4.2.1. L'Hypothèse.

La définition de l'hypothèse varie aussi d'un texte à l'autre. Le texte prescriptif de M. Reuchlin l'a défini “ Comme étant une relation supposée entre variables ”. Etant ainsi, l'hypothèse peut donc être induite à partir d'observations ou déduite à partir d'une théorie. C'est ainsi que Reuchlin souligne : ‘L'hypothèse, et c'est là son caractère fondamental, doit pouvoir être éprouvée ’ . Dans la même direction avec quelques nuances, le texte descriptif de P. Fraïsse assigne à l'observateur la formulation des hypothèses. C'est ainsi que Paul Fraïsse souligne : ‘L'observateur est amené à formuler une hypothèse sur des relations qui peuvent exister entre les faits qu'à réuni son regard’  ”. Si les deux formulations apparaissent les mêmes, cela est en réalité une simple illusion qui se manifeste à travers le sentiment de la ressemblance dont nous avons déjà dit qu'il est une identité dans la différence. Ces formulations sont différentes, car l'une annonce que l'hypothèse est prouvée tandis que l'autre annonce qu'elle est éprouvée. Il y a à travers ces deux visions une figure stylistique qu'on peut appeler catachrèse ou glossème. Ces figures sont des tropes. La construction : l'hypothèse est soit prouvée ou éprouvée est une catachrèse, car si cette dernière signifie étymologiquement, l'erreur au sens étroit du terme, alors cette erreur est née de la confusion de quelques mots tels que : collusion et collision. C'est le cas pour les deux expressions : prouvée et éprouvée.

Bien que les deux formulations apparaissent semblables, elles sont dans le fond opposées. Elles différencient par là-même les deux textes. Le changement du répertoire lexical témoigne de cette différenciation. Si le texte descriptif parle d'hypothèse en psychologie expérimentale tout en affirmant : ‘“ qu'un pas capital a été affranchi, et désormais le travail du psychologue expérimentaliste est de prouver le bien fondé de l'hypothèse ”,’ alors le verbe : prouver est un verbe transitif qui signifie dans le Dictionnaire le LAROUSSE, le fait d'établir la vérité d'une chose par des raisonnements, des témoignages incontestables. Parmi les synonymes de ce verbe, il y a : confirmer, démontrer, établir, justifier et révéler. Nous remarquons donc que le texte descriptif reste fidèle à sa méthode descriptive, qui consiste à décrire les manières de prouver le bien fondé des hypothèses. Parmi ces manières il y a la forme spéculative, celle des philosophes qui – comme le dit le texte – intègrent leurs expériences profondes heureuses ou malheureuses lors de la formulation des hypothèses. Mais il y a aussi une autre manière qui est-cette fois-ci discursive. Elle incite le psychologue expérimentaliste à ne maintenir l'hypothèse que lorsque la relation entre les faits observés est soumise à une reproduction et à une vérification. Ainsi lorsque l'on s'astreint à prouver quelque chose, on peut dire qu'il y a toujours un aspect d'objectivité par excellence dans l’appropriation et l’appréhension des faits. Mais cela ne nie pas la présence du sujet dans la production d'un fait ou d'une hypothèse. En effet on peut prouver quelque chose tout en nous appuyant sur le déjà-là qui est à la fois inhérent à notre expérience personnelle ou encore à celles des autres. Si le texte descriptif affirme que le bien fondé de l'hypothèse doit être prouvé, alors le texte prescriptif souligne au contraire que le caractère fondamental de l'hypothèse doit être éprouvé. Ce dernier verbe est aussi un verbe transitif. Il signifie la vérification de certaines qualités et la mise à l'épreuve de quelque chose. Par exemple lorsque l'on éprouve de la joie, du plaisir ou de la crainte à l'égard de quelqu'un, il y a toujours une prise de position, un engagement réfléchi envers nous-mêmes. Les qualités de ces prises de position ne sont rien d'autre qu'une présence de ce que P. Fraïsse appelle : la personnalité du sujet. Cette nécessité de la mise en forme de notre comportement traduisant l'effort intellectuel de l'acquisition des concepts, est désormais un lieu commun pour les deux textes. Car leurs auteurs sont d'accord sur la présence de cette variable (P) dans tout produit intellectuel. On constate qu'au sein de cet accord il y a une divergence notable. Si le texte descriptif de P. Fraïsse attribut au sujet-observateur une autonomie qui n'est valable que dans sa soumission à une loi : celle de la vérification inhérente à l'expérimentation, alors le texte prescriptif, attribut à l'observateur-sujet une autosuffisance, qui valide la mise à l'épreuve des idées du sujet, puisque celui-ci n'est pas simplement un acteur de la situation didactique, mais aussi un actant : il prolonge ce qui l'anime comme un toujours-déjà vrai. En plus, si au niveau méthodologique, le texte prescriptif, procède par une méthode mixte qui part de l'induction et arrive à la déduction, et se veut par là-même à la fois didactique et scientifique, alors cet objectif n'est pas atteint par le texte prescriptif de vulgarisation, car les résultats y sont métamorphosés. Ce genre d'écriture déclenche la colère à la fois des didacticiens et des savants.

La question que nous pose les deux textes, porte sur l'importance de l'hypothèse. Est-elle alors prouvée ou éprouvée ? Si on maintient la définition de l'hypothèse comme étant une proposition soumise à une double croyance : vérité et fausseté, alors le verbe éprouver répond à cette caractéristique. Cependant, lorsqu'on éprouve quelque chose on peut dire qu'on est rarement dans le domaine de la science. Tel fut le cas pour Racine, Proust, Maine-de-Beran et Bergson, cités par le texte (La psychologie expérimentale), un texte descriptif du Que-sais-je ? de Paul Fraïsse. Il est vrai qu'on éprouve toujours des sentiments et des idées mais ces sentiments sont rarement des hypothèses. Car si c'était le cas, tout individu pourrait être considéré comme savant. Cela est en loin d'être une réalité, car bien que tous les gens philosophent, ils ne sont pas pour autant des philosophes. Par conséquent, entre l'hypothèse et l'opinion, l'écart est toujours remarquable.

Ce changement du répertoire lexical issu des expressions : prouvée et éprouvée, invoquée et provoquée, est un changement qui dû à l'ordre épistémologique dans lequel s'inscrit chaque texte. Nous pensons de ce fait que le texte descriptif s'inscrit dans l'ordre de la taxonomie. A vai dire si le texte descriptif classe des faits tout en nous informant de leur possibilité ou impossibilité et s'il met en priorité la taxonomie avant la taxinomie, alors cela ne va pas de même pour le texte prescriptif qui procède inversement en nous imposant un objectif qui n'est rien d'autre que la réceptivité de l'information. Cela le rend plus proche de l’objectif de la taxinomie que de de celui de la taxonomie. Si le premier s'inscrit dans la perspective interrogative et dogmatique, alors le second dans la perspective pragmatique et affirmative.