2.3.2. Des faits et des vérités véhiculés par les textes scientifiques, didactiques, et de vulgarisation.

Nous venons de qualifier l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale de Claude Bernard ainsi que le Traité de psychologie expérimentale de Paul Fraïsse, comme textes scientifiques. En revanche le texte du Manuel de psychopédagogie expérimentale d'Antoine Léon et celui du Manuel de psychologie expérimentale, de Paul Fraïsce sont des textes de la transposition didactique. Par contre les textes de la vulgarisation scientifique, sont présentés à travers le Que sais-je ? ( La psychologie expérimentale ) de Paul Fraïsse, et à travers le texte de Maurice Reuchlin présenté sous forme d'un Guide pratique de l'Etudiant en psychologie expérimentale . Nous venons de dire que la tâche principale de ces auteurs est la définition de la méthodologie expérimentale comme démarche susceptible d'être appliquée à l'homme.

Pour mieux comprendre l'écart sémantique ainsi que les trames conceptuelles de chaque reformulations, nous avons été amené à comparer les formulations et les reformulations de chaque auteur. Pour nous rendre compte de la différence qui existe entre la transposition didactique et la vulgarisation scientifique, l'important pour nous était la recherche du lieu-source de la provenance de leurs conceptions. Il y a en effet des origines lointaines et d'autres proches qui déterminent le lieu-source dont se proclament la quasi totalité des textes. On peut à titre d'exemple citer Aristote, Kant, Descartes etc.. Cela explique fort bien l'incapacité pour un discours à pouvoir se dispenser de l'argumentation d'autorité. Car toute autorité fait appelle à une autre pour légitimer le pouvoir de son discours. Par conséquent, l'originalité d'un texte est au fond le résultat d'un processus de construction qui puise son sens dans le geste de l'inspiration, un geste qualifié par Roland Barthes de vieux mythe romantique.

A nous maintenir à la définition de la méthode expérimentale, l'accord des auteurs a porté sur le processus didactique de la continuité, de l'ouverture à l'égard des faits. Il y a ici une conception philosophique, celle que nous avons déjà rencontré avec Descartes et Heidegger. Elle est une vision qui nous incite à une ouverture sur les choses. De cette ouverture surgit la relation de l'altérité à l'égard des faits. On peut se demander la raison pour laquelle nos auteurs sont en parfait accord quant à la facticité des faits. Autrement dit, pourquoi, parfois l'homme se tourne t-il vers les faits pour les faire parler ? La réponse serait celle que Hegel a pensé sous l'idée du frisson de sens, tout en laissant entendre que l'art réside dans les faits fortuits, et que toute observation organisée commence d'abord par la prise en considération de l'observation fortuite. Voilà la raison pour laquelle on peut penser avec André Malraux que le vrai artiste commence par le pastiche, par l'imitation de la nature des choses qu'il rencontre à première vue ! Mais le fait n'est pas simplement un fait objectif, il est aussi objectivé, mis en forme par un oeil qui le détermine : en lui se manifeste ce que Hegel a pensé sous l'idée de "l'esprit du peuple". C'est dans l'art que le peuple a déposé ses idées les plus hautes, disait-il. Pensé ainsi, le fait est donc factice de la non-facticité. On peut donc dire que les auteurs (P. Fraïsse, A. Léon) ont réussi la transposition didactique du principe de la psychologie expérimentale qui n'est rien d'autre qu'une démarche qui s'astreint à l'observation fortuite d'un fait en vue d'en organiser et d'en systématiser le sens.

