4.2.3. Résultats, interprétations, conclusions.

Dans le texte prescriptif de Maurice Reuchlin les résultats sont liés à l'expérience, car il s'agit des résultats de l'expérience. L'auteur s'intéresse à l'ordre, à la taxonomie des résultats connus dans le domaine de la psychologie expérimentale. Il mentionne clairement cela à partir de sa proposition où il souligne : ‘Les résultats seront ordonnés et classés souvent condensés au moyen techniques statistiques et finalement interprétés’  ”. Le débat à propos des résultats est très serré entre Paul Fraïsse et Maurice Reuchlin. Dans le texte didactique prescriptif de Maurice Reuchlin, la priorité est en effet donnée aux résultats qui préparent aux vérifications. Tandis que dans le texte descriptif pseudo-scientifique de Paul Fraïsse, le résultat ne peut être maintenu comme tel qu'à partir de longues et sérieuses vérifications, et que sa validité se mesure par “ Le degré de sa reproduction ”. C'est-à-dire, plus on est capable de reproduire un résultat, plus on sait qu'il est vérifié, qu'il est capable de résister à la critique. Il y a ici une altération positive du texte de Claude Bernard, car pour cet auteur la multiplication des essais et des expériences est une nécessité pour la compréhension des faits. C'est pour cette même raison que le texte descriptif de Paul Fraïsse affirme que “ La méthode expérimentale mesure l'abîme qui sépare le spéculatif du scientifique, qu'elle se méfie des coïncidences, des constructions, et des préjugés ”. Le fait de reproduire des faits est un acte de la sûreté de l'objectivité scientifique, un acte pour établir des faits véritables résistant à la critique et à la réfutation. Cela n'est pas mentionné dans le texte didactique de la vulgarisation scientifique, car la vérification n'y est même pas analysée, ni même citée ne se risque que d'une manière modeste. Cette étape est remplacée dans le texte didactique prescriptif de la vulgarisation par celle de l'interprétation. On assiste ici à un changement de répertoire lexical et du modèle de référence. Si le texte descriptif de Fraïsse pense que l'on ne peut pas interpréter un fait sans avoir eu suffisamment le temps de le vérifier, alors selon le texte prescriptif de Maurice Reuchlin, on ne peut en aucun cas vérifier au moment de l'expérimentation du moment que celle-ci est considérée comme un exemple privilégié de la vérification. Cependant, là où l'expérience est pour le texte descriptif une preuve de la vérification des résultats, elle est pour le texte prescriptif un exemple privilégié de la pratique scientifique.

Si l'on en croît maintenant cette comparaison, alors on peut dire que le texte didactique dans sa transposition didactique de la psychologie expérimentale, tombe dans la décontextualisation et dans le changement de modèle de référence, car à travers sa manière de concevoir l'expérience, il ne s'agit pas de la vérification, mais au contraire d'un simple renseignement quant à une situation vécue. De ce fait, on peut rappeler l'argument cartésien qui consiste à dire que l'information n'est rien d'autre qu'une simple déformation du sens de l'expérimentation.

Malgré cela, il existe un point commun qui légitime l'identité épistémologique des deux textes. L'accord porte sur l'absence de la conclusion – dont parlait déjà C. Bernard – comme étant la dernière étape de la méthodologie scientifique . En effet les deux textes ne mentionnent ni les traits ni les caractéristiques de cette étape. Est-ce cela veut dire qu'elle n'existe pas en sciences humaines ? D'où vient cette absence ? Nous pensons que cela est dû à la spécificité des sciences de l'homme là où il est parfois difficile de conclure définitivement après avoir interprété un fait. Cette identité épistémologique nous montre fort bien la présence d'une philosophie de l'ouverture à l'instar de celle de Marx, qui a pensé que dans le domaine de l'homme les imprévus multiplient les imprévus. Mais cette absence est compensée par une présence, à travers laquelle la conclusion est remplacée dans les deux textes par une autre étape que Claude Bernard n'a pas clairement analysé à savoir la vérification.

