5.1.2. De la référence ou du poids de l'ontologique ?

A partir de la relation de la connexion nécessaire qui existe entre les idées et les faits, on peut laisser penser que dans nos apprentissages, nous débutons avec la formulation des énoncés d'observation plutôt qu'avec celle des termes. En effet, si l'on se réfère à l'expression : “ La parole est d'abord aux faits ”, une expression qui fut celle de Hegel, alors on doit revenir sur l'idée de la haute densité discursive d'un discours pour finalement affirmer que le problème de la référence n'est plus celui de la prise en considération du langage et des différentes fonctions que remplissent les différents discours, mais la référence est un tout, un processus social à caractère systémique. Cependant, c'est donc notre concentration sur la vue de la vie, sur ce qu'on a déjà-vu, sur ce qu'on voit en tant que déjà-là, qui nous permet de mettre en place des vrais énoncés prédicatifs. A nous maintenir à cette affirmation, on doit confirmer le projet du départ de Claude Bernard, qui en tant que savant expérimentaliste se proposait de se jeter à travers champs pour découvrir le vrai langage de la nature et de la vie. C'était la même chose pour Paul Fraïsse, qui se proposait de débrouiller un écheveau tout en se situant en continuité permanente avec ce qu'il a appelé : la variable personnalité du sujet. Cette ouverture voulue par l'auteur du Traité ..., engage un problème épistémologique, qui n'est plus l'unique relation de la continuité à l'égard du sensible, à l'égard du frisson du sens et du langage ordinaire, mais une relation qui doit aller au-delà de l'ordinaire. C'est-à-dire – et si l’on en croît la terminologie de Quine – que le chercheur doit aller d'un simple énoncé d'observation qui est libre, arbitraire, comme par exemple : tous les cygnes sont noirs, à un autre énoncé d'observation qui est focalisé. Car si le premier énoncé est mis en forme ou annoncé à des auditoires par un simple regard, alors il n'en va pas de même pour le second, qui doit être animé d'un effort d'abstraction et de discernement de diverses relations logiques et ontologiques, qui l'animent. Cet effort d'abstraction nécessite une décomposition, méthode chère à la logique de la combinatoire qui reconnaît les liaisons logiques complexes que recouvent les choses et plus partculièrement les choses de l’art. Ces méthodes sont propres à la définition adéquate d’un phénomène, puisque celui-ci est fait nommé (selon des manières diverses) par des sujets à la fois acteurs et actant de leurs propres expériences. Cela est au fond la logique du pincipe de la mise en forme d’un fait, nommé, devenu enfin “ faitnomène ” (phénomène). Pour mieux comprendre ces procédés analytiques, revenons en au sens de notre schéma O. H. E. R. I. C.

En réalité, le problème de la référence est le propre des textes que nous avons jusqu’alors présenté. Si l'on regarde de près la transposition didactique stricto-sensus de ce schéma, on peut alors constater qu'elle enferme deux types d'énoncés. Certains sont des énoncés libres, d'autres focalisés. Les premiers sont les caractéristiques de la détermination arbitraire de la méthodologie expérimentale définie par le texte didactique de Paul Fraïsse comme étant des textes de la vulgarisation de la transposition didactique, alors que les seconds sont ceux d'Antoine Léon et de Maurice Reuchlin incarnant la vulgarisation de la vulgarisation. La tâche des auteurs de ces travaux est l'observation de leurs activités intra ou extra-scolaire et universitaire. Cette observation est avancée ainsi en vue de donner enfin un sens adéquat à une méthodologie aussi complexe que le mode d'expérimentation en sciences humaines.

Mais lorsque cette transposition didactique, rencontre une autre activité émanant de ce que Heidegger appelle l'Il Y a : quelque chose comme étant un fait déjà-là, objet d'impression, cela lui pose des problèmes. C'est ainsi que la transposition didactique cherche une ouverture sur les différentes variables d'un fait pour mieux comprendre ses différentes valeurs. Car comme – le disait Claude Bernard – tout est là : un fait !

Le problème de la référence nous renvoie donc à la détermination de la difficulté avancée par M. Develay. Cette difficulté a pour but de lier les termes singuliers à leurs objets. Cette liaison ressort en tout cas des tâches des auteurs que nous venons de citer. Chacun comprend en effet la méthodologie expérimentale, non pas à sa guise, mais selon les tâches qu'il s'assigne de résoudre et de surmonter. Mais tout au long de cette transposition didactique, on assiste aussi à un phénomène nouveau : celui de la réification. Ce phénomène est d'une utilité considérable. Dans la plupart des cas, il s'accomplit sous les effets de la transposition didactique stricto-sens, car lorsqu’on se heurte à l'intransportable, l'obligation de réifier devient légitime et recherchée de la part des didacticiens. Entendons nous d'abord sur le sens adéquat de la réification ! Cette dernière est une action à travers laquelle un concept, une conduite ou encore un comportement, perdent leurs sens authentiques lorsqu'ils remplissent une fonction qui n'est pas celle pour laquelle ils étaient destinés au départ. La réification se manifeste dès lors que les concepts et les contenus sont en relation avec le pour-autre-chose. Pour s'en expliquer clairement voyons donc ce que la méthodologie expérimentale a subi dans la postérité du schéma O.H.E.R.I.C, chez les auteurs que nous avons présenté.

