Chapitre III : Etude de l'argumentation distincte à la fois de la transposition didactique et de la vulgarisation scientifique des étapes de la méthodologie expérimentale comme objet de savoir à être enseigné.

Jusqu’alors toute la problématique de notre recherche consiste à examiner le processus de l'altération négative et positive des différentes formes de transposition didactique de notre objet de savoir à être enseigné. Le problème que nous avons rencontré dans cette recherche est celui de savoir s'il existe lors du passage du texte du savoir-savant, au texte de la transposition didactique et de la vulgarisation scientifique, une distance et une décontextualisation, qui infirment et affaiblissent le sens authentique des propositions dont témoigne le texte de Claude Bernard comme texte "originaire" possédant une "origine" lointaine. Lorsqu'on procède (par la voie de la transposition didactique ou par celle de la vulgarisation scientifique) à la mise en forme des notions falsifiées et simplifiées, il y a toujours dans ce passage du savoir-savant au savoir à être enseigné des risques et des glissements dans le non sens. Parmi ces risques on peut mentionner celui des situations problèmes que nous avons défini comme contre pensée. Or, l'acte d'enseigner, de diffuser et de mettre en mouvement des connaissances et des savoirs a toujours été un "métier impossible" depuis Platon et Aristote, un métier qui pourtant ne se distingue en rien de celui du menuisier ou du charpentier qui – comme Nietzsche et Heidegger l'ont laissé penser – , font ressortir du bois et des statues, des formes vivantes. Il en va de même en fait pour l'acte de la falsification. Celui-ci en effet s'astreint malgré ses effets d'altérations négatives, à illustrer des propositions à travers une technique et un jeu de rôle, qui engendrent la démystification du caractère ésotérique du savoir. Car on a toujours tendance à penser que le savoir et les connaissances scientifiques sont l'oeuvre d'une élite : les savants, alors qu'on oublie souvent que les grandes découvertes scientifiques sont en fait l'oeuvre d'hommes d'exceptions, d'hommes qui se jettent à travers champs tout en se moquant des normes admises par les institutions programmatrices des connaissances et des savoirs. C'est à propos de celles-ci que Dubuffet a affiché ouvertement son opposition en les qualifiant d'institutions d'administrabilité et d'asphyxiante culture. De ce fait on peut légitimer la fausseté, les erreurs et les pseudo-connaissances scientifiques auxquelles aspirent aussi bien la transposition didactique que la vulgarisation scientifique. L'une et l'autre tentent d'arriver à un même but à savoir l'extension du pouvoir cognitif. Pour s'en expliquer, nous tenons à mentionner (à titre d'exemple seulement) l'extension du schéma bernardien aux domaines psychologique et psychopédagogique. A travers ces domaines de recherche ce même schéma va être enrichi puisqu'il ne comprendra plus que trois étapes comme chez Claude Bernard, mais plusieurs étapes de recherches et d'analyses.