Mais pour Claude Bernard, les faits ne sont des faits que lorsqu'ils sont soumis à l'idée. Cependant, si dans la nature toute chose palpite de la vie, alors le fait ne signifie rien en lui-même du moment qu'il n'est pas encore interpellé et interprété par l'homme. L'argument sous jasent est celui de l'analogie. Cet argument est fondé sur une ressemblance des rapports entre les éléments du thème (ce qu'on veut prouver) et ceux du phore (ce qu'on connaît). Si l'on en croît Claude Bernard, l'acte de penser se résume alors à une métaphore qu'il a formulé en disant : “ penser c'est se jeter à travers champs ”! Il y a ici une relation de connexion nécessaire entre la chose-ci et l'idée. A partir de là, on peut construire l'analogie pour dire que les champs sont à la nature ce que les idées sont à l'homme. Il est vrai que dans la nature les champs se diversifient : il y a des terres fertiles, arrables, il y a des champs désertique comme ceux dont Nietzsche n'attendait rien de nouveau. Ces champs sont ceux auxquels Nietzsche a imputé la perte de l'identité humaine en disant : “ le désert croit malheur à celui qui protège le désert ”. Ainsi, lorsque l'on se jette à travers champs, la première observation que l'on peut faire est que ceux-ci sont incommensurables. Il existe en effet ceux dans lesquels on peut planter des plantes typiques, d'autres qui ne sont pas aptes à être cultivés d'une manière plutôt que d'une autre etc. Il en va de même pour les idées de l'homme. Il y en a certaines qui sont si bien reçues, d'autres au contraire peuvent déstabiliser le pouvoir, la société. Du fait qu'elles siont exceptionnelles, les idées ne peuvent même pas faire l'objet d'impression. De ces idées humaines on peut aussi retenir l'extension, de la même manière que l'incommensurabilité des faits physiques. En effet, il y a des idées systématiques, capables de dégénérer dans différents domaines, d'autre qui sont fortuites, comme celles des gens populaires ou vulgaires, il y en a d'autres qui sont organisées, comme celles d'un philosophe, d'un médecin d'un homme de science etc. La ressemblance des rapports entre les faits physiques et les idées intelligibles repose donc sur l'incommensurabilité, l'extension qui existent entre les champs et les idées. A cette argumentation fondée sur la structure du réelle est liée la métaphore du terrain, la métaphore de la paysannerie comme Heidegger et François Guéry 641 l'ont pensé.

Si l'accord porte sur les faits, la divergence entre les auteurs porte alors sur les présomptions, sur des propositions qui ne sont pas les mêmes chez tous. Pour s'en expliquer, on doit reprendre le schéma de la démarche expérimentale que nous venons de mettre en forme sous le sigle : O.H.E.R.I.C, que nous proposons de retenir sous forme d'un cri, d'un appel à l'extension du pouvoir de l'expérimentation à tous les domaines de la pratique scientifique.

A lire dans le tableau-texte les différentes formulations de chaque auteur, on s'aperçoit que ce schéma bien qu'il soit commun à tous les textes, son sens reste différents d'un auteur à l'autre. Dans le texte scientifique de Claude Bernard, il n'y a à aucun moment – ne se risque que d'une manière modeste – une allusion à l'aspect psychologique. Le schéma n'est pas appliqué à la psychologie, il est au contraire appliquée à tous les êtres vivants, y compris les êtres naturels. Car on est dans le domaine de la physiologie. La seule citation dont il est question d'une soumission de l'aspect pathologique à l'expérimentation, est une citation qui légitime l'existence d'une autre vie qui échappe à l'expérimentation. Cette vie est celle – que Claude Bernard pense sous l'expression : “ vie intérieure ”. C'est ainsi que l’auteur de l’Introduction…souligne : “ ‘Dans l'expérimentation sur les corps bruts il n'y a à tenir compte que d'un seul milieu, c'est le milieu cosmique extérieur ; tandis que chez les êtres vivants élevés il y a au moins deux milieux à considérer : le milieu externe ou extra-organique, et le milieu intérieur ou intra-organique’ 642  ”

