comme J. Habermas le laisse entendre) en Démocratie c'est l'argumentation rationnelle qui l'emporte sur le langage de la souffrance physique. Vieil argument aristotélicien du contacter pour contracter, du toucher en vue de connaître et en vue de mettre en forme le bonheur de vivre un certain bien qui est celui de vivre ensemble et en groupe. La contrainte (telle que nous venons de la décrire à travers le procès de Damien ou encore à travers le procès de Fouquet, est la caractéristique du pouvoir de la dictature que des poètes – comme par exemple Jean de La Fontaine – ont critiqué d'une manière indirecte et ironique pour contribuer à son anéantissement.

Du point de vue d'une politique à caractère empirique, on peut donc laisser entendre que la séduction peut aussi être dirigée vers le peuple. Dans ce cas ce ne sont plus mes idées qui doivent déterminer ce que je pense, mais au contraire la langue dans laquelle je pense mes idées qui détermine leur faisabilité et leur validité. Mais alors qu'est-ce que la langue ? si ce n'est qu'un ensemble d'idées. La langue est un système de signes organisés autour du sens comme étant un toujours-déjà ayant des effets dans le déjà-là. Dans notre optique, cela signifie que la langue est un système qui obéit à une convention. Le risque de dépasser, de déborder ou déstabiliser et d’ébronler cette convention, peut avoir des effets positifs et ou négatifs sur celui qui use du langage pour marquer un certain pouvoir. Autrement dit, l'individu qui parle bien, est celui dont nous disons qu'il possède un langage réfléchi traduisant une taxonomie, une classification. Celui qui parle bien choisi ses mots pour mettre en forme des configurations fondamentales reconnues par l'esprit aux choses. Cela est une manière de dire que l'homme met en forme le réel dans le langage et par le langage. L’homme pense dans le signe et par ses signes à lui, qu'il se trouve par ci ou par là, trahit par certains, c’est-à-dire par ceux qui ne parlent ou qui maîtrise mal son langage.

Dans la perspective du langage en action, l'homme en contact avec la nature peut réaliser des merveilles, des impressions sensibles qui feront preuve de sa maîtrise parfaite de la nature. Ce langage est un langage naturel qui fait société. Sa fonction est celle que Jacobson appelle : phatique. Elle est centrée sur l'action pour faire – non pas croire – mais aussi pour faire agir. La séduction du point de vue métaphysique, peut renforcer des différentes formes de pouvoir. Elle est en tout cas propre aussi bien à l'homme qu'aux objets. Dans cette perspective on peut se poser la question du pourquoi séduire ? Du point de vue politique, on dira que pour éviter l'embrasement et l'éclatement, l'État justicier (par l'intermédiaire des différents outils de pouvoir), tente de calmer – en cas de crises par exemple – les inquiétudes, les éclatements des rébellions et des révolutions par les formes de pouvoir : la séduction et les promesses.

L'imprévu et l'inédit (comme l'une des formes d'un pouvoir qui étend des domaines de possibilités), ont pour finalité l'organisation de la vie politique. Ils mettent en évidence le pouvoir des idées manipulatrices et éducatives. Ce n'est rien d'autre qu'une démarche – qui est au fond – un pouvoir pour la maîtrise du réel : une capacité qu'à la raison humaine à imposer à ce même réel un modèle réfléchi et organisé de vie politique. Dire par exemple avec Kant que la fait de la raison est ce qui caractérise tous caractères humain, revient enfin de compte à admettre la possibilité qu'à cette même raison à manifester un pouvoir concret. Car "fait de la raison", c'est aussi la manière, le caractère propre à la visée humaine, qui interroge en direction des choses qui lui sont propres. L'homme disait Heidegger est un mons-tre : capable de séduire et de porter les mots aux choses.

La séduction est une exigence qu'on peut d'abord se tracer lorsqu'on a écouté nos auditoires présumés. Ceux-ci exigent en général que leur dirigeants soient valides et aptes : qu'ils doivent faire preuve de leurs compétences, de leurs suprématies à être des experts du développement économique et social de la nation. En plus, de cette exigence une autre s'impose celle de la capacité de savoir mesurer le bonheur du peuple. Cela signifie en terme économique que les dirigeants doivent être des experts de l'accroissement de la richesse nationale pour penser l'élévation des revenus de chacun. Autrement dit, les dirigents doivent avoir l'exigence de prendre le peuple pour sacré. Ainsi et pour que les dirigeants soient crédibles aux yeux du peuple, ils doivent donner les indications les plus fiables pour mesurer son bonheur. En cas d'une impossibilité que le pouvoir peut avoir à réaliser cette tâche, celui-ci ne fait que promettre par l'emploi du langage de la séduction et de la fascination.

Il existe un autre pouvoir de séduction qui marque plus le poids de la métaphysique spéciale. Ce pouvoir est celui d'énoncer l'imprévu et de pratiquer l'inédit. Du point de vue métaphysique, comme Marx l'a laissé entendre, ce qui est spécifique dans le champs des sciences humaines et qui ne l'est pas dans celui des sciences exactes, est que dans les première les imprévues ne cessent de multiplier les imprévus.

Cette ouverture sur le réel, sur le peuple sur le déjà-là, bref sur ce que pensent et font les hommes dans la société nous ramène à une autre conception du lien entre la métaphysique spéciale et la politique. Ce lien marque la continuité avec toutes les composantes de l'homme, qui se résument sous la notion de PERSONNALITE. Cette dernière – comme Paul Fraïsse le laisse entendre – est, insaisissable, incommensurable. Elle est un champs d'investigation qui reste encore à explorer.

Que faut-il donc retenir de cette longue digression philosophique du point de vue éducatif et didactique ? Il y a à vrai dire deux critiques fondamentales que les deux courants de pensée (idéalisme et matérialisme) qui ont marqué la pensée occidentale se renvoient mutuellement.

Pour ce qui est de la philosophie du corps, sa critique est dirigée à l'encontre de la philosophie qui fait l'éloge du retour au passé de la science, au retour à ceux qui ont crée la science : les savants en tant que sujets pensant. Pour ce qui est par exemple de la philosophie existentialiste (Heidegger), et l'épistémologie constructiviste (P. Langevin), ce retour n'est rien d'autre qu'un temps perdu. Pour mieux mettre en oeuvre l'intérêt du langage ordinaire, l'intérêt des choses du monde de l'apparence, nous avons pensé à développer l'argumentation de Martin Heidegger tout en la liant au problème de la transposition didactique de la méthodologie expérimentale entre ouverture et achèvement, entre pensée et contre pensée.

Pour Heidegger, l'ouverture sur les choses-ci, est une technique propre à l'action humaine. En fait, pour lui, il n'y a pas d'être dans les manières de voir, dans les essences ; mais il y a par contre du sens incommensurable dans l'être des choses-ci. Dès le premier chapitre intitulé : “ Interrogation philosophique et interrogation scientifique ”, Heidegger dans Qu'est-ce qu'une chose ? pense en tout cas que les choses doivent servir lorsqu'ils sont tout à fait disponibles. Cette disponibilité, du point de vue didactique est fort importante, car elle légitime le procédé de nos auteurs didacticiens et savants, qui pensent que lors de l'expérimentation rien ne doit rester sous silence. Si l'on en croît ces propos, on peut donc chercher à faire des expériences pour-voir, des essais d'interprétations voire des observations directes, indirectes, organisées, systématiques et fortuites. Cette disponibilité en réalité, nous fait découvrir le sens des choses ainsi que celui de l'homme. Vieille tradition socratique et aristotélicienne qu’est cette manière de questionner en direction de la chose, cette manière de personnifier les choses via la prosopopée. Dans ce sens, l'ouverture repose sur l'utilité. Chaque chose a raison d'être, car c'est pour l'homme seul que les choses ont un sens. L'homme les interpelle. Il ne les considère pas comme des simples cristaux. Il les modifie, il les sacralise et il les rematérialise. Cela étant donc une possibilité qui puise son fondement dans la rencontre de l'homme avec les choses, une rencontre qui fait l'objet du principe de l'ouverture aux choses que l'homme considère achevée. L’homme considère celles-ci comme étant animées d'un sens immanent qui les transcende pour se donner enfin à la perception. La chose peut à vrai dire tourner et dire à l'homme : “ Viens apprends de moi ce que c'est que s'épanouir ”. A en croire ce cri et cet appel proprement nietzschéen, la nature peut donc nous donner des modèles de vie.

Dans cette perspective heideggerienne de l'ouverture aux choses, quelques questions s'imposent. Elles sont en parfait accord avec les principes fondamentaux de la méthodologie expérimentale tel que Claude Bernard l'avait voulu. On sait en effet que pour Claude Bernard les faits sont pensés en relation avec les principes de la pérennité et de la certitude ; les faits sont immuables, disait-il. Ainsi et puisqu'ils durent, il faut alors les connaître en les questionnant d'une manière progressive, organisée empiriquement et scientifiquement. La légitimité de cette action repose sur le principe de la connaissance, un principe qui pense que la connaissance du Tout est seule apte à nous faire accéder au sens authentique des choses qui environnement l'espace dans lequel elles se meuvent. Cela est l'une des raisons pour laquelle la référence et le rapprochement avec Heidegger est nécessaire pour éclairer la problématique de la méthodologie expérimentale entre ouverture et achèvement ainsi que celle du langage ordinaire entre pensée et contre pensée.

Ce rapprochement est légitimé par trois principes que partagent Claude Bernard et Martin Heidegger. Les principes dont il est question ici sont : le principe de la raison, le principe du sentiment, et le principe de l'expérience. Ces trois principes sont largement cités et commentés par Claude Bernard, mais ils sont simplement mentionnés par Heidegger d'une manière implicite sous un effort philosophique à caractère de clarté discursive. C'est ainsi que Heidegger laisse penser tout en définissant le sens de l'être que : ‘“ L'être réside dans l'existence, l'être réside dans la substance, l'être réside dans L'IL y a, en quel étant pourrait-on lire le sens de l'être (...) l'être là, relativement à son être’  ”. A “ l'il y a ”, est lié le principe du sentiment historique qui peut – si l'on en croît Heidegger – devenir historial tout en ouvrant une histoire et tout en la fondant ; quant à l'existence est lié le principe de la raison humaine. En effet, les hommes pensent leur histoire, leur devenir aussi bien que leur passé. Quant à la substance à laquelle est lié le principe de l'expérience, en elle on découvre la rematérialisation, la modification des corps et la distinction des matières inertes et des matières vivantes. Ces trois principes qui sont mutuellement partagés par les deux hommes, sont les principes fondamentaux qui ont donné (à l'origine) naissance à la méthodologie expérimentale tel que la définissait Claude Bernard. Cette définition éclate d'un passage où ce dernier souligne : ‘“ La méthode expérimentale s'appuie successivement sur les trois branches de ce tripied immuable : le sentiment, la raison et l'expérience. Dans la recherche de la vérité au moyen de cette méthode le sentiment a toujours l'initiative, il engendre l'idée a priori : c'est l'intuition ; la raison ou le raisonnement développe ensuite l'idée et déduit ses conséquences logiques. Mais si le sentiment doit être éclairé par les lumières de la raison, la raison à son tour doit être guidée par l'expérience’   616 .

Dire que “ la raison doit être guidée par l'expérience ”, est soi un principe immuable qui résume le principe de la relation de connexion nécessaire et réciproque entre le principe de la raison et celui du sentiment. Elle est un principe immuable puisqu'elle ouvre la voie à la prise en compte de la profondeur et de l'incommensurabilité des choses du Monde, au sujet duquel Maurice Merleau-Ponty dira que nous participons tous à son unité sans le diviser. On ne sait pas vraiment si Martin Heidegger a lu Claude Bernard. Par contre on peut faire une hypothèse semblable lorsqu'on se rend compte que ce philosophe comme le savant (Bernard) se réfèrent aux faits et aux choses aux quels ils ne manquent pas d'importance. En les lisant sur ce point précis, pour eux le fait de tourner le dos et de se désintéresser des choses apparentes, est en soi un acte qui biaise le sens authentique des choses-ci. Car parfois – sinon dans la plupart des cas –, on ne se rend pas compte que l'art peut résider là où l'on a tendance à ignorer son dévoilement à travers les choses factices. On doit rappeler que la thèse de Heidegger est claire. Elle repose sur l'opposition à l'histoire subjective des sujets objectifs. Elle est une thèse qui fait l'éloge d'une esthétique sans le sujet pensant. De ce fait, le lien avec la relation pédagogique et didactique est claire. Cette relation repose sur le fait de concevoir le retour au passé des sujets-apprenant, comme étant une perte de temps. Ainsi toute action pédagogique ou didactique ne doit pas être pensée en terme d'historicité, mais en terme d'historialité. On doit penser à l'avenir du savoir de l'élève, et non pas à ses expériences passées qui étaient une sorte de frisson de sens : une sorte de fiction, un pseudo-savoir scientifique amoncelé dans les pratiques du monde du ouï-dire et du sens commun. Si l'artiste véritable (comme le suggère Heidegger) doit s'effacer devant son oeuvre d'art, alors il n'empêche que cette même action possède son sens et son poids en pédagogie et en didactique. A titre d'exemple – comme on peut le constater avec les textes de nos auteurs – l'artiste-pédagogue ou didacticien doit aussi bien s'effacer que de ne pas s'effacer devant ses apprenants. Cela étant donc une action du : "ou bien ... ou bien". Cette même action a en effet laissé Kant définir l'Éducation comme étant par essence une problématique. Mais dans le domaine de la didactique et de la pédagogie, l'intervention est contre toute attente. Le didacticien doit intervenir pour une taxonomisation des savoirs et des connaissances pour une légitimation de ce qui est apte à être enseigné, et de ce qui ne l'est pas. Il en va de même pour le pédagogue qui doit lui aussi, intervenir pour préparer, pour motiver à la formation et à l'éducation permanente, et ce pour créer chez les auditoires présumés des situations motivantes pour aimer la lecture et l'écriture. On peut ressentir ces considérations dans le souci commun aux textes que nous avons présenté pour l'étude de la méthodologie expérimentale devenue comme une méthodologie de la recherche. L'altération lors du passage de la première formulation à la seconde n'est pas finalement admise ici car lorsqu'il s'agit de l'extension du pouvoir cognitif, toutes les techniques et tous les moyens sont dans le domaine des sciences de l'éducation fortement admis. Cela étant d'ailleurs notre tâche à travers l'étude du schéma expérimental, dont parlent les textes scientifiques, les textes de transposition didactique, et ceux de la vulgarisation de la transposition didactique et de la vulgarisation de la vulgarisation. La difficulté de distinguer les textes, était pour nous une lacune pour la définition du concept de la transposition didactique dont on s'aperçoit maintenant qu'il est un concept dont on a du mal à discerner le commencement et la fin de sa signification. Comme nous l'avons déjà souligné en introduction, ce concept est un concept peu précis, polysémique tel que le concept du projet. Cette même difficulté Heidegger lui-même en a été si conscient. C'est ainsi qu'il a souligné : ‘Enseigner est, en effet, encore plus difficile qu'apprendre ; on le sait bien, mais on y réfléchit rarement’  ”. Réfléchir à la transposition didactique et à l'enseignement est donc une tâche, un souci que la pensée du XXème Siècle devrait avoir devant elle à tous moments. En réalité, ce propos de Heidegger laisse entendre que le processus de la transposition didactique dont nous avons présenté les définitions, est en soi plus difficile que l'acte d'enseigner. Car il est un concept dont le sens – comme nous venons de le souligner – est polysémique. Si l'on en croît en effet les procédés de Claude Bernard et de Heidegger, alors on doit admettre que l'expérience n'est pas provoquée, mais elle est invoquée. Il faut savoir – comme les deux hommes le laissent entendre – vieillir dans la pratique expérimentale, soit en se jetant à travers champs, soit en s'accommodant avec les objets, pour mettre en forme par le biais du travail de la main (un travail qui manipule aussi bien les cristaux que les métaux), des expériences pour voir. C'est dans cette même perspective que le sens de la transposition didactique est proche de celui de la pédagogie, car ce travail d'accommodation des objets techniques à des situations d'apprentissages ouvre la voie non seulement à l'assimilation des fonctions des outils, mais aussi à la progressions dans la connaissance des buts pour lesquels un objet technique a été découvert et mis en forme. Autrement dit, l'ouverture sur les choses par le biais de l'être de la main, annonce une situation où l'apprenant qui use de ces mêmes objets est déjà au travail pour marquer le progrès et la progression.

Malgré cela, on peut quand même relever une différence quant au sens qu'attribuent Claude Bernard et Heidegger à l'observation comme étant la première étape méthodologique dans l'ouverture sur le langage ordinaire. Pour le premier, on peut dire qu'elle est objectivée, alors que pour le second, on peut dire qu'elle est simplement objective.