La réification est un sentiment appliqué à la recherche de la vérité. Il est présent chez tous les auteurs qui croient à l'évolution, au progrès scientifique et au mouvement des connaissances et des savoirs. Si l'on maintient les différentes définitions qu'en donne Quine, on peut alors dire que la réification est :

  • Un indice qui surgit de la combinaison prédicative d'énoncé d'observation ;
  • Une technique pour distinguer les observations fortuites qui ne mènent à aucune prédication ;
  • Une recherche de la vérité qui contribue à la compréhension des connexions logiques existantes entre observations et théories pour contribuer à recevoir le dispositif des fonctions de vérité. Du fait qu'elle instaure une démarche temporel, elle va au-delà des énoncés d'observations, qu'elle traite par là-même du temps des faits, à savoir celui de l'avant ou de l'âpres d'un fait. Elle contribue en plus, aussi bien à la mise en forme du processus de la taxonomisation que celui de la progression.

Dire qu'il y a du progrès dans le processus de la réification, revient enfin de compte à penser la psychologie expérimentale en terme de mise en mouvement de nouveaux savoirs. La forme la plus adéquate pour ce mouvement est celle qui se donne le temps pour former et éduquer toutes les intelligences humaines, en vue d'aider le sujet pensant à se dépasser lui-même, à faire le deuil de son passé pour aller vers l'avenir. Telle était par exemple la conception de Nietzsche pour l'avenir de l'Europe, un avenir dont il avait déjà prévu la destinée. Cette dernière, sous sa forme actuelle doit être préservée, évoluée 740 et aimée. L'extension de ce sentiment auquel Nietzsche avait déjà travaillé à travers son attitude critique à l'égard de l'histoire de l'Europe, nous sert à éviter de voir un temps où les morts reviendront pour enterrer les vivants.

Cette tentative de la polysémisation du sens de la réification est pour nous importante, car elle va nous aider à expliquer l'insaisissable, l'incompréhensible du schéma méthodologique O.H.E.R.I.C, un schéma qui a subi des reformulations différentes qui l'ont rendues (du moins pour nous) ambigu, car il nous a conduit à des contradictions et à des antinomies latentes.

La première définition de Quine, qui annonce que la réification est un indice, correspond à la démarche de Claude Bernard, qui a cherché de l'ordre dans le désordre, du sens dans le frisson du sens, l'achèvement des concepts et des notions dans leur ouverture aux choses. Si l'on suit le raisonnement de Claude Bernard, on peut alors rencontré le toujours-déjà-connu dans la vérité que dévoile le déjà-là. La nécessité de la mise en forme d’un pouvoir scientifique nombré, réside dans le hasard, dans le risque gratuit à vivre dangereusement.

La seconde définition avancée par Quine, correspond à celle de Paul Fraïsse, qui a distingué d'une part les trois niveaux d'observation : fortuite, organisée et systématique, et d'autre part, les différents niveaux de l'expérimentation : celle qui est provoquée et celle qui est invoquée.

Quant à la troisième définition condensée et complexe, elle témoigne de ce que Edgar Morin pense sous l'expression : la complexité de la simplicité. Cette vision qui pense que le passage du savoir-savant au savoir à être enseigné reflète (dans toute transposition didactique) le paradigme de la complexité. Elle peut être en tout cas appliquée aux textes d'Antoine Léon et à ceux de Maurice Reuchlin, là où les deux auteurs cherchent à instaurer une démarche pour classer les étapes de la recherche et à légitimer la relation de la connexion nécessaire entre leurs pratiques savantes et les énoncés d'observations qu'ils mettent en forme.

Pour finir avec le problème de la référence qui anime la transposition didactique stricto-sensus, on propose de développer deux positions théoriques dont témoignent (d'une manière assez nette) les écrits de nos auteurs ainsi que le sens qu'ils ont attribué a leur schéma méthodologique. Ces deux composantes théoriques sont d'une part l'influence de l'ontologie et d'autre part, l'ontologie désamorcée.

Pour la première, elle se dégage des écrits scientifiques de Claude Bernard, à propos desquels H. Bergson, pensait qu'ils étaient problématiques et antinomiques. En effet, les écrits de la méthode bernardienne sont à l'instar de ceux de Descartes pour le siècle des Lumières, c'est-à-dire : ils étaient chargés de significations symboliques qui se proposaient de se retourner contre tout ordre établi. En effet, si l'on observe de près les écrits scientifiques de la méthode bernadienne on s'aperçoit qu'il a fourni un effort philosophique pour comprendre le général et le particulier. Rien en réalité n'était passé sous silence. Le sens n'était plus imposé dans la nature mais déduit de celle-ci. Si l'on en croît la méthode bernardienne, alors on ne peut penser que dans les signes, dans les gestes et dans les actes observés. Ces actes (qu'on cultive pour en sortir des formes vécues), sont factices et porteurs de sens.