On peut dire à partir de cette conception de la méthodologie expérimentale, qu'il y avait chez Claude Bernard une conscience d'une vie intérieure qui pourrait être l'un des aspects du psychologique. Mais son sens n'était pas celui de la chronothèse du sens, celui d'une manière d'être incarnant un acte de créer puisant son fondement dans la construction de schèmes transcendantaux. Ce sens était au contraire celui de l'idée. Celle-ci est proche de la disposition morale fondamentale dont parlait déjà Kant pour marquer la spontanéité des idées qui mettent en forme des projets ayant des caractères concrets. Pour Claude Bernard l'idée est aussi un fait puisqu'elle traduit le pouvoir des actions, des projets dans le monde sensible. Pour lui, pris pour eux-mêmes, l'idée et le fait ne valent rien. Le lien entre l'idée et le fait doit être organique. C'est d'ailleurs ce qui explique sa répétition du mot : "organique". Cette même répétition laisse entendre que toute chose palpite de la vie. On peut désormais soutenir la thèse suivante : la méthodologie ou la démarche expérimentale est née chez Claude Bernard par simple hasard et non pas par nécessité. Autrement dit, la transposition didactique des contenus de savoir de Claude Bernard était un simple hasard, car lui-même avait fait des découvertes tout “ en se jetant à travers champs ”, avant de commencer à se demander les manières de les véhiculer et de les transmettre. De ce fait, on peut dire que la transposition didactique peut parfois trouver son sens dans l'action du hasard, une action qui devient une nécessité dès lors qu'elle est susceptible d'être cultivée comme état d'exception. Mais cet état d'exception ne sera pas maintenu dans le texte didactique de Paul Fraïsse, où l'accent est mise sur la personnalité et de l'observateur et de l'observé. Pour Fraïsse, l'action de se jeter à travers champs est récusée, car dans cette chute hasardeuse, il n'y aura pas de programme, pas même d'organisation et de programmation. On passe donc d'une argumentation quasi-logique, d'une argumentation de substitution à une autre qui est cette foi-ci celle de la logique, une argumentation du distinguo, je dirais même de la dissociation. Dans cette perspective, une question légitime s'impose : que devons-nous distinguer et dissocier avec Paul Fraïsse ? La réponse ressort de nos tableaux-textes. Pour être claire sur ce point, on doit reprendre quelques formulations qui témoigneront de cette argumentation du distinguo. Pour légitimer l'intervention incessante de l'expérimentateur dans le monde sensible, dans des différentes situations psychologiques, Paul Fraïsse emploie lui aussi une métaphore qui est d'un autre ordre. Ainsi lorsqu'il souligne (en parlant du rôle de l'expérimentateur) que dans cette situation expérimentale “ il s'agit de débrouiller un écheveau ”, il veut dire par là, que le fait psychologique n'est pas si simple que l'on peut l'imaginer. Il n'est pas un simple fait parmi d'autres qu'il s'agit de suivre ou d'interpréter à notre guise. Il est au contraire comme un écheveau : tissé de relations complexes qu'il faut défaire, qu'il faut interpréter. De l'argument de l'analogie connu dans le texte de Claude Bernard on passe à une autre argumentation celle de la double hiérarchie, qui dépasse le texte dit originaire proche. On apprécie avec l'auteur une hiérarchie nouvelle connue sous l'emploi d'une nouvelle métaphore celle d'un écheveau. Comme on apprécie aussi le passage à une autre argumentation qu'on peut découvrir – si l'on en croît l'auteur – par le biais de l'établissement d'une ou de plusieurs relations entre deux ou plusieurs faits. A partir de là, on peut laisser penser que Paul Fraïsse veut prouver le préférable c'est-à-dire : la détermination des relations entre les faits par la coexistence. A vrai dire, dans un fait, il peut y avoir plusieurs variables. Par conséquent, le rôle de l'expérimentateur est de décomposer un fait combiné, composé de plusieurs variables. Voilà pourquoi Paul Fraïsse pense que le corps d'une science est déterminé par la hiérarchie dont témoigne un ou plusieurs faits.