Pour s'opposer à l'auto-observation-spéculative, Heidegger donne un exemple qui illustre une situation. Cet exemple surgit de l'une de ses citations où il souligne : ‘“ Ainsi l'on raconte que Thalès serait tombé dans un puits, tandis qu'il s'était absorbé dans l'observation de la voûte céleste. Là-dessus une petite servante thrace, malicieuse et mignonne, l'aurait raillé de mettre tant de passion à gagner la connaissance des choses du réel, alors que lui demeuraient caché les choses qu'il avait sous son nez et à ses pieds’  ”. Heidegger – ajoute à propos de cette citation reprise par Platon –, que ce dernier disait : ‘“ Mais cette raillerie s'applique à tous ceux qui se mêlent de philosophie’  ”. Cela signifie au fond, que l'acte de penser n'est plus un principe qui doit surgir de l'esprit spéculatif, mais un principe qui doit émerger du réel auquel il est voué de s'appliquer. Il en va de même pour le processus de la transposition didactique qui est une action qui s'astreint non pas à penser l'enseignement, mais à le faire, à le créer et à le mettre en forme par pour accomplir ce que nous venons de nommer : l'extension du pouvoir cognitif.

Pourquoi donc toute cette digression philosophique ? La réponse peut en tout cas surgir de l'observation organisée des différents textes dont nous avons jusqu’alors étudié la transposition didactique. En effet, ces textes ont tous (et sans exception) un lieu commun : la facticité des faits dans son origine psychologique, sociologique et éducative. L'accord préalable porte donc sur la possibilité d'une maîtrise des faits réels, desquels surgit l'extension du pouvoir cognitif. Le fait d'interpréter cela ainsi, est une occasion pour nous de rappeler la légitimité pratique du principe philosophique qui est la relation de la connexion nécessaire réciproque à l'égard des faits, qui, eux sont animés par une relation de liaison logique reconnue en eux, une relation qu'on peut extraire pour comprendre la manière dont laquelle la connaissance évolue. Du point de vue de la transposition didactique, cela traduit la didactique de l'immanence dont on a tracé les caractéristiques lors de notre comparaison entre Karl Popper et Thomas Kuhn.

A lire les auteurs qui avancent le sens du langage ordinaire, on s'aperçoit que tout fait, sujet à expression est ordinaire y compris l'expérimentation elle-même. Car même la pensée qui a attrait au psychologisme est devenue – comme Gassendi l'avait déjà affirmé contre Descartes – une chose pensante. Ainsi, l'ouverture sur cette chose pensante, achevée aussi bien dans l'action que dans l'apparence, est d'un intérêt pédagogique. Cet intérêt laisse la voie ouverte aux altérations, aux simplifications et aux différentes formulations et reformulations en vu de transmettre et de transposer pour former et informer. Cette ouverture sur ce que l'on vient d'appeler : le langage ordinaire, qui, lui, est polysémique, est en elle-même soi une technique dont le but est de faire agir, faire parler et de comparer dans la fiction, le sens et le frisson du sens. D'ailleurs, on doit rappeler qu'Austin préfère parler de technique au lieu de parler – comme Gaston Bachelard – de méthode. On doit quant à cette distinction terminologique faire quelques remarques.

Lorsqu'on parle de technique, cela signifie une intervention directe ou indirecte de la part de notre raison, pour apprécier, questionner en direction de la chose. Cette intervention massive de la raison est une occasion non seulement pour distinguer le vrai et le faux, l'apparence et l'apparaître mais aussi un moyen et une fin à la fois. Car l'esprit qui est une lumière peut éclairer les choses tout en les utilisant pour manifester ses idées les plus hautes. Du point de vue de la transposition didactique, on dira que le savoir vrai s'impose dans le déjà-là après une fois que le sujet- apprenant ait maîtrisé les techniques de sa programmation. Ces techniques sont successibles de s'appliquer dans le réel, dans le milieu éducatif qui est un milieu d'exception puisqu'il se distingue des autres milieux, par la mise en forme de programmes et d'objectifs implicites ou explicites à atteindre.

De l'ouverture on glisse à l'achèvement : achèvement du concept qui impose l'explication aussi bien que la signification. De ce fait, bien que le langage ordinaire nous ne paraisse pas si banal que l'on puisse l'imaginer, il n'empêche que dans l'activité didactique, son importance est relative. Bien que le langage ordinaire puisse représenter cette expérience intime vécue par ce que l'on pourrait appeler : les générations-expérience, c’est-à-dire une intimité à la fois subjective et objective (qui se transmet de générations en générations et à laquelle aspire le travail de l'unique), il n'empêche que cet effort d'explication propre aussi à la psychologie expérimentale, est en soi une contre pensée. Car d'une part, il nous impose un temps de la recherche des modèles cognitifs dans le passé et d'autre part, il nous oblige à apprendre et en vitesse ces contenus, puisque la vie nous impose d'apprendre vite et parfois même d'apprendre sans comprendre. Mais l'enseignement définit en terme de donation du temps est légitime, car même pour se souvenir, la nécessité d'un apprentissage de la mémoire et de son enseignement, restent nécessaire et utile pour comprendre le sens de l'attitude critique des apprenants à l'égard de leurs propres expériences et de leur histoire en général. Cet enseignement ne peut se réaliser qu'à partir d'un apprentissage de la signification au lieu de celui de l'explication, car l'explication échoue là où l'on se heurte à des conduites et à des comportements irrationnels. Nietzsche avait déjà incité à cette attitude critique de l'homme face à son histoire, une attitude qu'il a nommé : l'attitude critique. Cette dernière écarte la possibilité de voir naître un temps où les morts se précipiteront à enterrer les vivants. Du point de vue de l'enseignement, cela est significatif pour la programmation des connaissances et des savoirs. Car on ne peut pas toujours dire ce que l'on veut comme on le veut, on ne peut pas aussi enseigner tout à notre guise. Il y a des relations pédagogiques et didactiques qui dans leur pluralité traduisent la difficulté de l'acte d'enseigner et de transmettre. Cette difficulté imposée au sens d'une proposition ou d'une méthode se laisse sentir dans le domaine des sciences humaines, à partir du sens de l'expérimentation, un sens qui, (comme on vient de le constater à travers le schéma expérimental) est incompréhensible. Que faire donc pour chercher le sens de la signification lors de toute transposition didactique ?

La réponse à cette question est du côté du sens de l'objectivité comme étant une valeur sûre dans toute pratique scientifique. Qu'en est-il donc de son sens ?

L'objectivité en sciences humaines peut être aussi bien l'être apparent de la personne que son état d'apparition : sa personnalité. A nous maintenir à la relation de connexion réciproque qui existe entre l'esprit – comme étant une lumière comme disait Descartes – et les choses apparentes de l'apparaître, on peut donc légitimer l'ouverture achevée aussi bien sur les processus que sur les états de la connaissance. Aux premiers est liée la notion psychologique de la personnalité, quant aux seconds est liée celle du personnage : son agir dans l’immédiateté. Lorsqu'on se pose la question : L'objectivité est-elle une valeur sûre ? on veut simplement mettre l'accent sur le problème de la transposition didactique en tant que concept en relation intime avec le problème de la connaissance. A vrai dire, il y a pour l'esprit pensant trois moments qui incarnent trois états de l'acte du connaître:

  1. la présence de soi de l'esprit qui est en relation de méditation interne. (Effet d'authenticité et d'aliénation).
  2. la présence de soi de l'esprit dans sa relation avec le pour-autre-chose. (Effet de la découverte incarnant la relation d'attention, d'empathie et d'altérité radicale).
  3. le retour à soi de l'esprit, en soi, pour soi et par autre chose. (effet de perte et de retrouvaille : relation d'attention positive et ou négative conditionnelle ou inconditionnelle).

Ces trois moments qui constituent les composantes des processus et des états de la connaissance, traduisent le sens de l'objectivité en tant que totalité d'un ensemble de parties. C'est pour cette même raison, que les auteurs qui ont pensé la méthode expérimentale en terme d'ouverture achevée, ont été confronté à des définitions parfois contradictoires des différentes étapes de la méthode. Cette contradiction en réalité n'est qu'apparente, car l'exception de cette méthodologie dans les sciences humaines et a fortiori dans les sciences pédagogiques laisse apparaître des antinomies latentes. Dans le domaine de la transposition didactique, (comme on vient de le voir avec l'accord préalable qui s'opère entre la didactique de l'immanence et celle de la transcendance), est un accord portant sur le recours à la tradition. L'important est de penser le retour à l'histoire, à la tradition et au passé à la fois de ceux qui savent et de ceux qui ne savent pas encore pour penser l'amour de la destinée (Amor Fati), disait Nietzsche. Mais ce n'est pas n'importe quelle destinée qu’il faut chercher à penser, car en réalité si l'homme existe c'est par ce qu'il possède une fin, non pas une qui est limité, mais une autre finalité ouverte à des posibilités d’avenir : un avenir possible. Puisqu'il est question dans notre thèse des problèmes de la transposition et de la transmission des savoirs et des connaissances, on dira alors que l'homme est le seul "animal politique" qui est susceptible d'apprendre à gouverner, d'apprendre à évoluer aussi bien dans le dressage que dans la sélection. C'est pour cette même raison qu'on a déjà mentionné en introduction avec SchomsKy que l'homme est programmé pour apprendre.

Le sens de l'objectivité en éducation et en transposition didactique est de penser l'éducabilité de l'intelligence des sujets qui, elle, présuppose deux choses. D'une part, la prise en considération de ce qui s'opère dans les esprits (la tête) des sujets, et d'autre part, les manières de les aider à la réalisation d'un avenir possible, à la destinée de la connaissance humaine pour accomplir l'extension du pouvoir physique et cognitif. Avant de traiter du sens de l'objectivité et de la sûreté de sa valeur en didactique, on doit d'abord discuter de son sens le plus général tout en proposant dans un premier temps de répondre à notre question : l'objectivité est-elle une valeur sûre ? et d'appliquer ensuite ce sens au domaine de la didactique et de la pédagogie.

La question : l'objectivité est-elle une valeur sûre ? incarne le problème épistémologique de la sûreté de la valeur de l'objectivité. Cette sûreté traduit une attitude du chercheur à la quête de la vérité. Comme on peut d'emblée le constater au mot : objectivité comprend le terme : objet. Ainsi, on peut se demander : qu'est-ce qu'un objet ? Qu'est-ce qu'un fait ? Est-ce que c'est celui qui émerge de l'apparaître (la manière d'être) ? Ou au contraire, il est celui qui réside dans l'apparence ? A ces questions, on doit chercher le sens de la valeur de deux actions différentes. Celle du retour au passé de la science, à sa tradition, à l'esprit scientifique, à ce qui se passe réellement dans la tête des savants-sujets-pensant lorsqu'ils mettent en forme des découvertes scientifiques ; et celle qui au contraire pense ce retour comme étant du temps perdu. Elle se satisfait d'une connaissance sans le retour aux sujets pensant. Elle étudie le fait scientifique en lui-même, comme étant un fait objectif. Chacune de ces deux attitudes, présente des arguments convainquants pour accéder en toute sûreté à la vraie connaissance scientifique par excellence. A la première, on peut appliquer la formule de : penser avec le sujet pensant. Celle-ci considère le sujet comme étant une chose pensante. Quant à la seconde (celle du penser sans le sujet pensant), elle considère les objets apparents (comportements, gestes, manières d'être...etc) comme réalité soumise à l'examen et à l'étude pour s'assurer de la vérité d'une chose.

D'une manière générale, l'objectivité est définie en terme de relation de connexion nécessaire, et d'ouverture à l'égard des faits (qu'ils soient psychologiques ou logiques). Elle les considère comme des déjà-là : factices et révélateurs du sens. L'objectivité repose en réalité dans les sciences de la nature sur l'étude des faits pour eux-mêmes. Elle s'oppose par là même à l'idée de la subjectivité, idée chère aux sciences humaines. Elle s'oppose au retour aux intentions des sujets. Dire que l'on doit étudier d'une manière objective un tel fait, signifie au fond, qu'on doit nous tracer une relation particulière à son égard, une relation qui n’est rien d’autre que celle de l'effacement de nos intentions subjectives vis-à-vis de lui. Par conséquent, l'objectivité en tant que principe méthodique, incite à une relation d'ouverture sur les faits, tout en mettant à l'écart aussi bien les manières dont ils se présentent à nous, que nos propres états d'âmes, acquis soit par le biais de l'habitude, soit par l'éducation ou encore par la croyance. En tout cas, l'objectivité est une méthode qu'on recommande souvent dans le domaine des sciences humaines, et ce pour marquer la nécessité de distinguer les principes de l'apparence de ceux de la réalité, ceux des intentions de ceux des attentes, ceux des états de ceux des processus.

Dans le domaine de l'homme, la définition d'un fait se heurte à une difficulté qui traduit celle du sens de l'objectivité. En effet, on peut objecter contre ceux qui se donnent le temps de la définir en terme de relation de connexion nécessaire à l'égard de ce que l'on rencontre d'une manière fortuite et ordinaire. Les véritables (faits dans le domaine des sciences humaines) ne se donnent pas d'une manière fortuite et immédiate. Les vrais faits sont ceux qui sont cachés, latents, et inconnus. Par là, l'objectivité peut avoir un sens plus proche de la valeur subjective que renferme une conduite, un comportement dans sa relation avec ce que l'on peut appeler : la chronothèse du sens, car comme le disait Emile DurKheim, “ Il n'y a d'une science que du caché ”. Si l'objectivité a pour mission de mettre en valeur les principes de la réalité des faits, alors on peut se demander : qu'est-ce qu'un fait ? La réponse à cette question présuppose avoir connu une hiérarchisation dans l'ordre des faits, une taxonomisation de ceux-ci. C'est à partir de là que le principe de la sûreté peut se poser, car ce qui est un fait pour certains à travers le temps et l'espace, par ailleurs ne l'est pas pour d'autres.

En toute état de cause, on peut tracer deux points de vue épistémologiques qui s'affrontent autour de la sûreté de la valeur de l'objectivité.

L’un, est celui qui donne un sens à l'objectivité, proche de ce que l'on peut appeler : Le subjectivisme absolu. Pour ce dernier, on ne peut en aucun cas ignorer le primat du sujet sur ce qu'il met en oeuvre et en forme. De ce fait, les faits ne sont plus considérés comme objectifs, mais objectivés. Ainsi l'objectivité a donc un sens proche de l'objectivation : de la manière de construire les savoirs et les connaissances pour ensuite les mettre en valeur et en forme. Tandis que l'autre point de vue, pense au contraire la sûreté en faveur de l'effacement aussi bien de nos attentions a priori, que de celles qui animent les sujets pensant. Au premier est liée ce qu'on a appeler : la psychologie de la recherche, une méthode qui pense la sûreté de la recherche en relation avec ce qui se passe dans la tête des sujets. Ces mêmes manières d'êtres et de voir sont en elles-mêmes des valeurs à la fois objectives et objectivées. Elles sont des manières dont on doit tenir compte pour comprendre les obstacles et les seuils épistémologiques qui peuvent expliquer l'état de la progression ou la régression d'une valeur scientifique ou d'un acte du connaître. Au second, est lié ce qu'on a appeler : la logique de la découverte, une méthode qui nous incite à l'étude de la valeur des faits qui s'imposent à nous en tant qu'objet d'impression. Ce point de vue pense, le retour au passé et à la mémoire des sujets pensant comme étant du temps perdu, puisqu'ils sont le reflet des principes de l'intention qui n'incarnent pas ceux de la réalité. Ce point de vue ne prend pas en compte les principes des liaisons logiques qui sont tacites, que l'on devrait reconnaître dans les choses apparentes. Au lieu de procéder ainsi, la méthodologie de la psychologie de la recherche nous renvoie à des interprétations subjectives latentes, dont on ne sait pas toujours la cause nouménale, subjective et a priori, car la causalité subjective met en forme des effets dans le monde sensible, et renvoie à l’immédiateté : on peut simplement en formuler des hypothèses. Par exemple, on peut dire qu’une conduite quelconque est de l'ordre du rêve, l'autre de l'ordre de l'habitude, quelques unes de l'ordre de la conviction, d'autres au contraire de l'ordre du militantisme etc. En tout cas (comme Kant l'avait déjà laissé entendre), on ne saura jamais la manière dont laquelle la causalité produit ses effets. Cela est une chose que l'on ne saura jamais. A nous maintenir à notre paraphrase de Kant, on peut donc penser que l'objectivité selon ses sens que nous venons d’annoncer est un moyen pour marquer la sûreté du sens d'un fait qui, lui, est immanent.

Dire que l'objectivité est une valeur sûre, cela présuppose des conditions. On doit d’abord, pour détérminer son sens, limiter le champs de son investigation ainsi que les techniques, les outils dont elle use pour accéder à un type de vérité qu'elle considère comme sûre. Pour ce faire, on propose de discuter d'abord de l'objectivité dans le domaine des sciences exactes tout en nous maintenant à la question de la prédiction : au travail du savant qui se trace (dans sa quête de la vérité scientifique), la méthode de l'objectivité avec ses différents niveaux : l'induction et la déduction. Ensuite, on suggère de garder présent à l'esprit et à la réflexion ces mêmes principes logiques pour traiter du rôle de l'objectivité dans le domaine des sciences humaines tout en comparant la sûreté de l'objectivité en tant que méthode pratique dans le domaine des sciences de la nature et dans celui des sciences humaines. Pour parvenir à cette comparaison deux logiques distinctes de recherche : la logique de la découverte scientifique et celle de la psychologie de sa recherche doivent être rappelées à l’analyse et à la réflexion.