La possibilité d'un engagement organisationnel pour une construction des manières de voir, pour une mise en forme des concepts, passe par deux engagements. L'un est subjectif l'autre objectif. Les deux, ensemble réunis, permettent d'ordonner l'expérience humaine d'après des points de vue déterminés et adaptés à la vie. Ces deux engagements – comme nous l'avons vue à travers la conception bernardienne de la méthode –, nous montrent que dans la nature on ne doit rien négliger : on doit faire passer n'importe quelle utilité pour une nécessité. On ne doit rien faire passer sous silence. On doit acquérir une vue d'ensemble sur toute la sphère de la vie humaine et ce dans le seul souci de l'ouverture sur le langage ordinaire qui parle avec ses signes à l'homme qui, lui, n'a toujours pas tarder de lui répondre, soit en l'expliquant, soit en le mettant en forme. En réalité, l'Introduction à la médecine expérimentale de Claude Bernard est chargée d'un effort de la conciliation de deux ontologies différentes. La première est celle du maître Platon, la seconde est celle de son disciple Aristote. Cet effort est analogue à celui d'Averroès qui a eu l'audace, le courage – comme nous l'avons déjà mentionné – de parler d'une réconciliation des opinions de la vérité philosophique et de celles de la vérité divine, de la réconciliation implicite des opinions des deux sages : Platon et Aristote.

L'apport ontologique peut être expliquée à partir du sens des idées et des faits, que Claude Bernard a défini en terme de tâche. Ce sens ne peut être compris que lorsqu'on démontre ses analogies avec la philosophie ontologique des deux maîtres : Platon et Aristote. Pour Platon, le monde des idées est le seul qui reste le déterminant de toute action. Ainsi pour pouvoir vivre la vie et de la dominer, il faut se préparer à la mise en forme d'existences plus élevées. Cela se traduit chez Claude Bernard, par la relation de connexion nécessaire qui existe entre les idées, le sentiment et le fait. Pour Platon, la manière de voir ou d'être, l'oeil avec lequel l'homme met en forme le réel, sont en tout cas des manières qui ne doivent pas restées dans l'ordre de l'imaginaire et du rêve. Ces manières sont des idées qui doivent au contraire agir sur la vie. Et pour mieux reconnaître la vie aussi bien physique que physiologique, il y a d'abord lieu de reconnaître des valeurs déjà connues comme étant des toujours-déjà-vrais qui ont leurs effets dans le monde du déjà-là-rencontré. Cette même idée ontologique est fortement ressentie chez le philosophe ou le physiologiste Claude Bernard, qui a incité d'une part à cultiver l'exception, et d'autre part à se tracer une ligne de conduite qui n'était rien d'autre que celle du faire, d'agir pour dire les mots. Cette visée se résume par sa métaphore du "sacrifice", qu’incarne son action du “ se jeter à travers champs ”, qu’il a proposé comme technique d’acquisition des connaissances et des savoirs et non pas comme technique de la réminiscence.

L'effort ontologique – qui est caché sous les écrits de Claude Bernard – est-centré sur le sens de l'homme, sur son rôle dans la transmission du savoir. Cette transmission puise son fondement dans la pratique de l'art de la médecine. Cet effort qui fut en tout casréussi, est le même que celui de Platon qui avait le souci de responsabiliser l'homme tout en le mettant au sommet des hautes responsabilités, tout en insistant sur son état d'exception en tant qu'être diffèrent, distingué de toutes les autres créatures de la nature, puisqu'il appartient à une espèce hiérarchisée, incarnant par là-même les plus hautes valeurs, à savoir la possibilité de penser et d'agir. C'est d'ailleurs à cela que Claude Bernard n'a pas hésité d'inciter en parlant d'idées hypothétiques.

Ce qu'il faut retenir d'une manière générale du rapprochement entre Platon et Claude Bernard, est que l'homme possède une âme qui est sa simple donnée. Cette même composante de l'homme va se traduire dans le langage de Claude Bernard, par le poids des idées, des intentions, des sentiments et des raisonnements. Cela est donc une tentative de la part de l'auteur de l'Introduction à la médecine expérimentale, pour transposer la philosophie platonicienne, pour expliquer que l'homme n'a pas seulement un sentiment mais un caractère qu'il dissimule en faisant l'expérience de l'action du penser et du philosopher. S'agissant donc de la force inépuisable que possède l'homme, Claude Bernard comme Platon, ont tracé une ligne directrice du penser. Cette ligne n'est rien d'autre que celle qui trouvera ses échos chez Pascal qui dira que : ‘“ L'homme est roseau le plus faible de la nature mais c'est un roseau pensant’  ”. C'est-à-dire, que l'homme est capable de se penser soi-même et de penser la nature. Cette visée pascalienne nous rappelle celle de Platon qui disait que “ Le corps est tombeau ”, comme elle nous rappelle aussi la conception bernardienne quant à la teneur des idées humaines qui médiatisent aussi bien les faits que les hypothèses.