Dans le cadre de cette transposition didactique de l'objet du commencement de la méthodologie expérimentale, on peut dire que le plus important dans toute analyse est de partir d'un fait. Mais le sens du fait varie selon la variation de l'argumentation. Dans le texte de Claude Bernard il y a une argumentation du précédant, alors que dans celui de Paul Fraïsse on assiste à celle du dépassement et par là-même à l'argument de la direction. Ce dernier trouve son fondement dans le texte de la vulgarisation scientifique de la transposition didactique dont témoigne le propos d'Antoine Léon. Ce propos qui consiste à dire que quoiqu'on dise à propos de la méthodologie expérimentale, le but de cette démarche est toujours le même aussi bien en biologie, en psychologie qu'en psychopédagogie. Il existe donc à travers cette affirmation une direction particulière de recherche que l'auteur se force à nous imposer en laissant entendre implicitement, que quoique l'on fasse pour expérimenter, la démarche dirigée à l'encontre de ce but est toujours la même. On peut en effet vérifier la teneur de cette argumentation à travers la citation d'Antoine Léon qui souligne : ‘L'approche expérimentale d'un problème en psychopédagogie, comme en psychologie repose sur une conception scientifique’ 643  ”

A travers l'argumentation du précédant dont témoigne le texte de Claude Bernard, on peut apprécier la similitude, la ressemblance des relations qui existent entre les corps vivants qui participent à une même réalité. A vrai dire, le monde du vivant, est animé par la vitalité puisque toutes les espèces vivantes participent à la reproduction du vivant. Cela est une qualité suprême de la vie. En revanche à travers l'argumentation du dépassement, dont témoigne le texte didactique de Paul Fraïsse, la nécessité de la méthodologie expérimentale est maintenue. L'auteur insiste en effet sur la possibilité d'aller toujours plus loin dans la pratique expérimentale. Dans cette pratique qui procède par accroissement continu de valeur, quelques réserves sont mentionnées par l'auteur. Ce dernier laisse entendre que l'expérimentation n'est pas toujours possible là où elle risquerait de blesser des personnes humaines. Dans le texte scientifique de Claude Bernard, cette exception n'est pas mentionnée. Ainsi et si l'on en croît l'auteur de l'introduction, le savant peut se permettre d'expérimenter d'une manière indifférenciée, car on est dans le domaine de la physiologie. On peut se permettre – comme l'auteur de l'introduction... lui-même le laisse entendre – de “ pêcher dans l'eau trouble ”. Il y a à travers cette figure de pensée qui est l'épitrope, une incitation à quelque chose de scandaleux : une invitation par l'auteur à l'usage des capacités cognitives connues dans le domaine de la physiologie expérimentale. Le savant doit donc non seulement se jeter à travers champs, mais vivre l'aventure, car la vraie science, la vraie liberté n'est pas celle qui se réalise dans l'obéissance à des Lois, à des normes ; elle est au contraire celle qui trouve son fondement dans le risque gratuit et dans le vivre dangereusement. De ce fait, le texte scientifique de Claude Bernard, dans la conception qu'il donne d'un fait est construit sur des normes propres aux modèles des sciences de la nature ; alors que celui de Paul Fraïsse dans sa distinction des différents niveaux d'analyses d'un fait, est influencé par le modèle des sciences humaines. Quant au texte d'Antoine Léon, que nous avons qualifié tantôt de transposition pédagogique, tantôt de vulgarisation scientifique de la transposition didactique, puisqu'il fait allusion à la fois à Claude Bernard et à Paul Fraïsse, adopte un point de vue synthétique de l'approche humaniste et savante. Cela a rendu son texte incompréhensible malgré sa simplicité stylistique. Ce texte, d'Antoine Léon, tente de passer de l'ésotérique à l'exotérique. Car il est destiné à un public large. D'ailleurs la formulation : "psychopédagogie" en est un exemple légitimant ce propos.