Pour transposer cela à l'éducation, on propose de traiter du sens de l'objectivité dans le domaine des sciences de l'éducation, discipline reconnue comme domaine de recherche autonome, où la recherche de l'objectivité connaît actuellement un retour en force. En ce domaine, le débat quant au statut et au rôle que la méthode de l’objectivité peut jouer, ne sont pas encore déterminés. Ce domaine qui est récent, est parfois du point de vue philosophique, largement contesté.

Nous allons nous restreindre à deux conceptions scientifiques et épistémologiques que nous avons déjà évoquées. Celles-ci s'affrontent autour de la sûreté de la valeur de l'objectivité. Ces conceptions sont celle de Karl Popper et celle de Thomas Kuhn. La première tente de valider l'objectivité dans le domaine des sciences de la nature, des sciences dites "exactes" ; la seconde, tente de la légitimer dans le champs des sciences humaines, des sciences décrites "de molles". Dans l'optique de la première, l'objectivité est définie en terme de logique de la découverte scientifique, tandis que dans celle de la seconde, elle est définie comme une psychologie de la recherche scientifique. Malgré leur opposition, le point commun qui les réuni est celui de l'extension du pouvoir cognitif. La valeur objective sûre pour la compréhension des faits est de penser d'abord l'extension du pouvoir de connaître comme principe en relation avec d'autres principes qui constituent la sûreté de la valeur de l'objectivité. Parmi ceux-ci on doit d'abord penser que :

  • L'acquisition du savoir scientifique doit être pensé en terme de processus dynamique qui surgit de la valeur objective des faits, aussi bien naturels sensibles que humains. On doit admettre l’épanouissement de l’homme de même qu'une plante par exemple fleurie sous les effets du milieu naturel et météorologique, de même qu'une intelligence est susceptible d'être éduquée suite à la création de situations motivantes aussi bien intrinsèques qu'extrinsèques.
  • L'intérêt et la valeur d'une recherche ne doivent pas porter sur la simple structure logique des produits de la recherche scientifique. L'objectivité en tant que valeur sûre, doit sans cesse intervenir dans les faits. Car dans la pratique, plus on sait plus on désire savoir et que dans la plus part des cas, tout est objet de construction, de formulation et de reformulation. Tel est le principe de la formation permanente en tant que valeur objective sûre pour le discernement du sens d'une proposition.
  • L'esprit qui doit animer la vie scientifique est une valeur objective sûre et demeure légitime pour la compréhension de la genèse des connaissances scientifiques. Cet esprit n'est scientifique que lorsqu'il considère les faits comme données légitimes.

Toutes ces considérations convergent sur un fait bien précis. Celui-ci nous force à admettre que la valeur objective qui nous met en sûreté des fausses intentions (que la science dite exacte peut remplir), est celle qui ne progresse pas par de simples accélérations, par de simples juxtapositions matérielles, mais au contraires elle est celle qui progresse par des juxtapositions d'idées. L'important serait donc de s'ouvrir sur la valeur objective que porte l'idée pratique en elle-même. Car c'est à travers cette manière que l'on saura ce qui est science de ce qui ne l'est pas. Pour penser le concept de l'humanisation de la connaissance scientifique, le retour au passé de ceux qui ont mis en forme la science, n'est pas toujours du temps perdu, mais un enseignement d'ordre pédagogique. Cet enseignement est une occasion pour être sûr des manières dont lesquelles une science à un moment donné à connu de l'apogée ou du déclin. En effet, dire que la science dans son histoire s'est toujours construite par des essais et par des erreurs est un fait objectif dont on ne peut pas douter. Car l'histoire des sciences nous enseigne aussi bien les états que les processus révolutionnaires par lesquels une théorie ancienne fut rejetée ou remplacée par une nouvelle avec laquelle elle était incompatible, suite à son usure.

L'objectif commun pour les deux épistémologies est aussi la prise en considération de la fausseté et de l'échec d'une théorie ancienne, incapable de répondre à des défis que lui pose la logique, l'expérience et l'observation. Pour mieux comprendre, cette incapacité, l'important serait l'examen critique du poids et de la valeur de la tradition. La question qui reste posée est de savoir de quel côté faut-il comprendre et chercher le sens de la sûreté de la valeur de la recherche scientifique ? Est-ce du côté de la psychologie de la recherche : du côté de la didactique de la transcendance ? ou au contraire du côté de la logique de la découverte : de la didactique de l'immanence ? A la première (logique de la découverte) est lié le concept de la vulgarisation scientifique, quant à la seconde (psychologie de la recherche) est lié celui de la transposition didactique et pédagogique. La sûreté de la valeur objective réside, pour la première, dans l'attachement au déjà-là : à l'apparence, qu'elle considère comme réalité ; quant à la seconde, elle considère cette même valeur en relation avec le phénomène de l'apparaître-réalité, un phénomène qu'elle considère comme étant un toujours-déjà. Dans l'optique de la première, la connaissance est considérée comme un état, comme une valeur qui s'impose dans l'immédiat, car elle vise la spontanéité des idées qui permettent au sujet d'agir suivant sa disposition morale fondamentale ; alors que pour la seconde, elle considère la sûreté de la valeur objective, en relation avec l’explication et l’analyse des processus cognitifs complexes. La vraie connaissance scientifique pour elle, n'est pas une chose parmi les choses, n'est pas un simple fait ordinaire, mais au contraire, un processus de relations combinées qu'il faut comprendre et analyser. Elle considère que rien ne va de soi, rien n'est donné, tout est au contraire construit.

De ce fait, pour la logique de la découverte scientifique, la connaissance objective des choses est en soi une valeur objective qui est sûre pour nous placer loin des interprétations ressemblantes qui risqueraient de nous éloigner du vrai sens des choses. Pour cette logique, le vrai sens n'est pas celui qui émerge des interprétations subjectives, des intentions intellectuelles des individus, il est celui dont témoignent les choses qui renferment des relations conventionnelles s'imposant à l'esprit. L'important pour cette logique n'est pas ce qui est ressemblant, polysémique émanant de simples liaisons logiques reconnues dans les chose, mais ce qui l'intéresse est au contraire ce qui apparaît comme clair-précis et monosémique : qui ne supporte acune interprétation.

Pour la sûreté de la valeur objective des faits, on doit penser deux aspects de l'acte du connaître. Le premier est celui de la facticité des faits. Il montre fort bien que toute chose palpite du sens, de la connaissance et du savoir. Quant au second acte, il est celui du motif, du degré de l'implication d'un savant ou d'un chercheur dans une direction particulière de travail. De ce fait, l'ouverture a un sens proche d'une action qui recherche l'achèvement du concept opéré dans l'esprit du sujet pensant. Cela nous renvoie à considérer la science (comme le pense L. Althusser) une activité encrée dans l'idéologie. Si la science se crée en effet à travers des besoins et des nécessités, alors il en va de même dans le domaine des sciences humaines où une conduite un comportement ne sont jamais détachés d'un oeil qui les détermine, qui les met en forme. De ce fait, la valeur objective d'un fait puise son fondement et son sens dans le principe de l'ouverture inachevée sur le toujours-déjà qui possède des effets dans le déjà-là. L'ouverture devient en conséquence une attention positive attachée aussi bien aux états des connaissances scientifiques qu'à leurs processus.

La teneur épistémologique de la valeur objective de la logique de la découverte scientifique nous a aidée à nous constituer un sens précis concernant la sûreté de l'objectivité dans le domaine des sciences exactes. Quant à la valeur objective de la psychologie de la recherche, elle nous a montrée que dans le champs des sciences humaines, les faits ne sont pas des choses parmi les choses, mais des processus complexes qui échappent à la méthodologie expérimentale à laquelle la précédante approche nous a incitée.

Dans le domaine pédagogique, éducatif et didactique la dualité divergente qui a animée les deux logiques se traduit par une autre dualité. Mais la convergence entre les deux, porte sur la possibilité d'apprendre, d'enseigner et d'éduquer. La dualité qui est ici visée s'interroge sur le sens de la transposition didactique entre le paradigme de la signification et celui de l'explication. Dans les textes que nous venons de présenter jusqu'ici, ces paradigmes sont fortement ressentis. Pour plus de clarté, on doit préciser que le texte didactique et pédagogique d'Antoine Léon et de Maurice Reuchlin sont plus du côté du paradigme de l'explication que de celui de la signification. Ces textes tentent de faire avancer et d'aider le chercheur en sciences de l'éducation à s'initier au domaine de la recherche fondamentale, alors que les textes de Fraïsse et de Claude Bernard sont animés par des complexités simplistes d'autant plus qu'ils sont chargés d'efforts aussi bien philosophiques que métaphysiques, qu'il est parfois difficile pour un chercheur initié d'en apprécier la teneur et le raisonnement. En tout cas nous venons de voir cela avec l'expression de G. M. Drazen qui souligné : ‘“ (...) Bref, les principes de Bernard sont des catégories Kantiennes de la connaissance...’  ”. Cette expression livrée aux lecteurs (d'une manière fortuite sans efforts simplistes) biaise le sens de la transposition didactique et de la mise en mouvement des principes expérimentaux de Claude Bernard. Cette unité paradigmatique entre théorie et pratique se manifeste à travers une synthèse du paradigme de la signification et de celui de l'explication, une synthèse qui n'a pas été abandonnée par Claude Bernard. Ce dernier fût d'abord praticien d'une théorie scientifique, à travers laquelle il s'est jeté en amant du hasard et à travers champs. Il a d'abord puisé le domaine de la pratique scientifique tout en s'appuyant sur des théories scientifiques diverses, tout en faisant des découvertes incontestables, qu'il s'est enfin posé le problème de leur explication. Cela signifie que l'acte du connaître est d'abord – comme disait Heidegger – de se mettre au travail. Il en va de même dans le champs de la didactique, là où il faut d'abord que des Écoles éclatent de partout, pour permettre à la motivation de lire et d'écrire : de se propager chez tous les êtres humains pour enfin penser les méthodes didactiques et pédagogiques qui légitimeront le principe de l'éducabilité des intelligences humaines.

Il existe actuellement des points de vue qui pensent que l'extension du pouvoir cognitif ne peut être accompli que sur la base de l'extension des pouvoirs significatifs. Le rêve que formule Michel Tardy de voir naître un jour une science nouvelle nommée : la sémiologie de la scolarité, est un exemple pour marquer une opposition à l'égard des propositions formulées dans le domaine des sciences de l'éducation. Ces propositions sont celles qui cherchent à détruire l'École ou l'Université tout en pensant que l'extension du pouvoir cognitif ne peut avoir lieu que dans une démarche qui propose de céder la place à l'Apprendre, pour détruire l'enseigner. Dans l'optique de ceux qui font l'éloge d'une École à ciel ouvert, d'une École dite parallèle, il faut d'abord chercher à apprendre à faire des choses, tout en s'intéressant aux manières à travers lesquelles le sens est posé. Si pour les premier la recherche du sens de "l'apprendre quoi" est primordiale par rapport à celle de "l'apprendre avec", alors il n'en va pas de même pour les second, qui mettent l'accent sur le choix, sur la bonne compagnie : sur "l'avec qui" ? Ainsi la démarche adéquate pour toute transposition didactique réussie est celle qui s'astreint à donner des réponses aux problèmes qu'incarne la question non seulement de “ l'Apprendre....oui, mais comment ? ”, mais aussi celle de “ l'Apprendre...,quoi..., mais avec qui ? ”. Cette dernière forme d'interrogation synthétise la signification et l'explication des phénomènes observés analysés sur la base d'une activité scientifique déployée par des hommes ainsi que par leurs consciences. Celles-ci ont donné naissance (avec Claude Bernard qui fût un homme d'exception) à la pédagogie expérimentale devenue une science nouvelle parmi d'autres. A son sujet M. Tardy souligne tout en se référant à Claude Bernard : ‘ Ainsi la pédagogie expérimentale cherche à expliquer les phénomènes observés : elle raisonne, elle compare les faits, elle les interroge, elle les contrôle les uns par les autres, elle soumet méthodologiquement ses idées à l'expérience des faits. Bref elle se place désormais sous le patronage de Claude Bernard. Il est symptomatique que le livre d'un des grands défenseurs de l'expérimentation en pédagogie comme par la retranscription de quelques pages de l'introduction à l'étude de la médecine expérimentale ’ (Bernard Cl 1865 pp. 33; 36 repris par Buyese. (R.), 1935 pp. 11 & 14).

Et Michel Tardy ajoute :

‘“ Dans sa copie “ problème médical ” est devenu “ problème pédagogique ”, “ thérapeutique ” a été remplacé par “ didactique ”. Mais pour le reste rien de changé. Ces termes sont substituables, la différence entre les objets n'est pas pertinente. Ils sont également soumis au même type d'investigation. La pédagogie expérimentale, du moins dans son projet est enfin une science comme les autres ”.’

Dans cette vision de M. Tardy, tout se joue sur l'expression : “ explication des phénomènes ”. Le sens de cette expression cache son contraire. En effet, comment peut-on avoir l'audace d'expliquer sans savoir au préalable ce que l'on explique ? Il est vrai que le sens d'une théorie ou d'une pratique scientifique ne peut être compris qu'à partir d'une maîtrise préalable de son histoire. Celle-ci ne doit pas être celle des opinions admises. Elle doit au contraire être celle de l'activité scientifique, déployée – comme disait Claude Bernard – par la conscience des hommes liée à leur activité.

Du point de vue du concept de la transposition didactique, on peut penser que nos différents auteurs de la méthodologie expérimentale cherchent à expliquer plus que de signifier. A travers leurs écrits, l'expérimentation est comprise en terme de technique plus qu'en terme de méthode. Il y a technique lorsqu'il s'agit de se tracer une relation d'altérité, de jeu de rôle, d'empathie et d'ouverture à l'égard d'autrui ainsi que vis-à-vis du processus qui l'accompagne. Le but de tout cela est de mieux expliquer, de faire passer des contenus déjà-connus. C'est ce que les textes d'Antoine Léon et de Maurice Reuchlin ont tenté d’accomplir. Il y a au contraire méthode, quand on cherche le sens d'un objet, d'une proposition tel que par exemple le sens de la transposition didactique en tant que concept devenu à la fois méthode et théorie. Cela était d'ailleurs la tâche de Claude Bernard et des textes traitant de la méthodologie expérimentale en psychologie, textes dont témoignent (par exemple) les travaux de Paul Fraïsse à travers son Manuel et son Traité. Voilà donc la raison qui nous renvoie à valider la thèse de Michel Trady, qui a laissé entendre que la méthodologie de la transposition didactique finit peu ou prou de s'inspirer de la méthodologie de la discipline correspondante. C'est ainsi qu'on constate à travers la transposition didactique des étapes de la méthodologie expérimentale que ce même concept de la transposition didactique est lié à la théorie de l'expérimentation, du fait qu'il reflète le principe de "l'arraisonnement" des connaissances et du réel. Il est si curieux pour nous ayant une formation philosophique, de voir cette expression heideggerienne de "l'arraisonnement" reprise récemment par Yves Chevallard, pour qui : ‘La théorie de la transposition didactique nous parle d'un objet : les phénomènes de transposition didactique. Elle joue d'abord, à leur endroit, son simple rôle de théorie : elle ne nous en parle, répétons-le, que pour nous permettre de les "arraisonner", d'en rendre raison, de produire des connaissances à leurs propos’ 617  ”.

Pour Yves Chevallard, le concept de transposition didactique est d'abord un outil de travail avant d'être ensuite un concept problématique qui se problématise davantage que le réel devient de plus en plus un problème. En effet, le terme : "arraisonnement" placé entre guillemets laisse penser la question de la faisabilité et de la légitimité d'une pratique qui pénètre les choses en vue d'en sortir des formes vivantes. Cela nous conduit évidement du point de vue didactique, à nous poser d'autres questions :

De quel droit Aristote cherchait-il par exemple à créer son auditoire à son image ? Pourquoi un certain Descartes pensait-il que c'est la lumière de l'esprit qui guide les choses du réel et qui les explique ? Toutes ces questions tournent autour de la signification du mot : "arraisonnement", une expression typiquement heideggerienne, comme nous avons déjà mentionné dès le début de ce travail.

Toutes ces questions incarnent le principe de la légitimité du questionnement en direction des choses. Pour traiter d'une manière exhaustive du sens de la possibilité d'arraisonner les choses, ainsi que l'intérêt que procure cette méthode, nous avons choisi de traiter (dans une perspective cartésienne) la possibilité de l'ouverture aux choses, tout en montrant l'intérêt du texte de Descartes dans l'histoire de la philosophie méthodique. Ce choix nous permet aussi d'expliquer le sens de la méthodologie expérimentale en tant que méthode et technique en relation avec le concept problématique de la transposition didactique en tant qu'outil de travail. La référence à Descartes est légitime puisque celui-ci parle (dans les Règles pour la direction de l'esprit) de la relation de connexion réciproque, une relation qui pourrait exister entre des méthodes de recherche, que Descartes pensait déjà sous l'idée des règles pour la direction de l'esprit. Cette référence est d'autant plus légitime lorsque Heidegger a pris l'initiative de se référer à ce texte pour légitimer sa technique d'arraisonnement et de questionnement en direction de la chose. Pour débattre de la place de la méthodologie de la transposition didactique de la méthode expérimentale entre ouverture et achèvement, on a choisi de commenter la Règle VI, qui est en parfaite relation avec aussi bien le concept de la transposition didactique que celui de la méthodologie expérimentale. Que dit-elle donc cette Règle VI ? Quelle sont-elles sa teneur philosophique et épistémologique et sa relation avec ce dont nous traitons : Le langage ordinaire entre pensée et contre pensée, dans ce chapitre précis ?

