4.2. La définition de la psychologie expérimentale comme énoncé d'observation.

Le texte didactique de M. Reuchlin affirme que la psychologie expérimentale est omniprésente. C'est ainsi qu'il souligne : ‘“ (...) Il n'y a aucune raison de limiter a priori l'emploi de la méthode expérimentale à un domaine particulier (....), il est courant d'utiliser l'expression : psychologie expérimentale dans un sens plus restreint que celui que nous venons d'évoquer’  ”. Ces propos témoignent d'une direction particulière de recherche choisi par l'auteur. En plus de celle de l'anthropomorphisme et de la modestie du savoir, on doit dire que l'auteur du Guide pratique .... se réfère implicitement au déjà-là, au savoir ordinaire, aux informations et ce pour nous informer de l'existence d'une autre réalité : celle qui consiste à penser que tous les corps sont animés d'une vie psychique. D'ailleurs sa formulation : “ psychophysique-subjective ” le prouve fort bien. Il y a à travers cette formulation une dimension métaphysique du vivant. De ce fait, nous sommes dans cette perspective en droit de nous demander si la transposition didactique est générative d'efforts métaphysiques ? On peut répondre affirmativement parce qu'étant ainsi, elle pourra servir de moyen pour l'apprenant à l'abstraction, un stade que Jean Piaget a qualifié d'intelligence opératoire formelle. Mais on peut aussi répondre négativement, parce qu'étant ainsi (comme nous l’avons déjà démontré) elle peut devenir une contre pensée au sens bachelarien du terme, puisqu'elle peut même risquer de renfermer ce même apprenant dans le stade de l'intelligence opératoire concrète, un stade qui témoigne de ce qu'on peut appeler avec Bachelard : l'illusion idéaliste.

Il y a donc aux yeux du didacticien, un esprit une sensibilité voire une âme dans tous les corps. Cependant, il existe des liens conséquents entre la psychophysique et la psychophysiologie. Du point de vue de la transposition didactique, nous pensons que le transfert et la transmission de ces connaissances, témoignent des problèmes propres à l'éthique communicationnelle. Ainsi un étudiant ou un initié doivent d'abord avoir des notions dans ces mêmes matières pour comprendre ce que par exemple Goethe a compris en interrogeant la Botanique sur la manière dont laquelle l'autre sort du même. Cette transposition didactique peut être légitimée par l'enseignement de la biologie aux étudiants du D.E.U.G de psychologie. Cette transposition didactique peut aussi être considérée comme illégitime, car ces mêmes étudiants n'ont pas de notions en matière de Botanique ou de Zoologie, d'autant plus nous ne sommes pas toujours sûr et certain que ces mêmes étudiants soient capables de faire la distinction entre la vie physique et la vie biologique. Pour que la transposition didactique puisse avoir un sens, ces mêmes étudiants doivent avoir des notions en physique. Cela n'est pas toujours le cas en D.E.U.G de psychologie.

Cette transposition didactique dont témoigne l'effort pratique du vulgarisateur Maurice Reuchlin, incarne une direction particulière de recherche voulue par l'auteur. Il s'agit d'abord de la présence de sa variable P : personnalité, qui n'est rien d'autre que sa priorité attribuée aux corporels, aux choses factices. L'auteur du Guide pratique tente de mettre en place une philosophie du corps. Ainsi pour "faciliter" l'accès à l'appropriation des concepts, Maurice Reuchlin part du déjà-là qu'il laisse inexplicable. Cela le renvoie – qu'il le veuille ou pas – à un glissement dans ce que Bachelard appelle : “ La philosophie spontanée des savants ” qui est un obstacle pour l'évolution de la pensée scientifique. La vigilance épistémologique à laquelle Yves Chevallard fait allusion repose sur l'arraisonnement de cette spontanéité en vue de mesurer la distance qui effectivement sépare le spontané du réflexif, l'ordinaire de l'extraordinaire, le fortuit de l'organisé, l'arbitraire du conventionnel etc.

Lorsque les deux auteurs (Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin) présentent des faits, cette présentation est différente d'un texte à l'autre. Ainsi, le texte scientifique nous présente les faits comme des idées, alors que le texte didactique nous présente les idées comme des faits. Cela se manifeste dans leur présentation et dans leur détermination de l'objet de savoir portant sur les étapes de la méthodologie scientifique. Dans le texte didactique l'observation n'est plus une idée mais un fait. Tous les corps raisonnent, tous les corps observent, par conséquent, l'observation peut être appliquée à des phénomènes d'une manière générale indifférenciée. C'est ainsi que le texte souligne : ‘L'observation est plus ou moins systématique elle vise une description des phénomènes et une identification des variables importantes’  ”. Du point de vue argumentatif, cette définition est-elle normative ou descriptive ? On peut dire qu'elle est normative car elle nous impose l'usage d'un mot. Elle nous ne permet pas de distinguer les différents niveaux de l'observation comme le fait le texte descriptif de P. Fraïsse. La différence qui réside entre les deux textes lorsqu'ils s'astreignent à définir une même notion, se situe au niveau du modèle de référence auquel chacun se réfère. Le texte descriptif incarne un modèle mixte. Il décrit la vie biologique et la vie psychique sans nier leurs liens avec l'environnement. Par conséquent, le modèle qu’il incarne est donc celui des sciences humaines. Tandis que le texte prescriptif didactique de Reuchlin incarne le modèle des sciences exactes, un modèle déjà avancé par Claude Bernard. Ce texte résume et décrit les caractéristiques de la vie physique.

Les deux textes dans leur définition de l'observation tombent malgré tout cela dans la décontextualisation et l'appauvrissement de la définition du sujet de leur objet de savoir. Ils ignorent d'autres niveaux d'observation. Ils méconnaissent l’observation microscopique qu'on pourrait par exemple réaliser indirectement. Celle-ci qui a permis à Pasteur et à Lavoisier de révolutionner notre manière de voir et de percevoir le monde. La décontextualisation surgit aussi à partir de cette coïncidence entre : observation et identification que souligne le texte didactique de Reuchlin. Mais la validité de ce propos de Maurice Reuchlin : pédagogue "physicien" 734 , peut être légitimée par la spécificité propre aux sciences exactes, où l'on observe tout en manipulant les faits. Cela n'est pas toujours le cas pour les sciences humaines, où l'identification laisse un libre jeu imprévisible entre les facultés de la perception.

Notes
734.

On parle de physicien au sens où l’action de cet auteur est centrée sur la pratique. Son discours est issu des fonctions phatiques qu’il remplit.