On doit avouer que la quasi-totalité des textes du Manuel de psychopédagogie expérimentale d'Antoine Léon, sont pour nous incompréhensibles. Nous espérons (à travers ce sentiment qui nous est propre) que les auteurs que nous critiquons dans ces textes ne se sentent pas lésés, car on ne critique que ce qui vaut la peine. La comparaison de quelques formulations et reformulations, visant à définir le sens de l'expérimentation en sciences humaines en général et en psychopédagogie en particulier, nous montre fort bien l'altération négative issue du passage d'un niveau de formulation à un autre. Ainsi par exemple la formulation : “ la préparation du projet et la recherche documentaire ”, avancée dans le texte d'Antoine Léon, n'a rien avoir ni avec l'expression : ‘“ la préparation de la situation expérimentale’  ”, exprimée par Claude Bernard, ni avec celle de : “ l'organisation de l'expérience ”, voulue par Paul Fraïsse. Il y a dans ce passage une distance sémantique et une trame conceptuelle qui infirment le sens du fait expérimental. Ce dernier – comme nous venons de le voir – dans le texte scientifique de Claude Bernard, nécessite une préparation qui n'est pas celle de la recherche documentaire, mais celle d'une motivation du chercheur expérimentaliste à se jeter à travers champs tout en cherchant à pêcher dans l'eau trouble. En réalité, cette vision n'est pas loin de celle du texte didactique de Paul Fraïsse qui pense que le fait humain est tissé comme une toile d'araignée, dont il faut chercher à débrouiller un écheveau. Mais le sens de ce fait se complique davantage dans le texte d'Antoine Léon que nous avons qualifié de vulgarisation de la transposition didactique. Son sens s'éloigne des précédants du fait qu'il soit arbitraire, ordinaire et immotivé. Ce fait est devenu un fait parmi d'autre faits. D'ailleurs le texte d'Antoine Léon le souligne fort bien tout en laissant penser que : “ L'approche expérimentale d'un problème en psychopédagogie, comme en psychologie, repose sur une conception scientifique de la discipline et suit une démarche qui consiste à aller d'un fait plutôt brut à un fait plutôt élaboré en passant par l'élaboration d'hypothèses ou de plusieurs aussi précises que possible 644  ”.

Cette conception est renforcée par un argument d'autorité qui se traduit par une double référence. En effet, l'auteur du Manuel de psychopédagogie expérimentale se réfère tantôt à Claude Bernard, tantôt à Paul Fraïsse. Le reproche que nous tenons à faire à ce texte est que sa simplicité traduit le paradigme de la complexité. La manière simpliste dont il nous présente les faits psychologiques en est un exemple probant. En effet, comme on peut le constater, l'auteur fait suivre des citations livrées aux lecteurs d'une manière tout à fait sèche. Il ne se force pas à les commenter. A titre d'exemple, on peut mentionner son renvoi permanent à d'autres chapitres dont il n'est pas l'auteur. Les formulations fréquentes qui reviennent à plusieurs reprises sont comme suit :

‘“ Nous avons insisté à plusieurs reprises sur la formulation nécessairement précise de l'hypothèse 645  ”.’