Explications et commentaires de la Règle VI des Règles pour la direction de l'esprit, de Descartes.

‘“ Pour distinguer les choses les plus simples de celles qui sont compliquées et pour les chercher avec ordre, il faut, dans chaque série de choses où nous avons déduit directement quelques vérités d'autres vérités, voir quelle est la chose la plus simple, et comment toutes les autres en sont plus, ou moins, ou également éloignées.
Quoique cette règle ne paraisse rien apprendre de bien nouveau, elle contient cependant le principal secret de la méthode, et il n'y en a pas de plus utile dans tout ce traité : elle enseigne en effet que les choses peuvent être rangées en différentes séries, non sans doute en tant qu'elles sont rapportées à quelque genre d'être, ainsi que les philosophes les ont divisées suivant des catégories, mais en tant que la connaissance des unes peut découler de la connaissance des autres, en sorte que, chaque fois que quelque difficulté se présente, nous puissions voir aussitôt s'il ne sera pas utile d'examiner certaines choses auparavant, et lesquelles et dans quel ordre.
Mais pour qu'on y puisse réussir, il faut noter premièrement que toutes les choses, dans la mesure où elles peuvent être utiles à notre projet, quand nous ne considérons pas leurs natures isolément, mais que nous les comparons entre elles afin que la connaissance des unes découle de celle des autres, peuvent être dites absolues ou relatives.
J'appelle absolu tout ce qui contient en soi la nature pure et simple dont il est question : ainsi tout ce qui est considéré comme indépendant, cause, simple, universel, un, égal, semblable, droit, ou d'autre choses de ce genre ; et je l'appelle le plus simple facile, afin que nous nous en servions pour résoudre les questions.
Le relatif, au contraire, est ce qui participe à cette même nature, ou du moins à quelque chose d'elle, par où il peut être rattaché à l'absolu et en être déduit suivant un certain ordre ; mais qui, en outre, renferme dans son concept d'autres choses que j'appelle relations : tel est tout ce qu'on appelle dépendant, effet, composé, particulier, multiple, inégal, dissemblable, oblique, etc.
Ces choses relatives s'éloignent d'autant plus des absolues, qu'elles contiennent plus de relation de cette sorte subordonnées les unes aux autres ; et c'est la nécessité de les distinguer que nous enseigne cette règle, ainsi que l'obligation d'observer leurs connexions réciproques et leur ordre naturel, de telle façon que, partant de la dernière, nous puissions parvenir à ce qui est le plus absolu en passant par toutes les autres 618  ”.

Avant d’expliquer et de commenter l’intérêt didactique et pédagogique de toute la règle VI de laquelle nous avons extrait ce texte, tenons d’abord à discuter son intérêt dans l’optique de certains didacticiens.

Dans un article d'Yves Chevallard, intitulé : “ Les processus de transposition didactique et leur théorisation ”, il y a une incitation à une relation d'ouverture à l'égard du réel, à une sorte de problématisation de celui-ci. Cette problématisation est due au fait que tout ce qu'on voit, ce qu'on entend est à la fois connu et inconnu. Il est une situation qui crée une angoisse, qui interpelle – surtout lorsqu'elle est objet d'impression –, l'esprit vivant qualifié par Coménius et Descartes comme lumière. Toute science, en effet (et comme Y. Chevallard le laisse entendre), vise quelque chose et interroge vers quelque chose. C'est ainsi que Chevallard laisse penser que toute science “ ‘vise à éclairer le réel. Mais nul n'y parvient sans emprunter le détour préalable, et indéfiniment repris, d'un brouillage du réel. (..) tout projet de science est indissociablement tentative continuée de problématiser le réel : de faire apparaître comme problématique, je veux dire comme posant problème’ 619  ”. Cette position légitime la transposition didactique des différentes étapes de la méthodologie expérimentale qui est une démarche pour comprendre la facticité des faits réels humains, des faits qui s'imposent à l'esprit tout en produisant des actions qui restent latentes. Nous devons interpeller les sujets qui produisent ces actions et ce pour mieux comprendre leurs manifestations. Or la question posée implicitement par Y. Chevallard et à laquelle celui-ci ne répond pas directement, est celle de la recherche des raisons qui contribuent à la problèmatisation du réel. En quoi donc le réel fait-il problème ? De quel réel s'agit-il ? Sachant bien que les faits bien qu'ils soient incommensurables et calculables, ils ne sont pas toujours accessibles et compréhensibles !

Pour ce qui est de notre tâche dans ce travail, on doit dire que le fait didactique, pédagogique et éducatif dont il est question dans cette recherche est bel et bien une réalité complexe. Cette réalité est en elle-même problématique. En effet, Kant en faisant allusion au fait humain, avait déjà souligné que “ l'Éducation est par essence problématique ”. Cette problématisation de la complexité est un invariant fonctionnel aux démarches de la transposition didactique, et de la transmission pédagogique, qui s'astreignent à l'éducation et au transfert des savoirs et des connaissances. Aux questions : qu'est ce que le réel ? qu'est ce qu'un fait ? Yves Chevallard ne donne pas d'éléments de réponses hormis la relation du savoir avec son écologie qu'il n'éclaire pas davantage. Pour lui, chaque question posée appelle d'une part un examen particulie. Cela est impossible dans le laps de temps des études mathématiques. D'autre part, Chevallard considère les “ pourquoi-ismes ” posés souvent par des enfants comme étant une situation problème, susceptible d'être cultivée. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘Se révèle être en fait une extraordinaire matrice de question, le moteur d'une véritable décontraction du réel, le moyen d'une subversion des évidences et un outil de notre propre déconditionnement. Plus étrange encore, il (le pourquoi-isme) permet de s'interroger, non seulement sur ce qui est -pourquoi par, exemple, existe-t-il de nos jours un enseignement des mathématiques dans l'enseignement secondaire général ? – mais encore de se demander pourquoi ce qui n'est pas, n'est pas..’. ”. Ces prises de positions de la part d'un spécialiste des problèmes de la transposition didactique, nous laissent réfléchir, je dirais même qu'elles nous posent problème. Il est vrai que pour l'auteur la distance entre le savoir enseigné et le savoir à être enseigner doit "être assez courte". Pour légitimer ce propos, Chevallard reprend la critique de Descartes, une critique que ce dernier a dirigé à l’encontre de l'enseignement spéculatif a-sociétal des mathématiques de son époque. La visée cartésienne reprise par Yves Chevallard s'annonce comme suivant :

‘“ Quand je commençai à m'appliquer aux disciplines mathématiques, je me mis à lire la plupart des oeuvres de ceux qui les ont cultivées. J'étudiai surtout l'arithmétique et la géométrie, parce qu'elles étaient, dit-on, les plus simples, et comme une voie pour arriver aux autres sciences. Mais ni dans l'une ni dans l'autre, je ne rencontrai un auteur qui me satisfit pleinement 620  ”. ’

A partir de ces propos, qui convergent sur la nécessité du rétrécissement de la temporalité éducative qui sépare le savoir enseigné du savoir à enseigner, surgit la nécessité de contribuer à l'élargissement des possibilités sociales et à l'extension du pouvoir cognitif. Cet élargissement puise son sens dans le principe de l'ouverture sur la chose public, représentative du principe de la curiosité qui anime l'être humain, dont l'esprit substitue la question du pourquoi la chose ? à celle du : Et...quelle chose ? Ce sont ces formes de questionnement qui ont échappé à Yves Chevallard, sachant bien – comme on l'a déjà vu avec M. Verret – que le savoir à enseigner est en lui-même soumis à ce double questionnement métaphysique : pourquoi le savoir ?.... Et quel savoir ?

Dans le sillage de la méthodologie du questionnement en direction des choses, Descartes dans les débuts de ses réflexions philosophiques qui portèrent sur les Règles pour la direction de l'esprit – fut resté un didacticien accompli. Son emploi du mot : "règle", nous incite à réfléchir à l'esprit de la règle, et au sens didactique qu'il attribuât à l'intervention de la raison, qui est la chose du monde la mieux partagée dans l'organisation du monde. “ ‘Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.’ ”, disait-il. Pour lui, l'élargissement des possibilités cognitives qui marquent le rétrécissement de la distance qui sépare les choses de l'apparence, de celles de l'apparaître trouve son fondement dans l'ouverture rationnelle à l'égard des choses. C'est à partir de là que Descartes avait ouvert une voie à la substitution et à l'association des choses d'une manière rationnelle via le lieu de l'unité. Cette voie est actuellement présente dans le domaine de la connaissance pédagogique et didactique. A son sujet Ph. Meirieu souligne : “ ‘Ce que l'on sait – et une situation qui fait pourtant problème – ce que l'on ne sait pas – un jeu de présence / absence, de connaissance / ignorance, qui crée une aspiration, suscite un désir. Un jeu sans cesse inachevé, tant il est vrai que plus on sait plus on désire savoir, et que la solution contre toute attente, agrandit toujours l'énigme’ 621  ”. Ces propos renforcent la légitimité de notre référence à Descartes. C'est aussi à travers notre commentaire de la règle VI des Règles pour la direction de l'esprit, que l'on comprendra la relation du langage ordinaire des choses avec le concept de la transposition didactique de la méthodologie expérimentale. Ce choix a été opéré lorsque nous avions pris connaissance des débuts du rationalisme cartésien puisque cette règle est pour Descartes ce qui est le plus important dans tout son traité des règles méthodologiques pour la direction de l'esprit. A ce propos nous devons donc apprécier les débuts de cet auteur. Car pour apprécier un auteur, l'important est – comme Claude Bernard l'a laissé entendre – de méditer non pas les fins de ses recherches mais leurs débuts lorsqu'il pense contraire aux autres. Telle est en tout cas la remarque que soulignait Claude Bernard lorsqu'il faisait allusion à Descartes. A deux endroits de son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, il a légitimé le retour aux débuts des réflexions philosophiques de Descartes et ce pour affirmer la nécessité d'une relation de connexion nécessaire réciproque entre l'esprit et les choses.

Le premier endroit où Claude Bernard se réfère à la nécessité de l'ouverture aux choses au sens cartésien du terme, ressort d'un passage où il souligne : “ ‘Quand Descartes souligne qu'il faut ne s'en rapporter qu'à l'évidence ou à ce qui est suffisamment démontré, cela signifiait qu'il fallait ne plus s'en référer à l'autorité, comme faisait la scolastique, mais ne s'appuyer que sur les faits bien établis par l'expérience. De là il résulte que, lorsque dans la science nous avons émis une idée ou une théorie, nous ne devons pas avoir pour but de la conserver en cherchant tout ce qui peut l'appuyer et en écartant tout ce qui peut l'infirmer. Nous devons, au contraire, examiner avec plus de soin les faits qui semblent la renverser, par ce que le progrès réel consiste toujours à changer une théorie ancienne qui renferme moins de faits contre une nouvelle qui en renferme davantage. Cela prouve que l'on a marché, car en science le grand précepte est de modifier et de changer ses idées à mesure que la science avance. Nos idées ne sont que des instruments intellectuels qui nous servent à pénétrer dans les phénomènes ; il faut les changer quand ils ont rempli leur rôle, comme on change un bistouri émoussé quand il a servi assez longtemps’ 622  ”.

Si ce passage fait allusion au texte des Règles pour la direction de l'esprit , alors il n'en va de même pour le second qui va suivre qui se réfère au Discours de la Méthode où Claude Bernard disait : “ ‘Quand Descartes part du doute universel et répudie l'autorité, il donne des préceptes bien plus pratiques pour l'expérimentateur que ceux que donne Bacon pour l'induction. (...) C'est le doute seul qui provoque l'expérience ; c'est le doute enfin qui détérmine la forme du raisonnement expérimentale’ 623  ”.

Posons à cet égard la question suivante :

En quoi ces références à Claude Bernard et à Descartes peuvent-elles nous être utiles dans la tâche qui nous préoccupe ?

Pour ce qui est de la première référence, il est claire que Claude Bernard pensait bel et bien dans un état d'exception : contre les autres et contraire aux autres. Cela veut dire finalement que la méthodologie expérimentale en didactique, en pédagogie et en éducation ne doit pas être celle qui s'astreint à rendre service à autrui en le privant de sa disposition à mettre en forme (dans le temps et dans l'espace) des séquences d'apprentissage des savoirs et des connaissances. Dire qu'en expérimentation l'art de la mise en forme repose sur l'affranchissement et le dépassement des opinions admises, est en soi un geste scientifique qui s'oppose à ce que le texte de la vulgarisation de la transposition didactique de Paul Fraïsse pense en terme de respect des opinions admises par la variable personnalité des sujets. En effet, Paul Fraïsse a pensé dans son Manuel didactique et dans son Que-sais je ? l'impossibilité d'expérimenter là où l'on pourrait mutiler les sensibilités humaines. En terme didactique et pédagogique cela se traduit par une finitude, une limite de l'action expérimentale. Ce geste de Fraïsse qui s'oppose à l'art de la science de l'expérimentation, ne vas pas à l'encontre de la légitimation du doute cartésien. Il est aussi un geste qui s'oppose à la méthodologie du texte scientifique de Claude Bernard, qui pense que l'art de l'expérimentation n'est pas une simple imitation de la nature ni une action d'aventure où le savant-expérimentalise se jette à travers champs dans le risque gratuit et dans le vivre dangereusement. L'art de l'expérimentation (en tant que pratique scientifique) ne doit pas penser au risque de blesser des oreilles innocentes. Il ne doit pas être freiné par des pratiques d'ordre éthico-politique, il doit obéir à cette définition qu'assigne Adorno à l'art en disant : “ ‘L'art n'est pas pré-rationnel ni irrationnel, ce qui le condamnerait a priori au mensonge eu égard à l'imbrication de toute activité humaine dans la totalité sociale. C'est pourquoi les théories de l'art, rationalistes et irrationalistes échouent pareillement’ ” 624 . Cet échec dont parle Adorno est celui de la recherche des sujets à une application des principes rationalistes ou irrationalistes à la pratique artistique dont l'art de l'expérimentation en fait partie. On doit rappeler que l'art de la mise en forme qui traduit l'esthétique expérimentale, ne doit pas obéir à des normes qui freinent le caractère de la liberté d'action. Car après tout, toute chose a raison d'être, aussi bien le vrai que le faux. Ce dernier est encore plus vrai, car lorsque le falsificateur agit en expérimentateur d'espaces possibles, il ne fait que prolonger la série des vérités déjà admises comme vraies. Il démystifie le vrai tout en le rendant accessible à un grand public large.

Les premiers écrits de Descartes sont d'une teneur philosophique similaire à celle d'Adorno qui dans sa Dialectique négative s'oppose à l'aliénation des activités artistiques asphyxiées par l'administrabilité marchande des oeuvres. Cette situation lutte contre l'aspect expérimentaliste des oeuvres véritables. Pour Adorno, les oeuvres doivent s'autonomiser expérimentalement tout en témoignant d'elles-mêmes. Voilà la raison pour laquelle nous faisons le rapprochement avec les débuts des réflexions philosophiques de Descartes, car dans toutes Les Règles pour la direction de l'esprit et surtout dans cette Règle VI“ importante de toutes les règles ”, Descartes faisait l'éloge d'une philosophe de l'ouverture sur les choses incarnant une relation de connexion nécessaire, de liaisons logiques reconnue dans celles-ci. Descartes a parlé aussi de la relation de “ la connexion réciproque ” entre l'homme et les choses. Cette relation laisse un libre jeu entre la liberté de raisonner et celle de l'imitation et de l'inspiration en tant que principes de la création artistique. Puisque ce libre-jeu entre la cause et l'effet n'est pas sensible, alors on voit mal comment il pourrait faire partie intégrante du domaine de la recherche expérimentale. Si l'on en croît Descartes, on peut alors dire que ce type de relation est adéquat pour que le sujet de la pensée réflexive puisse arraisonner les choses tout en les comprenant. Ce libre-jeu n'est pas une limite pour la pensée de l'arraisonnement, il est au contraire sa finalité puisque c'est à travers lui que la technique expérimentale de l'ouverture aux choses a un sens dans le domaine des sciences humaines. Faut-il donc dans cette perpective considérer Descartes un empiriste avancé et accompli ? Faut-il le comparer à celui de David Hume qui considérera plus tard que la relation de connexion nécessaire est la seule valeur objective sûre pour la compréhension des principes de la connaissance ? Faut-il encore aller plus loin pour noter l'inspiration de Karl Popper de cette relation de connexion nécessaire qui a été reprise par l'auteur de La connaissance objective et ce en vue de légitimer une épistémologie sans le sujet pensant ? Pour répondre à ces questions, voyons d'abord si notre proposition : Descartes philosophe de la relation de la connexion nécessaire, peut vraiment être validée !

