5.2. De la Référence ou de l'Ontologie désamorcée ?

Nous venons de voir que la transposition didactique stricto-sensus du schéma O.H.E.R.I.C figure dans les textes scientifiques de Claude Bernard et dans ceux de Paul Fraïsse sous forme d'énoncés théoriques imprégnés de noeuds cognitifs problématisés. Le passage de la métaphore du “ se jeter à travers champs ”, à celle du “ débrouiller un écheveau ” et “ voir sans être vu ”, peut en fait nous expliquer la non contradiction et la non opposition entre deux types d'ontologies. La première nous l'appelons avec Quine : L'ontologie désamorcée, la seconde, L'ontologie indifférente. Pour ce qui est de cette dernière, la transposition didactique stricto-sensus de l'objet du savoir, avait pour but (lors des séquences de la vulgarisation et pendant les moments de la recherche et de la programmabilité des connaissances et des contenus de l'objet du savoir), la mise en forme de la vérité des énoncés d'observation. Cela nous l'avons vu dans le travail du Manuel de Paul Fraïsse. La mise en valeur d'énoncés théoriques est réussie, car nous remarquons avec le texte d'Antoine Léon que la confiance dans le succès d'une théorie de prédication prévoit la possibilité de l'extension du schéma expérimental à d'autres domaines que la psychologie expérimentale. Cela le texte de Maurice Reuchlin de la vulgarisation l'a mentionné tout en pensant à l'extension de l'expérimentation à d'autres domaines : clinique, pathologique etc. Cette indifférence des ontologies, traduit l'indifférence des manières de véhiculer les savoirs et les connaissances, car le principe qui mobilise les auteurs dont il question ici est la transformation explicite du sens des objets du savoir. Cette tâche traduit une autre que Quine appelle : les fonctions déléguantes. Ce concept signifie en fait que chacun agit selon un but, une finalité qui lui est propre. Il use de tous les moyens contradictoires ou non contradictoires pour y arriver. De ce fait, la fonction déléguante ne fait que montrer l'indifférence de l'ontologie, qui à partir de là, elle devient désamorcée.

Nous constatons dans la transposition didactique du schéma O.H.E.R.I.C, deux formes d'ontologies. Celles-ci bien qu’elles apparaissent contradictoires, en réalité il n'y a aucune raison de les opposer, car du point de vue pratique l'opposition se dissout du moment qu'il y a incommensurabilité aussi bien du fait physique réel que du fait psychique incarnant la variable personnalisé de l'individu. Il y a donc une corrélation univoque qui lie les deux ontologies : l'indifférente et la désamorcée. Cette corrélation n'est rien d'autre que la recherche du sens de la méthode expérimentale, un sens adapté aussi bien à la vie psychique qu'à la vie biologique ou physique. De ce fait, on doit donc penser l'égalité des deux ontologies, de la même manière qu'Averroès (en paraphrasant Aristote) pensait l'équivalence de deux sortes de métaphysiques : la spéciale et la générale. Cette idée l’avait conduit à la non opposition des deux sortes de vérité à savoir la philosophique et la divine. Comme cela l’a conduit aussi à ne pas opposer les deux activités de pensée philosophiques : la philosophie vraie et la philosophie première. Si du point de vue empirique les deux ontologies sont égales, alors il n'y a pas lieu de préférer le choix de l'une par rapport à l'autre lorsqu'il s'agit de l'explication d'un fait. Il n'y a pas de raison empirique adéquate qui pourrait nous inciter à choisir l'une au lieu de l'autre.

S'agissant du rapport entre vulgarisation scientifique de l'objet du savoir et sa transposition didactique, la seule chose qui reste à choisir dans le sillage des deux mouvements sont les noeuds, les situations problèmes qui en réalité sont communes aux deux mouvements de pensée méthodique. Ces noeuds sont neutres. Si l’on en croît les conceptions de nos auteurs quant au schéma O.H.E.R.I.C, alors on constate qu'ils partagent les mêmes problèmes et les mêmes difficultés. A travers le schéma expérimentaliste, on peut dire que tous les auteurs et tous les chercheurs sont préoccupés par la même tâche à savoir la signification de la quasi-totalité des étapes de la méthodologie scientifique. Ce même problème de la signification nous renvoie à penser le sens de la distance qui anime l'univers ontologique tel que nous venons de l'appliquer au schéma O.H.E.R.I.C. Dire qu'il existe un rôle ou une fonction que remplissent les différents corpus des textes, nous renvoie à admettre le principe de la taxonomisation du sens entre polysémie, monosémie et asémie. Cela nous a mené enfin de compte à affirmer l'existence d'un ordre que nous devons prendre en considération pour distinguer ce qu'on peut appeler avec Quine : le terme d'observation, l'énoncé d'observation, la stimulation sensorielle et la stimulation référentielle. Dans le domaine pédagogique et didactique cela se traduit par la distinction entre l'ordre de l'action et celui de la réflexion. Ainsi la question qui se pose dans cette perspective est de savoir si en réalité, dans le champs de la didactique on est théoricien d'une pratique ou au contraire praticien d'une théorie.