L'ouverture du concept à d'autres domaines de recherche traduit l'aspect positif de la dépersonnalisation du message et de sa décontextualisation. Cette ouverture possède un aspect positif, car à son insu le concept n'est plus aliéné, n'est plus oublié : il est en relation avec le pour autre chose. Cette situation nous montre fort bien que rien n'a de sens qu'en relation avec son opposé et que toute chose n'étant égale que par ailleurs. Il en va de même pour toute oeuvre d'art y compris la pédagogie et la didactique qui l'une et l'autre usent de la ressemblance, de l'image, de la copie et du faux pour mettre en forme l'extension du pouvoir cognitif. Ainsi comme le pense Umberto Ecco dans l'Oeuvre ouverte, une oeuvre d'art lorsqu'elle est en mouvement n'est plus asphyxiée comme cela lui arrive souvent lorsqu'elle est posée, gardée d'une manière relique dans les Musées. Dans le domaine de la transposition didactique des contenus, on peut laisser penser que les connaissances et les savoirs, deviennent aliénés dès lors qu'ils sont administrés. Car c'est sous les effets de l'administration qu'ils se transforment en de simples choses parmi les choses livrées au souvenir et en chute libre dans la sphère du monde de la formation qui n'est pas forcément celui de l'information qui rend accessible les savoirs et les connaissances à un grand public large. Car dans la situation de l'administration et de l'asphyxie de la culture scientifique, les savoirs ne sont plus appréciés par le grand public. Cependant, l'un des l'objectifs de la vulgarisation scientifique définie par Daniel Jacobi en terme “ d'École parallèle ”, est de rendre la connaissance accessible à tout les membres de la société. Mais sous ces mêmes buts : l'accessibilité et l'appropriation, le concept originaire, objectif n'est plus authentique, n'est plus ce qu'il était. Il devient (sous ces effets), objectivé : mis en forme par un oeil qui en discerne le sens. Lorsque le concept est mis en mouvement par la vulgarisation scientifique, il remplit dès lors des fins d'information. En revanche lorsqu'il est soumis à la méthodologie de la transposition didactique qui en programme le sens, il remplit des fins de formation. La seule alternative pour que les deux méthodologies puissent échapper à ce que Dubuffet pense en terme d'asphyxiante culture, est de chercher les moyens pour favoriser l'extension du pouvoir cognitif tout en réconciliant le programme et la programmation cognitive. C'est-à-dire en mettant en place une méthodologie de la recherche d'une synthèse possible entre la transposition didactique de la vulgarisation et la vulgarisation de la transposition didactique. D'ailleurs comme nous l'avons déjà mentionné aussi bien avec Aristote qu'avec certaines Ecritures dites saintes (coraniques) les deux méthodologies sont en relation de connexion réciproque. L'une ne peut se passer de l'autre.

A nous maintenir à l'unique schéma O. H. E. R. I. C, on peut légitimer cette relation de connexion nécessaire entre transposition didactique et vulgarisation scientifique, avec quelques réserves et quelques exceptions que nous devons retenir. S'agissant par exemple de la fabrication de l'objet du savoir, on peut remarquer que le travail du savant : ce que Paul Fraïsse à écrit dans le texte scientifique du Traité de psychologie expérimentale, est un travail postérieur à ce qu'il avait écrit dans son Manuel didactique . On doit rappeler que les premiers écrits du Traité datent de 1963, alors que les seconds : ceux du Manuel , datent de 1956. Cette précision historique est pour nous capitale. Elle signifie que les écrits que nous qualifions de scientifique sont à la fois la racine et le fruit de huit années d'expériences d'enseignement et de didactique. Si la vulgarisation est frappante dans ces écrits antérieurs, alors on peut laisser penser sa légitimité. Car il s'agit dans ce contexte de former et d'enseigner. Il s'agit de faire passer un savoir ésotérique, difficile d'accès, en vue de le reformuler en pratique d'enseignement que nous retrouvons aujourd'hui publiée sous forme d'un Manuel didactique. Voilà la raison pour laquelle nous pensons avec Jean Houssaye (l'un de nos maîtres) que toute pratique est une pratique d'une théorie traduisant une action intelligible qui s'astreint à bien penser les concepts à mettre en oeuvre. Comme on peut donc le constater, le psychologue-savant était déjà soucieux de la transposition et de la transmission de son propre savoir et de celui de son prédécesseur à savoir Claude Bernard. De cette préoccupation surgit donc deux activités distinctes dans leurs méthodes, mais analogues dans leurs fins et dans leurs buts. A la première est liée la vulgarisation scientifique qui trouve son sens dans un savoir pour enseigner et pour former. A la seconde est liée l'activité de la transposition didactique qui a donnée naissance à un savoir pur qui, a permis à Paul Fraïsse d'être reconnu parmi ses pairs : les psychologues-savants. On doit en effet rappeler que son travail dans le Traité incarne un problème de connaissance qui n'est rien d'autre que celui du travail d'équipe de recherche. Par conséquent, la question épistémologique que nous posons repose sur la recherche de la perfection, la recherche de la haute densité discursive du discours. La perfection est-elle l'oeuvre d'un travail d'équipe, ou d'un travail de l'un ? A nous maintenir aux travaux de nos auteurs, on doit dire que le travail d'équipe est omniprésent. Il est représenté à la fois dans le Traité de psychologie expérimentale de Paul Fraïsse, que dans le Manuel de psychopédagogie expérimentale d'Antoine Léon. Il éclate aussi des textes de Maurice Reuchlin, un texte de la vulgarisation dont témoigne son Guide pratique de l'Etudiant en psychologie. Si l'on s'astreint à la recherche de la perfection et à la recherche de ce que nous venons de mentionner sous l'expression : haute densité discursive du discours, alors nous serons surpris par l'écart sémantique qui réside entre les différents textes, malgré finalement ce lieu commun du travail d'équipe auquel ils participent.