Ce texte de la Règle VI que nous venons d’avançer précedemment est l'un des rares textes où Descartes a mis en valeur le principe de l'ouverture aux choses, le principe de questionner en direction de la chose et du réel. C'est un principe qui est aussi l'oeuvre de ce que nous avons appelé avec Karl Popper : la didactique de l'immanence, qui, du point de vue de la transposition didactique, signifie la possibilité de la mise en scène du réel (les choses sociétales) et des savoirs (les connaissances à être enseignées). Celles-ci ont pour but d'une part, l'appréciation des faits et d'autre part "la réconciliation entre l'école et la société". Dans cette perspective en tout cas, on doit rappeler que Descartes, a bel et bien corrigé son opinion quant à l'opposition qu'il réclamait entre ce que nous avons appelé en introduction : l'opposition entre le pôle de l'information et celui de la formation. Ainsi, la seule issue d'une réussite possible pour la transposition didactique (comprise en terme de mise en forme des connaissances et des savoirs), entre l'ouverture et l'achèvement, face au langage ordinaire entre pensée et contre pensée, est de se situer dans cette même perspective cartésienne qui n'est rien d'autre que celle de questionner en direction de la chose en vue – non pas de se situer en simple continuité avec le langage ordinaire – , mais en vue de savoir et de maîtriser les questions à lui poser. Pour reprendre notre position du départ on dira que l'enseignement en tant qu'oeuvre de toute transposition didactique réussie ne doit pas remplir la fonction de service. Il doit au contraire savoir réaliser les ruptures, les distances quant à toute situation problème susceptible d'être vécue comme contre pensée. Autrement dit, la possibilité d'un "contrôle social" des savoirs et des connaissances doit (aux yeux d'Yves Chevallard) prendre une autre voie que celle de l'interrogation. Il doit si l'on en croît cet auteur, reprendre celle de la servitude. C'est ainsi qu'Yves Chevallard note : ‘Mais l'enquêteur pour aboutir sur ce point (sur le contrôle social) devrait ici s'armer d'un autre langage, et procéder autrement que par simple interrogatoire. Car – servitude du métier ! – les enseignants, lorsqu'ils sont ainsi traqués, deviennent de terribles, d'effrontés menteurs, qui s'ignorent comme tels. On pourra le comprendre : ainsi défendent-ils, à leur insu, le produit d'un difficile travail transpositif. Produit toujours imparfait à leurs yeux mêmes, mais dont ils sont les servants. Et qui a surtout l'immense mérite d'exister’ 625  ”.

A partir de ce passage, il y a donc une définition tout à fait opposée à celle que nous avons avancé pour le concept de la transposition didactique en tant qu'acte de questionner les connaissances ainsi que les manières de les transmettre. Cette définition comme on peut le constater, rejoint d'emblée celle de l'action au lieu de celle de l'interrogation. D'ailleurs on peut reprocher à Descartes son exil après avoir rédigé ses écrits méthodologiques. Car l'enseignement, la purification des esprits et des âmes en tant qu'activités artistiques doivent non pas venir en aide à l'ordre établi, ni même le fuir, mais d'y résister tout en se retournant contre lui. On peut donc reprocher à Descartes l'incapacité de ne pas avoir accepté l'argument du sacrifice. Car le fait de mourir pour la liberté d'expression, pour la mise en mouvement des savoirs déstabilisateurs de l’ordre établi, est une valeur qui vaut la peine. De ce fait, la conséquence, la cohérence, voire l'engagement du travail philosophique, repose sur une conscience dont Marx pensait déjà être l'ouvrier de l'humanité : ‘“ Nous sommes dans notre travail philosophique – des ouvriers de l'humanité ’”, disait-il. Cela signifie qu'en didactique (comme Jean Houssaye le laisse entendre), on est jamais praticien d'un rien, on est toujours praticien de principes. C'est à cette cause que Socrate le "crucifié" s'est sacrifié.

Pour renforcer la légitimation du choix du texte de la règle VI de Descartes, on doit expliquer l'accroissement du taux de figuratif des expressions : "chose", "objet", et "esprit", qui se dégage tout au long du texte. A lire les premiers écrits de Descartes, on s'aperçoit que ce qu'on peut appeler aujourd'hui : le triangle didactique ou pédagogique était impliqué – du moins indirectement – dans ses réflexions philosophiques. En effet, l'enseignement défini en terme de tâche est conçu dans un rapport tripolaire. Premièrement, il y a un rapport entre les objets de l'esprit, entre les manières dont le sujet acquiert les connaissances et les savoirs, qui sont les choses du monde les mieux partagées. Et deuxièmement, un rapport entre les esprits humains qui sont des touts en chaque personnage. Ceux-ci renvoient en principe, à penser l'éducabilité des l'intelligences, et l'être-apparent que l'on peut traduire par le système social de référence. Et enfin, il y a un rapport entre les choses du monde les mieux réparties, portant sur les savoirs-dire et être des hommes. Ceux-ci sont des entités sociales que l'enseignant tente de cultiver en tant qu'états d'exceptions, et ce pour penser la possibilité d'une "École à ciel ouvert" puisant son fondement dans le processus réciproque incommensurable qui lie la totalité de ces relations. Cette Règle VI nous aide en tout cas à penser la règle pour la direction de l'action de l'enseignement, une action qui doit synthétiser aussi bien le principe de l'ouverture que celui de l'achèvement. Le premier enseignement à retenir de cette Règle VI est celui qui porte sur l'égalité ou l'équivalence de la partie et du tout, du relatif et de l'absolu. Le relatif doit en effet être pensé comme l'absolu, car il y a en lui une infinité de relation. Cela veut dire au fond que les parties sont à leur tour des touts incommensurables mais calculables. Ce constat est important pour le sens du concept de la transposition didactique face au langage ordinaire entre pensée et contre pensée. Car il laisse penser l'état d'exception des choses des apprenants auxquelles on tourne le dos, qui font pourtant problème. L'extension du pouvoir cognitif ne peut se réaliser dans une relation qui à la fois délimite le maître et l'élève. L'expérimentation dans le domaine éducatif est marquée par cette exception qui cherche à synthétiser la relation de la continuité et de la rupture à l'égard des choses des apprenants. Le second enseignement que nous devons aussi tirer de cette règle est celui du sens que l'on doit attribuer à l'achèvement. Du point de vue de Descartes, l'achèvement est compris en relation avec le travail de la raison qui est achevée en vue de sa perfection, car c'est l'homme qui est possesseur du sens des choses. Dire que la raison humaine est achevée signifie qu'elle est animée par ce que nous avons appelé en introduction (par référence à Benveniste) : la chronothèse du sens. C'est-à-dire que l'homme possède des manières de voir, de connaître et d'acquérir des notions aussi bien simples que complexes.

Les questions qui s'imposent, que l'on peut extraire de cette Règle VI, peuvent être formulées ainsi : la relation de l'esprit aux choses est-elle une relation d'autonomie ? d'autosuffisance ? ou encore une relation de connexion nécessaire et réciproque ?

Pour répondre à ces questions, il faut avoir présent à l'esprit ce que Descartes pensait déjà du sens de "l'esprit" (la raison) lorsque celle-ci est en relation avec les choses : avec un type de chose bien déterminé à savoir ce qui est si facile ! Pour cela on doit revoir la Règle III, où Descartes incite à cultiver l'exception des choses si faciles. A ses yeux, les choses en apparence si simples sont toujours les plus complexes. C'est dans cette même perspective que Edgar Morin pensera plus tard la même chose quant au paradigme de la complexité. Pour lui, le passage du complexe au simple est un leurre. A l'en croire sur ce point précis, il n'y a donc rien de simple. C'est ainsi qu'il souligne : ‘“ Le passage de la complexité à la simplicité est un passage de la complexité à la complexité’ 626  ”. Au sujet de cette relation complexe entre le simple et le composé, nous allons nous référer à quelques analogies de l'expérience avancées par Descartes et ce pour mieux montrer aussi que le sens, comme le disait déjà Hegel, peut résider dans le déjà-là, dans le frisson du sens.

Dans la Règle III, en effet, Descartes marque une analogie entre l'esprit (la raison) et la lumière, et ce en vue de transposer le sens de la complexité du travail de la raison par des illustrations et des exemples d'ordre didactique. C'est ainsi qu'il souligne : “ L'esprit est une lumière ”; et que “ les choses sont déduites à partir de principes vrais et reconnus, par un mouvement continu et interrompu de la pensée qui a une intuition claire de chaque chose. ” Cela nous force au fond, à légitimer le principe de la transposition didactique en tant qu'action d'intervention permanente aussi bien pour la construction des savoirs et des connaissances que pour leur transposition et leur transmission par la voie de la formation permanente, de l'éducation permanente qui n'ont de sens qu'en relation avec la didactique de l'immanence, qui, elle aussi doit être permanente. Cette alerte permanente est en réalité celle de l'ouverture inachevée à l'égard des choses, celle de l'altérité radicale à l'égard des opinions admises, à l'égard des choses des hommes qui, elles en principes sont inachevées puisqu'on ne sait pas toujours les manières à travers lesquelles des dispositions morales fondamentales sont posées. D'ailleurs Aristote disait déjà que tout ce qui est posé l'est en vertu de ce qui a été déjà posé : en vertu de principes premiers que l'on maîtrise comme déjà connus.

Dans ces citations de la Règle III, le lien avec celles de la Règle VI de Descartes reste inaltérable, car l'enjeu de toutes les Règles est celui de l'ouverture de l'esprit aux choses. Mais la question qui reste posée est celle de savoir comment peut-on lier la Règle III à la Règle VI ? Pour répondre on doit simplement se référer au principe de la déduction qui anime les deux Règles. En effet dans la Règle III, Descartes souligne : “ ‘(...) Sur les objets proposés à notre étude il faut chercher (...) ce dont nous pouvons avoir l'intuition claire et évidente, ou ce que nous pouvons déduire avec certitude ”. Il y a une continuité de principe dans la phrase de la Règle VI qui soulignera presque la même chose lorsque Descartes dit : “ (...), où nous avons déduit directement quelques vérités d'autre vérité, on doit voir quelle est la chose la plus simple et comment toutes les autres en sont plus, ou moins, ou également éloignées’ ”.

La continuité qui réside entre toutes les Règles repose sur la place de cette lumière qui est la raison ou l'esprit, en relation avec les choses. Le problème qui se pose ici est celui de l'ouverture aux choses, celui de questionner en direction de la chose, en direction d'un type particulier de choses, à savoir la chose plus simple des choses. La chose la plus simple est en réalité la plus composée. Comme on le voit à la fin du quatrième paragraphe (qui pose le problème de la complexité en terme de relations qui animent le relatif-absolu), la chose dite la plus simple est animée par des relations. Seul l'esprit vivant illuminé, pourrait rendre compte de ce renversement de l'ordre, du passage de l'absolu-relatif au relatif-absolu. Cette explication a échappée à Yves Chevallard qui ne met pas en lumière la définition de la transposition didactique en terme de tâche. Car l'emploi du mot : "servitude" renferme l'action de l'enseignant dans une situation où celui-ci serait aliéné et pensé en terme d'esclave. A l'expression : "servitude" qui est avancée ouvertement par Yves Chevallard, on préfère désormais l'emploi de celle de : l'exception, qui consiste en un travail animé par la malice didactique, incarnant l'intention et l'intelligence "vicieuse" dont témoigne l'exception de l'enseignant qui s'astreint à “ cultiver les états d'exception ” qu'il peut rencontrer dans son action. Ce travail est celui que Descartes privilégie davantage à travers la quasi-totalité de ses Règles pour la direction de l'Esprit. Cependant, pour l'enseignant, tout peut faire état d'exception à être cultivée.

A nous maintenir à la teneur philosophique et didactique des Règles de Descartes auxquelles se réfère le théoricien (Chevallard) de la transposition didactique, on doit faire remarquer que la Règle VI est animée d'un effort d'illustration didactique que l'on peut extraire de l'emploi par Descartes des analogies de l'expérience. Deux analogies peuvent être construites, pour démonter ce propos.

  1. la ressemblance de l'esprit (la raison) à la lumière.
  2. l'objet simple, la chose facile, attire l'esprit vivant.

Comment peut-on donc construire une analogie ?

Pour reprendre notre réponse à cette même question déjà posée en introduction, on dira que l'analogie peut se construire sous la forme du sigle : A et à B, ce que C et à D.

C'est ainsi qu'on peut dire pour la première que : l'esprit est une lumière, et que les éclaires sont à la lumière, ce que les expressions, les paroles, les analyses, les réflexions etc. sont à la raison ou à l'esprit. Nous pouvons schématiser cela comme suit :

La ressemblance des rapports est fondée sur l'éclaircissement, l'éblouissement, et l'illumination.

Pour la seconde analogie : La chose de l'esprit vivant, on dira que : les choses sont à l'univers naturel ce que les esprits sont aux êtres humains.

La ressemblance des rapports est fondée sur le principe de l'identité dans la différence. C’est-à-dire, de même qu'il existe des choses différentes ou identiques dans la nature des choses de l'univers, de même qu'il existe aussi dans la nature humaine des vues, des visions identiques et différentes. Mais pour comprendre et reconnaître cela, seul l'arraisonnement et l'altérité radicale à l'égard des choses humaines et des choses factices peuvent nous rendre bienveillant et docile à ce que font les sujets pour organiser leur existence. Cette altérité radicale est due au fait de penser qu'il ne peut y avoir entre les êtres humains guère de finitude lorsqu'il s'agit aussi bien de l'inspiration que de l'imitation. Car, après tout, s'il n'y a que de la nature à prendre en compte dans les relations humaines alors il ne peut y avoir guère de culture !

Pour Descartes, l'argument qui gouverne les écrits des Règles Pour la Direction de l'Esprit, est un argument dialectique à double tâche. Il concilie en effet l'argument fondé sur la structure du réel, et celui qui la fonde. Cela explique le lieu de l'unité dont Descartes fut le célèbre philosophe. Avant d'expliquer à travers la Règle VI, le sens de ce lieu, on doit dire que dans la suite des écrits Des Règles..., cette même argumentation a été maintenue. Par exemple, dans le livre II du Discours de la Méthode, Descartes disait : “ Je m'avisais de considérer que souvent il n'y a pas tant de perfection dans les oeuvre composées de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu'en ceux auxquels Un seul a travaillé ”. Ce lieu de l'unité qui est un lieu du préférable est frappant dans cette Règle VI. Dans cette dernière, il ne s'agit pas de prendre en considération toutes les choses et tous les objets, mais au contraire une seule chose. C'est à la fin de la citation : “ ‘les choses sont en relation de connexion réciproque ”, que l'on comprend que Descartes ne disait pas comme D. Hume ou encore comme Karl Popper, qui affirmeront plus tard, qu'il existe une relation de “ connexion nécessaire’ ” entre la perception et les choses. L'utilité pour Descartes est de recourir à l'explication des choses par la voie des principes de l'imagination créatrice qui est proche de ce que Thomas Kuhn pensera plus tard en terme de psychologie de la découverte. Descartes n'avait pas fait l'éloge du principe de l'effacement de l'esprit à l'égard des choses. Il a parlé au contraire du principe de la relation de la "connexion réciproque". Cela signifie que l'étude et la compréhension d'une seule chose bien choisie et représentative de toutes les autres, permet de comprendre toutes les autres choses. Ce choix s'opère évidement par un travail d'interprétation opéré par la pensée réflexive qui se jette à travers champs tout en procédant à ce but par le biais de la taxonomisation des choses en vue d'en extraire une seule, représentative de toutes les autres. A la question : qu'est-ce qu'une chose ? on peut dire que Descartes avait déjà répondu avant Heidegger tout en laissant entendre que le principe de l'arraisonnement ne peut être établi que par l'effort de la taxonomisation des choses, en vue d'en extraire celle qui est combinée et complexe. La logique de la combinatoire à laquelle Descartes faisait l'éloge a échappée à Heidegger. Il y a à travers cette vision cartésienne plusieurs aspects propres à la logique de la connaissance scientifique. Dans la Règle III, Descartes dit que : “ ‘c'est bien ainsi que la science s'acquiert’ ”!. Cela veut dire que dans le domaine de la science, on doit gagner du temps vers le progrès au lieu d'en perdre. De ce fait, l'important est l'introduction d'un type de choix qui n'est pas celui que véhicule l'argument de l'exemple. Car les exemples sont multiples. L'important n'est pas l'introduction d'un modèle non plus, car ceux-ci sont divers. Mais le plus important est l'introduction de l'argument de l'illustration. Parler d'illustration ici est significatif de l'apport didactique des Règles pour la direction de l'esprit. Car c'est à ceux qui ne savent pas encore, que l'on tente d'illustrer des propos. Voilà donc ce qui nous intéresse du point de vue de la transposition didactique, car – comme on l'a déjà vue avec Aristote – l'action du maître est plus du côté de l'illustration que de celle de la preuve.

En transposition didactique, il n'y a pas que de la servitude, comme Yves Chevallard le laisse entendre, il y a aussi une intervention de la variable personnalité du savant qui transforme "le frisson de sens", en sens par excellence. En réalité, il y a malice pédagogique, car en didactique, contrairement à beaucoup d'autres domaines, il s'agit d'opérer des choix fondamentaux. Il s'agit de choisir une situation bien représentative du tout, pour nous dispenser de l'étude des différentes parties du tout en vue de marquer ensuite l'égalité entre la partie et le tout, pour enfin gagner du temps en cas d'urgence, en cas de la propagation de ce que nous venons d'appeler en paraphrasant Nietzsche : l'extension du pouvoir de l'ignorance : un désert qu'il faut chercher à transformer en terre fertile. Ce travail est celui de la transposition didactique définie en terme d'ouverture inachevée en vue d'un rétrécissement de la distance qui sépare le savoir enseigné du savoir à être enseigné.