En plus de cette référence platonicienne, on doit mentionner une autre à savoir celle d'Aristote. Les idées philosophiques de ce dernier ont aussi animées les écrits de l' Introduction à la médecine expérimentale . Avant d'en exposer les grandes lignes, on doit d'abord rappeler que Kant, auquel Claude Bernard se réfère, a été influencé aussi par les deux philosophies des grands maîtres de la Cité grecque. Car Kant ne faisait que remonter la succession des relations causales à un moteur immobile. Cela fût la même chose pour Aristote qui pensait le moteur immobile en terme d'existence factice et non pas en terme de cause agissante. Kant (de la même manière que Platon), a pensé l'idée du bien comme étant un au-delà du pratique : un au-delà du monde sensible, du monde de l'être-là. Cette précision est pour nous capitale, car elle nous permet de monter (dans le carde de la transposition didactique des idées philosophiques) à quelle limite la pensée hérite de la pensée et à quelle limite l' Introduction... de Claude Bernard est laborieuse, animée par ce que nous venons de nommer avec Quine : le poids de l'ontologique.

L'influence que le système aristotélicien a eu sur la pensée de Claude Bernard est une influence qui sera simplifiée, transposée et vulgarisée par nos différents auteurs dont nous venons d'étudier la transposition didactique. Mais le problème est que dans le sillage de cette transposition et de cette transmission, l'ouverture aux choses a pris un sens proche d'un monisme vitaliste qui consiste à penser que toute chose palpite de la vie. Mais ce procédé qui est affirmé dans les différents manuels didactique, est livré d'une manière fortuite aux lecteurs, sans être démontré discursivement.

Si nous avons considéré le texte de Claude Bernard, un texte originaire duquel sont dérivés tous les autres textes de vulgarisation et de la transposition didactique, c'est parce qu'il est animé par une clarté discursive qui puise son fondement dans la confrontation de divers systèmes cognitifs. Nous y trouvons en fait la conception d'Aristote, celle de Platon et celle des Stoïciens etc.

S'agissant de la facticité des faits, de la possibilité d'un apprentissage à ciel ouvert des modèles de vie, Aristote avait pensé que la nature sensible, est un exemple, une preuve de l'ouverture aux choses de la vie. Ce rapport fut aussi celui de Claude Bernard qui s'est démarqué de Platon quant à la question de la facticité des corps. Il y a bien eu chez Aristote et chez Claude Bernard un sentiment d'aventure qui règle et conditionne jusqu'à nos jours la recherche scientifique. Ce sentiment laisse penser que les grandes découvertes scientifiques se réalisent aussi bien dans le risque gratuit, dans le vivre dangereusement que dans des espaces à ciel ouvert. Dire que les grandes découvertes scientifiques se font hors des Universités, cela est aujourd'hui un fait qui s'impose. D'ailleurs lorsque Lévy-Lebland, dans une intervention public au Forum de l'an 2000 741 , avance que l'organisation marchande du savoir scientifique est une composante de l'industrie culturelle moderne, il a certainement voulu par là attirer l'intention du public à la présence d'une Université parallèle, là où se développent des Laboratoires industrielles de la culture scientifique. Le problème est de savoir si cet auteur-savant a la même conception qu'avait déjà Adorno qui s'est opposé à l'industrie culturelle, à l'aspect marchand de la science. La pratique scientifique est aux yeux du savant, une pratique animée par l'étendue, car la recherche scientifique est en elle-même illimitée. Par conséquent, le fait de chercher à freiner le progrès scientifique, cela est en soi un contre-sens, une opposition ouverte à l'aspect sacré de l'acte du connaître qui présuppose l'ouverture d'altérité radicale à l'égard de la lecture, à l'égard de la connaissance des choses. Mais cela n'empêche pas l'activité scientifique de faire des choix raisonnables pour contribuer à la progression, car tout progrès n'est pas toujours de la progression. L'homme possède un effort de raisonnement et de classification, d'autant plus qu'il est capable de porter la parole aux faits, car s'il met en forme un objet technique, il sait alors d'avance la cause finale à laquelle cet objet est destiné. Tel est le cas par exemple pour le débat actuelle quant aux chambres à gaz, débat que Philippe Lacoue-Labarthe rapporte dans la fiction du politique dans la philosophie heideggerienne 742 . Dire que l'homme est responsable de l'objet qu'il met en forme, revient enfin de compte à lui imputer le choix de la technicisation et de la programmation de ses actes. Voilà la raison pour laquelle Lévy Lebland laisse penser une synonymie entre progrès et progression, tout en plaidant en faveur d'une volonté savante fondée sur l'extension des sentiments de responsabilité et de liberté.

Cette extension est un sentiment que partage la philosophie pratique de Claude Bernard avec celle d'Aristote. Ce dernier lorsqu'il a parlé du “ bonheur de vivre un certain bien ”, a donné la possibilité à Claude Bernard pour poser la liberté pratique en relation avec l'accroissement des expériences-pour-voir. Cela n'est rien d'autre que ce que les savants s'astreignent à faire dans les différents Laboratoires de recherche. D'ailleurs Aristote avait lui-même opéré des animaux pour mener des expériences pour-voir : pour comprendre le vivant et le fonctionnement des corps biologiques.