La dérivation des deux textes (celui de Reuchlin et celui de Paul Fraïsse) du même texte de C. Bernard, engendre le phénomène de la “ Vulgarisation de la vulgarisation ”, un constat auquel le texte didactique prescriptif et le texte pseudo-scientifique descriptif, n'ont pas échappé. On constate au cours de cette dérivation que la version didactique de l'objet de savoir (psychologie expérimentale) a subi une double transformation. Elle a subi des transformations lors de son passage du champs biologique au champs psychologique et enfin au champs pédagogique et didactique. Ces transformations que nous avons mentionné jusqu'ici sont dues à la naturalisation du message. On constate en effet à partir de ce qui a précédé (et plus particulièrement lors du remplacement de la conclusion par la vérification) que les deux termes incarnant deux étapes de la méthodologie scientifique, ne désignent pas et ne signifient pas la même chose. La conclusion est à nos yeux une étape de la méthodologie scientifique, à travers laquelle on est sûr de la maîtrise d'un fait, de son sens et de son essence. Elle est une étape finale où le doute est écarté quant aux résultats obtenus dont on n'a plus besoin d'expérimenter la validité. La conclusion est donc une étape de l'affirmation et de la confirmation d'un fait. Quant à la vérification, elle présuppose la comparaison des faits, l'expérience permanente et la reproduction. Il est donc légitime de changer de répertoire lexical et de remplacer la conclusion par la vérification, car dans les deux textes il s'agit de vérifier le taux de figuratif des processus supérieurs de la personnalité. Ceux-ci sont des faits typiquement propres aux sciences humaines, dont les conclusions ne sont que précaires. L'expérience humaine prouve que plus on sait plus on désire savoir, et par là même rien n'est donné, mais tout est construit. Cette construction permanente nous montre fort bien que l'on ne peut en aucun cas faire des conclusions définitivement durables en sciences humaines.

