5.1.5. L'homme en relation avec la nature.

Bien que l'acte performatif soit dans le domaine de l'action humaine le véhicule de l'extension du pouvoir cognitif, il introduit par là-même un caractère négatif dans le monde sensible. Il engendre une dénotation du message, différente de celle qu'il avait dans son contexte quotidien. Le passage du performatif au constatif implique la négation qui est la fonction du rituel. Dire que celui-ci nie tout en imposant à la nature ses idées les plus hautes, revient enfin de compte à admettre l'aspect déstabilisateur et mobilisateur de la performance des gestes et des comportements aussi bien affectifs qu'intellectuels. La transposition didactique est aussi animée d'effort analogique. En effet le rituel de la formation repose sur la négation de l'ordre déjà établi par les apprenants. Le rite de la formation qu'incarne toute transposition didactique réussie est celui qui se donne le temps pour renverser les expériences premières ordinaires non pas par simple silence ou par simple création de la situation problème à caractère constatif, mais il accomplit cette tâche par le biais de la création de performances au niveau des fonctions expressives du discours et de l'élaboration des tâches.

Si l'acte constatif incite uniquement à observer la nature pour en déduire des modèles de vie, alors il considère celle-ci écrite d'un langage mathématique. De ce fait on peut dire que celui qui ne maîtrise pas ce langage n'aboutira jamais à la compréhension du monde. Cela est toute la problématique de l'apprentissage des mathématiques qui reste primordiale lors de l'ouverture sur la nature des choses. Cet apprentissage s'effectue toujours a priori et non pas a posteriori. Il s'effectue en relation de connexion nécessaire avec les choses. Ainsi en se jetant à travers champs, il faut débrouiller cette foi-ci non pas un écheveau (comme Paul Fraïsse le laisse entendre), mais des écheveaux. Il faut tisser une toile d'araignée pour chasser les erreurs, car la tâche de toute transposition didactique est, non pas l'enseignement de l'erreur, mais sa maîtrise. En terme de la révolution copernicienne, on peut dire que la première métaphore (débrouiller un écheveau) signifie qu'on n'a pas besoin de trouver à la nature sa raison d'être, d'autant plus qu'il faut l'observer d'une manière organisée pour en déduire des lois. Par conséquent, la loi scientifique a un fondement naturel, une intuition expérimentale qui révèle une possibilité de vivre avec la nature, c'est-à-dire en accord avec elle. En terme de la révolution ensteinienne, la seconde métaphore (tisser une toile d'araignée) signifie que rien n'est donné, tout est construit dans un esprit donné, par un esprit donné et pour un esprit donné.

Parmi les possibilités auxquelles participent aussi bien la transposition didactique que la vulgarisation scientifique, il y a l'extension du pouvoir physique de la connaissance et la mise en forme d'un apprentissage à ciel ouvert. Ce dernier contribue à l'extension des pouvoirs constatifs. Cela étant l'une des raisons qui font de l'élargissement des moyens techniques d'observations (satellites, appareils radios etc.) une possibilité pour maîtriser la nature sensible qui impressionne. Mais cette maîtrise n'est pas seulement objective, elle est aussi objectivée. D'où la seconde possibilité de l'homme qui peut (sous le travail de l'oubli) se passer de penser. Il peut aussi s'effacer devant ce qu'il observe pour penser uniquement dans le signe et sans le signe. Tel est le cas pour les principes physiques dynamiques qui suscitent des actions d'ouverture aux choses artistiques incarnant un jugement du goût qui reflète la jouissance artistique en tant que sentiment de l'homme, un jugement au sujet duquel nous venons d’affirmer avec Adorno qu’il est un sentiment qui tue l’art. Mais à côté de ces principes il existe d'autres qui sont aussi dynamiques. Ce sont les principes mathématiques qui – si l'on en croît Kant –, sont une sorte de jugements synthétiques a priori. Par conséquent, dans ce cas il est difficile d'admettre avec Nietzsche et avec Heidegger l'attitude de l'effacement. Car le fait de chercher à penser sans la référence à l'histoire universelle de l'homme, relève de l'utopie, du travail de la mémoire qui fait semblant d'oublier. On sait que les mots peuvent tourner et dire, et tous ce qu'ils disent témoigne des actes exprimés d'une manières latente sous les effets des propositions. D'ailleurs “ Au-dessous des propositions il y a des cris ”, disait déjà Michel Foucault. De ce fait, toute tentative pour réifier les mots est une opposition à l'acte du langage, qui dit les mots dans les signes et avec les signes. Elle est aussi une tentative de tuer non pas l'apprentissage dans l'oeuf avant même son éclosion comme Ph. Meirieu le laisse entendre, mais elle est une occasion privilégiée pour anéantir l'homme en tant qu'être parlant, souriant, séduisant et chargé d'une sensibilité à programmer ses cours, ses notes, ses leçons, et que sais-je encore ?