Pour expliquer ce rapport et ce rapprochement entre les deux hommes, filons quelques analyses pour mieux comprendre les manières de cette ouverture comme étant la technique commune aux deux hommes. Pour se faire, nous proposons donc un développement des points suivants :

  • l'unité du genre humain c'est son espèce ;
  • l'humanité est la forme de l'homme ;
  • la vie et l'expérience humaine sont une sphère de modèles ;
  • l'homme est en relation avec la nature ;
  • la vie est une pratique de l'homme ;
  • la personnalité de l'homme est incommensurable.

En opposition à l'attitude platonicienne, on peut dire que ces points résument les propos d'Aristote. Ces propos ont eu un impact sur la pensée de Claude Bernard. Les deux hommes en effet ont pensé l'homme, dans une relation d'ouverture d'altérité radicale à l'égard des choses de la vie. L'important pour nous en analysant ces points, est de relever les enjeux épistémologiques et les impacts de cette attitude, sur le paradigme de la référence.

L'attitude aristotélicienne (dans sa référence explicative du sens des choses), ne rattache pas toutes les explications ultérieures de la nature à l'âme et au soi-même du Moi. Elle considère le Moi comme un état de fait dont l'expérience doit être interprétée en partant du monde. Aristote retient de son maître Platon cette part unique de l'homme, à savoir sa constitution psychophysique, sa perfection à pouvoir expliquer et mettre en forme le sens des choses. Cela est l'une des convergences que l'on peut noter entre Aristote et Claude Bernard.

Dire que l'homme relève de son espèce, cela signifie qu'il y a en fait une raison de le comparer à d'autres créatures vivantes. Cette conception est très présente dans la pensée bernardienne. Elle se manifeste à trois moments de son analyse. Ces moments qui forment des chapitres particuliers ressortent dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale sous la forme suivante :

  • De l'expérimentation chez les êtres vivants ;
  • Des considérations expérimentales spéciales aux êtres vivants ;
  • Des applications de la méthode expérimentale à l'étude des phénomènes de la vie.

Ces trois points sont des chapitres, à travers lesquels l'auteur insiste sur l'extension du pouvoir de l'espérance de la vie, tout en instaurant une ressemblance des rapports entre l'expérience dans le domaine de la physique et l'expérience physiologique. Pour Bernard, la compréhension des pathologies, nécessite une ouverture sur ce qu'il appelle : la vie intérieure ou encore la vie pathologique. L'étude de ces deux vies, forme (aux yeux de Claude Bernard) une partie de la physiologie. A cet égard, on peut rappeler cette confirmation nietzschéenne : “ Apprendre de la fleur et de l'animal ce que c'est que s'épanouir ”, qui s'inscrit dans la même optique que celle de l'auteur de l'Introduction... Ce procédé méthodique est une condition de l'homme qui possède une manière d'énoncer et d'annoncer les choses pour vivre la vie et la dominer.

En expliquant et en exprimant ses conceptions philosophiques complexes, Aristote avait parlé d'une manière métaphorique, tout en s'adressant (en tant que questionneur), à ses répondants. Ainsi et pour renforcer le slogan : comparaison c'est raison, Aristote a affirmé que l'homme relève de son espèce naturelle et que la nature peut lui donner des modèles de vie 743 . En plus de la transposition didactique de la vertu, Aristote a cherché à situer l'homme d'après sa valeur. Il a cherché aussi à situer l'espèce humaine par rapport à l'ensemble de la nature. Le sens des métaphores de l’hirondelle et de la chauve-souris que nous avons cité à plusieurs reprises nous montrent fot bien qu’Aistote a cherché à situe l’homme dans un état d’ensemble puisqu’il est d’abord et avant tout un être naturel.

Dans la première métaphore, Aristote veut confirmer à son répondant : à Nicomaque (que certains considère son fils), qu'un instant de bonheur ne garantit pas le bonheur pour toute la vie. Aristote a voulu à travers cette métaphore, mettre en forme des catégories philosophiques complexes et difficiles d'accès, comme par exemple la différence entre l'apparence et la réalité, entre le temps et l'espace. Car lorsque on parle (comme Aristote) d'un bref espace de temps, cela n'est pas la même chose lorsqu'on parle d'un laps de temps, d'un temps nombré. Ce n'est pas la même chose non plus lorsqu'on s'ouvre sur l'être apparent et l'être réalité etc. Cependant, on peut laisser penser qu'Aristote a cherché à mettre en forme ces catégories philosophiques par le biais d'un langage ordinaire qui n'était pas de l'ordre de l'extra-ordinaire duquel on peut retenir un frisson de sens philosophique, car celui-ci a une vocation métalinguistique.

Dire qu'Aristote pense dans le langage ordinaire et avec le langage ordinaire, revient enfin de compte à confirmer que son souci était d'illustrer plus que de prouver, un postulat que nous avons avancé dès le début de notre recherche. Cela ressort aussi de la deuxième métaphore qui marque la ressemblance des rapports entre la pensée, qui est le propre de la nature humaine et la perception, une nature animale qui pourrait parfois faire l'effet d'un modèle. Cette ressemblance des rapports marque une analogie à travers laquelle l'éblouissement devient une nature naturée, propre à toutes les créatures.