Pour Descartes, c'est le lieu de l'unité qui est le lieu préférable, un lieu qui vise une unité qui s'opère entre le philosopher en tant qu'action artistique et la société en tant qu'artisan. Mais si l'on se réfère à Descartes comme modèle, cela (du point de vue pratique) n'est peut être pas une bonne référence car celui-ci a contribué à ce travail de l'extérieur. Mais peut importe cette action, on doit dire que Descartes a réussi – par rapport à la tradition de la pensée de son époque – à tracer un sens nouveau pour la méthode de la transmission et de l'acquisition des connaissances et des savoirs. Notre but dans ce travail n'est pas celui de la critique et de la condamnation. Notre but est celui de la recherche du sens de la transposition didactique face à la problématique de l'ouverture et de l'achèvement, face à celle du langage ordinaire entre pensée et contre pensée. De ce fait l'approfondissement de la référence cartésienne est pour nous d'une importance capitale. Car cette référence inaugure la recherche d'une action conséquente qui sera d'ailleurs le souci de Kant lorsque celui-ci pensera après Descartes l'Éducation en terme de problématique. C'est à l'unité du principe et de l'action qu'il faut désormais penser lorsqu'il est question de la recherche du sens du concept de la transposition didactique, sinon, l'action de l'enseignement sera vouée à celle du mensonge et de l'hypocrisie. Comment donc Descartes a t-il parvenu à extraire le lieu de l'unité caché sous la diversité des choses ainsi que leurs différentes quantités ? Comment a t-il passé du quantitatif au qualitatif ?

Dès l'introduction de la Règle VI on s'aperçoit que Descartes tente de démontrer le rôle de l'esprit-vivant, lumineux qui met de l'ordre, distingue les états des choses présentées non pas comme des choses parmi les choses, mais en tant que processus complexes dont il faut chercher à discerner le sens. Ainsi le fait de parler de distinction revient en principe à parler du doute. Cela signifie qu'en transposition didactique l'enseignant (qui sème le doute, qui joue le rôle tout en se retournant contre l'ordre déjà établi par le système de formation et de l'information, doit avoir le doute sur toute action y compris la sienne. De ce fait, l'argument du distinguo est posé dès le début de cette Règle VI. Il est légitimé par l'emploi des expressions : plus ou moins ou également. Cet argument sera aussi maintenu dans toute l'oeuvre de Descartes, car il est appliqué à l'esprit et à la raison qui sont non seulement capables de distinguer le vrai d'avec le faux – comme Descartes le dit dans le Discours de la méthode  mais qui sont aussi capables d'apprécier une situation exceptionnelle à savoir par exemple celle de la totalité de la partie et de son extension. Car même si les choses simples nous paraissent ainsi, elles peuvent faire l'objet d'impression, puisque dans la réalité elles ne le sont jamais. Les choses existent en effet par rapport aux hommes qui les ont mis en forme. Hegel laissera entendre plus tard que c'est dans l'art, dans les choses factices que l'homme a déposé ses idées les plus hautes. C'est à ce principe de la combinatoire que Descartes attire notre attention dans le premier paragraphe de cette Règle, dont le texte commence de "Quiconque....jusqu'à.... ordre...". Il est question ici de rendre le lecteur docile et bienveillant au principe philosophique de la relation de la connexion nécessaire. Mais ce principe ne sera formulé clairement qu'à la fin du quatrième paragraphe où l'auteur souligne l'obligation de prendre en considération les choses relatives, c'est-à-dire les parties du tout, qui sont à nouveau des tout, puisqu'elles enferment d'incommensurables relations. Si l'on en croît Descartes, ces relations sont alors d'une part subordonnées les une aux autres, et d'autre part sont distinctes que l'on peut observer leur relation de connexion réciproque. En fait, nous voilà enfin face au lieu de l'unité qui annonce que les choses relatives sont égales aux choses absolues par le fait qu'elles sont (par leur nature) d'une part en relation de connexion réciproque, et d'autre part, incommensurables.

La prise en compte du lieu de l'unité, de la nécessité de prendre en considération la relation de la connexion réciproque qui réside dans les choses, est un appel auquel Descartes nous incite à travers l'argument de la répétition. A titre d'exemple dans le premier paragraphe il est dit que : ‘“ La connaissance des unes peut découler de la connaissance des autres ’”. Il en va de même dans le second qui commence du : Mais pour qu'on y puisse réussir... jusqu'à : ....ou relative ”, où l'auteur revient sur la même répétition pour renforcer ses propos en disant :” afin que la connaissance des unes découle de celle des autres ”. Ce qu'il faut en revanche avoir présent à l'esprit, est que les deux citations ne sont pas les mêmes bien qu'en apparence, elles ont tendance à l'être. En effet, dans le premier paragraphe, on assiste à un argument de définition descriptive, où l'auteur décrit le statut commun, un lieu commun à toutes les choses. Descartes souligne que toutes les choses sont rangées en différentes séries, qu'il n'y a pas de dichotomie catégorielle entre les choses. De ce fait, – comme Descartes le laisse entendre implicitement – il s'oppose à la fois à Platon et à Aristote. Il est contre Platon en ce qui concerne sa distinction du modèle et de son idéal, contre son idée de croire à la passivité de l'esprit en relation avec les choses, sachant bien que Platon disait que le corps est un tombeau : que celui-ci ne peut même pas être érigé en modèle de vie éducative, morale ou didactique. Descartes est en revanche opposé à Aristote, pour ce qui est des acceptions, des catégories de l'être, qui, elles (et à en croire Aristote), sont diverses : “ l'Etre se prend en plusieurs acceptions mais ce n'est pas une simple homonymie ”, disait-il. Descartes va essayer de démontrer le contraire tout en pensant que toutes les choses peuvent avoir quelque chose de commun, à savoir par exemple l'équivalence entre ce qui est absolue et ce qui est comme relatif. Par conséquent, les choses sont homonymes : elles possèdent une identité dans la différence. Avant de débattre de cela, quelques difficultés propres à la transposition didactique du sens de l'ouverture et de l'achèvement par Descartes, doivent être mentionnées.

On ne doit pas ignorer la difficulté qui émane de la simplicité stylistique dont Descartes use ici. Cela en général est l'une des difficultés de la transposition didactique du sens. En effet, si l'on s'en tient à cette Règle comme exemple, on s'aperçoit dès lors qu'il y a quelques mots qui reflètent une difficulté linguistique, des mots qui nous renvoient lors de la lecture de la philosophie de Descartes à penser à la nécessite de la traduction de sa propre pensée. Par exemple, à la fin de la règle V où l'accent est mise sur la difficulté de la taxonomisation des faits, Descartes souligne : “ ‘Mais comme souvent l'ordre qu'on exige ici est si obscur et embrouillé, que tout le monde ne peut pas reconnaître quel il est’ ”. Dans cette citation, on doit désormais penser à remplacer l'expression : "quel il est", par : "ce qu'il est", dont le lien avec le premier paragraphe de la règle VI s'explique par l'expression qui souligne : “ ‘chaque fois qu'une difficulté se présente, nous puissions voir aussitôt : (en même temps) s'il ne sera pas utile d'examiner certaines choses auparavant, et lesquelles, et dans quel ordre ’”. Il y a ici deux expressions qui font problème. La première celle d'"aussitôt", la seconde celle de : "et lesquelles". On propose de remplacer la première par : "en même temps" et ce pour marquer le sens de la relation de connexion réciproque dont il est question dans cette règle. Comme on peut remplacer toute la seconde, par l'expression : "en s'assurant de leur ordre", car il s'agit pour Descartes de connaître l'ordre des choses, leur classification et leur taxonomisation. Une autre expression fait problème à la fin du deuxième paragraphe. Elle inaugure une bonne transition à un nouveau type de problème. Cette expression est celle du : “ La connaissance des unes découle de celle des autres, peuvent être dites absolues ou relatives ”. Ce sens du mot : "ou", qui pose problème, doit être compris ici – non pas en terme du "ou bien ...ou bien", c'est-à-dire comme étant quelque chose qui marque une opposition ou une contradiction dans les termes du tout et de la partie, de l'absolu et du relatif, mais il faut le comprendre au sens d'une argumentation, non pas du distinguo comme l'est le cas dans le premier paragraphe , mais au sens, de la substitution, au sens de la connexion réciproque, bref au sens de l'association du relatif à l'absolu. Et d'ailleurs Descartes le dit dans le quatrième et le dernier paragraphe tout en laissant entendre que “ ‘le relatif au contraire est celui qui participe à cette même nature’ ”, c'est-à-dire à la même nature à laquelle participe l'absolu. Quelle est donc le nouveau lieu de l'unité auquel participe aussi bien l'absolu que le relatif ? C'est dans le troisième paragraphe, que Descartes donne la réponse en disant : “ j'appelle absolu tout ce qui contient en soi la nature pure et simple dont il est question ”. A travers cette phrase, l’auteur des Règles pour la direction de l’esprit, ne dit rien quant à cette question. Pour comprendre cette question à laquelle il fait ici allusion, on doit revoir les paragraphes précédants, notamment le deuxième et le premier paragraphe. En fait, la nature des choses montre que celles-ci sont d'une part rangées en différentes séries de même que l'absolu et le relatif, et d'autre part elles sont – comme le pense le quatrième paragraphe – , en relation de connexion réciproque. Voilà donc le lieu de l'unité auquel participe aussi bien l'absolu que le relatif. L'argumentation de dissociation qui apparaît en comparant le troisième et le quatrième paragraphe, se dissout par l'emploi de l'expression : “ participe à cette même nature ”, une formulation qui marque une relation de connexion nécessaire entre le relatif et l'absolu. De ce fait, dans le premier paragraphe, on passe d'une définition descriptive, à une définition dite nominale qui éclate à partir du troisième paragraphe lorsque Descartes impose l'usage des mots : absolu et relatif en disant : j'appelle absolu ceci et relatif cela. Mais cette distinction n'est qu'apparente, car dans le quatrième paragraphe, le relatif pour Descartes est en soi un ensemble de relations qu'il faut décrire et chercher à lier à l'absolu. C'est ainsi que Descartes reste conséquent et cohérent avec son idée du départ qui porte sur la distinction et la description des choses absolues ou relatives, qui se présentent à nous.

Cette démarche qui consiste à commencer par décrire avant d'imposer une définition, est très importante dans le domaine didactique et pédagogique voire dans le champs de la science dite exacte. C'est ainsi que devrait être le langage de toute transposition didactique qui préconise l'approche descriptive, qui veut répondre à l'aspect de la scientificité. Car c'est en religion qu'on impose des choses et des principes. On doit d'ailleurs rappeler le débat et le rapprochement philosophique que nous avons mené entre Aristote et Averroès, un débat à travers lequel nous avons constaté que pour le premier, la philosophie cherche la vérité. Le souci primordiale qui l'anime repose sur le questionnement des diversités et non pas sur le fait d'imposer des homonymies. La philosophie est dite première en ce qui concerne sa recherche des chemins, des méthodes d'accès à la vérité. Pour Averroès, la religion est alors dite une philosophie vraie en ce qu'elle tente de nous livrer des vérités sans le moindre effort de recherche. Ainsi du point de vue méthodologique, le procédé de Descartes qui repose sur le passage de la définition descriptive à la définition nominale, était une révolution méthodologique. Car ce passage permet de libérer l'esprit pour qu'il puisse du moins comprendre les raisons de son obéissance à certains ordres humains, divins ou même naturels. On peut donc penser que la description est une valeur objective sûre pour l'extension du pouvoir cognitif, qui, lui, ne peut trouver son sens que dans l'accroissement des pratiques savantes. Voilà la raison pour laquelle la transposition didactique doit concevoir le destin de sa tâche du côté de la description, du côté de l'explication et de la signification plus que du côté de la contrainte et de la coercition à vouloir inculquer des notions, des valeurs et des concepts sans avoir pensé au préalable les risques et les attentes auxquelles ils aspirent. Dire que la méthodologie de la transposition didactique doit être plus du côté de la description que de celui de la nomination, est ici pour Descartes, une occasion privilégiée pour mettre l'enseignement en mouvement. Cette situation est aussi un appel à l'humanisation de la connaissance et de l'enseignement, un lieu propice pour renverser l'ordre classique qui existait entre limite et absolu. Ce renversement a permis à Descartes de penser – du moins implicitement – que la limite est du côté de l'absolu dont on ne doit plus désormais tenir compte. Il est une limite qu'il faut chercher à comprendre puisque celle-ci nous interpelle à la connaissance et au savoir. Quant au relatif, lui, est du côté de l'illimité, du côté de l'incommensurabilité. Il est l'objet d'impression, puisqu'il est animé par plusieurs relations.

Tout cela est important du point de vue de la didactique, car ces conceptions sont d'actualité, sachant bien qu'à la question : “ qu'est-ce qu'apprendre ? ”, les travaux, les réflexions ne cessent de se multiplier. On doit rappeler qu'Alexandre Koyré dans : Du monde clos à l'univers infini, a repris cette même idée (l'homonymie entre le relatif et l'absolu) chère à Descartes, et ce pour renverser complètement l'ordre des rapports entre Dieu et le monde. Alexandre Koyré a mis l'accent sur l'opposition qui anime l'absolu (Dieu), qui est une limite, et le relatif (le monde) qui n'est pas géocentrique. C'est ainsi qu'Alexandre Koyré souligne : “ ‘En outre le centre du monde n'est pas davantage à l'intérieur de la terre qu'en dehors d'elle ; et ni la terre, ni aucune autre sphère ne possèdent de centre ; car, puisque le centre est un point équidistant de la circonférence, et qu'il n'est pas possible qu'il ait une vraie sphère, ou circonférence, telle qu'il ne puisse y avoir une plus vraie, il est claire qu'il ne peut y avoir de centre, dont il ne puisse y voir de plus vraie et de plus précis. Une équidistance précise à divers objets ne peut être trouvée en dehors de Dieu, parce que Lui seul est l'égalité infinie. Celui donc qui est le centre du monde, à savoir, Dieu très saint (benedictus), est le centre de la terre et de toutes les sphères, ainsi que tout ce qui est au monde ; et, en même temps, il est toutes choses la circonférence infinie’ 627  ”.

A travers ce passage d'Alexandre Koyré, on comprend qu'entre l'idée de Dieu en tant qu'absolu et limite, et celle du monde en tant relatif non géocentrique, il y a une infinité de relations puisque (et à l'en croire) dans tout ce qui est dans le monde il y a des choses qui échappent à l'appréciation de l'homme. C'est-à-dire, et pour reprendre Descartes, il existe de l'absolu, de l'étendu dans le réel relatif. Parmi les idées qui existent dans le réel relatif-absolu, il y a celle qui nous intéresse dans ce travail et qui est importante à côté de toutes les autres choses à savoir la recherche de l'extension du pouvoir cognitif, oeuvre de toute transposition didactique réussie qui s'astreint à l'arraisonnement des choses. Ainsi le sens de la didactique de l'immanence doit être compris aussi bien en terme de continuité que de rupture à l'égard du sens commun, et des opinions admises. Cette relation possède un aspect dialectique : une relation qui se trace entre l'esprit et les choses, entre l'intuition expérimentale et l'intuition logique. Car c'est avec la première que l'on découvre les choses, qu'on les décrive, et qu'on les classe. Par contre c'est avec la seconde qu'on les mette à l'épreuve, qu'on les fonde, et qu'on les légitime. C'est d'ailleurs à cette synthèse que nous invite Y. Chevallard, en faisant implicitement la transposition didactique des propos de Descartes et d'Alexandre Koyré. Voilà la raison pour laquelle Y. Chevallard souligne : “ ‘La science avec ses théories et ses modèles, ne recrée pas le monde. Comme toute activité humaine, elle ne fait que lui ajouter des objets. Et cela, spécifiquement, pour tenter de comprendre le monde’ 628  ”. Dans cette citation l'emploi de l'expression : “ comme toute activité humaine ”, nous pose problème, car elle laisse la porte ouverte à une similitude du travail du vulgaire à celui du savant. Or nous avons déjà tracé les limites entre les deux activités tout en comparant le concept de la vulgarisation scientifique à celui de la transposition didactique, en comparant aussi les deux tendances en didactiques à savoir la didactique de l'immanence et la didactique de la transcendance. Ce que nous ne comprenons pas dans cette perspective est cette position réductionniste de l'action du savant à celle du vulgaire. Cette position est celle d'un didacticien qui infirme l'acte de la transposition didactique en le réduisant à un simple objectif d'information. Or le concept de transposition didactique est (comme nous l'avons vu jusqu’alors) un acte réfléchi à propos duquel Claude Bernard a incité à vieillir dans la pratique de son expérimentation. Ce qu'il faut mentionner dans cette perspective, est que Y. Chevallard est resté prisonnier dans le cartésianisme sans qu’il puisse aller plus loin dans l'explication de sa position ni dans sa légitimation. Il est resté fidèle à cette position du lieu de l'unité, qui consiste à dire clairement que les objectifs de l'information ne sont en aucun cas ceux de la déformation mais au contraire tout information peut, en tant qu'état d'exception, être une formation. Cela ressort fort bien de la réduction qu'il propose du temps des études, un temps où l'écart doit être gommé entre la société (le lieu des savoirs enseignés) et l'École ou l'Université (le lieu des savoirs à enseigner). Ainsi sans qu'il ne puisse se rendre compte, Y. Chevallard est entrain de faire de la transposition didactique du philosopher, une transposition didactique des notions philosophiques à savoir par exemple la notion de l'ouverture aux choses, une méthode connue depuis Descartes.

