4.1. Les étapes de la méthodologie scientifique en psychologie expérimentale entre le descriptif et le prescriptif.

Le point commun aux discours des textes 732 dont nous traitons porte sur l'extension de la méthodologie expérimentale à des domaines très variés. La comparaison entre le psychologue (Paul Fraïsse) et le psychopédagogue (Antoine Léon), nous a largement démontré que l'écart et la distance est remarquable. Pour compléter cette comparaison revenons en maintenant au rapport entre les textes de vulgarisation dont témoignent aussi bien le Que sais-je ? de Paul Fraïsse et le Guide pratique . de l’étudiant en psychopédagogie expérimentale de Maurice Reuchlin. Si le premier a laissé entendre qu'en droit la méthode expérimentale peut prétendre aborder tous les domaines même si ce n'est pas le cas en fait, alors cela est une occasion pour penser la possibilité d'un effort descriptif et taxonomique dont use le psychologue expérimentaliste. Celui-ci choisit la méthode de l'ouverture aux choses pour appliquer l'expérimentation dans un domaine où beaucoup n'ont pas cru en la possibilité et en la fécondité de cette technique. Cet effort pratique fut aussi celui de Maurice Reuchlin. Malgré cela, il existe cependant entre les deux auteurs un dialogue, une communication fondée sur la rencontre et l'accord quant à l'objet de la psychologie expérimentale. Cet objet est celui de l'arraisonnement des faits aussi bien physiques que psychiques. Or au sein même de cet accord les divergences sont nombreuses. Les écarts sémantiques et les changements des répertoires lexicaux sont innombrables. Cela signifie aussi que le problème de la vulgarisation dite scientifique est celui de l'altération des notions, une altération sous-jacente de l'économie explicative et significative des contenus dont on doit en réalité tenir compte. Car le fait de chercher à vulgariser les contenus d'une manière fortuite, est un acte qui porte en soi le risque d'une perte de leur sens polysémique tout en engendrant leur asémisation. Prenons à titre d'exemple la définition des étapes de la méthodologie scientifique que les deux auteurs (Maurice Reuchlin et Paul Fraïsse) tentent de transposer aux lecteurs soit à travers le Que sais-je  ? ou à travers le manuel : le Guide pratique de l'étudiant en psychologie. Dans le texte descriptif scientifique originaire, Paul Fraïsse s'astreint à définir quelques étapes de la méthodologie scientifique comme : l'observation, l'hypothèse et l'expérience. Il en donne une définition descriptive. L'auteur-savant décrit en effet les trois niveaux possibles de l'observation. Ces niveaux s'annoncent comme suit :

  • l'observation fortuite ;
  • l'observation systématique ;
  • l'observation organisée.

Mais il n'en va pas de même pour le texte didactique prescriptif qui impose l'usage du mot à partir d'une définition normative de l'observation qui ne peut être – si l'on en croît le texte – que systématique. Le texte descriptif qui définit l'observation en trois niveaux, procède à cette démarche par une approche multifactorielle. Il affirme les particularités d'une globalité. Il analyse les parties du tout, et par là-même il est plus analytique que synthétique. Tandis que le texte prescriptif didactique pour définir l'observation en un seul aspect, il procède par une approche unifactorielle. Il annonce une totalité tout en en synthétisant les parties. Il réalise ce but tout en choisissant l'emploi de l'expression : “ systématique ”. Cette expression est un mot général, générateur d'un sens incommensurable. On peut légitimer cette transposition didactique car après tout une observation systématique est celle qui s'établit dans un système quelconque. Ce dernier, est en soi multifactoriel. Par conséquent, l'observation systématique permet de rendre compte du système dans lequel elle fut établi. Bien que ce dernier soit incommensurable, cela ne signifie pas pour autant qu'il n'est pas calculable. C'est la raison pour laquelle le texte prescriptif didactique annonce la possibilité de mesurer ce qu'il appelle : “ les grandes fonctions ”.

Cette différence est due à des fonctions sociales que remplissent le savant et le didacticien. Bien que la transposition didactique demeure la tâche commune de la quasi-totalité de ces textes, on peut dire qu'il existe une différence entre leurs auteurs. Cette différence porte sur la taxinomie (l'objectif) à atteindre. Le savant s'astreint d'abord à la recherche de la vérité, quant au didacticien, il se porte garant de la transmission de cette même vérité devenue un objet de savoir. Ainsi le transfert des savoirs, des contenus, des notions et des connaissances varie d'une fonction sociale à une autre. Le didacticien préfère partir d'une globalité pour ne pas ennuyer les apprenants avec des particularités qui deviendront par la suite incompréhensibles et insaisissables voire indiscernables. Le savant par contre, fait un travail de spécialiste. Il analyse les particularités d'une globalité. Il définit des faits tout en montrant leur contradiction, leur incompatibilité avec d'autres. Par là, on peut dire qu'on est avec le savant (Paul Fraïsse) dans une angoisse intellectuelle. Nous pouvons vivre cela à partir de la présentation de son objet de savoir.

Cette angoisse est née de la notion de limite. Cette dernière s'explique à partir du propos de Fraïsse qui pense qu'en réalité on ne peut pas expérimenter là où on peut mutiler ou choquer des individus. Cela est une raison pour affirmer que tout objet de savoir est en réalité insaisissable et indéfinissable. C'est d'ailleurs ce que pense Edgar Morin en laissant entendre que le paradigme de la complexité anime toute tentation à la simplicité. Malgré cela, on peut dire que les deux textes essayent de déterminer et d'élucider la complexité de l'ouverture en psychologie expérimentale. Les deux textes, restent fidèles à une tradition : celle de l'accord propre à toute argumentation. En effet, les deux auteurs sont d'accord sur l'emploi de la démarche expérimentale en sciences humaines, une démarche qui demeure leur objet de savoir commun. L'important pour nous dans cet effort de vulgarisation est de savoir ce que ces deux auteurs (Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin) font de leurs objets.

Dans l'exposé du savant les faits sont problématisés dès le début du texte descriptif. En effet l'auteur nous met devant des choix méthodologiques multiples. Il nous responsabilise. Ce qui n'est pas le cas avec le texte prescriptif de Maurice Reuchlin qui affirme des faits. Pour démontrer cela, reprenons les différentes formes de formulation et de reformulations des deux textes 733 que nous avons déjà rencontré dans le tableau-texte que nous avons déjà dressé.

Notes
732.

Les textes dont il est question ici son ceux que nous avons avancé à travers notre tableau-texte lorsque nous avons opéré les différentes formulations et reformulations des auteurs : Claude Bernard, Paul Fraïsse, Antoine Léon et Maurice Reuchlin.

733.

Voir La psychologie expérimentale in Que Sais-Je ? et Le guide pratique de l'étudiant en psychologie , par Maurice Reuchlin. Ces ouvrages ont été déjà cités.