Le lien ainsi que le passage à la transposition didactique de l'acte virtuel s'opère à partir de ces simples exemples incanant la continuité avec le langage ordinaire et l'expérience commune, qui (l'une et l'autre) peuvent nous aider à interpréter l'expérience en partant du monde. C'était l'une des tâches du texte scientifique, et non pas celle des textes de vulgarisation scientifique et de la transposition didactique, qui sont partis de l'homme en tant que personnage et non pas en tant que personnalité naturelle. Ce langage ordinaire demeure en tout cas – qu'on le veuille ou pas – le premier venu avant la langue en tant que système de signes organisés d'une manière conventionnelle. L'important ce n'est donc pas de nous laisser aller avec le langage ordinaire, mais au contraire le plus important serait de savoir les questions que nous devons lui poser, car après tout n'est-il pas là pour quelque chose ? En effet le langage ordinaire est un LA, qui affirme que l'espèce humaine, que l'homme est un être de la nature et que c'est d'elle qu'il peut désormais apprendre ce qu'il est réellement. Autrement dit : l’homme n’a pas à apprendre le sens de de son existentence naturelle par la suite de l'intervention extérieure d'un maître ou d'un conseillé. De ce fait, la fidélité à Socrate est donc rappelée à l'ordre du connais toi, toi même.

Dans le domaine de l'éducation, les deux actions : celle de la vulgarisation scientifique et celle de la transposition didactique dont nous avons déjà souligné les divergences et les convergences, vont user de ce principe et de ce constat pour renforcer leur attachement au progrès et au développement des connaissances et des savoirs, voire à l'humanisation de la connaissance et à sa popularisation. Ces deux techniques vont chercher une maîtrise de la métaphysique de la misère et de l'extension du pouvoir de l'ignorance pour enfin espérer la réalisation de l'extension du pouvoir cognitif. Dans cette perspective l'imprévu ainsi que l'inédit ne sont plus désormais impossibles mais légitimes à connaître et à mettre à nu, soit en empruntant le chemin de ce que nous avons qualifié ironiquement par la “ merde de la transposition didactique ”, soit celui de la “ putain de la vulgarisation scientifique ”. En tout cas, quoiqu'on dise, peut importe le lieu où l'on se situe, ces deux actions traduisant des techniques d’ouverture emmerdent, gênent et inquiètent le pouvoir de ceux qui usent de l'imprévu ou de l'inédit pour manipuler, endoctriner ou falsifier des situations concrètes, au lieu d'enseigner, de former et d'informer librement pour contribuer à l'émancipation de l'homme. Ces techniques sont la caractéristique de l'acte du bien penser.

Pour mieux comprendre les impacts de la vulgarisation scientifique et ceux de la transposition didactique sur l'appréhension des inédits et des imprévus, deux notions à savoir celle de potentialité et celle de possibilité, doivent dans cette perspective être mises en oeuvre. Elles nous montrent que la pratique de l'extension du pouvoir du connaître doit être au service du quotidien pour que le citoyen puisse élargir son champs de prévision. C'est l'un des aspects les plus adéquats pour le progrès et la progression.

A nous maintenir à cette affirmation, on peut donc penser que même le schéma expérimental a tendance de tester des pratiques pour marquer une certaine aventure qui ne se présente pas sous la forme voulue par le savant des sciences exactes, mais sous forme d'une aide pratique que l'esprit-vivant arraisonnant les choses doit surmonter. Car lorsqu'un humaniste cherche à comprendre la folie à l'âge classique ou à l'âge moderne, et lorsqu'un médecin cherche des remèdes à la maladie du siècle, ou encore à surmonter des situations pathologiques inadéquates, le but est toujours de prévoir une maîtrise de l'imprévu en vue de marquer l'inédit. Ce dernier n'est rien d'autre que la recherche de l'extension du pouvoir de la vie tout en prolongeant l'espérance de celle-ci. Ainsi vouloir prolonger la vie, est un acte qui contribue à l'extension du pouvoir cognitif, car là où il y a des Hommes il y a toujours l'espoir de vivre la vie et de la dominer. Lorsque l'Homme de l'esprit-vivant cherche à agir sur les faits, le souci de réussir ou d'échouer dans sa mission d'étendre la connaissance ne sont pas posés comme postulat du départ. Apprendre par essai et erreur sont des actes permanent dans toute activité scientifique. Si le vulgarisateur ose déclencher un plaisir pour une situation, alors le didacticien pense les sentences de la mise en forme de ce même plaisir. Ainsi et pour nous rappeler l'expression d'Averroès tout en la paraphrasant, on peut donc dire qu'une vérité qui est un plaisir ne contredit pas une autre qui serait en fait le plaisir de sa recherche. La première s'accorde avec la seconde et lui rend témoignage.