La substitution qui annonce le lieu de l'unité, trouve son sens chez Descartes dans l'idée de l'association des différents couples philosophiques qu'il a lui-même cité. Ces couples ne doivent pas être compris sous l'ongle de la dissociation, mais sous celui de l'association. Ainsi en les regardant de près dans ce texte on voit qu'ils sont de huit couples accouplés entre eux. En réalité, à travers ces couples philosophiques, il y a une association dans la dissociation. C'est-à-dire, pour Descartes ces huit couples participent à une même nature qui est celle de la relation de connexion réciproque. D'ailleurs en ce qui concerne la relation de la cause et de l'effet, Descartes a une position claire quant à cette question. Cette position marque sa préférence du lieu de l'unité dont il question à travers tous ses travaux. En effet, c'est dans cette Règle VI, (préférable de toutes les Règles) qu'il souligne (notamment dans son cinquième paragraphe) l'importance de la relation qui les anime et non pas l'importance de l'effet, ou de la cause. Cette relation que Descartes ne nomme pas est une relation de corrélation, de connexion réciproque. Pour Descartes en effet, la relation de corrélation et celle de la connexion réciproque, sont homonymes. C'est ainsi qu'il souligne : “ ‘La cause et l'effet sont des choses corrélative ; mais si nous cherchons ici quel est l'effet, il faut d'abord connaître la cause, et non pas faire l'inverse’ ”. Cela était aussi l'idée de Kant qui a laissé penser que la cause et l'effet sont animés par des relations incommensurables, qu'il est important de se restreindre à l'arraisonnement de la relation qui lie la cause et l'effet, puisque cette relation n'est pas toujours du domaine du sensible : de l'ordre du donné et de l'immédiateté. Lorsqu'on cherche à comparer les couples philosophiques que véhiculent le troisième et le quatrième paragraphe de cette Règle VI, on se heurte à cette définition que Descartes nous impose à suivre dans toute détermination du sens de la chose. En réalité l'important, d'après Descartes, est de chercher la manière dont laquelle tous ces couples participent à une même nature qui est celle du rangement en différentes séries ou encore la relation de connexion réciproque.

Ce que Descartes veut souligner à travers cette exposition des différents couples philosophiques qui reflètent l'argumentation de dissociations des notions, est que ces mêmes notions philosophiques participent à l'incommensurabilité relationnelle. Pour les distinguer, Descartes revient à la fin du quatrième paragraphe pour inciter à la poursuite de l'argumentation du distinguo. Cela est d'ailleurs avancé dès l'introduction de sa définition de la Règle VI qu'il soumet à l'argument de la définition descriptive. La spécificité de cet argument du distinguo réside dans le lien qui s'opère entre la dernière et la première chose. Pour démontrer ce lien, reprenons le dernier couple philosophique : Droit / oblique dont le lien est de même nature que celui qui anime la première chose à savoir le couple : Dépendant / Indépendant. Pour mieux distinguer cela, analysons davantage cette relation de connexion réciproque qui est devenue d'une part nécessaire entre les couples philosophiques cités dans l'ordre par Descartes, et d'autre part utile pour nous en vue de comprendre le sens de la transposition didactique entre ouverture et achèvement entre le langage ordinaire et extra-ordinaire.

D'abord on assiste avec Descartes à une transformation de l'absolu en le relatif et du relatif en l'absolu. L'unité logique qui opère cette transformation repose sur l'égalité des deux notions. Cette égalité ou équivalence sera pour Hegel celle des infinis, alors que pour Descartes elle repose sur la participation active des deux notions à une même réalité, celle de la relation de la connexion réciproque qui réside entre les choses absolues et relatives. Car puisque les choses sont rangées en différentes séries on ne saurait alors connaître ce qui est relatif de ce qui est absolu, du moment que les deux notions sont liées par le lieu commun : le rangement auquel elles participent toutes. Cette règle avance un principe majeur qui sera repris par Heidegger. Ce principe repose sur l'arraisonnement, un mot qu'on a déjà vu aussi bien chez Heidegger qu'avec Yves Chevallard. Il est une expression qui consiste en une action qui s'astreint à pénétrer les choses de l'intérieur, pour en tirer une seule, qui (à titre d'illustration), nous aidera à comprendre toutes les autres pour nous dispenser enfin de l'étude de la totalité en vue de gagner du temps en cas d'urgence. Mais la question qui s'impose est celle de savoir comment pourrait-on titrer une seule chose sans avoir pris en compte toutes les autres ? C'est d'ailleurs ce que nous suggère implicitement l'expression cartésienne : “ en passant par toutes les autres ”. D'où la mise en place par Descartes d'une correspondance entre les couples philosophiques qui incarnent deux situations semblables en apparence, mais différentes en principe. Ces situations s'annoncent comme suit :

  1. l'absolu n'est pas isolé, car Descartes le considère le plus simple et le plus facile : tout le monde peut y accéder.
  2. le relatif est contraire à l'absolu. Il est difficile puisqu'il est composé de diverses relations complexes.

Au premier est lié le paradigme de la simplicité ordinaire, quant au second est lié celui de la complexité qu'on ignore dans la plupart des cas.

L'argumentation du distinguo sert à dissocier deux situations qui peuvent se rattacher dans les faits, mais qui restent en principe susceptibles d'être distinguées avant toute association et toute substitution. Au sujet de cette argumentation, Descartes présente les couples comme suit :

Pour Descartes ces couples philosophiques participent à une même unité qui est le rangement en différentes séries. Mais Descartes ne s'arrête pas là. Il s'engage et fait un choix d'appréciation. C'est ainsi qu'il décide de cultiver l'exception tout en se désintéressant des choses absolues qui sont connues, comme par exemple la droite, ce qui est égal ou semblable etc. Il procède ainsi tout en donnant de la valeur à l'oblique que tout le monde ne cherche pas toujours à connaître ni même à apprécier. Cependant, cet intérêt nous laisse penser que Descartes attachait une importance à la fausseté, à l'erreur, à ce qui n'est pas droit. C'est d'ailleurs lui qui disait qu'il ne faut pas rendre vrai ce qui est faux. L'important pour Descartes est donc de cultiver l'exception non pas des absolus, mais des relatifs devenus absolus, car ceux-ci contiennent des relations incommensurables, calculables et définissables. C'est ainsi qu'on passe de l'absolu-relatif, au sens où il renferme des relations différentes comme l'indépendance, la simplicité, l'égalité, la causalité, l'universalité, l'unité la similitude ou la droiture, au relatif-absolu, qui renferme d'autres relations exceptionnelles comme la dépendance, l'efficience, la composition, la particularité, la multiplicité, l'inégalité la dissemblance et l'obliquité qui sont des situations dont on doit désormais tenir compte. C'est sur ceux-ci que repose la nécessité de l'argumentation du distinguo, car ils incarnent quelques vérités qu'on peut déduire des autres vérités connues par tous. C'est donc de l'inconnu et de l'exceptionnel que doit surgir le connu. C'est de la cause que doit surgir l'effet et non l'inverse.

Il en va de même en didactique et en pédagogie lorsqu'il est question d'ouverture aux choses des apprenants. Car le désir d'apprendre est à la fois connu et inconnu. Il peut aussi être caché sous divers obstacles formant des noeuds, des seuils, des situations problèmes que le maître n'est pas censé forcement de connaître et de savoir. En quoi ces commentaires et ces analyses vont-ils nous servir pour notre concept de la transposition didactique face à la problématique du langage ordinaire entre pensée et contre pensée, entre ouverture et achèvement ?

La réponse à cette question trouve son sens dans les prises de position d'Y. Chevallard, des positions qui ressortent de l'article que nous venons de mentionner, d'expliquer et de commenter précédemment. Le lien avec les spéculations philosophiques de Descartes repose sur une notion d'ordre didactique qui traduit un débat qui porte sur le sens de la transposition didactique face à l'approche systémique, un débat d'actualité. Ainsi le fait de soutenir avec Descartes l'ouverture sur les relatifs-absolus, est en soi une idée défendue aujourd'hui par les humanistes, et par certains épistémologues qui tentent de penser l'École ou l'Université en tant que système social. Le fait de penser avec Chevallard la réduction de la temporalité éducative, pour penser l'École à ciel ouvert ouverte sur la société, sur les savoirs sociaux de référence, sur ce que Chevallard lui-même appelle : “ la problématique écologique ”, est une conception qui incite à la non distinction entre l'organisme et son “ habitat ou sa niche ”, comme le pense Yves Chevallard. Cette non distinction héritée de Descartes est nommée : “ l'écologie didactique des savoirs ”. Le problème qui se pose dans cette perspective de la relation à laquelle Chevallard tente de soumettre le processus de la transposition didactique, est de savoir s'il faut désormais soumettre ce processus au principe métonymique où au principe synécdotique ? C'est d'ailleurs la question problématique qui ressort du contenu de l'article d'Yves Chevallard 629 .

Puisque dans le domaine de l'éducation et de la transposition didactique, on tente de penser les états de la transposition de la connaissance, alors le procédé métonymique, qui (à en croire Henri Suhamy), consiste en “ ‘Le transport du sens via des relations qu'il y a autant de métonymies qu'il y a de relation’ ”, est le propre du langage de la transposition didactique. Car la tâche est de s'ouvrir sur ce que Y. Chevallard appelle : “ la pratique sociale de référence ”. En transposition didactique, on doit admettre l'impossibilité d'assimiler les savoirs au principe synécdotique, qui, lui, assimile le tout à la partie. On sait d'ailleurs qu'en éducation et en formation, il est impossible d'égaliser les inégalités cognitives qui séparent ceux qui savent (les maîtres) et ceux qui ne savent pas encore (les apprenants). Le procédé qui renforce cette même idée, éclate de la position de Chevallard qui souligne : “ ‘La question : qu'est-ce qu'un savoir (...) conduit à introduire une autre notion primitive qui, dans la logique de l'exposé théorique, vient prendre place avant même celle du savoir : la notion de pratique sociale. Toute activité humaine est pratique sociale’ 630  ”.

Pour nous, cette citation est importante, bien qu'elle ne soit pas si bien expliquée. Elle nous permet de marquer une bonne transition pour pouvoir étudier la transposition didactique des processus supérieurs de la personnalité qui sont par essence des pratiques sociales. Chemin faisant, on propose de commencer par la prise d'information : sensation et perception.

Mais avant d'y parvenir, récapitulons les raisons de notre choix du texte de Descartes qu'on a lié à la problématique du langage ordinaire entre pensée et contre pensée, entre ouverture et achèvement.

Lorsqu'on a pris connaissance du texte qui porte sur la question : Qu'est-ce qu'une chose ? posée par Heidegger, on s'est aperçu d'un chapitre auquel on a attaché un grand intérêt. Ce chapitre de Heidegger s'intitule : “ Descartes : cogito sum ; je pense en tant que subiectum par excellence 631  ”. A cet endroit, Heidegger se réfère à trois règles de Descartes à savoir la Règle III, la Règle IV et la Règle V. Dans toutes ces trois règles pour la direction de l'esprit, devenues chez Heidegger des règles méthodologiques, on constate une reprise (par Heidegger) de l'argumentation cartésienne pour légitimer son principe du questionnement en direction de la chose, tout en mettant au centre de l'univers, l'homme en tant que chose pensante. C'est ainsi que Heidegger souligne  : “ La chose est notre chose est nulle autre ”. Affirmer cela, présuppose en soi un engagement de la part du "Je" de l'être de l'homme, à une prise en compte des choses définies en terme de tâche. Puisque la Règle VI n'a pas été mentionnée ni exposée par Heidegger à cet endroit de Qu'est-ce qu'une chose ?, nous avons tenu alors à l'analyser tout en la liant à notre problématique de recherche. Nous avons procédé ainsi pour trois raisons. D'une part pour marquer le dépassement à l'égard de Heidegger et d'autre part, pour nous situer dans une logique de la continuité avec certains de ses propos, car ils sont significatifs pour le concept de la transposition didactique défini avec Chevallard en terme d'ouverture sur les pratiques sociales de références, sur les choses si différentes, réalisées et mises en forme par l'homme. L'autre raison enfin qui est objective ou logique est celle de l'importance de la teneur philosophique de cette Règle VI. Cette importance est soulignée par Descartes lui-même. En effet, son intérêt éclate à plusieurs reprises dans le traité. En plus du fait que cette Règle VI soit mentionnée aussi bien dans la Règle III, que dans la Règle V, elle est aussi considérée comme nécessaire et utile de toutes les Règles…. A son propos, Descartes souligne : “ qu'elle est-ce qui est le plus utile dans tout ce traité ”.

Ces explications nous ont aidés à comprendre le sens de la transposition didactique que Y. Chevallard tente de transposer d'une manière simpliste. En effet, Descartes n'a pas sous estimer la transposition et la transmission des connaissances philosophiques. Chose que Heidegger fera plus tard lorsqu'il s'est heurté à la définition de l'apprentissage et de l'enseignement en terme de tâches difficiles à accomplir. Nous pensons que Descartes fut un didacticien accompli, puisqu'il proposa – comme le fait Chevallard actuellement – d'apprécier les faits du réel. De ce fait on peut dire qu'il a été donc plus loin dans ses propos méthodologiques pour faire comprendre qu'en didactique, la problématique de l'ouverture ne doit rien laisser sous silence. Elle doit prendre en considération le rangement, l'ordre qui est posé dans les choses et à travers elles, et ce tout en commençant d'abord par les décrire, pour ensuite en apprécier une seule chose qui sera représentative de toutes les autres. Cette démarche peut faire gagner du temps aux générations futures qui sauront se restreindre uniquement à cette chose-ci, qui leur permettra de comprendre toutes les autres. Cette attitude est tout à fait révolutionnaire, car elle revient sur le temps des études, qui est dans la plupart des cas, celui de la course contre la montre de l'échec et du retard pédagogique et didactique. Voilà un vieil argument éducatif de l'illustration qui consiste en le choix d'une seule chose représentative de toutes les autres choses dont l'appréciation nous dispensera de l'étude de toutes les autres. Car du fait que cette chose-ci soit une partie égale au tout, elle nous permettra de renverser l'argument de Rousseau pour penser contre ce dernier que le temps en éducation il vaut mieux en gagner que d'en perdre. Car parfois on apprend sans comprendre et que les choses de la vie lorsqu'elles sont animées du frisson de sen, il serait une bêtise humaine de ne pas les apprécier pour un temps pour en tirer des modèles de vie.

Puisque c'est l'homme qui est possesseur du sens de la transposition didactique tel que nous venons de le voir, alors du point de vue de la pratique sociale en tant que processus métonymique, il serait donc important de répondre à la question : qu'est-ce que l'homme ? et ce en étudiant la transposition didactique des manières d'ouverture aux choses. A côté des étapes méthodologiques de l'expérimentation, il existe aussi des processus supérieurs de la personnalité tels que perception et sensation, qui sont aussi des manières de mise en forme du réel. Avant de revenir sur ces deux catégories supérieures de la personnalité, nous proposons d'abord d'approfondir notre schéma O.H.E.R.I.C qui a connu des transformations diverses, d'un champs de recherche à un autre.

Notes
591.

GrmeK Micro Drazen, op cit.

592.

C'est d'ailleurs la même remarque que G Deleuze, a fait dans Nietzsche et la philosophie, Edit: P U F à la page 86, là où il critique cette même manière de poser la question. Pour lui, la question est en soi métaphysique, et pour corriger cette erreur, il propose le passage à la question : qu'est-ce que.... Et la métaphysique. Il critique la question platonicienne: qu'est-ce que le beau? et ce pour ajouter, le sens que peut avoir le beau aussi bien pour moi que pour l'autre. C'est aussi une critique indirecte à la réponse Kantienne: le beau est-ce qui plaît universellement pour tout le monde. Or et à en croire Deleuze, “ l'essence d'une chose est découverte dans la force qui la possède ”. A mon avis Deleuze, fait ici une transposition didactique du philosopher : une définition de l'acte du philosopher voulue depuis par Nietzche qui disait d'ailleurs : “ La manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran ”.

A travers cette manière G. Deleuze assigne à la définition de la métaphysique du point de vue philosophique une double tâche:

1 : qu'est-ce que ?....

2 : et la métaphysique…

De ce point de vu, il reste fidèle à la tradition du philosopher qui se posait déjà la question du comment et du pourquoi des choses. La question philosophique est duelle.

593.

Bachelard (G.), La formation de l'esprit scientifique , op cit p : 18.

594.

Deleuze(G.), Nietzsche et la philosophie, op cit.

595.