La définition de l'objet du savoir traduit, un problème d'ordre épistémologique. A la lumière de la comparaison des formulations et reformulations des textes portant sur la définition de cet objet de savoir, on peut constater que le sens de celui-ci varie d'un auteur à l'autre. En réalité le problème qui se pose dans cette définition est celui du rapport entre signification et explication. Pour mieux comprendre cela, on doit observer quelques formulations des textes des auteurs. Ainsi P. Fraïsse commence d'abord à s'interroger dès l'introduction de son Que sais-je ?, sur la psychologie expérimentale objet de savoir à être enseigné. Ce texte présenté dans un Que sais-je ? est d'une part une transposition didactique des différentes notions propres à la psychologie expérimentale, et d'autre part, il ne prétend pas résumer l'ensemble des résultats acquis par la méthode expérimentale. Car les écrits des auteurs sont dans la plus part des cas, très réduits et résumés dans les Que sais-je ? D'ailleurs P. Fraïsse le souligne fort bien dans son texte à la page N°6 en disant : ‘L'ouvrage présent ne peut prétendre résumer l'ensemble des résultats acquis par la méthode expérimentale’ 650  ”. Cette formulation est en soi une provocation intellectuelle qui nous a conduit à une étude exhaustive de la méthodologie expérimentale depuis Platon et Aristote en passant par Descartes et Averroès, pour arriver enfin à Nietzsche, à Heidegger et à la psychophysique-subjective dont parle Maurice Reuchlin.

L'important dans le texte de Paul Fraïsse est l'argumentation de sa transposition didactique. Nous pensons qu'il y a transposition didactique pour deux raisons :

  1. parce que P. Fraïsse fait référence à plusieurs auteurs à savoir Claude Bernard et à sa science expérimentale.
  2. en publiant dans la collection du Que sais-je ?, Paul Fraïsse se situe cependant dans la ligne de la transposition didactique, voire dans la ligne de la vulgarisation de la transposition didactique. Car du point de vue historique, sonQue sais-je ? est postérieur aussi bien au Traité qu'auManuel didactique. Dans ce travail Paul Fraïsse tente de prescrire des notions de l'objet de savoir tout en s'adressant à un public large. L'argument qui domine ce texte est celui de l'autorité. En effet, l'auteur se réfère à l'autorité des savants et plus précisément à la méthode expérimentale analysée magistralement par C. Bernard. Le taux de figuratif de la référence à l'auteur de l'Introduction à l'étude de la médecine expérimentale , est plus élevé dans les écrits de Paul Fraïsse. Cette raison nous a conduit en fait à qualifier d'originaire le texte de Claude Bernard.

Il y a donc lieu de penser que P. Fraïsse a fondé sa psychologie sur le modèle des sciences exactes et plus précisément sur celui des sciences biologique. Dans son texte du Que sais-je ? l'argument d'autorité a pour fonction de légitimer l'action expérimentale dans l'appréhension des faits. L'auteur procède dans cette légitimation par deux étapes. On constate premièrement qu'il a une maîtrise parfaite du sujet. La question qu'il s'est posé dès le départ en témoigne fort bien. Cette question traduit un effort philosophique du questionnement en direction de la chose de la méthodologie expérimentale en psychologie. Cette compréhension passe d'abord par le rassemblement des connaissances et des idées à propos du sujet objet de savoir à être enseigné. Cette première phase de la genèse du discours est marquée par le travail spéculatif, discursif et réflexif de la raison. Cela est baptisé en matière de rhétorique : l'invention. Quant à la seconde étape, elle est celle de la mise en garde. Elle témoigne du principe rhétorique de la disposition. Qu'en est-il donc de ces étapes dans le Que sais-je ? qui est en réalité marqué par une haute densité discursive réduite et concise ?

Notes
650.

Faïsse (P.), La psychologie expérimentale Coll. Que sais-je ? P.U.F 8 ème édition. 1988, p : 6