S'agissant des potentialités, on peut laisser penser que l'espèce humaine agit par elle-même dans le monde sensible, d'une manière incessante par le besoin de le transformer. L'homme porte en lui non pas une faculté pour expliquer et contempler le monde, mais au contraire une capacité à le transformer. C'est l'une des raisons qui ont certainement laissé Marx dire que : “ ‘Les philosophes n'ont fait jusqu'à présent que d'expliquer le monde, alors que ce qui s'inscrit nécessairement est de le changer’ ”.

Du point de la vulgarisation scientifique et de celui de la transposition didactique, cela signifie que ces deux actions ne doivent pas redoubler le champs social, le champs éducatif et pédagogique, sinon cela serait une simple répétition. Elles doivent transformer des états de faits, rematérialiser des corps et reformuler des notions et des expressions. Mais cela ne veut pas dire que l'expérience propre de chaque logique n'obéit pas à une logique spécial, exceptionnelle et contingente. Chaque action a au contraire sa propre logique qui en tout état de cause demeure symbolique. Cette logique ne prévoit pas d'une manière fiable les aspirations et les atteintes d'un système. Comme on peut le rappeler avec Marx, les mouvements et les changements sociaux sont imprévisibles parce que la nature elle-même change. En effet, tout se meut aussi bien les générations que les mentalités. Le changement dans un système donné peut venir soit de l'intérieur soit de l'extérieur de celui-ci. Puisque cette mobilité vers quelque chose ainsi que le changement qu'elle peut engendrer sont imprévisibles; alors on peut laisser penser que les imprévus peuvent multiplier les imprévus, qu'ils peuvent susciter une transformation par l'imprévu et une autre qui serait de l'imprévu pur. C'est à ce double mouvement contradictoire que s'expose le transfert des savoirs et des connaissances.

Dans le domaine de l'éducation qui est – si l'on en croît Kant – problématique, les imprévus pénètrent infiniment (comme en anthropologie politique) le champs social et éducatif tout en les rendant par là-même incommensurable. C'est d'ailleurs cette même limite : l'incommensurabilité des champs (qui est soulignée par Bernard) qui attire la curiosité intellectuelle de l'homme à pouvoir opérer le passage de l'incommensurabilité à la calculabilité des champs perceptifs et cognitifs. Si des philosophes comme Austin, Heidegger ou même Leibniz, ont incité l'esprit vivant à penser non pas avec le signe mais dans le signe c'est alors pour affirmer que plus on pense plus on se fatigue. Par conséquent, – et sous entendu – on doit donc arrêter de penser. Si l'on en croît ce procédé, la pensée est alors obscur par elle-même, car elle ne règle en rien les problèmes concrets, puisque au lieu de les manipuler de les modifier et de les rematérialiser, elle les regarde, elle les contemple bref, elle les sacralise. Mais ce qu’il faut réellement penser est de les désacraliser. Cela est l'une des caractéristiques de la vulgarisation scientifique qui – comme nous l'avons mentionné – tente de démystifier le savoir et de le rendre exotérique. Sa légitimité pratique repose sur l'aspect apodictique de son essence, car elle a toujours été – comme nous l'avons fait remarquer avec les Stoïciens – l'une des aspirations de l'unité du genre humain en tant qu'espèce engagée depuis une éternité à dominer et à entrer en conflit permanent avec la nature sensible tout en vivant en conformité avec elle. La transposition didactique elle aussi tente d'entrer en contact avec la nature des apprenants et avec la nature des choses. Mais son action repose sur la démonstration des différentes manières d'accéder aux choses. Ces manières ne sont pas forcément les mêmes d'un individu à un autre et d'un milieu à l'autre. Si la transposition didactique cultive l'exception de toutes les exceptions, alors la vulgarisation scientifique cultive l'exception des parties exceptionnelles. Cela nous l'avons déjà rencontré tout en comparant les contenus des savoirs de chaque auteur que nous avons jusqu’alors étudié. Qu'en est-il maintenant des possibilités que nous procure l'ouverture aux choses de la vie ?

Ces possibilités tournent autour de la maîtrise du destin à la fois de la vie sociale, de la vie économique, de l'imprévu et de l'avenir de la connaissance et du savoir pour les faire échapper à l'asphyxiante culture avancée par Dubuffet. Ces possibilités sont aussi une maîtrise de la bonne réflexion des besoins de l'humanité. Ces besoins sont devenus la préoccupation majeure de la vulgarisation scientifique et de la transposition didactique à des échelles de valeurs différentes.

Dans cette vision il n'est donc plus question de réfléchir et de prévoir l'imprévu mais de chercher à le maîtriser par le biais d'une action permanente qui n'est rien d'autre qu'une entrée dans la vie du transfert des savoirs et des connaissances, tout en inaugurant par là-même une révolution permanente, qui ne peut se réaliser que par la formation permanente à travers laquelle on se trace l'idée de l'ouverture permanente au savoir, car plus on sait plus on désire savoir.

Cette possibilité peut être démontrée par la forme humaine de l'homme, qui signifie plusieurs choses que nous allons maintenant expliquer.

Notes
740.

Nietzsche a pensé l’évolution de l’Europe politique en terme d’ouverture au fédéralimse comme étant un complément pour le pouvoir démocratique. Cette évolution nécessite un travail de formation permanente.