Mais on peut se demander s'il n'en va pas de même pour les sciences dites "exactes" ? La réponse est à nos yeux affirmative, car les nouvelles connaissances scientifiques bien qu'elles soient souvent construites dans la linéarité, elles restent malgré tout en opposition radicale avec les pratiques savantes précédentes. Autrement dit : les conclusions antérieures demeurent partielles par rapport aux postérieures et même la science (comme le pense Thomas Khun), se construit dans un processus de tension essentielle qui dès lors qu'elle a conscience de l'usure des résultats scientifiques, elle cherche d'autres procédés nouveaux pour répondre aux besoins et aux tâches du moment. La similitude avec les sciences humaines, dites "molles" porte sur le processus de l'innovation issue de l'inspiration. Mais la différence entre les deux activités scientifiques, porte sur le fait que dans les premières il n'y a que des révolutions, des tensions essentielles à l'innovation, alors que dans les secondes il y a autant d'inspiration qu'il n'y en a pas dans les premières. La spécificité de l'inspiration est vécue dans les sciences exactes en terme d'attention attachée à la commodité de certaines lois scientifiques. Pour le savant des sciences exactes, on ne doit pas ignorer la commodité des connaissances scientifiques "anciennes", qui demeurent valables pour certains univers. Mais il n'en va pas de même pour les sciences humaines, surtout lorsqu'il s'agit des comportements éthiques et moraux. Etant ainsi, les sciences humaines génèrent la relation pédagogique et didactique surtout lorsqu'il est question de l'appropriation d'un fait dans le domaine des sciences de l'éducation. D'ailleurs ce fait est toujours – comme le note Ph. Meirieu – de l'ordre de l'éthique. La science exacte, lorsqu'il est question de l'appropriation d'un fait, elle tourne le dos à cet ordre de l'éthique, elle ne s'intéresse qu'à l'esthétique, à l'état de l'apparaître d'un fait et non pas à son état d'apparition. Dans le domaine des sciences exactes et dans celui des sciences humaines la différence réside au niveau du processus de la réification. Dans les sciences humaines les faits témoignent d'un oeil, d'une vision qui les détermine. Cela est l'une des raisons qui nous force à admettre l'objectivation des faits émanant de la variable personnalité des sujets, alors que dans les sciences de la nature, dans les sciences exactes, la personnalité prend un autre aspect qui s'ouvre sur le système politique et idéologique de ce que l'on appelle : la communauté des savants. Ce système émerge du collège invisible là où les savants en tant qu'êtres humains peuvent se rencontrer ou s'opposer sans qu'ils puissent pour autant avoir un contact factice et une reconte directe : d’homme à homme. Voilà pourquoi nous avons défini la transposition didactique comme étant – si l'on en croit Michel Verrêt – une pratique qui s'astreint à classer les résultats scientifiques ainsi que les enseignements successibles d'être connus et mis en mouvement. Il en va de même dans les sciences humaines mais à quelques exceptions notables. Par exemple un mode de comportement, ou de production, vécus par une société donnée, peut en effet être prolongé, sauvegardé ou réifié, car même dans le domaine des sciences humaines on ne peut guère penser d'une manière anhistorique. La différence entre les deux activités se situe aussi au niveau de l'éthique de la discussion et de la communication des résultats et des contenus. Si dans les sciences de la nature, dans les sciences dites exactes, les savants communiquent par la voie de la concurrence, par la voie de la dispute des expériences, alors il n'en va pas de même dans le domaines des sciences humaines et en particulier dans celui des sciences de l'éducation là où la dispute est fondée sur l'argumentation rationnelle qui s'astreint à la recherche de l'universalité des arguments qui résistent à la critique. Si les résultats sont dans le domaine des sciences exactes imposés expérimentalement, alors il n'en va pas de même dans celui des sciences humaines où ils sont proposés par le biais de la motivation et de la préparation d'autrui à une implication radicale qui se manifeste à travers la mise en mouvement des connaissances et des savoirs. Pour un nouvel esprit scientifique on peut dire que la critique de la provenance dans son ouverture à l'égard des manières d'être de la connaissance et dans son dépassement des acquis de l'expérience antérieure, reste un invariant fonctionnel de la conception de la scientificité d'une discipline appartenant aussi bien aux sciences humaines qu'aux sciences dites exactes. De même que l'on procède par la critique intèrnaliste et extèrnaliste, à la mise en oeuvre d'un esprit scientifique, de même une action, un comportement ne peuvent être compris que si l'on procède par le biais d'un jeu de rôle à vivre l'expérience de l'autre ne se risque que sur le plan de l'imagination créatrice et de l'intention positive inconditionnelle de cet autre. Toutes les pratiques scientifiques – aussi bien dans le domaine des sciences exactes que dans celui des sciences humaines – sont soumises dans la plupart des cas à l'oubli et au souvenir. Mais si dans le domaine des sciences humaines on ne peut penser d'une manière anhistorique, alors il n'en va pas de même dans le domaine des sciences de la nature, où les savants s'astreignent dans la plupart des cas à l'étude et à l'exploration des faits factices. Voilà la raison pour laquelle Claude Bernard avait déjà laissé penser que “ tout est là : un fait ” ! Cela veut dire aussi que la science – comme le pensera Heidegger plus tard – ne pense pas. Si la science se moque de la définition valable du moment, alors on peut dire qu'elle est une activité anhistorique : elle tourne le dos à la mémoire des fait. La tâche qui a toujours occupée les pensées des philosophes est la recherche d'une méthode pour penser d'une manière anhistorique. Nietzsche était le seul philosophe qui avait tracé une approche qui ne nie ni l'historialité ni l'historicité des faits. C'est à partir de là qu'il a réussi dans son passage de l'attitude monumentale à l'attitude antiquaire pour arriver enfin à la mise en place d'une approche critique qui s'est tracée l'attitude de la crainte de l'esprit vivant à l'égard des états et est les processus fortuits qui accompagnent toute conduite.