A lire cette formulation, on constate que l'auteur manque de précision, car on ne sait pas encore à quel chapitre, à quel paragraphe cela à été mentionné ! En plus, dans un chapitre portant le N° 3, qui s'intitule : “ Hypothèse et mise en oeuvre expérimentale ”, l'auteur reste fidèle au renvoi. Mais à cet endroit il nous renvoie à un vide : à aucune explication. En effet, à la page 82 de l'ouvrage : Manuel de psychopédagogie expérimentale, on est forcé de constater une absence totale quant à l'explication d'une situation. Ce renvoi fuit la réalité éducative et pédagogique qui devrait être arraisonnée d'une manière permanente. C'est d'ailleurs ce qui ressort de la proposition d'Antoine Léon, qui souligne : ‘Le problème de la mise en oeuvre expérimentale qui permettra de tester les hypothèses n'est pas de notre propos’  ”. Ce silence n'est pas légitimé. Il n'est pas expliqué, il est au contraire renvoyé à une imagination créatrice du lecteur. Le texte continue à nous renvoyer à un autre chapitre qui porte le N° V, dans lequel il n'est plus question de situations quasi-expérimentales – comme le souligne l'auteur du Manuel didactique dans le chapitre : 3 IV –, mais dans le lequel il s'agit de “ la construction de situations expérimentales ”. Cela n'est pas la même chose. Car si l'on en croît l'auteur, il suffit de quelques lignes pour traiter aussi bien de l'hypothèse que de sa mise en oeuvre expérimentale. Le renvoi se complique davantage lorsque l'auteur du Manuel didacique.., pense à la mise en forme d'une relation expérimentale. C'est ainsi qu'il souligne : ‘“ C'est pourquoi il a semblé utile d'en faire au moins mention ici’  ”! En réalité rien n'est mentionné au sujet d'une relation de connexion nécessaire entre l'idée expérimentale et le fait de l'expérimentation. Par contre ce qui est important est la fidélité de l'auteur au renvoi. En effet l'auteur ne mentionne pas ‘Les quelques formes de déterminisme en psychopédagogie’  ”, dont l'approche expérimentale doit tenir compte. On assiste de nouveau à une évacuation des faits, évacuation qui métamorphose les résultats et qui infirme les faits au lieu de les affirmer.

On peut aussi mentionné du renvoi et ce à deux reprises presque à la même page. Par exemple à la page 76, on lit : ‘On trouvera des précisions dans ce chapitre, sous méthode expérimentale, et dans le chapitre IX, et ce qui concerne les plans d'expérience’  ”, quelques lignes plus loin à la page : 77, on trouve une expression inexplicable et non démontré à travers laquelle l'auteur affirme : ‘Disons tout de suite qu'énoncées comme ci-dessus, ces hypothèses sont extrêmement vagues ’ . Cette formulation est encore pour nous incompréhensible et ambiguë. On voit mal comment dans un travail d'équipe (comme celui dont témoigne ce Manuel dit de psychopédagogie expérimentale), le renvoi aux différentes idées des membres d'un groupe de recherche peut-il être légitimé ? surtout lorsque chaque chercheur a des visées différentes pour atteindre une consigne-but. On voit mal aussi comment des auteurs ayant des spécialisations divergentes peuvent-ils collaborer ensemble pour mettre en forme une seule situation comme lieu de l'unité et du préférable ?

Parmi les formes du renvoi les plus frappantes, on peut citer celle que nous avons retenu de la page 21 à la page 35 de l'ouvrage d'Antoine Léon, là où l'auteur mentionne “ les principes ” et “ les processus ”, qui sont par essence (à ses yeux) le fondement de la recherche en psychopédagogie expérimentale. Cela est important pour nous pour parler des principes et des processus, mais de quoi s'agit-il au juste ? Claude Bernard dans le texte scientifique a pensé que la démarche expérimentale est le résultat d'un processus dialectique à travers lequel on part de l'idée pour arriver au fait et du fait à l'idée. Il en va de même dans le texte scientifique de Paul Fraïsse, là où les faits sont classés. Si l'on en croît Paul Fraïsse, alors on est forcé de penser qu'il y a des différents niveaux d'expérimentation et d'observation. A nous maintenir à cette classification qu'on va bientôt reprendre, on peut constater un passage du principe de la taxonomie (science de la classification) propre aux textes scientifique, à celui de la taxinomie (science des objectifs) chèr aux textes de la vulgarisation de la transposition didactique. Avant de nous expliquer sur la légitimité ou l'illégitimité de cette évacuation qui métamorphose les résultats et biaise le sens des propositions et des faits, continuons à mentionner les effets des différentes formes de formulation et de reformulation quant aux sens de la démarche expérimentale.

En comparant le texte de transposition didactique de Paul Fraïsse notamment le Tome I intitulé : Histoire et Méthode, et le texte de la vulgarisation de la transposition didactique d'Antoine Léon, intitulé : Les étapes de la recherche, on s'aperçoit que l'écart entre les deux est remarquable à plusieurs niveaux d'analyses. En plus de l'écart existant quant à l'appréciation du fait psychologique, s'ajoute celui de la relation qui réside entre le simple et le complexe, entre le tout et la partie.