741.

Le forum de l'an 2000, a été organisé pour la première fois à Lyon pour projeter des idées sur l'avenir de l'humanité, de la science et de la technique en l'an 2000 voire au-delà. Notre curiosité intellectuelle nous a conduit à poser quelques questions à M. Lévy-Lebland, lors d'un débat sur la technique et sur la place qu'occupe la science aujourd'hui. A travers une réponse à l'une de nos questions, cet auteur affirme publiquement que le constat que fait l'homme moderne de la pensée occidentale sur le progrès technique, est un constat alarmant. Pour lui, l'homme occidental est toujours inquiet, peureux, hésitant, sceptique quant au progrès technique. Car il critique son propre progrès qui n'a même pas un siècle, alors que la science arabe avait durée pendant sept siècles, de quoi nous faire réfléchir, disait Lévy-Lebland. Pour lui, l'affirmation : “ La science ne pense pas ”, qui est de Heidegger, avait fait couler beaucoup d'encre. Le sens que donne Lebland publiquement dans ce forum, à cette expession heideggerienne est proche de l'extension du pouvoir physique de la connaissance, une conception sur laquelle nous avons déjà insisté à plusieurs reprises dans ce travail. De quoi s'agit-il au juste dans ce débat ? Il est question en effet de la place de l'intelligence humaine qui arraisonne la pensée scientifique. D'abord Lebland dans ce débat public, regrette d'une manière implicite de ne pas avoir de pouvoir sur son activité scientifique. Car dans le Laboratoire, quand le savant fait des découvertes scientifiques, celles-ci lui échappent à porté de main puisque les autres : les industriels en font autres usages, dit Lebland. La science ajoute t-il n'est plus un être-sous-la main. En plus lorsque le savant commence ses investigations scientifiques en vue d'étudier quelques chose de précis et de particulier, il arrive à étudier autre chose d'imprévu. Comme il arrive aussi à des limites qu'il se heurte à des obstacles. Pour échapper à l'inquiétude, au scepticisme, Lebland en tant que savant de la pensée occidentale moderne et contemporaine, propose la mise en mouvement des connaissances et des savoirs en toute liberté. De ce fait il reste fidèle à Heidegger qui disait que la liberté est la vérité. C'est ainsi que Lebland reformule d'une manière métaphorique la phrase de Heidegger tout en s'adressant au public présent lors du débat au forum de l'an 2000, tout en répondant aussi à certaines de nos questions qu'on lui a posé. Cette reformulation ressort d'un exemple familier qu'il a avancé. Supposons – disait-il – que vous êtes dans un avion, le plus important ce n'est pas ce que vous y faites dès lors que vous y êtes assis tout en contemplant le paysage, mais le plus important est ce que vous aviez déjà fait lorsque vous aviez quitté votre maison, votre lieu de départ. Le plus important serait aussi ce que vous tenteriez de faire lorsque vous quitteriez l'avion, votre lieu d'arrivée. Cet exemple explicatif, est riche de transposition didactique et de vulgarisation scientifique. L'auteur-savant voulait en effet attirer l'intention des auditoires présents à ce forum, au sens de l'activité scientifique. Celle-ci, – si l'on en croit cet auteur-savant –, doit alors se soumettre au mouvement. Mais en quoi le rapprochement avec la science arabe est-il ici légitime ? sachant bien que la conception islamique de la pratique scientifique est une conception qui libère la pratique scientifique tout en traçant des règles, des lois, des limites au savant, qu'il ne doit pas affranchir. L'antinomie est ici une antinomie latente. Comment donc la science avait-elle trouvée son extension dans la pensée arabe, une pensée qui a obéi à des contraintes à des lois pratiques ? L'effort était d'abord celui de l'obéissance à une lois divine, apodictique qui incitait l'esprit humain à la lecture, à la connaissance et à l'ouverture dans le mouvement à l'égard de l'autre et est le processus qui l'accompagne. Cela fut par exemple le cas de la médecine arabe, de la science arabe qui ont trouvé leurs fondement dans le mouvement, dans la traduction des grandes idées et pensées des grands maîtres de la pensée grecque. D'ailleurs Averroès le confirme fort bien en laissant entendre dans son Discours décisif , que la pensée scientifique avancée par l'islam s'est inspirée des conceptions d'autrefois, car la parole fut d'abords aux faits. L'important dans tout acte, dans toute pratique scientifique – si l'on en croit le rapprochement que fait Lebland d'une manière simpliste entre Heidegger et la pensée arabe –, est d'une part le mouvement de tout être humain raisonnable dans son action sur les faits qu'il maîtrise, qu'il reformule et qu'il remlatérialise ; et d'autre part, la pratique de nos idées et de nos libertés ayant des effets dans le monde sensible.

742.

Voir à ce propos Lacoue-Labarthe (Ph.), La fiction du politique Heidegger l’art et la politique , op cit.

743.

Voir à cet égard les différentes métaphores d’Aristote que nous avons déjà citées aussi bien dans Métaphysique que dans L'Ethique à Nicomaque .