Voir à cet égard les aventures des savants pour explorer la planète Mars et surtout en ce qui concerne la recherche de la profondeur des eaux: s'ils existent cela nous dit-on explique le prolongement de la vie.

596.

Pour ce qui est des formes de structure chiasmatiques ainsi que leur porté significative voir à ce sujet: La rhétorique ,Que sais-je ? par O Reboul, P U F N°: 2138. ou encore : Les figures de styles par: Henri SUHAMY Que sais je N°: 1889. Ou encore l e Traité de l'Argumentation de Chaim Perelman et Lucie O Tytéca notamment le chapitre II: Les arguments basés sur la structure du réel. pp : 351 et suiv. Il y a d'autres formes de chiasmes, comme celle que construit François Dagognet pour son ouvrage : De l'objet de l'art à l'art de l'objet , ou encore celle de Ph Meirieu  : “ faire du savoir de l'énigme, faire de l'énigme du savoir ” ; ou encore : du concept de l'idée à l'idée du concept etc. Ce sont toutes des formes qui reflètent une relation énigmatique entre les termes que l'on tente de définir.

597.

Pour plus d'information sur la manière dont Schopenhauer conçevait ce rapport, on incite à la consultation des textes choisis par Claude Khodoss in: Le vouloir-Vivre, texte choisis par André REZ P.U.F page: 35 à 41. On note dans le sous chapitre 2 le titre: physique et métaphysique. Au sujet de cette relation de connexion nécessaire, schopenhauer est pessimiste quant à l'extension du pouvoir physique. C'est ainsi qu'il souligne : “ Plus les progrès de la physique seront grands, plus vivement ils feront sentir le besoin d'une métaphysique ”. Ibid p : 39. Après avoir noté une digression philosophique en parfait accord avec le pessimisme Kantien quant à l'effet de la causalité naturelle, Schopenhauer ajoute : “ Je laisse maintenant cette digression pour revenir à mes considérations sur l'impuissance de la physique à fournir l'explication dernière des choses – je dis donc: sans doute toute est physique mais rien n'est donc explicable ” Ibid. Et Schopenhauer donne comme exemple d'illustration : le mouvement de la bille en disant que même ce mouvement reste mystérieux de la même manière que celui de la pensée. Ces propos seront réfutés par Nietzsche et pour mieux saisir cette réfutation Gilles Deuleuze et Michel Haar ont exposé sur ce point précis le dépassement de schepenhauer par Nietzsche. Pour Michel Haar in Nietzsche et la métaphysique, chapitre 2 intitulé : La rupture initiale avec Schopenhauer, pages 65 ;à 78, et pour Gilles Deuleuze, in Nietzsche et la philosophie , chapitre 5 intitulé : contre le pessimisme et contre Schopenhauer. Comment donc le dépassement fût-il avancé ? A en croire les deux lectures, la critique et la rupture de Nietzsche à l'égard de celui qu'il appelât lui même : mon Educateur; fût fulgurante. C'est ainsi que Nietzsche note: “ Schopenhauer traîne les côtés les plus nobles de la nature dans la boue   ” . La volonté n'est pas un simple vouloir, une simple représentation, une simple intention, la volonté ne se discute pas ne s'impose même pas. Elle se pratique. Voilà pourquoi, le dépassement et la rupture sont portées sur l'action. Schopenhauer souligne à cet égard que “ Notre réalité est d'un côté celle de l'Un originaire qui souffre; de l'autre côté la réalité comme représentation de cet Un originaire. Cette auto-suppression de la volonté, cette renaissance est possible parce que la volonté n'est rien que l'apparence elle-même ”. M HAAR, Ibid. p : 76. Et il ajoute : “ Quand la volonté s'intuitionne, il faut qu'elle voit toujours la même chose, c’est-à-dire que l'apparence doit être aussi bien que l'être, inchangée éternelle ”. Ibid.

Pour résumer ces propos, on dira que pour Nietzsche, la volonté, la liberté, ne sont pas une représentation pour réaliser l'autodétermination (comme Kant et Shopenhauer l'ont laissé penser), mais au contraire, elles sont pour Nietzsche une présentation. Car “ La manière dont laquelle je me porte libre est la même dont laquelle je me porte tyran ”, disait-il.

598.

Lacoue-Labarthe (Ph.), La fiction du politique. (Heidegger, l'art et la politique). Association des publications près les universités de Strasbourg 1986. Exemplaire N°: 0409. (Tirage limité). Dans cet ouvrage l'auteur distingue deux niveaux de l'être à savoir ce qu'il appelait notre être commun(La chose est notre chose et nulle autre) et l'être-commun : celui des autres qui nous est pas familier, que Heidegger a aussi distingué en laissant entendre que “ X a ouvert une voie moi seul capable de la poursuivre ”.

599.

Adorno (T.W.), Théorie Esthétique, op, cit, p : 119. Pour Adorno, “ L'apparaissant des oeuvres d'arts, inséparable de l'apparition, mais non identique à elle, c’est-à-dire le non factice de leur facticité, c'est leur esprit ”. Il est donc claire du point de vue métaphysique,que c'est l'état de l'apparition qui est un au-delà. Cela veut dire que tout énoncé n'est pas inséparable de l'état premier de l'énonciation, car pour Adorno, même l'oeuvre d'art est en elle-même un comportement. Le contraire de cette visée est à concevoir chez Heidegger. En effet pour celui-ci dans l'origine de l'oeuvre d'art conférences prononcées à la société des sciences de l'art de Fribourg-en-Brisgan le 13 Novembre 1935. Dans cette conférence Heidegger avance -du moins implicitement- que la réalité se réduit à l'apparence: l'être apparent c'est l'être réalité! En effet -et à l'en croire- les objets d'art sont des Las: des "ici-là" des "ici-là-bà", ils ouvrent l'histoire, celle-ci est "oeuvrée dans l'ouvert". Cela signifie que l'objet n'est pas historique mais historialet que l'artiste n'a rien avoir avec son oeuvre. Heidegger argumente en faveur de ces propos en employant une argumentation fondée sur la structure du réel. (voire l’argument du deuxième type esquissé parPerelman, in Traité de l'argumentation, op cit. Heidegger emploie en effet l'argument de la chaussure pour illustrer le propos de la réalité de l'apparence. Pour lui s'il y a des chaussures, ce n'est pas grâce à la présence - ou du moins à l'éclatement - des cordonniersde toute part, mais s’il y a chaussures c'est par ce que c'est possible quelque chose qu'on peut appeler : l'habillement du pied. Heidegger, Conférences sur l’origine de l’œuvre d’art, Ibid, p : 21 à 55.

600.

Ce constat a été largement discuté par Heidegger in  : Interprétation phénoménologique de la critique de la raison pure de Kant, Edit Gallimard 1982. A la page 33 on retient que : “ La métaphysique dit -il est-ce qui vient après ce qui traite de la nature (..) métaphysique comme titre technique reçut par la suite une signification qui était chargée de caractériser le contenu même de ces essais postérieurs à la physique ”. Ainsi et si l’on en croit en Heidegger, alors les expressions physiques et métaphysiques correspondent à un ordre nouveau subi au écrits d'Aristote lorsqu'ils furent rangés par des historiens de la philosophie au premier siècle avant Jésus-Christ. Or malgré cette ambiguïté qui émane de cet acte classificatoire, Heidegger à sa manière a tenu à donner une définition spécifique à la métaphysique en tant que science. C'est ainsi qu'il souligne : “ La métaphysique est la science de l'étant, suprasensible, de l'étant qui n'est pas accessible à l'expérience (...); puis cet étant intra-mondin qui est au centre de tout questionnement, à savoir l'homme lui même, et ce qui en lui ne peut pas être expérimenté: ce qui est au-delà de la mort". La même idée à été reprise par Lévinas dans le temps et l'autre, là où il disait : “ Qu'on peut tout échanger avec l'autre sauf, la manière d'exister . Pour nous, la question qu'on peut poser aussi bien à Heidegger qu'à Lévinas est la suivante :

Qu'en est-il de la belle idée du respect, non pas de la loi en tant que teneur juridique, mais de la loi en tant qu'attitude anthropologique? Y a t-il vraiment finitude à l'égard de l'autre lorsqu'il s'agit du respect de la nature humaine ? A vrai dire, l'autre (dans mes relations avec lui) ne me fait aucun effet, c'est au contraire la loi que je dois craindre dans mes rapports avec lui. Ce n'est donc pas sa loi en tant que nature humaine, mais la loi civile qui lui impose des limites à mon égard. De ce fait, la vraie liberté, n'est pas celle qui obéit à une loi imposée par l'idéalité du contrat ou de la loi civile, mais la vraie liberté est au contraire un combat permanent, car l'homme est le seul être à pouvoir obéir à une loi, mais aussi à pouvoir se retourner contre sa loi. L'homme nous dit-on (Nietzsche) n'est libre que lorsqu'il se bat, or que sous les concepts du contrat social ou de la loi civile, il n'a plus le temps de combattre ou de se conduire, il est conduit et il est battu !.

601.

Pour mieux comprendre ce problème de dépersonnalisation, de la decontextualisation, de la falsification de la transposition didactique du philosopher, on doit retenir, (dans la postérité de la transmission et de la paraphrase d'Aristote dans le monde arabe, aussi bien par AlKindi, Averroès, Alfarabi, Avicènne, qu'avec bien d'autres) l'incompréhensible philosophie aristotélicienne, puisque tout ces philosophes, que certains nomment théosophes ont fait d'Aristote, un penseur du Divin du fait qu'il parle de l'existence d'un premier moteur immobile. Or ils n'ont pas pris en compte, l'aspect dynamique de la philosophie aristotélicienne qui affirme que ce même moteur immobile, bien qu'il soit immortel (comme le veut la tradition divine), il n'intervient pas pour autant dans le sort du monde. Les philosophes-théosophes ont apprécié en la philosophie grecque (en particulier en celle d’Aristote) le statisme de l'idée première, et non pas le dynamisme des faits en mouvement.

602.

Schopenhauer, op cit.

603.

Comme le rapporte Philippe Lacoue-Labarthe pour ce qui est de ce qu'il a appelé : “ La solution finale des juifs ” dans La fiction du politique Heidegger l'art et la politique . Op cit.

604.

A travers son expérience dans les champs de tirs (qui avaient lieu dans une forêt tout en dérangeant des vieillards qui s'y trouvaient), Nietzsche expose dans sa cinquième conférence portant sur L'avenir de nos établissements d'enseignement son mépris (en tant qu'étudiant à l'époque) du maniement des armes. D'une part, il reconnaît la nécessité de la maîtrise de la nature à travers les sauts qu'il pratiquait dans les champs de tirs, et d'autre part il aspirait à la recherche de la conservation et de sa protection de la nature puisque dans de telles situations (du tir au pistolet) il dérangait les personnes qui s'y rendaient pour apprendre de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir. On peut dire que le débat portant sur la réforme du service militaire en Europe et plus particilièrement en France, avait déjà ses origines réflexives dans la pensée philosophique de Nietzsche, du moins à une période bien déterminée de sa propre pensée.

605.

Heidegger lui aussi a défini l'Etre en terme de tâche.

606.

Aristote, Ethique à Nicomaque. Livre; 1; 6, 1098a Trad. J. Ticot. Librairie Philosophique J. Vrin 1990. Page: 59 et 60.

607.

Voir à ce propos Penser avec Aristote, Ouvrage publié avec le Concours de L'UNESCO; notamment le chapitre: Physique et Métaphysique pages: 475 à la page : 527 et plus précisément à la page : 480 et à la page 481; ou dans son article: Théodor Ilitch Oizerman souligne le dépassement de Platon par Aristote en disant : “ La doctrine de Platon se caractérise principalement par l'absence totale d'intérêt pour les choses perçues par les sens, pour les phénomènes de la nature, les objets singuliers. Bien que la théorie des idées ait été crée sans doute pour expliquer le spectacle du monde perçu par les sens, elle ne sert à Platon que pour le discréditer. On comprend donc pourquoi les organes des sens sont caractérisés chez Platon comme d'effrayant obstacles sur la voie de la vraie connaissance. On sait que Platon appelait à fermer les yeux et se boucher les oreilles pour se rapprocher de la compréhension de l'être véritable ” . Pour réfuter ce procédé, l'auteur de l'article: philosophie et science, forme et matière, enchaîne sur l'intérêt de la pensée et de la démarche d'Aristote. C'est ainsi qu'il souligne, à la fin de la page 480 et au début de la page 481 que : “ Le caractère encyclopédique de la doctrine d'Aristote, s'harmonise totalement avec ses prémisses gnoséologiques. C'est justement le monde extérieur qui est pour Aristote la source principale, de la connaissance. Le reflet du monde extérieur par les sens constitue, selon Aristote, le matériel fondamental (la matière) de la connaissance, qui devient ensuite connaissance véritable, théorique grâce aux formes de la pensée, aux formes logiques. Du point de vue d'Aristote, la philosophie est la satisfaction du besoin de la connaissance qui s'étend à toute chose sans exception. Voilà donc pourquoi dans le premier livre du traité des animaux, Aristote affirme qu'il n'y a rien dans la nature qui ne soit digne d'être étudié, car dans tout ouvrage de la nature, on trouve une chose digne d'étonnement ”. A la fin de la page 481, l'auteur conclut par un éloge à Alexandre Koyré en disant : “ Alexandre Koyré fait remarqer avec raison que le monde n'est plus éphémère et sa mobilité n'exclut aucunement la permanence. Bien au contraire: on pourrait dire que pour l'aristotélicien, plus ça change, plus c'est la même chose; car si les individus changent, paraissent et disparaissent dans le monde, le monde lui, ne change pas, les natures restent les mêmes. C'est même pour cela qu'elles sont des natures. Et c'est pour cela que la vérité des choses est en elles ”. Citation in Alexandre Koyré, Etude de l'histoire de la pensée scientifique Paris 1966 p : 27.

608.

Dubuffet, dans son ouvrage intitulé : L'asphyxiante culture , s'oppose de la même manière que Nietzsche à la valeur fanatique, et à la jouissance artistique que les sujets assignent aux objets d'arts en s'opposant à leurs mises en mouvement et en s'attachant à leur conservation. Dans cette même direction Dubuffet incite à l'abolition de tous les sentiments valorisant les ouevres. C'est ainsi qu'il note : “ On ne peut abolir la valeur marchande qu'en abolissant la valeur esthétique, et c'est au surplus cette dernière qui est toujours pernicieuse bien plus que la valeur marchande ” .

609.

Hegel op cit.

610.

Nietzsche, cité par Ducat (Ph.), op cit.

611.

Dans cet même ordre d'idées François Guéry (notre maître) pense que “ Tout travail intellectuel n'est que de la merde et ne fait accoucher que de la merde ” Guéry (F) in Lou Salomé Génie de la vie , op cit.

612.

Cela n'est rien d'autre qu'une incitation à une théorie de l'éffacement devant les choses qu'on aperçoit. La question est celle de savoir si l'homme est apte à ne plus être sensibilisé, à ne plus inciter à la mobilisation ? Que ferons-nous par exemple des belles idées telles que la création, la motivation, la sensibilité, qui sont des propres natures humaines ? A vai dire Heidegger est injuste à l’égard de la nature humaine y compris sa propre nature ! Lévinas ne s’est donc pas tompé lorsqu’il a proposé de penser avec Heidegger contre conte Heidegge.

613.

La citation dont il est question ici est celle que nous venons d'évoquer à plusieurs reprises dans ce travail. Elle souligne le propos de Heidegger qui pense que “ l'Etre réside dans l'existence, l'être réside dans la substance, l'être réside dans L'IL y a (...) en quel Etant pourrait-on lire le sens de l'être ? (...), l'être là relativement à son être ”. Heidegger, op cit.

614.

In Aristote aujourd'hui , un ouvrage sous forme d'une table ronde, publié par L'UNESCO et les éditions Eres, voir l'article de JaKKo HintiKKa article qui s'intitule: Le logicien inconscient d'Aristote, page: 102 . (la même logique à animée l'ouvrage : Penser avec Aristote , la célébration du 2300 ème aniverssaire de la mort du philosophe).

615.

Voir à ce propos l'ouvrage, Philosophie et Éducation , écrits réunis en Hommage à Olivier Reboul P U F 1992.

616.

Bernard (CL.), op cit.

617.

Arsac (G.) La transposition didactique à l'épreuve, op, cit.

618.

Marion (J.L.), Costabel (P.) Descartes (R.) Règles utiles et claires pour la direction de l'esprit en la recherche de la vérité , La Haye, 1977.

619.

Arsac (G.), op cit.

620.

Ibid.

621.

Op, cit.

622.

Claude Bernard Introduction .., op ,cit p : 86 & 87.

623.

Ibid.

624.

Adorno (T. W.), op, cit. p : 82 et suiv.

625.

Arsac(G.), op, cit.

626.

Edgar(M.), Introduction à la pensée complexe , Edit E.S.F 1990

627.

Tarr Raissa, Koyré Alexandre Du monde clos à l'univers infini, Edit Gallimard 1988.

628.

Arsac (G.), Op, cit.

629.

Arsac (G.) La transposition didactique à l'épreuve, op cit. p 135

630.

Ibid.

631.

Voir Heidegger, Qu'est-ce qu'une chose ? op cit.