Dans l'optique de Claude Bernard, rien n'est simple. L'expérimentateur doit en effet cultiver les exceptions : il doit se tracer une démarche multiple. Il doit être à la fois théoricien et praticien. Cela n'est pas le cas dans la conception d'Antoine Léon, pour qui, le chercheur-expérimentateur doit simplement partir de la simple relation d'une expérience vécue, au contrôle rigoureux de certaines hypothèse. Il y a ici – en plus du renvoi à certaines hypothèses –, un renversement total de l'ordre des termes. Le texte pédagogique se construit sur la base d'une structure chiasmatique qui peut s'annoncer ainsi : de la théorie expérimentale, à l'expérimentation théorique. Cette structure signifie aux yeux d'Antoine Léon, que le praticien lui seul est apte à parler d'expérience qui, elle, n'est rien d'autre qu'une pratique trouvant son fondement aussi bien dans “ la préparation du projet de la démarche documentaire ” que dans “ la construction de la situation expérimentale ”. Dans ce même texte (que nous avons qualifié de la vulgarisation de la transposition didactique), on assiste aussi à l'absence de figures rhétoriques. Parmi les caractéristiques esthétiques de ce texte, on peut mentionner son caractère à la fois sombre loin de toute amplification se voulant objectif. Il est en soi un texte qui veut par là-même inaugurer une nouvelle technique de recherche. Mais cette absence des formes rhétoriques et argumentatives est d'abord regrettable, car dans un texte pédagogique, qui se veut un moyen et un outil pour l'appropriation des concepts et des contenus à caractère ésotérique, l'emploi de ces techniques est toujours utile pour la transposition didactique du sens de la démarche expérimentale. Ensuite, cet absence ne dispense pas l'extension du pouvoir argumentatif dont l'auteur se proréclame à maintes reprises. Son discours est animé par l'emploi d'arguments d'autorités, par l'emploi des différents lieux ayant pour but de renforcer la légitimation de ses propos.

S'agissant de la relation qui réside entre le tout et la partie, on peut dire que les faits dans le texte scientifique sont problématisés. En effet, Claude Bernard, s'interroge sur la vitalité des corps, sur le sens de l'exception, sur les manières de les cultiver. C'est ainsi qu'il souligne : ‘Un phénomène nature n'étant que l'expression de rapports ou de relations’ 646  ”. Mais pour cet auteur toutes les exceptions ne peuvent en aucun cas être cultivée, la seule qui pourrait l'être est celle de l'homme, c'est-à-dire celle de son idée d'appréhender des faits. Là où le texte didactique et le texte de la vulgarisation de la transposition didactique cherchent à définir le fait de l'expérience, le texte scientifique se demande : qu'est-ce qui est susceptible d'être cultivé, d'être observé et analysé sous la démarche de la méthodologie expérimentale ? La réponse qu'en donne le texte scientifique est claire et concise. Elle ne comporte aucun renvoi. Elle s'annonce ainsi : ‘“ Dans les corps vivants comme dans les corps bruts, les lois sont immuables, et les phénomènes que ces lois régissent sont liées à leurs conditions d'existence par un déterminisme nécessaire et absolu (...), les phénomènes ne peuvent jamais se contredire s'ils sont observés dans les mêmes conditions’ 647  ”. Ce déterminisme naturel témoigne de l'argumentation fondée sur la structure du réel que nous avons déjà mentionné, taxonomisation chère au texte scientifique ; alors que dans le texte d'Antoine Léon, on assiste à une décontextualisation du message. On n'est plus dans le registre du général, de la totalité qui explique le sens de la vie, mais plus du côté du registre de la particularité, d'une exception simplement pédagogique, qui est d'ordre général totalement vague. Pour le texte scientifique, l'exception qu'il faut cultiver est celle de la relation dialectique entre l'idée et le fait. C'est ainsi que Claude Bernard souligne : ‘Je dis que le mot exception est anti-scientifique ; en effet, dès que les lois sont connues, il ne saurait y avoir d'exception’ 648  ”. Pour le texte de la vulgarisation de la transposition didactique, il s'agit de l'administration de la preuve, et non pas de la recherche des lois des phénomènes. Voilà la raison pour laquelle Antoine Léon souligne : ‘C'est par un fait et non par une interprétation subjective ou arbitraire qu'il convient de répondre à la question posée ou de contrôler l'hypothèse (...), la psychologie scientifique doit être soucieuse de la vérification et de l'administration de la preuve et que l'application du modèle R= f(P.S), implique l'adoption d'une attitude déterministe’ 649  ”.

Cependant, on constate non seulement un changement des répertoires lexicaux, mais aussi une décontextualisation du message et des contenues. Pour le texte scientifique, il existe plusieurs attitudes déterministes à prendre en considération. Il y a en effet des exceptions à cultiver. Quant au renvoi du texte de la vulgarisation de la transposition didactique à une seule attitude déterministe qui n'est pas mentionnée ni déterminée, rend le texte d'Antoine Léon inaccessible et incompréhensible. Par conséquent on peut rendre légitime le propos de M. Tardy qui a souligné : “ ‘Je n'aime pas ce qui se publie dans le domaine de la recherche pédagogique’  ”. Mais cette affirmation présuppose la légitimation de son opposé. L'auteur de l'ouvrage : Le professeur et les images, ne rejette pas ce que les maîtres, les instituteurs et les pédagogues font sur le terrain, mais ce qu'il leur reproche, est la difficulté de traduire leurs actions en problématiques à hautes densité discursives. Comme on peut le constater, le texte scientifique de Claude Bernard, témoigne bien de cette haute densité qui se manifeste dans son analyse pluridisciplinaire du fait expérimental, une approche analytique que l'on ne retrouve pas dans le texte d'Antoine Léon que nous avons qualifié de la vulgarisation de la transposition didactique. De ce fait, on peut penser que dans le domaine des sciences humaines et peut être même dans celui des sciences de la nature, la partie n'est pas toujours égale ou équivalente au tout. La décontextualisation à laquelle on assiste dans le texte de la vulgarisation de la transposition didactique, se traduit par le passage de “ la recherche des conditions...., ”, dont témoigne la visée de Claude Bernard, à “ l'administration de la preuve... ”, voulue par Antoine Léon.

Pour compléter nos comparaisons et nos études quant au schéma O. H. E. R. I. C, on doit (pour en apprécier la légitimité ou l'illégitimité des différentes transpositions didactiques), revoir le sens réussi de celles-ci. Si la vulgarisation de la transposition didactique n'a pas réussi à définir le sens du fait méthodologique expérimental, alors on pourrait laisser penser que la transposition didactique dont témoigne le Manuel de psychologie expérimentale de Paul Fraïsse, ainsi que son texte scientifique : Histoire et méthode ont réussi à traduire d'une manière exhaustive le sens de la méthodologie expérimentale en psychologie. Pour relever ce doute, on doit comparer et analyser d'une manière exhaustive les études des auteurs quant au schéma O. H. E. R. I. C.

Notes
641.

Si Heidegger avait laissé penser que la chose est notre chose et nulle autre, alors François Guéry le reprend sur ce point précis en laissant entendre que notre paysage doit nous faire réfléchir. "Voilà de quoi nous faire réfléchir" dit-il.

642.

Claude Bernard, in Introduction. .. repris par G.M. Drazen, op, cit. p : 104.

643.

LEON (A.), Manuel de psychopédagogie expérimentale, op cit.

644.

Ibid.

645.

Ibid p : 85.

646.

Claude Bernard, Introduction à l'étude de la médecine expérimentale . Op cit, p : 113.

647.

Ibid.

648.

Ibid, p : 11.

649.

Antoine Léon, op cit p : 29.